« Tu m'aimes ? Demanda le blondinet, tout enamouré dans les draps tièdes, défaits, traduisant l'activité intense qui venait de s'y dérouler, comme toujours.
– Pourquoi cette question ? Répondît l'autre en revêtant tour à tour, ses chaussettes, ses caleçons, et ainsi de suite.
– Je voulais que ce soit toi qui le dise pour une fois » il ne cacha pas sa déception, et détourna le regard, baissant les yeux à ses doigts entremêlés.
Jim ne répondît pas tout de suite, mais il le gratifia d'une longue bise avant de s'en aller, quant à John, il ne lui restait plus qu'à défaire leurs valise pour se sentir un peu plus 'comme chez soi' dans cette suite qui lui semblait disproportionnée par rapport à ce dont lui aurait eu besoin : un lit, une petite salle de bain, et non un véritable T5 avec plancher en bois ciré et rideaux de soie. Tant pis, il avait accepté de venir à Paris et, donc, supposait-il, les extravagances de Moriarty. Et, de plus, il se doutait bien que ce ne serait pas dans les petites boutiques d'ateliers qu'ils iraient faire leurs achats souvenirs, que seraient plutôt de l'ordre de toute une nouvelle garde-robe pour l'un, et quelques macarons pour l'autre, histoire de faire goûter à Maman lors d'une après-midi passée à prendre le thé et discuter de politique ces délicieuses pâtisseries dont le savoir-faire Français n'était plus à promouvoir.
Tant pis, il fît une courte escale dans la cabine de douche, qui elle aussi était bien trop large, et pourtant qui promettait beaucoup sur un autre plan que celui de l'hygiène, pour se débarrasser des fluides corporels sécrétés par lui (ou son amant) durant l'acte précédent. Peu importait de toutes façons, même s'il aurait insisté autant que pour voyager dans un avion traditionnel il se serait sûrement cette fois fait envoyer paître, plus ou moins rudement selon sa faible expérience, étant donné que, même s'il semblait faire de nombreux efforts envers le vétéran, James Moriarty restait le même Homme caractériel et désagréable lorsqu'il se faisait contredire lors d'argumentations sur l'utilité de vivre dans un endroit si grand pour seulement deux personnes pendant deux semaines. C'était d'ailleurs un des détails qui agaçait le plus notre blondinet, bien qu'il comprenait qu'en général il valait mieux ne pas trop en demander de la part de quelqu'un qui avait manipulé le monde pour pousser le meilleur ami de son amant au suicide.
De toutes façons il laissa l'eau dégouliner le long de son corps, soupirant d'aise. Une bonne douche chaude après un réveil énergique faisait toujours du bien, il en grogna quelque peu de satisfaction. Mais il ne pût rester trop longtemps dans sa rêverie, perdu dans ses songes, car la mélodie du téléphone de leur chambre d'hôtel le rappela à la réalité. Il grommela, et sortît en vitesse de la cabine en verre, s'enroula du mieux qu'il le put dans une des longues serviettes blanches, et se rua en direction de la source de son désagrément.
« Bonjour ? Annonça-t-il en Français dans un accent britannique relevant presque du cliché.
– Monsieur John Watson ? Demanda la voix au bout du fil, cette fois-ci dans la langue maternelle de notre héros, ce qui le rassura : ce n'était que le personnel hôtelier.
– Oui, que puis-je faire pour vous ?
– Nous souhaiterions savoir si vous désirez que la femme de ménage passe maintenant ou plus tard dans la matinée »
Cela lui arracha un soupir, il avait renoncé à sa douche de luxe qu'il ne se permettait pas en général pour du ménage. Tant pis, le mal était fait.
« Non, d'ici une demie heure s'il vous plaît, je termine de me préparer.
– Bien monsieur, bonne journée.
– Oui bonne journée »
Aussi bonne une journée qui commençait de la frustration amoureuse pouvait-elle s'annoncer, il dérogerait à ce que son amant lui avait demandé et sortirait pour, lui aussi, profiter de la capitale. Et en un rien de temps il avait revêtu une chemise à carreaux et ses jeans, ainsi que des chaussures de ville et son sac dans lequel n'était que le strict minimum.
Il huma avec délectation les devantures de cafés, les jardins fleuris, admira les immeubles anciens et la Seine comme il se le devait en tant que touriste et s'assît à la terrasse d'un salon de thé à l'air rustique qui sentait le romarin et la mélisse. Il trouva l'endroit si beau qu'il se replongea dans sa jeunesse, un carnet moleskine à la main, et un crayon dans l'autre, esquissant les passants, les taxis, les pigeons, et plus globalement la vie s'agitant dans cette artère qu'était Paris.
Il sentît son smartphone vibrer dans sa poche, il n'aurait peut-être pas dû céder face à son partenaire quant à ce forfait international, et il consulta les messages.
Trois sms en quatre minutes, ça ne fait pas un peu beaucoup ? JW
Où es-tu ? JM
En ville. JW
Où en ville. JM
Quelque part au centre, rue des rosiers, 'Le Loir dans la théière'. JW
Tu n'es pas à l'hôtel, pourquoi ? JM
Je m'ennuyais, et puis je ne fais rien de mal... JW
J'arrive, ne bouges pas. JM
Si c'est pour que l'on se dispute ce n'est pas la peine de venir, James. JW
Si le message fut envoyé rapidement selon l'accusé de réception, la réponse se fît attendre, mais étrangement John n'en avait pas grand chose à faire sur l'instant, il reprît donc ses gribouillages artistiques, prenant de temps à autres une gorgée de son thé si délicieux, et que la tarte au citron meringuée pouvait être exquise, elle ferait parti de ces bons souvenirs de Paris, ça oui. Il sentît enfin une nouvelle vibration au bout d'une dizaine de minutes.
Tu me manques, c'est tout. JM
Il ne répondît pas, voulant que pour une fois ce ne soit pas lui qui soit mal mais l'autre, et environs sept ou huit minutes plus tard ce dernier arriva à proximité de Watson, qui ne le remarqua que lorsqu'il saisît son menton entre deux doigts, pour l'embrasser longuement. John reposa son carnet, son crayon, et ferma les yeux.
« Je t'aime » en fait il avait tort, car même dans un murmure, il reconnût que l'accent de Jim était plus fort que le sien.
