Improvisation sur les légendes Arthuriennes et surtout sur le couple Arthur/Morgane.
L'image de Guenièvre ne correspond pas à celle de la série.
Chemins de traverse
1. Elle danse en marchant
Elle vacille elle chancelle
Elle danse
En équilibre sur le fil du rasoir et de chaque côté un gouffre
Ses mains suivent les arabesques
Du vent des chutes qu'elle évite en ployant
Elle danse
Au bord du précipice
A chaque pas en avant
Son pied vole frôle courtise le vide l'air l'inconnu
Elle arpente les lignes de crête les arêtes
Elle tâtonne incertaine elle avance en aveugle
Et elle danse
Elle plie elle ploie elle virevolte elle tremble elle manque
De tomber de choir précaire au moindre souffle
Elle bascule
Elle se brise
Mille morceaux fragiles mille fragments versatiles
En équilibre instable sur la ligne de crête
Sur le fil du rasoir
Sur ses chemins de traverse
Ses routes impraticables
Sur les demi-tons les demi-mesures sur les peut-être les presque les limites les seuils
Elle parle au subjonctif
Elle vit comme elle rêve.
2. Il revient vainqueur il triomphe
Dans les cris dans la joie dans le bruit de la foule
Dans le soleil qui le baigne
Il triomphe
Il a tout
Le soleil sur ses boucles éparses ses lèvres tendues à la vie
A la gloire à l'amour
Il a tout
Il rentre vainqueur il retourne au pays aux siens à sa sœur qui l'attend
Il rentre chez lui il rapporte tous les trésors
Ses conquêtes ses honneurs son cortège extatique
Sa jeune épouse
Belle et blonde
Son corps rose et potelé ses hanches rondes son ventre fertile les richesses de son père
Il triomphe dans le plein midi
Il triomphe pour sa sœur pour lui-même pour tous ceux qui le suivent
Pour sa sœur
Dont l'image danse sur la rétine dont le parfum flotte au bout de son nez
Déjà il voit sa silhouette d'équilibriste ses mains dansantes
Ses yeux noirs
Alors il prend la main tiède rose et tendre
Il prend le soleil sur son front
Le soleil le triomphe dans son ventre
Et il les tend en vrac à l'ombre de sa sœur
Il lui offre l'insouciance et la facilité
Le ciel clair l'impatience et l'électricité
Il lui dédie le courage et l'or la sève le sang
Il a tout il donne tout
Et il rit il rit il rit
Il brûle il crépite
Il est tendu
Un rayon de soleil
Il triomphe.
3. Il rentre elle accourt
Elle court l'entrave du tissu du sol du corps
Il tend sa main
Ouverte
Sa peau brune son sourire la lumière du zénith
Quelques mètres encore son visage pointu
Les saillies osseuses l'arête de son nez son menton ses yeux noirs
Les angles de son corps gracile
Il est couronné de soleil qui brille de sous sa peau
Les rayons s'accrochent à ses cils ricochent sur ses dents
Quelques pas et les courbes les rondeurs de sa bouche de ses joues
Des fossettes des bourgeons de baisers
Et la lumière diffuse son visage comme un reflet
Une seconde en suspend
Arrêt sur image
Plus de corps étrangers plus de grésillements
Plus de fond sonore plus de figurants
Un instant l'intégralité intense le tout
Et l'explosion des bruits seconde main occupée sourire figé choc accusé
Détournement à l'accéléré douleur brève incompréhension
Rejet échec
Il relâche ses doigts deux mains tombent
Soudain un soir d'automne
Soudain la défaite
Soudain la solitude
Elle est partie sur une ligne de crête
A pic juste avant l'horizon
Elle n'est pas tombée du monde
Lui découvre l'apesanteur les chaînes du mariage
Pour la première fois les cheveux blonds la taille haute
Elle est solide
Cette femme qu'il a épousée
Elle est belle elle est plantureuse elle est féconde
Il ne la connaît pas
Il ferme les yeux.
4. Il sombre
Il fond il coule vers le bas vers la boue
Son souffle embourbé
Ses pensées coagulées
Une tourbière de chairs et de gestes dissous
Il n'a plus de mots et plus d'oreilles
Plus de regard qu'au-delà des murs
Il se laisse couler dans son corps il regarde ailleurs
Dans les fantômes des instants passés
Des instants rêvés
Il croyait dans le temps qu'il aurait
Dans sa présence de toute éternité
Il se laissait porter dans le bruissement de ses pas
Il sombre
Contours diffus
Acédie
Flou
Fin
Il s'enlise il s'envase
Il se noie il n'a pas pied il n'a pas corps il n'est rien
Et le monde en décalé sous le prisme d'eau trouble
Le battement sourd de son cœur
Le sang qui bat dans l'amas de lui-même
Dans les parties manquantes
Fondues
Coulées
Dans la vie qui se perd
Dans son temps qui s'évapore
La buée de ses secondes lui échappe
Les ombres de lui-même s'oublient
Il désépaissit s'étrécit réduit.
5. Elle ne peut rien faire pour lui
Elle l'aime elle est impuissante
Ses cheveux sont blonds ses yeux bleus ses mains roses et potelées
Ses lèvres charnues aimantes rondes qui forment des mots d'amour la tendresse
Elle ne peut rien faire
Il aurait fallu des mots durs le tranchant des lèvres pâles
Il aurait fallu des mains blanches des poignets fragiles des yeux froids des cheveux de nuit noire
Il aurait fallu la silhouette d'équilibriste
Les gestes vifs et flous le parfum frais et acide
Il aurait fallu le vent sec de l'hiver la nuit dense la glace et le givre
Elle n'a rien que ses lèvres et ses bras
Ses hanches rondes
Son ventre stérile
Elle n'a rien que sa présence la flamme régulière dans l'âtre
Son cœur à prendre qui donne à l'infini
Que des regards qui lui échappent convoitent
Il regarde au-delà du jour
Elle ne peut rien faire ce qu'elle donne demeure
Elle ne fait rien elle laisse aller
Elle laisse perdre
Elle se perd elle rejette les mots et les essais les tentatives
Elle se détourne elle pleure
Elle apprend d'autres regards
Elle voit les ombres des mains et des cœurs sur le sien
Elle tourne le dos elle ferme les yeux
Elle accueille sur elle le poids de l'attention
Des jeunes émois des mains qui honorent qui révèrent
Qui aiment, enfin.
6. Il sait
Il refuse il jure il sombre il hait
Il sait
Il sait la colère le prend dans son carcan de fer
Crochète à ses os
Une armature de sel et d'acier
De sel sur ses plaies
Sur sa fierté à vif sur ses regrets béants sur son amour sanguinolent
D'acier dans ses gestes ses choix
Dans sa rage qu'il éploie dans les crimes qu'il appelle
Il se tait il sait
Il marche dans les ombres dans la haine
Il hait
Il jalouse il envie il souffre
Il recule dans l'ombre
Pirouette fantôme en oblique sourire d'hiver une seconde
Il recule dans lui-même
Dans le temps oublié dans ses oublis et ses manques ses absences
Il s'enroule dans le vide de son ventre
Dans ses actes manqués dans ses actes rêvés
Il voudrait il rêve il a eu il n'a pas il pourrait il a échappé
Il sait
Et il hait il jalouse à crever
Crève l'abcès de sa furie
La démence qu'il accueille
Il dévaste et il tue
Ses mots acérés métalliques salés
Ses douleurs comme des armes
Du poison pour la vengeance
La justice pour l'égalité
Pour l'adultère consommé la tromperie accomplie
Pour l'infidélité en pensée le parjure refoulé
Pour la trahison de chaque instant
Les liens latents
Il ne peut pas personne ne doit
Bascule vers la facilité
Fureur.
7. La folie est consommée
La douleur avalée
Il reste le ciel blanc et l'hiver à venir
Il reste les années d'avant
La rétrospective de son temps échappé
Les pellicules de sa jeunesse heureuse
Les souvenirs de la chaleur du plein midi
Les échos de la vie
Sur son corps déformé
Par les regrets la rage et les crimes
Sa chair rongée
Douleur corrosive
Poids des années
Des chaînes
Des liens trop tirés ou trop lâches
A ses mains qui tremblent
Ses mains qui vibrent encore les jointures à la chair arrachée
Ses mains dans les étreintes
Ses mains pour frôler les promesses
Pour rêver d'autre peau
Des corps perdus des temps défunts des ratés
Tout est perdu
Il s'était cru seul dans la foule
Et dans la solitude les saynètes réunies
Les secondes recomposées
Elle lui revient enfin.
8. Elle a dessiné une carte du monde sur le fil du rasoir
Elle a embrassé ses limites
Trouvé les seuils
Découpé son ombre portée sur son temps imparti
Elle s'est dédoublée
Elle a donné la vie
Elle reprend ses chemins de traverse ses anciens raccourcis
Ses avancées singulières
Elle retourne sur ses pas
Elle s'avance vers l'origine
Vers le point de départ son point à l'infini sur sa ligne de fuite
Elle marche vers la fin
Vers le nœud de la boucle vers l'arrêt à jamais l'éternel recours
Rien n'a changé
Et tout est différent
Déjà elle sait
Évidence
Il sera quelque part à l'attendre
Il l'aura déjà sue avant de l'avoir vue
Il sera debout
Point d'intersection
Pivot
Il sera allégé de son intensité
Défait de sa gaine frénétique
Elle pèsera tout son poids
Elle en entier
Ils se touchent à peine ils s'éloignent ils débordent du champ ils disparaissent
Elle vient vers lui
Par-delà l'horizon
Elle ignore elle vacille.
