Chapitre premier

Le capitaine

La troupe avançait à marche forcée. Le canyon se rétrécissait et les hommes à cheval devaient passer un par un. A leur tête, le capitaine du Gondor avait sorti sa hache, méfiant. Un jeune homme, la vingtaine environ, arriva à son niveau et demanda :

- Du danger, mon capitaine ?

L'intéressé hocha lentement la tête.

- Je n'aime pas me sentir coincé. Un archer pourrait surgir de n'importe où.

Le jeune homme regarda le carrosse derrière eux et dit :

- Dame Lenalia me semble à l'abri de toute flèche…

Le capitaine hocha la tête en signe de dénégation.

- Tu ignores ce qu'un homme serait capable de faire pour une femme…

Quelques hommes rirent. Le jeune guerrier préféra ne rien dire.

Le convoi de vingt hommes passa le canyon. Le soleil balaya les cavaliers en armes de ses rayons. Le capitaine leva la main puis le convoi s'arrêta. La nuit tombait, et l'astre du jour affichait ses dernières lumières, baignant le paysage d'une douce couleur orangée.

- On va camper ici. Je veux quatre sentinelles, on se relaye toutes les quatre heures.

Les chevaux du carrosse furent détachés et on apporta à boire et à manger aux bêtes. Les hommes installèrent des sacs de couchage et on alluma un feu.

Le jeune guerrier vint s'asseoir à côté du capitaine. Après un instant à contempler les flammes, il demanda :

- Combien de temps nous reste-t-il avant d'atteindre Minas Tirith, mon capitaine ?

Le capitaine déroula une carte devant eux.

- Nous, nous sommes à peu près là, dit-il en pointant du doigt le coin nord-est de la carte. Nous allons traverser Rhûn, pour atteindre Dagorlad dans trois jours. De là, nous devrions être à la Cité Blanche en moins de quatre jours. Tout cela sauf imprévu, bien sûr.

Le jeune homme hocha la tête. Le capitaine le regarda avec insistance et demanda :

- Comment t'appelles-tu ?

- Innar, fils d'Illion, lancier du Gondor.

Le capitaine sourit puis dit :

- Enchanté, Innar. Moi c'est Lurian.

- Vous êtes capitaine du Gondor depuis longtemps ?

- J'ai été nommé il y a dix ans bientôt, répondit le capitaine en rangeant sa carte.

La nuit tomba lentement, et le campement devint silencieux. Conformément aux ordres du capitaine, quatre hommes en armes restaient éveillés, chacun assurant la sécurité d'un côté du camp. Innar était couché sous sa couverture, et écrivait dans un petit livre. Il entendait des animaux pousser des cris lointains, essayant de les imaginer. Lorsqu'il eut confié ses pensées dans son journal intime, il le rangea dans son sac puis s'allongea sur le dos, les bras croisés sous la tête.

On entendit un léger bruissement semblable à un buisson, puis un sifflement. Dans la pâle clarté de la lune, Innar vit un garde tomber à terre. Il se leva précipitamment, puis réveilla le capitaine en le tirant par le bras. Un deuxième garde s'effondra sans un cri, la main sur la gorge. Lurian se dressa d'un bond puis, saisissant son cor, alerta le campement. D'autres sifflements retentirent dans l'air, puis Lurian se tint la jambe. Il arracha de celle-ci une petite fléchette enduite d'un liquide collant.

D'autres hommes se levèrent. On entendit des bruits d'épée, des exclamations étouffés et d'autres flêchettes volèrent. Innar s'empara de sa lance et la jeta sur l'une des silhouettes des intrus. S'approchant de son corps, il remarqua la forme allongée de ses oreilles. Il tenait dans la main une sarbacane de bois noir. Un hululement retentit dans l'air. C'était sans doute un code, car aussitôt qu'ils l'entendirent, les assaillants prirent la fuite. Un archer parvint à abattre l'un des fuyards, mais les autres disparurent.

Lurian courrut vers le carrosse et vit que le loquet de la porte avait été brisé. Il ouvrit la porte d'un coup de pied puis jeta un coup d'œil à l'intérieur.

- Ils l'ont enlevée ! Cria-t-il.

Des gardes se tournèrent vers le capitaine. Il y eut des murmures paniqués.

- Enlevée ?

- L'héritière a été enlevée ?

Lurian s'approcha du feu et saisi une branche.

- Du calme ! Cria-t-il, et le silence revint.

Les regards étaient fixés sur lui.

- Nous allons envoyer un petit groupe pour suivre leur piste. J'en prends la tête, avec trois autres hommes. Aldnar ! Appela-t-il.

Un garde s'avança.

- Oui, mon capitaine, dit-il.

- Vous conduirez le reste du groupe jusqu'en Minas Tirith. Nous ne sommes pas en territoire sûr, ici. Bien. Nelos, Innar et Orel, vous venez avec moi.

Les trois hommes suivirent le capitaine qui prit son sac et son épée et s'enfonça dans les plaines de Rhûn, suivant les rares traces laissées par les mystérieux agresseurs.

Aldnar prit la tête du reste des hommes, qui se remirent en route vers le sud. Déjà, à l'horizon, le soleil se levait.