[Lundi midi]


« Qu'est-ce que c'est que cette tête ? demanda Miharu à son amie.

- Je viens de jeter un œil à mon devoir de colle, répondit Xiaoyu, le visage long. Une écriture d'invention… le sujet c'est : « la trahison ». J'aurais voulu une question, ou au moins une phrase… Moi qui voulais m'y prendre à l'avance pour une fois, je crois que je vais encore laisser passer ma chance de remonter mes notes…

- Ce devoir est si difficile ? dit Alisa en penchant la tête sur le côté, et pour insister sur son ingéniosité, elle ajouta, c'est si grave de ne pas avoir une bonne note ?

- Une fois, non… »soupira la chinoise en faisant la moue.

Xiaoyu regardait le ciel, les yeux implorants. Elle aurait bien voulu que ce ne soit que la première fois qu'elle se retrouvât dans cette situation.

« Mais si je ne m'améliore pas, je risque d'être exclue. Et puis en plus, c'est la honte… » déprimait encore la jeune chinoise en triturant timidement ses couettes.

Sur le visage de Miharu se dessina alors un sourire taquin. Mais Xiaoyu faisait vraiment la tête, et son amie le comprit. Elle préféra alors se taire. Ce n'était pas la première fois que Xiaoyu passait la récré avec cet air dépité. Elle se souvint du dialogue habituel qui s'en suivait…

« La honte ? Tiens donc, la honte, par rapport à qui ? » demanderait Miharu malicieusement.

Xiaoyu aurait laissé planer un silence très révélateur avant de rétorquer en rougissant :

« Bah les professeurs, tiens !

- Oui, bien sûr ! T'as les joues brûlantes, banane !... pourquoi tu vas pas chercher de l'aide ? l'aurait interrogée la rousse, sur un ton dévoilant clairement une question piège.

- Oh, mais j'ai déjà demandé à Julia pour les maths la semaine dernière (parce que cela arrivait souvent)

- Bah ! Il doit bien y avoir quelqu'un d'autre, non ? »

Alors Xiaoyu se serait contentée de marmonner sans vraiment répondre, en jetant un regard de la mort, menaçant du pire si Miharu disait la suite. Mais comme d'habitude, Miharu aurait bravé l'interdit :

« Un grand brun, plutôt discret, avec des yeux d'ange, que tu regardes tout le temps… »

Et là Xiaoyu aurait crié « chuuuut ! » en mettant ses deux mains sur la bouche de sa meilleure amie, pliée en quatre, et les deux s'agitant tellement comme des débiles, que « la honte » n'aurait plus été à redouter.

Tout ça, ce n'était plus que des souvenirs en fait…

« Ne te prends pas la tête, si les autres y sont arrivés, ça ne doit pas être si difficile ! s'exclama Miharu en s'étirant les bras.

- J'ai toujours un peu de mal à faire de belles phrases dans mes dissertations ! ajouta Alisa souriante, comme pour rassurer les deux jeunes filles.

- Si on en était à se poser ce genre de question… » geignit Xiaoyu en traînant des pieds.

Alisa hocha les épaules. Les jeunes filles continuèrent de papoter de leurs petits soucis.

Dans la cour, il faisait assez beau. C'était presque l'été, il faisait bon au soleil. Il y avait cette sorte de calme du midi, après le passage au self, un peu avant la reprise de treize heures, où les élèves sages sont assis tranquillement et les sportifs sont repartis se changer pour l'entraînement.

Une autre lycéenne, une blonde, s'approcha du groupe de jeunes filles, arborant un sourire aux prétentions chaleureuses. Elle s'arrêta à la limite conventionnelle qui sépare les simples connaissances. A son salut d'un mouvement gracieux de la main, les trois autres filles répondirent d'un ton jubilatoire et spontané.

« Bonjour mesdemoiselles. Si vous me le permettez, j'aimerais vous faire une proposition, dit-elle en tournant la tête et en arrangeant ses cheveux, comme si elle essayait de toujours de montrer son meilleur angle.

- Oui vas-y Lili, on t'écoute, répondit Xiaoyu un peu rapidement.

- Hum ! reprit-elle, un peu surprise qu'on lui ait coupé la parole… Je trouve que notre équipe de hand n'est pas si mauvaise. Mais des encouragements pourraient la rendre meilleure. J'essaie donc de monter une troupe de pom-pom girls. Si vous vous sentez d'attaque mesdemoiselles, je vous invite à vous présenter aux auditions, au gymnase, tout à l'heure après les cours.

- Euh, oui pourquoi pas… » fit Miharu un peu gênée, avec l'impression d'être une disgrâce devant la petite fée blonde.

Lili s'apprêta à partir après avoir esquissé un faux sourire – ses clignements d'yeux répétitifs la trahissaient – lorsqu'Alisa l'interrompit :

« Tout à l'heure au gymnase ? Et est-ce que ça va être difficile ? »

Après un délai, Lili finit par lui adresser un « Peut-être », puis s'en alla avec plus de snobisme qu'à son arrivée.

Xiaoyu et Miharu se tournèrent vers Alisa silencieusement, puis elles éclatèrent de rire tout à coup.

« Je ne savais pas que tu voulais être cheerleader Alisa !

- Et bien, ce n'est pas ce qu'il faut faire, participer à un club ? Ca ne vous dit pas, vous ?

- Moi je suis déjà en musique, lui fit remarquer Xiaoyu.

- Oh, c'est vrai… tu joues de la flûte, je me souviens maintenant !

- Pourtant t'as pas la mémoire courte normalement ! rigola sa copine.

- Et toi, Miharu, tu ne fais rien ?

- Non ! Et ça me va très bien.

- Oui, c'est vrai, Alisa, tu n'es pas obligée de suivre un club en particulier. Mais si c'est ce qui te chante, pourquoi pas, l'encouragea la chinoise en balançant ses couettes de gauche à droite.

- Alors pourquoi vous faîtes cette tête ? demanda l'androïde.

- Ben… Lili, elle est un peu…, dit Xiaoyu de manière hésitante.

- Elle a l'air mega lourde ! Regarde ses cheveux, y'a pas un pic qui dépasse ! » s'exclama la rousse, avec plus de tranchant et une grimace adéquate.

Une tête blonde les balaya du regard au loin.

« Euh, Miharu ? Je crois qu'elle t'a entendue… » fit Alisa.

La japonaise fit mine d'en avoir rien à faire. Même si elle savait bien que dans ce lycée, les gens étaient susceptibles, et tout était prétexte à se battre. Cette Lili, elle s'était déjà frittée à d'autres, et elle avait fait sentir à Miharu qu'elle l'avait dans son collimateur.

La cloche retentit. Les jeunes filles se séparèrent.

« Je dois rester en perme après les cours, expliqua Xiaoyu, on se retrouve ce soir alors ! »


[Lundi, 17h]


L'autre salle de permanence étant occupée par les secondes (une absence inopinée), les collés se retrouvèrent dans la salle des devoirs surveillés : au sous-sol. Quel pied ! Il faisait froid, il n'y avait que deux petites meurtrières, et en plus, c'était moche. Le seul avantage ? Une porte qui menait vers l'extérieur. Il suffisait de la pousser de l'intérieur pour sortir, mais des clefs étaient nécessaires pour rentrer. On pouvait ainsi s'enfuir et ne jamais revenir.

« S'ils voulaient nous punir, ils auraient dû faire le contraire » pensa Xiaoyu.

La jeune chinoise, installée sur sa chaise, copie blanche sur la table, se retourna pour voir qui avait l'air encore plus désespéré qu'elle. Avec la surprise qui se lisait sur son visage, le jeune garçon qui était assis trois rangs derrières elle, un peu inquiété, lui demanda ce qu'elle avait.

« Oh rien du tout, on est dans la même galère alors… euh, Hwoarang, c'est ça ?

- Ouais, bon, moi, dit-il avec nonchalance, je suis juste là pour finir ma nuit »

Puis il ferma les yeux, confortablement installé sur son siège, les bras en papillon derrière la tête et les pieds sur une chaise devant. La jeune fille fut rassurée en voyant un cas plus affligeant que le sien, et décida de sortir son manuel de littérature et lire des trucs sans réfléchir. Les idées viendraient toutes seules, et au pire, bah au pire elles ne viendraient pas !

Mais difficile de se concentrer.

En soi, ça aurait pu être pire : une disserte par exemple. Parce que dans le fond, une écriture d'invention, ça pouvait être chouette. Mais sur un truc fun, plutôt… pas « la trahison ». Tout ça pour avoir laissé tomber les maths… Pourtant d'autres avaient eu des notes pires qu'elle – Miharu par exemple. Pourquoi fallait-il que Xiaoyu eût à se farcir un traitement plus sévère ? Surtout qu'elle avait tout juste eu un 17 sur Les sept Samurais.

Sûrement parce que son grand-père connaissait le propriétaire du lycée, Heihachi Mishima, qui semblait accorder une attention particulière aux notes de Xiaoyu, par le biais du proviseur qu'il venait souvent rencontrer.

La brunette s'affala sur sa table… de toute façon, il n'y avait pas de surveillant, et le devoir n'avait aucun coefficient. Pour éviter de cumuler les colles et les devoirs à rendre, il suffirait de rendre cette rédaction, qu'elle soit bien ou pas, le lundi suivant. Elle avait encore du temps jusqu'à sa prochaine (et espérons, dernière) colle. Et puis la chaleur de l'après-midi juste après le repas donnait sommeil…

Tout à coup, un bruit lourd retentit.

BAM !

Comme un objet lourd ou une personne qui dévalait les escaliers. Hwoarang se réveilla. Xiaoyu qui se plongeait aussi dans un sommeil profond, sentit son cœur battre plus vite. Elle essaya de se concentrer sur le texte qu'elle avait sous les yeux, lorsque que plusieurs claquements prirent la suite, comme si quelque chose frappait, BAM !, frappait, BAM !, mais si fort, à rendre sourd ! Un truc qu'on aurait peur de se prendre, et qui se rapprocherait. Un truc qui vous tomberait dessus. Le tonnerre.

Là, c'était le vrai coup de fouet. Un moment où on oubliait ce que ça faisait que de ne pas être stressé. La lumière encaissa un coup. Les allogènes au plafond clignotèrent, jusqu'à s'éteindre définitivement. Il faisait tout noir.

SCHLACK !

C'était là. Juste derrière les murs.

La porte ébranlée par les chocs, même si elle ne pouvait pas être ouverte de dehors, laissait entrevoir la lumière, lumière devenue inquiétante. Xiaoyu frissonnante, pensa qu'elle eût déjà bondi en attaque si elle avait été sûre que c'était quelque chose d'humain. Mais là, on n'entendait plus rien que des fracas. Comme des os qui se brisaient, avec un retentissement, foudroyant, tonnant, mugissant, comme si ça venait des murs eux-mêmes.

Hwoarang se leva doucement. Il jouait les intrigués, mais on sentait qu'il n'était pas si sûr pour autant de vouloir savoir ce qu'il y avait, pas loin. Au bout de quelques pas de loup, les deux lycéens n'entendirent plus rien. Les deux élèves se regardèrent avec les yeux écarquillés.

« C'était quoi, ça ? » chuchota Xiaoyu.

Après un silence, voyant que Hwoarang ne retournait pas s'asseoir, elle proposa d'aller voir. Les deux lycéens arpentèrent le mur jusqu'à la porte de sortie. Le jeune homme poussa doucement la porte. La chinoise sortit sa tête la première, et à part le fait d'être éblouie, rien de dérangeant n'apparut. Rien d'anormal.

« Hum… ils font autant bruit, dans le club de hand ? »

Le gymnase était juste à côté, c'était une réflexion logique de la part du coréen. Xiaoyu le regarda avec des yeux ronds, peu convaincue…

« Dans un sens, je l'espère »

Maintenant que tout semblait aller mieux, Xiaoyu repensa à son devoir. Elle se retourna vers la grande salle et s'apprêta à enclencher la poignée de porte.

« Perso, après un truc pareil, je fais une pause ! s'exclama le roux qui la voyait repartir.

- Une pause ? Parce que t'as fait quelque chose depuis tout à l'heure ? rétorqua Xiaoyu en ricanant nerveusement.

- J'ai besoin d'air là, pas moyen de retourner dans le noir après ça.

- T'as quand même eu peur alors ! renchérit la jeune fille.

- Ouais, c'est ça… répondit-il en se dirigeant lentement vers la sortie du lycée. Si y'a pas de lumière on peut plus bosser. De toute façon, pour moi, ça ne changera rien. Que je rédige quelque chose ou pas, j'y comprends rien, ça m'intéresse pas »

Après lui avoir dit au revoir, Xiaoyu resta songeuse. Il lui semblait trouver dans les paroles de Hwoarang une sorte de détresse… Quant à l'idée de retourner seule à l'intérieur, et dans le noir en plus, bof ! Et ces bruits, ça ne ressemblait pas à des ballons qui cognent contre des murs.

Tout à coup, Xiaoyu entendit de nouveau une voix familière.

« Mais ça change quoi, que j'y aille ou pas !

- Fais au moins un effort ! Et puis je ne peux pas te laisser partir et dire que j'ai rien vu au proviseur. Si tu veux sécher, apprends à le faire en douce »

Lei Wulong était en train de ramener Hwoarang.

« Oh, déjà ? dit Xiaoyu avec amusement.

- Tu es dehors aussi ? lui demanda Lei.

- Mmh… je fais une pause… répondit-elle, en fait… »

Tandis que Lei commença à s'interroger sur ce qui se passait en voyant Xiaoyu hésitante, Hwoarang se mit à lui expliquer.

« C'était vraiment trop bizarre, j'te jure !, s'exclama-t-il, et sachant que Lei était du genre honnête et n'allait pas balancer n'importe quoi à n'importe qui, Hwoarang ajouta, mais bizarre dans le genre flippant, quoi. »

Xiaoyu acquiesça d'un mouvement de tête pour confirmer ses dires. Le lycéen aux longs cheveux bruns prit un air songeur. Puis avec un grand sourire proche de la grimace, il sortit :

« Et du coup tu crois que tu peux sécher ?

- J'y retournerai pas tout de suite en tout cas ! Je vais m'entraîner et trouver la personne qui a fait tout ce boucan.

- Hahah ! Je te laisserai sortir qu'à une condition » Lei commença à plier les genoux.

Voyant venir à des kilomètres l'altercation, Xiaoyu essaya d'intervenir, même si ça lui semblait inutile et vain.

« Hé, vous allez pas… !

- S'il n'arrive même pas à me passer, pas la peine de chercher un adversaire plus fort, se justifia Lei en se tournant vers Xiaoyu, non ? ajouta-t-il en dévoilant sa paume droite.

- Oui, je vois… C'est cool » murmura la chinoise avec une voix un peu aigüe.

Après avoir pris le soin d'attacher sa crinière, Lei se mit à imiter la technique de l'ivrogne tout en guettant les mouvements de son adversaire d'un œil attentif. Le roux lui fonça dessus avec un coup du pied droit censé lui permettre de passer derrière son adversaire. Mais ce dernier l'anticipa et se servit de l'inertie de Hwoarang pour le balader lui-même à sa guise en jouant au torero. Le coréen se retrouva alors dos à son opposant qui avait eu le temps de se préparer en plaçant ses mains pour exécuter les techniques de l'art du serpent. Quand le roux se retourna, il se prit une pichenette dont il se souviendrait. Son adversaire lui lança une grimace en rigolant pour se moquer de lui.

« J'aurais pu t'en faire dix, des comme ça !

Tu vas voir ! » cria Hwoarang qui se sentait humilié par la nonchalance de Lei.

Alors qu'il allait lui asséner un lourd coup de talon, on entendit comme un énorme dérapage. Hwoarang s'arrêta net.

« C'est pas mon jean quand même ! »

Lei lui fit signe que non. C'était Asuka Kazama qui venait d'arriver en trombe, glissant sur le gravier. Même si elle faisait des efforts ces derniers temps pour ne pas trop froncer les sourcils, ses mains sur les hanches avec les épaules en avant la trahissaient. Elle était furieuse. Lei s'approcha avec sa démarche habituelle, faussement gauche, et posa sa main sur l'épaule de la jeune fille.

« C'est rien, on s'entraînait, amicalement !

- C'est vrai », ajouta Xiaoyu machinalement.

En plus, c'était assez vrai.

« Vous vous entraînez pour quoi ? ronchonna la nouvelle venue.

- Tu recommences à froncer les sourcils, lui dit Lei.

- Hmph ! grogna-t-elle, en faisant celle qui est détendue. C'est faux, je suis très calme.

- C'est quoi le problème, c'est si grave de froncer les sourcils ? » demanda Xiaoyu.

Asuka se tourna immédiatement vers la chinoise pour lui expliquer :

« Je veux pas devenir moche comme un Mishima !, elle se retourna vers les deux autres, et vous, vous vous entraînez sans moi ? Cette année c'est moi la présidente du comité de discipline, j'ai le droit, non, le devoir d'être sur tous les fronts ! Alors vous allez me dire à qui il faut coller une raclée.

- C'est rien du tout… minimisa Lei en brassant l'air avec ses mains.

- Je dois être au courant de tout ça. Après une pause, elle ajouta, tu me feras un rapport alors.

- … chef », fit Lei en hochant les épaules, pendant qu'Asuka s'en allait fièrement.

Elle était un peu effrayante, mais Lei semblait s'amuser de cette situation. Asuka réapparut soudainement, pour pointer son doigt sur son subordonné et préciser d'un adjectif :

« Je le veux écrit ! »

Puis elle s'en alla définitivement.

« Sur ce… bien joué, je te laisse partir, mais on en reparlera ! », dit Lei à son adversaire en se retirant tranquillement.

Hwoarang reprit alors sa veste, et s'apprêta à prendre le large. De son côté, Xiaoyu, en cherchant une autre salle, vit sur une horloge que sa dernière heure de colle étaient quasiment finie. En plus, après la journée de cours, elle était complètement crevée. La prochaine fois, il faudrait vraiment s'y mettre. C'est toujours ce qu'on se dit…

« Peut-être que certains terminales en musique ont eu le même sujet que moi les années passées. Je leur demanderai demain » pensa-t-elle.


[Mardi, 17h]


Xiaoyu était vraiment curieuse de savoir ce qui s'était passé la veille, comme si elle avait oublié à quel point c'était effrayant. Une fois le cours de musique fini, elle fit mine de prendre son temps pour ranger ses affaires. C'est dans ces moments-là qu'on déteste ceux qui parlent et qui mettent des plombes à partir. Genre, le matin même en cours, quand elle était encore sous le choc, tout le monde était parti si vite qu'elle s'était retrouvée toute seule dans la salle. Mais là, forcément, non. Xiaoyu ne pouvait pas rester là et ne rien faire sans paraître louche. Elle prit sa partition et colla quasiment la feuille sur son nez, guettant du coin de l'œil les derniers qui restaient. Elle aperçut Lei qui la fixait suspicieusement.

« Je suis grillée ! » pensa-t-elle.

Après un moment, il se contenta de dire :

« Si Hwoarang traîne encore, fais-moi signe, je serai dans le coin »

Xiaoyu acquiesça gentiment. Une fois tout le monde sorti, la lumière, ne détectant aucun mouvement, s'éteignit. La lycéenne eut comme une frayeur parce que cela lui avait rappelé ce qui s'était passé en permanence. Quand il n'y eut plus personne, elle se rendit vers la fameuse salle de permanence. Les lampes avaient été changées.

Depuis qu'elle avait entendu ces bruits bizarres, Xiaoyu sentait que cette semaine n'allait pas être comme le train-train habituel. En plus, il y avait Miharu et le regard que lui avait jeté Lili. Ce n'était pas la première fois qu'il y avait une tension entre ces deux là, il fallait croire que cette idée de pom-pom girls tenait à cœur à la blonde. En s'affalant un peu sur sa chaise, les bras tombant en arrière, Xiaoyu soupira. En même temps, avec cette chaleur qui arrivait, tout leur montait un peu à la tête !

Et puis, l'évènement étrange lui avait aussi rappelé quelque chose de plus important. Plus personne n'en parlait à l'école, de la défunte Jun Kazama. Xiaoyu ne la connaissait pas vraiment, Jun était morte beaucoup trop tôt. C'était l'année d'avant, Xiaoyu était encore au collège, mitoyen au lycée. Elle était juste au courant de son existence, et de la fin de cette existence. Personne n'avait jamais su dans quelles circonstances elle était décédée. On disait que c'était un accident, sans donner plus de détails. De quoi donner à tout le monde envie de poser encore plus de questions. Mais personne n'avait eu la moindre réponse. Même sa famille, n'avait rien dit. Ils s'étaient contentés de l'enterrer, c'est tout…

C'est là que Xiaoyu devint vraiment triste, plus que par conventionalité. Le petit frère de la morte, Jin, avait disparu depuis lors. Xiaoyu avait toujours eu un faible pour lui depuis le collège. Quand elle l'avait revu au lycée, c'était l'extase. Mais il avait déjà un peu changé. On savait que c'était le garçon le plus introverti du monde, mais au moins, quand on le connaissait bien, on pouvait voir quand il souriait à l'intérieur. Xiaoyu avait bien senti au lycée, que quelque chose n'allait pas. Ils ne s'adressaient quasiment plus la parole, et il était tout aussi difficile de se dire que lui et Jun étaient de la même famille, puisqu'ils se parlaient à peine. Et quand elle mourut, plus rien.

Ca semblait loin, et c'était dur d'y repenser, de quoi faire revenir les larmes. Pourtant il s'était passé plein de choses géniales depuis, comme le fait que Miharu eût décidé de venir cette année-là dans le même lycée. La réputation de lycéens bagarreurs s'était atténuée, et globalement on n'était plus sur le qui-vive. Le proviseur, malgré ce que beaucoup disaient, n'avait pas l'air si méchant. Et puis quand on y pensait, il y avait plein de gens drôles et sympas dans ce lycée, même ceux qui avaient une dégaine imposante : Paul qui arrivait toujours en retard, King dont Xiaoyu ne se souvenait d'ailleurs pas avoir vu le visage, Yoshimitsu qui sauvait tout le monde sans vouloir l'avouer, Lei qu'on appelait « le super flic » parce qu'il devinait toujours qui avait fait quoi…

C'est sûr que Lili, qui était nouvelle comme Miharu, avait un peu redressé la barre. Mais c'était loin d'être du niveau des trois, voire quatre individus (l'un d'entre eux, Bryan Fury, était un peu une espèce d'électron libre, une brute que personne n'arrivait à tenir, et même le groupe d'oppresseurs ne s'en accommodait pas longtemps) qui terrorisaient tout le lycée. Xiaoyu n'en connaissait que la réputation : même l'année d'avant, cela faisait un moment qu'ils ne mettaient plus les pieds au lycée à des heures normales. Mais on en parlait tout le temps. Le propriétaire de l'école, Heihachi Mishima, passait régulièrement au lycée et ordonnait constamment au proviseur de durcir le règlement intérieur, pour que tout le monde se contente de suivre les cours bien sagement et basta. Il ne fallait pas rester une seconde de trop dans les couloirs, ni même au self, et il fallait tout le temps dire pourquoi on était là, ce qu'on faisait, qu'on était bien sur la liste des inscrits pour telle activité… C'était sûrement pour les empêcher de revenir. Il faut dire que parmi eux, il y avait son fils : Kazuya Mishima. Tout le monde savait à quel point ils se détestaient… Comme tout cela s'était arrêté, il fallait croire qu'ils avaient tous disparu en même temps que Jin et Jun, et par la même, cette pimbêche de Nina !

Xiaoyu se souvenait avoir aussi entendu parler d'une fille qui faisait partie de la bande. La seule fois où elle l'avait vue, elle était couverte de bleus et de graffitis. On racontait qu'elle s'était réveillée le matin comme ça dans le couloir. A priori, tout le monde s'en fichait parce qu'elle avait la réputation de la « pouf » du lycée, on rigolait bien de voir sa belle robe enfin chiffonnée ! D'autre part, tout le monde savait qu'elle et sa sœur, les Williams, passaient leur temps à se faire ce genre de coup. C'était juste allé plus loin cette fois.

Et puis, une autre Kazama, la cousine de Jin et Jun, était arrivée. C'était Asuka. Cette fille semblait dure comme un roc, elle n'avait pas vraiment d'amis et passait son temps à terroriser ses camarades même sans le vouloir. Mais il fallait reconnaître que cette fille avait un moral en béton. Dès son arrivée, elle avait reprit le comité de discipline tel que Jun l'avait laissé derrière elle. Et elle ne se laissait jamais démonter en public. Sûrement pour mieux cacher qu'à l'intérieur, elle était triste. D'ailleurs, quand elle avait débarqué comme nouvelle, sitôt que l'on vit son nom de famille, la situation avait failli dégénérer : la pauvre n'en savait pas plus que quiconque mais on l'assommait de questions.

De même, l'attitude du proviseur avait pu sembler louche, mais il paraissait aussi atteint que les autres par tous ces évènements. Xiaoyu n'avait jamais vraiment douté là-dessus. Quant au propriétaire du lycée, Heihachi Mishima, il était impassible sur le sujet.

Constatant qu'il ne se passait toujours rien dans la grande salle de permanence vide, Xiaoyu se leva. Miharu et Alisa l'attendaient sûrement pour rentrer.

En se dirigeant vers la sortie, elle aperçut une feuille qui n'était pas là avant. Enfin peut-être… En tout cas elle ne l'avait pas vue. Elle la ramassa et une fois sortie, à la lumière du jour, la jeune lycéenne réalisa que ce n'était pas une partition, ni un dessin perdu comme elle s'en était doutée. Parfois, on trouve même des fiches d'exercices, à se demander pourquoi certains ne font pas leurs devoirs… C'était une copie rédigée par un élève, avec un intercalaire à l'intérieur. Une vraie copie, quoi. Quand Xiaoyu vit le titre, elle poussa un petit glapissement, voyant que ça portait précisément sur sa rédaction. Mais le nom en haut à droite était barré. Ce n'était pas tout à fait l'écriture de Jin, mais ça y faisait penser. Xiaoyu se dit que s'il avait été là, elle aurait trouvé quelqu'un pour l'aider à faire sa dissertation, car en jetant un œil, elle se rendit compte que ce n'était pas que du blabla.

« C'est vrai que Jin était doué pour tout », pensa-t-elle avec les joues qui chauffaient légèrement.

Du coup, c'était peut-être la copie de Jun ? Pourquoi traînait-elle ici ?

« Alors cette fille était vraiment très douée aussi »

Des mugissements d'ados s'élevèrent tout à coup. Ça venait de l'arrière-cour, normalement pas accessible. Xiaoyu alla voir. Tout un tas de meubles avaient été empilés les uns sur les autres. C'était un cumulus de bouts de murs, de bancs, et autres ouvrages, des bouts de sol… C'était le condensé du lycée rassemblé là. Les immeubles étaient devenus meubles et avait tous été jetés là. C'était vrai qu'autour, une partie du bâtiment avait été éventrée, et certains murs n'étaient plus droits. On aurait pu dire qu'une partie du décor avait fondu.

Là, il y avait Paul et les deux frères Law qui s'extasiaient devant. Baek, un membre du comité de discipline aux yeux d'aigle, était à côté, toujours calme.

Xiaoyu fit soudain le rapprochement de ce qui était sous son nez depuis le début. Les bruits, et maintenant ça. Et puis la copie. Xiaoyu pensa qu'il y avait une entité, un truc plus que bizarre, qui avait sûrement un lien avec la mort de Jun, et qui était revenu pour causer de nouveaux dégâts. Hwoarang avait fait un euphémisme en disant « flippant ». Ca devenait vraiment alarmant, terrifiant.

La chinoise avait ce regard avec les yeux complètement dilatés, et écarquillés, qui nous donnent l'impression de tomber dans le néant quand on se risque à se plonger dedans. Baek, de son œil perçant, sembla le remarquer. Xiaoyu jeta un œil sur sa copie, et sut qu'elle allait paraître louche si elle disait avoir trouvé ça. Elle savait qu'en la montrant, elle ne la reverrait plus jamais, alors qu'elle voulait au moins la lire un peu. Ce n'était pas vraiment de la triche, juste « de l'inspiration »… Elle rangea alors la copie dans son sac.