Hello les Oncers!

Pour la première fois, j'ai participé au Secret Santa du forum Once Upon a Time France. J'ai reçu le prompt de Rumplestiltskin (Didou27 ici) qui était: Artiste!Rumple, Modèle nu!Belle, dessin, smutty fluff, première fois ensemble. J'ai littéralement sauté de joie! Un tel prompt est un cadeau tombé du ciel! J'ai pris un énorme plaisir à l'écrire et, malgré de nombreuses galères, j'espère que vous allez apprécier cette histoire dans laquelle j'y ai mis tout mon cœur.

Un grand merci à mes bêtas titi88 et Paulinska.

Bonne lecture!


Courbes graphiques (1ère partie)

Belle était en pleurs. Elle était au volant de sa voiture, le cœur brisé et les larmes lui brouillant la vue. Son nez se bouchait, et plus elle sanglotait et plus sa respiration devenait difficile. Elle ne voulait plus de cette vie. Elle ne voulait plus affronter la réalité. Son pied droit écrasa l'accélérateur pour s'éloigner au plus vite. Les gouttes de pluie s'accumulaient sur le pare-brise et les essuie-glaces semblaient aussi inefficaces que ses paupières. Les lumières des enseignes et des autres véhicules ressemblaient à des décorations de Noël. Pourtant, c'était une sombre nuit de février qui n'avait rien de féerique. La jolie brune continua d'accélérer, tentant de tenir son volant le plus droit possible. Mais soudain, une vive lumière blanche lui fit face, la forçant à fermer les yeux. La nuit s'installa pour très longtemps.

Dix mois plus tard

Le TGV entra en gare de Frasne à 13h16. Belle, une jeune étudiante en lettres de vingt-et-un ans, monta à bord et s'installa à la place 26 près de la fenêtre. Quand le train démarra, elle regarda nostalgiquement le paysage défiler. Il pleuvait depuis près de trois jours. Les maisons semblaient toutes être dans un camaïeu de gris avec leurs toits sombres. Les voitures n'étaient que des tâches noires et blanches. Avait-elle plongé dans un film des années 50 ? Non, ce n'était pas possible. Elle n'avait pas eu un ticket magique pour passer de l'autre côté de l'écran et aucune porte vers un monde en noir et blanc ne s'était ouverte devant elle. Seuls les parapluies des plus téméraires apportaient un peu de couleur à ce tableau bien déprimant. Mais bientôt, avec la vitesse du train, elle passerait de l'expressionnisme à l'abstrait. Les phares des voitures n'étaient que des trainées de lumière et les arbres des tâches noirâtres de pinceaux sur une toile grise.

Les derniers mois avaient été très difficiles pour elle. Ce fameux soir de février, sans l'avertir, son père l'avait emmenée chez les LeGum, une riche famille de la région. Devant une large assemblée, le fils unique, Gaston, avait demandé la main de Belle. Ce dernier la convoitait depuis l'école primaire et jamais n'avait réussi à l'intéresser. Ruiné après l'incendie de son atelier, l'inventeur Maurice pensa qu'unir sa fille avec le fils du maraîcher allait lui permettre de prendre un nouveau départ. Mais Belle ne l'entendit pas de cette oreille. Offusquée que son père décide de sa vie à sa place, elle avait quitté précipitamment la petite fête, complètement bouleversée. Puis, toute sa vie s'était écroulée comme un château de carte en une fraction de seconde lorsque sa voiture avait heurté de plein fouet le camion qui venait en sens inverse. Après avoir été plongée pendant cinq jours dans le coma, la jeune fille, passa de longues semaines allongées dans un lit, puis la rééducation commença. A présent, avec l'aide de sa psychologue et de sa meilleure amie Ruby, elle tentait de se reconstruire, brique par brique.

Quelques heures auparavant, Ruby lui avait rendu visite et lui avait rappelé à quel point elle était différente avant l'accident. Elle était une jeune fille pleine de vie et avec des rêves plein la tête. La grande brunette avait décroché un portrait au fusain de son mur et lui montra comment un artiste l'avait croquée un peu plus d'une année auparavant. Belle ne se reconnaissait plus. Son sourire s'était depuis fané et l'étincelle dans son regard s'était noyée dans un océan de ténèbres. Après le départ de son amie, elle était restée de longues minutes à contempler l'œuvre, assise sur son lit. Elle se surprit à sourire face au génie du trait qui la représentait. Puis, sur un coup de tête, elle décida de retourner dans la capitale.

Elle arriva à Paris en fin d'après-midi, mais avait l'impression qu'il était très tard. La nuit de décembre était très sombre et les lumières de la ville se reflétaient sur le bitume humide. Elle fut submergée par le flot de passants, par les sons, les odeurs, les lumières. Elle en avait le tournis comme dans une exposition de Picasso où les formes et les couleurs s'enchaînaient dans une cacophonie telle qu'on avait l'impression de perdre la tête sans l'aide d'un guide.

Elle traversa la place Louis-Armand et se rendit dans un petit café qui était déjà bien rempli par des travailleurs attendant leur métro ou leur RER pour rentrer chez eux. Elle commanda un thé et sortit sa carte de son sac. Lors de son précédent séjour, Ruby leur avait trouvé une chambre pour quelques euros la nuit chez une jeune femme très sympathique. Son appartement était marqué d'un cercle rouge dans le deuxième arrondissement. Dans le coin supérieur gauche était noté son numéro de téléphone. Belle prit son portable et tenta sa chance.

- Bonjour Ariel, c'est Belle French… Je ne sais pas si tu te souviens de moi. L'an dernier, mon amie Ruby a loué une chambre chez toi pour quatre nuits…. Je voulais savoir si la chambre était libre… déjà pour une nuit… Oh super ! Merci beaucoup !... Je finis mon thé et j'arrive.

Après un court trajet en métro, Belle marcha quelque peu dans des rues à sens unique et sonna à l'interphone d'un immeuble de style haussmannien. La porte massive de 1868 s'ouvrit dans un grincement sur un vestibule au sol carrelé de petits carreaux de dix centimètres carré crème et brun. Elle se rendit dans l'ascenseur et appuya sur le bouton portant le numéro 4.

Ariel, qui était décoratrice d'intérieur, l'accueillit chaleureusement. Les deux filles se racontèrent leurs aventures et leurs malheurs. La rouquine était peinée d'entendre l'histoire de Belle.

- Et qu'est-ce qui t'as donné envie de revenir à Paris, comme ça, sur un coup de tête ? demanda-t-elle en servant une tasse de café.

- Je recherche quelqu'un. Un artiste.

- Tu as son nom ? demanda Ariel.

- Non, mais j'ai pris le dessin qu'il m'a fait à Montmartre. Il y a sa signature en bas mais je n'arrive pas à la déchiffrer.

- Il y a plus de deux cents artistes qui croquent les touristes toute l'année. Beaucoup ne restent que quelques mois. J'espère que tu vas le retrouver.

- Je l'espère aussi, répondit Belle en mettant du sucre dans sa tasse. Tout ce dont je me souviens, c'était qu'il avait un accent écossais absolument charmant.

- Ah mais qui peut résister à cet accent ?

Elles allèrent ensuite manger des sushis dans un petit restaurant japonais réputé du quartier. Ariel lui proposa d'aller dans un bar rejoindre ses amis, mais Belle préféra rentrer. Elle se sentait fatiguée.

Après une bonne nuit de sommeil et un petit déjeuner équilibré, Belle se rendit à Rochechouart en métro. La pluie de la veille avait fait place à un magnifique ciel bleu. De là, elle parcourut le long boulevard avant de tourner à droite et de se mêler aux groupes de touristes qui se rendaient au Sacré Cœur en s'extasiant devant les étales des boutiques de souvenirs.

Alors qu'elle montait les nombreuses marches en prenant appui sur sa canne, elle sentit son téléphone vibrer. C'était son père qui lui demandait si tout allait bien. Elle le rassura avec un bref SMS. L'ascension fut une véritable épreuve pour la jeune femme. Malgré tout, elle serra les dents et n'abandonna pas. Ces efforts furent récompensés lorsque sur le parvis, une vue splendide sur la ville s'offrit à elle. Les immeubles anciens se mélangeaient aux tours modernes et le bruit du trafic semblait lointain.

Elle continua son chemin et devant elle s'ouvrit la fameuse place du Tertre. C'était une petite place pavée entourée de charmantes maisonnettes colorées et de très hauts arbres. De nombreux artistes étaient là à croquer les visiteurs, leurs planches et leurs crayons à la main. D'autres s'étaient installés sur un tabouret, exposant leurs derniers dessins et tentant de séduire les touristes.

- Vous êtes vraiment la plus belle ! s'exclama un artiste en s'approchant de Belle, son crayon à la main.

C'était un jeune homme d'un mètre quatre-vingts trois, la petite quarantaine, une barbe de cinq jours, la mâchoire carrée et de superbes yeux bleus-gris qui vous faisait immédiatement oublier la foule environnante. Il portait un béret parisien rouge sur ses cheveux bruns qui lui donnaient un petit air espiègle.

- Que diriez-vous d'un portrait ? C'est le plus beau souvenir que vous pouvez ramener chez vous. Ainsi vous vous souviendrez toute votre vie de comment vous étiez belle le jour où August Booth vous a dessiné.

- C'est très gentil de votre part, mais je cherche un artiste en particulier. Je l'ai rencontré l'an dernier.

- Il y en a beaucoup vous savez. Et très peu sont aussi talentueux que moi.

- Je cherche un Ecossais. Un peu plus grand que moi. Des cheveux mi-longs grisonnants. La cinquantaine. Peut-être que vous allez reconnaître sa signature.

Elle sortit un tube en carton bleu de son sac, tira le dessin et le déroula.

- Ah ! Je sais qui c'est ! s'exclama-t-il en reconnaissant immédiatement la signature.

- Où puis-je le trouver ? demanda-t-elle.

- Je ne sais pas s'il est déjà réveillé.

- Il est presque 11h, s'étonna-t-elle.

- Nous les artistes n'avons pas les mêmes horaires et lui…

- Qu'y a-t-il ?

- Il a dû passer sa soirée avec sa fiancée. La Fée verte !

- Hum…, répondit-elle un peu déçue.

- Je peux vous emmener dans son atelier, suggéra l'artiste. C'est tout près d'ici.

Elle posa son regard sur sa jambe droite. En avait-elle toujours envie ? Il était encore temps de renoncer. Elle se mordit la lèvre, puis prit sa décision.

- Avec plaisir.

Ils parcoururent les ruelles pavées de la butte et descendirent dans un quartier rempli d'ateliers d'artistes. Il la fit entrer dans un immeuble vétuste de trois étages. La peinture du plafond s'écaillait et des graffiti couvraient le mur. Des palettes en bois et des canettes de bière vides trônait ça et là. Et une forte odeur de cannabis flottait dans l'air. Elle plissa le nez et suivit son guide, s'appuyant fortement sur sa canne dans la volée d'escaliers en ciment brossé afin d'exercer le moins de pression possible sur sa jambe blessée. Arrivés au premier étage, il frappa contre une porte en bois grise avec un panneau vitré qui laissait entrer la lumière mais ne révélait pas l'intérieur du studio.

- On va aller le réveiller.

- Non, ce n'est pas la peine, insista Belle en secouant la tête, de plus en plus mal à l'aise.

Mais il ne l'écouta pas. Il pénétra dans l'atelier non verrouillé qui était éclairé grâce à une immense baie vitrée qui se trouvait à droite de la pièce rectangulaire, toute en longueur. Une forte odeur de solvants et de térébenthine lui chatouilla les narines. Face à la baie vitrée, deux chevalets avec des toiles vierges invitaient à venir s'exprimer. Contre les murs, de nombreux portraits au fusain étaient accrochés ainsi que des natures mortes nostalgiques à l'aquarelle et d'autres œuvres plus abstraites sur le mur opposé, peintes à la gouache avec des couleurs très vives. Le contraste entre les différents styles était saisissant. Belle ne pouvait imaginer qu'elles avaient été faites par la même personne. Au fond à gauche, une sorte de paravent avec des dessins de nus et deux paysages semblaient dissimuler une partie de la pièce. Peut-être un lit s'y trouvait-il. Un peu à droite, toujours au fond, se trouvait une cuisine sommaire avec deux plaques de cuisson, un four micro-onde et un amas de vaisselle sale dans l'évier. De nombreuses bouteilles et canettes vides jonchaient le sol ça et là. Un pauvre petit sapin de Noël tout rachitique avec quatre boules rouges et une guirlande pauvrette dorée trônait dans le coin entre la cuisine et la baie vitrée. Le sol était par endroit recouvert de papier brun afin de le protéger des gouttes de peinture. De nombreux déchets se trouvaient sur le sol, donnant un aspect sale au lieu. Au milieu de la pièce, un vieux canapé rouge et trois tabourets faisaient face à un établi.

- Hey Goldy. T'as de la visite. Debout.

Le dessinateur que Belle cherchait s'était endormi, la tête posée sur son établi taché de peinture, une bouteille d'absinthe presque vide devant lui. Il émit un grognement. Ses cheveux mi-longs grisonnants étaient en pagaille et certaines mèches étaient collées par de la peinture jaune et rouge.

- Je ne voulais pas déranger, dit Belle en se mordant la lèvre, embarrassée par la situation. Je… Je vais m'en aller.

- Allez, debout. Cette demoiselle a fait de la route pour te voir, insista August.

A cette annonce, il leva la tête. Il avait de petits yeux comme n'importe qui après une longue soirée alcoolisée. Elle reconnut immédiatement son nez quelque peu tordu qui l'avait amusée lorsqu'il l'avait dessinée. Quelques rides supplémentaires parcouraient son visage mais ne le rendaient pas moins charmant. Il se frotta les yeux, puis sa barbe naissante. Qui pouvait bien venir jusque dans son atelier ? Son ex-femme pour lui exiger de payer la pension alimentaire de leur fils ? Une huissière qui venait lui saisir ses derniers biens ? Une assistante sociale qui venait lui rappeler de venir aux séances inutiles des alcooliques anonymes ? Mais lorsqu'il réussit à ouvrir complètement les yeux et que sa vision devint nette, il crut être face à un ange. Était-il mort ? Était-ce le paradis ?

- Vous souvenez-vous de moi ? demanda Belle en s'avançant dans la lumière. L'an dernier, vous m'avez croqué sur la place.

- Des boucles brunes élégantes, de magnifiques yeux bleus, un accent qu'on ne peut oublier, un visage d'une symétrie parfaite. Bien sûr que je me souviens de vous, dit-il avec un petit sourire en coin.

Belle sourit. Ses joues rougirent en entendant ses compliments.

- Je m'appelle Belle. Belle French.

- Belle ? C'est ravissant, releva-t-il avec douceur, complètement sous le charme de la demoiselle.

- Et vous ? Quel est votre nom ?

- Par ici, on me surnomme Goldy. Même si je n'aime pas trop.

- Alors comment souhaitez-vous que je vous appelle, Goldy ? taquina-t-elle.

Il sourit.

- On dirait que vous êtes joueuse.

- Et vous mystérieux, constata-t-elle.

- Bon, je vais vous laissez, dit l'autre artiste. J'ai du travail.

La porte claqua et le silence s'installa. Ils se regardèrent pendant plusieurs secondes. La tension montait. Allait-il craquer ? Allait-elle rire ? Il se passa lentement la langue sur les dents, tout en savourant cette situation quelque peu cocasse. La jeune femme était suspendue à ses lèvres. Il pouvait sentir son impatience grandir. Combien de temps pouvait-il encore tenir et la faire languir ?

- Je m'appelle Rumford Gold, avoua-t-il finalement vaincu, mais appelez-moi Rumple ou Rum, si vous préférez.

- D'accord, Rumple. Alors voilà…, commença-t-elle en se faisant craquer les doigts afin d'évacuer son stress. Je suis venue pour vous demander un autre dessin…

- Installez-vous comme chez vous, coupa-t-il. Je vais vite me changer et je suis à vous dans une minute.

- Oui, bien sûr.

Belle s'assit dans le vieux canapé rouge taché de peinture et crut bien qu'elle allait tomber à la renverse tellement il était défoncé. L'artiste se leva et se dirigea vers le mur de toiles, un sourire aux coins des lèvres. Il n'avait pas raté une miette du spectacle. Belle dut se retenir de rire en le voyant tout entier parcourir la courte distance. Il portait un vieux t-shirt qui, il y a bien longtemps, avait dû être blanc, une chemise carrelée rouge et bleue ouverte sous un vieux peignoir beige tirant sur le gris. En bas, il ne portait qu'un boxer noir et des chaussettes longues à rayures dans des savates en cuir.

- Vous savez, il y a plein d'artistes talentueux sur la place, dit-il en retirant sa chemise à l'abri de son regard derrière le mur de toiles. Pourquoi moi ?

- J'aime votre coup de crayon, votre façon de dessiner mon regard. Avec votre talent, vous savez faire ressortir la beauté intérieure des gens.

Tout en lui parlant, elle observait les divers croquis et les toiles qui représentaient des natures mortes, certainement d'Ecosse avec un château en ruine et des falaises où les vagues venaient mourir. Sur d'autres, se trouvaient des femmes nues au fusain. Puis, son regard glissa sur la droite, sur un miroir posé contre un petit meuble, probablement une commode. Un sourire se dessina sur son visage lorsqu'elle aperçut la courbe de son dos, le rebond de ses fesses et l'arrière de ses cuisses. Belle se mordit la lèvre inférieure. Elle devait détourner le regard. Cela ne se faisait pas d'observer un homme se changer sans son accord. Il se pencha et couvrit ses jambes et son fessier d'un vieux pantalon brun en velours côtelé un peu trop large. Son dos disparut sous une chemise bordeaux qu'il boutonna, puis l'enfila dans le pantalon avec énergie. Voir ses mains descendre en disparaissant à moitié et remonter avait quelque chose de sensuel. Elle se mordit à nouveau la lèvre inférieure en imaginant ses mains sur sa peau. Une chair de poule naquit dans sa nuque. Il referma la ceinture d'un geste habile, puis attacha une cravate vert sapin autour de son cou. Belle se retourna, croisa les jambes et posa ses mains moites sur ses genoux.

- Vous voulez un café ? proposa-t-il avec un petit sourire en coin.

Avait-il remarqué qu'elle l'avait observé ? Belle se sentait gênée. Où étaient passées ses bonnes manières ?

- Vous n'auriez pas plutôt du thé ? demanda-t-elle timidement.

- Je n'ai que du thé vert à la menthe.

- C'est parfait, répondit-elle toujours stressée comme si elle avait été prise en train de taguer le mur d'une école.

- Je pensais me faire des œufs. Vous en voulez ?

- Non, merci. J'ai déjà pris mon petit déjeuner.

Il lui servit son thé et ouvrit un paquet de biscuits aux abricots qu'il posa sur un tabouret en métal rouge dont la peinture était écaillée.

- Vous ne m'avez toujours pas dit ce que vous vouliez comme dessin, rappela-t-il en mangeant ses œufs, assis sur un tabouret.

- J'aimerai un nouveau dessin. Comme celui de votre portfolio que vous m'avez monté l'an dernier.

- Lequel ? Le paysage à l'aquarelle ou le portrait de Marilyn au fusain ?

- Non, le dessin de nu au crayon.

Il se leva, posa son assiette sur son tabouret et ouvrit son portfolio qui se trouvait sur une table où de nombreux livres étaient négligemment entassés près du sapin de Noël. Il tourna quelques pages et prit l'une d'elles.

- Celui-ci ?

- Oui.

C'était le dessin d'une femme allongée sur un lit, une de ses jambes à moitié couverte par une couverture. Son abondante chevelure sombre tombait en cascade sur ses épaules et masquait à peine ses seins. Son regard triste et à la fois agacé semblait se perdre dans l'infini. Belle ressentait la puissance des émotions émaner de cette œuvre.

- C'est mon ex-femme, avoua-t-il avec un petit sourire.

- Et vous la montrez nue à tout le monde ? s'étonna Belle.

- Je trouve cela ironique. C'est l'un de mes plus beaux dessins et pourtant, elle n'en a jamais voulu.

- C'est dommage. Je le trouve magnifique. J'aimerai en avoir un.

- Avez-vous déjà posé nue ?

- Jamais.

- N'avez-vous pas peur de vous dévoiler devant un inconnu pendant de longues minutes ? s'inquiéta-t-il.

- J'en ai besoin.

- Besoin ?

- Ma psy m'a dit que faire un nu pourrait m'aider à reprendre confiance en moi pour avancer. A prendre conscience que mon corps n'est pas aussi laid que je ne le vois. Car les artistes savent sublimer le corps de façon respectueuse. Mais sans une bonne dose de courage et de confiance de ma part, ils ne peuvent rien faire.

- Sans vouloir vous vexer Belle, vous êtes l'une des plus jolies femmes que j'ai jamais rencontrées.

- Vous changerez certainement d'avis quand vous m'aurez vue sans ma carapace. Vous allez peut-être même être effrayé… ou vous allez rire.

- Jamais je ne me le permettrai, répondit-il en se mettant la main sur la poitrine. Vous avez ma parole.

Ses mots la rassurèrent quelque peu.

- Il vous faudra beaucoup de courage pour vous déshabiller, avertit-il. S'il y a le moindre problème. Si vous n'êtes plus sûre de vouloir continuer, nous arrêtons immédiatement.

- D'accord.

Ils passèrent environ deux heures à préparer un endroit propice. Car il était hors de question que sa cliente s'allonge nue dans l'horrible canapé d'une propreté douteuse, ni dans son lit dont les draps n'avaient pas été changés depuis plusieurs semaines. Belle ne pouvait pas non plus rester debout trop longtemps. Sa jambe blessée dans l'accident ne le supporterait pas. Finalement, il se rendit dans l'atelier adjacent et emprunta un canapé style empire. Il avait le cadre en bois de chêne et était recouvert d'un tissu bien tendu avec des rayures de deux centimètres de large, crème et rouge, avec des petites fleurs de lys brodées en doré dans le rouge.

- Parfait pour une princesse !

- Il est magnifique, répondit Belle avec le sourire.

Elle s'installa dessus, toujours habillée, et chercha une position. D'abord, elle s'assit en croisant les jambes. Puis elle posa sa jambe droite sur l'assise, posa sa main sur son genou, leva la tête. Il fit un rapide croquis et le lui montra. Non, elle n'était pas satisfaite. Elle essaya de s'allonger, à plat sur le dos, en se tournant légèrement contre lui. Elle changea encore de position. Ils ajoutèrent un éventail, puis une fleur en plastique. Elle releva ses cheveux, les mit sur le coté, les fit descendre de chaque côté de son cou. Il enchaînait les croquis mais rien ne lui plaisait.

- Je crois que nous avons tout essayé ce qui était possible de faire avec ce canapé, constata-t-il. Etes-vous sûre de vouloir aller jusqu'au bout ?

- Vous pensez que j'y mets de la mauvaise volonté ?

- Non, vous m'avez mal compris. Je pense que quelque chose vous bloque.

Elle baissa les yeux et caressa son genou droit avec sa main.

- Allez vous promener, suggéra-t-il. Réfléchissez à ce que vous voulez vraiment faire. Je vais rester ici jusqu'à demain matin. Si vous êtes prête, je vous dessinerai. Mais si vous ne l'êtes pas… je ne vous en voudrai jamais.

Une larme glissa le long de sa joue. Avait-il été rude ? Ses mots l'avaient-ils blessée ? Il s'en voulait terriblement de l'avoir fait pleurer. Il aurait dû être beaucoup plus doux avec elle. Il s'avança vers elle et essuya la petite perle d'eau qui naissait au coin de son œil.

- Ne pleurez pas, dit-il d'une voix très douce. Vous êtes très courageuse. Vous savez, rares sont les personnes qui vont aussi loin.

- Pourtant, votre mur de toiles est rempli de nus.

- Belle, la plupart de mes modèles sont des statues.

Il se leva et décrocha un croquis qu'il avait encadré.

- La femme sur ce dessin souffrait émotionnellement car depuis toute petite, elle avait des rondeurs, raconta-t-il. A l'école, elle a été le souffre douleur de ses camarades. Chaque jour, elle subissait des moqueries. Toutes ces méchancetés se sont inscrites dans son subconscient. Pour elle, elle était laide et personne ne l'aimerait jamais. A vingt ans, elle a fait une tentative de suicide. Puis, elle a suivi de nombreuses séances de psychothérapie. Un jour, elle est venue ici en me disant que si un artiste n'était pas capable de voir de la beauté en elle, elle n'aurait plus d'espoir. On a discuté pendant plus d'une heure. Elle voulait vaincre ses peurs. S'affirmer telle qu'elle était. Dire « je suis là, j'existe ». Elle a eu peur lorsque tout était prêt. Puis, elle a pris une grande inspiration et s'est lancée.

Il marqua une pause et caressa doucement la joue de la jeune femme, tout en se faisant envoûté par son regard saphir.

- Belle, dit-il en la regardant de ses yeux doux. Si cette femme a réussi à vaincre ses démons intérieurs, à mettre ses doutes de côté, je suis sûr que vous pouvez aussi le faire. Avec ou sans dessin de nu.

- Je… je vais prendre l'air.

Elle se leva, prit son manteau et son sac avant de sortir de l'atelier. Il resta un instant immobile en repensant à la tristesse qu'il avait vu dans son regard. Cela lui brisa le cœur en repensant à la jeune fille pleine de vie qu'il avait rencontrée un an auparavant. Il vida la fin de sa bouteille dans son verre et le porta à ses lèvres. Mais en voyant l'état lamentable dans lequel se trouvait son atelier, il le reposa et décida de faire un peu de rangement.