Comme prévu, me voilà de retour avec ma nouvelle fiction. Et elle est achevée celle-ci.

Est-il utile de préciser que les personnages ne m'appartiennent pas, que l'oeuvre n'est que fictionnelle et que toute ressemblance avec des personnages réels, blablabla...? Bon eh bien considérez que c'est fait. :)

J'ai mis un peu moins d'un an pour accoucher de cette histoire. Elle me trottait dans la tête depuis un moment et je me suis lancée dans l'écriture en avril je crois. Je n'avais pas écrit quelque chose d'aussi conséquent depuis un long moment alors j'ai du mal avec le résultat final. J'ai perdu mon style quelque part durant des mois d'errance. Donc c'est une reprise, qui me paraît relativement honnête.

J'espère que cette histoire vous plaira. Publier m'avait manqué.


Je pose avec regret mon sac sur le tapis roulant, me rendant compte que c'est la première fois depuis trois mois que je m'en sépare pour une durée aussi longue. Le temps de deux vols pour être précis. L'employé l'attrape avec rudesse pour l'affubler d'une étiquette et je préfère détourner les yeux plutôt que de faire face au sentiment qu'on maltraite un compagnon de voyage, voyage qui est d'ailleurs terminé, ce qui m'oblige à retourner chez mes parents pour y poser ma propre maison mobile de huit kilos.

Je lâche un soupir fatigué et plein d'angoisse avant de reporter mon attention sur l'homme en face de moi qui s'impatiente, ma carte d'identité et celle d'embarquement qu'il agite du bout des doigts. Je tente un petit sourire pour m'excuser puis attrape mes papiers pour quitter la file, avec la désagréable impression qu'après un si long chemin coupé du monde et de ses usages, le retour à la vie quotidienne ne va pas s'effectuer sans quelques heurts.

Je déambule dans l'aéroport, à la fois apaisé par mon ancrage dans le moment présent, angoissé par mon retour en France et le cœur étrangement en miettes à l'idée de tourner la page sur trois mois merveilleux, les meilleurs de ma vie, où j'ai appris à être heureux, trois mois tellement riche et dense en découvertes sur moi et la vie, que des gens hors de l'expérience ne pourront jamais mesurer l'ampleur de cette période.
Je songe à toute l'avancée inespérée que j'ai pu faire et la peur de perdre quelque chose d'aussi énorme, soudain et bouleversant en revenant de le cadre de ma vie d'avant fait monter en moi une angoisse si intense qu'elle entraîne avec elle quelques larmes que je ne parviendrais pas à chasser même si je le voulais.

Tu m'avais souhaité un bon retour, avec un minimum d'émotions trop turbulentes, manière à toi de dire que tu espérais que je reste heureux. Y repenser m'arrache un sourire et accentue mon envie de craquer.

Un peu fébrile, je décide de trouver un endroit où m'assoir pour me laisser aller à mes émotions et mes rêveries parce que je suis incapable de les retenir plus longtemps.


D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu ce projet de partir marcher avec un sac à dos. Mais les choses qui me retenaient toujours étaient mon manque de matériel et surtout, mes motivations que je ne pouvais pas considérer comme étant les bonnes.
Pendant bien longtemps, cette obsession de partir n'avait pas pour objectif de vivre une expérience que j'espérais riche. Je voulais tout quitter, fuir, me plier à mon mal de vivre, m'abandonner sur les routes, y chuter et si possible, y mourir.
Mon instinct de conservation mais surtout mon accablante apathie m'avaient toujours empêché de me lancer dans ce lent suicide et j'étais donc cloîtré chez mes parents lorsque mon cas sembla s'aggraver. Ma psychologue m'expliqua d'un air gêné qu'elle était inquiète de cet état de mal-être prolongé et qu'elle aurait aimé savoir si j'acceptais d'être redirigé vers un psychiatre pour une prescription de médicaments. « Pour te soulager et avancer plus efficacement dans ta thérapie. »

Sonné et franchement indécis, j'acceptai.

Au bout de deux rendez-vous, après avoir densément survolé ma vie dans ses aspects les plus douloureux et avoir vu mes avant-bras, il apposa un diagnostic, dépression chronique, et proposa une solution, des médicaments et une thérapie.

J'acceptai le suivi, pas les médicaments. Je ne pouvais pas me résoudre à en prendre, sans vraiment savoir pourquoi. Peut-être étais-je terrifié par ce que ça disait de mon état. Peut-être que je ne me faisais pas assez confiance et que j'avais peur d'en abuser. Le fait est que le psychiatre m'avoua être soulagé de ne pas avoir à faire de prescription à un mineur et le travail commença, malgré ma réelle décision et mes envies profondes de stagner dans ma douleur.

Je ne voulais pas qu'il perçoive que je n'étais pas si volontaire à l'idée de ces séances supplémentaires avec lui. Alors pour jouer le jeu, donner le change et m'en débarrasser plus rapidement, je me tournai vers la construction d'un projet un peu fou mais faisable. Si au début je ne le faisais que pour avoir la paix, je me pris au jeu et l'envie germa en moi, timide mais bien présente.

J'avais besoin de grand air, de liberté, de m'éloigner de ma famille dysfonctionnante et étouffante, de marcher et de découvrir de nouvelles choses tout en étant certain de ma sécurité pour garder ma maigre confiance.
Il me fallait donc un chemin bien balisé qui serait suffisamment long pour que la rupture soit efficace. Habitant à Paris, je savais que des chemins de grande randonnée y passaient, dont un qui collait particulièrement bien à mes besoins. Le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Il avait toutes les caractéristiques parfaites. C'était un chemin connu, bien balisé, qui traversait la France du nord au sud, franchissait les montagnes avant d'obliquer vers l'ouest pour se diriger vers la fameuse ville qui lui avait donné son nom. Un long voyage qui me promettait approximativement trois mois de surprises et d'incertitudes.

L'envie réelle de partir était là mais j'en n'en parlais à personne, préférant prendre mon temps pour réunir des affaires spéciales dont j'allais avoir besoin, me forcer à sortir toujours un peu plus chaque jour afin de construire puis prouver la réalité de ma motivation au moment où j'informerais mes proches de mes intentions ; afin d'éviter également leurs remarques désobligeantes et leur scepticisme qui ruinerait le seul sursaut d'élan, d'envie et de vie que j'avais.

J'avais besoin de m'accrocher à quelque chose, d'y croire pour me ranimer d'un semblant d'énergie. Alors je construisais le premier projet de ma courte vie dans le silence, piochant dans mes économies de plusieurs semaines de travail saisonnier afin de rapporter au fur et à mesure à l'appartement de bonnes chaussettes, des pansements spéciaux, des vêtements résistants et à séchage rapide et diverses autres choses que je rayais de ma liste et de mon planning censés conserver ma motivation par un investissement inscrit dans la durée.

Je mettais doucement la machine en marche, reprenant peu à peu de la vigueur qui me rassurait. J'instaurai une date de départ, arrêtai les suivis quelques semaines avant le grand jour, sous les félicitations et les encouragements de la psychologue et du psychiatre, en leur promettant que je ne me laisserais pas m'enfoncer sur le chemin si ça n'allait pas, ou plus, et que j'essaierais de ne pas vivre un arrêt comme un échec.

Je ne sais plus à quoi je m'attendais avant de partir. En fait, je ne suis pas sûr d'avoir eu de quelconques attentes, tout juste ai-je dû m'imaginer ce qu'allait pouvoir être ma vie dans ce nouveau mode de fonctionnement que je n'avais jamais connu, loin de ma famille, seul avec moi-même, traversant la vie mouvementée des villes, les foules de gens engluées dans leur quotidien sans jamais y prendre part, sans m'attacher, comme dans un monde à part et parallèle coexistant étroitement avec le leur.

L'imaginer était une chose. Le vivre, le ressentir en était une autre bien différente.

J'étais seul. Terriblement seul. Seul avec moi, sans remparts contre mes démons que j'étais obligé d'accepter dans ce sas à dos qui me paraissait si lourd au début. Moi qui les avais sans cesse rejetés, j'étais contraint de les accueillir, de marcher avec eux, me rapprocher d'eux dans le silence de ma marche, les comprendre, comprendre la raison de leur présence et pleurer en les relâchant.
Je faisais la paix avec moi, me surprenant à être doux à propos de sujet où j'étais auparavant intransigeant et me fustigeais lourdement. Je tâchais d'être profondément compréhensif et empathique envers moi-même. Je me demandais pardon pour tout ce mal volontaire que je m'étais fait et ce fut lorsque j'appris à me pardonner que je commençais à grandir.


Un jour, étouffé par la chaleur écrasant la France en cette fin de mois d'Août, je relevai les manches de mon t-shirt sans même y penser. Ce n'est que lorsque je posai mon sac à mes pieds que le contraste de teinte entre mes mains et mes bras me saisit. J'arborais une jolie couleur caramel alors que mes bras étaient restés très pâle. Dans mon observation pensive, coupé de la réalité, à peine perturbé par le bruit des voitures qui défilaient occasionnellement à toute vitesse à côté de moi, je tournai mes mains brunies par le soleil pour présenter mes paumes au ciel et enfin affronter la vision de mes bras mutilés que je me refusais à dévoiler depuis que j'étais parti.

Ca me percuta violemment. Enfin sorti de l'habitude de me soulager par la douleur physique, sorti du sentiment de normalité biaisée que procure l'accoutumance, je pouvais enfin voir mes cicatrices telles qu'elles étaient, les voir réellement. Le fouillis de traits rosés que j'avais sous les yeux, combiné aux souvenirs de ses nuits de flot de larmes et de sang me coupa les jambes et je m'assis en sentant monter quelques sanglots qui ne voulaient pas sortir. Ces nuits traumatiques que je m'étais escrimé à expulser de ma mémoire remontèrent d'un coup et une nausée s'ajouta au malaise.
Je passais un doigt léger sur les bosses et les aspérités composant ma nouvelle peau, les redécouvrant sous le jour nouveau que commençait à m'apporter mon quotidien de réflexions et je m'aperçu enfin de ce que j'avais traversé seul. De ce que j'étais en train d'accepter alors que je l'avais toujours combattu en me débattant douloureusement et avec violence. J'avais fait face à la dépression, tenté de l'abattre, d'éviter ses coups, sans la moindre aide.

Une bouffée de tendresse et d'amour déferla sur moi et je commençai à pleurer en me demandant pardon. J'éprouvais à ce moment-là énormément d'admiration pour le Draco dépressif qui avait combattu pendant toutes ces années et cette admiration redoublait lorsque je songeais que j'avais su, non pas me résigner, mais faire avec et prendre la maladie par la main. Je me disais que ça demandait du courage, comme un saut dans le vide, parce que ça nécessitait de trouver un équilibre pour ne pas se laisser sombrer de nouveau, équilibre que m'apportait cette vie rythmée par la marche. En partant, j'avais réussi quelque chose qui m'avait toujours semblé impossible : vivre normalement avec la dépression, avec ses variations mais vivre sereinement. J'en faisais une compagne en me tendant la main.

Je demandai pardon à mon corps pour la violence de mes actes envers lui, pour ces heures de faim, ces litres de sang perdu, ces mois de cicatrisation. Puis je changeais lentement mes pardons en remerciements. Je le remerciais d'être encore là, fonctionnel et merveilleux, de me transporter dans ce projet un peu fou, de me porter tous les jours malgré ce que je lui avais fait et de m'aider à me rendre jusqu'en Espagne. Je le remerciais d'avoir encaissé mes coups, mes coupures, mes émotions violentes qui l'avaient malmené, sans avoir déclenché une seule maladie en réaction. J'étais reconnaissant qu'il me permette de marcher pour guérir.

J'entourai mes jambes douloureuses de mes bras nus en songeant à toutes les cicatrices camouflées par mon pantalon, posai mon front sur mes genoux pour pleurer longuement, submergé par le soulagement. Il était si intense qu'au bout de quelques minutes de pleurs, je me mis à sourire, puis rire.
C'était si inattendu et libérateur, le sentiment de bien-être était si fort que je me sentais léger, un peu planant. Je me relevai, attrapai mon sac dans le mouvement, le soulevai avec facilité et l'installai correctement sur mes épaules avant de boucler la ceinture et partir d'un pas rapide.

Le bonheur m'étourdissait et je chantais sans réellement m'en rendre compte ni me soucier d'être entendu, pour la première fois depuis très longtemps, et pendant plusieurs heures.


Je descendis la France dans une fluctuation de pics de bonheur intense et de morosité résultant de moments d'introspections un peu trop poussées, durs et mouvementés que je menais seul.

Je n'appelais les hospitaliers que par politesse, afin de les prévenir de mon arrivée, et pas pour me réserver une place, ce chemin déjà très peu fréquenté l'étant encore moins à cette période de l'année. Toutes les auberges dans lesquelles je me rendais étaient vides, même si je savais de part les livres d'or que je suivais d'une journée un jeune couple, ou même Jean-Louis, un ancien photographe et pèlerin multirécidiviste que j'avais rencontré bien des semaines plus tôt, avant qu'un incident ne m'oblige à m'arrêter quelques jours. Alors que je devais franchir une deux voies très fréquentée même malgré l'heure matinale, ma précipitation et mes muscles froids me provoquèrent une vive douleur que je crus identifier comme un claquage. Je m'arrêtai une seconde en plein milieu, la bouche grande ouverte dans un cri silencieux avant de rejoindre l'autre côté de la route en boitillant et laissant échapper une flopée d'injures pour retarder le moment où j'allais craquer.
La panique afflua. Je craignais profondément de devoir arrêter, rentrer chez moi et perdre tout ce que j'étais en train de construire. J'étais terrifié, perdu, au bord de la panique et des larmes. Me savoir aussi seul face à cet événement finit par rompre mes barrières et je me pliais en deux pour pleurer et vaguement masser mon mollet douloureux en gémissant quelques jurons. Moi qui n'étais pas croyant, je priais je ne sais qui ou je ne sais quoi pour recevoir de l'aide et dans le flot de mes pleurs et de ma rage, j'entendis une voiture s'arrêter à mon niveau, il y eut le bruit d'une fenêtre qui s'abaissait et une forte odeur de cigarette me parvint. Une femme me demanda ce qu'il se passait et lorsque je réussis à lui répondre à travers les sanglots que je tentais de contrôler, elle me proposa immédiatement de m'héberger temporairement le temps de m'emmener voir un médecin et que je me rétablisse un suffisamment pour pouvoir repartir, si toutefois l'avis médical y était favorable.
Je n'oublierai jamais ce salon à la décoration vieillotte où il régnait tellement de fumée que j'espérais qu'elle parvienne à cacher mon visage plein de larmes à celle qui m'avait recueilli, un jour avant que je sache que mon projet n'était pas en péril. Au bout d'un long moment, elle se pencha doucement vers moi :

-Pourquoi est-ce que tu pleures autant ? C'est si important le chemin pour toi ?

J'hochai la tête et elle enchaîna :

-Tu as peur, c'est ça ? Tu quittes quelques chose que tu as peur de retrouver en rentrant maintenant ?

Mon cœur chavira alors que je frottais distraitement mon avant-bras gauche dans une nouvelle salve de pleurs.

Alors une fois reparti, cas exceptionnels mis à part, je dormais très peu chez les gens et je me retrouvais tous les soirs seul dans des bâtiments où je pouvais me permettre de déambuler comme je le souhaitais, me reposer sereinement dans le lit que je voulais, me doucher quand j'en avais envie, le tout dans un silence absolu que je comblais régulièrement en chantant à plein poumons, mes écouteurs dans les oreilles. Je ne m'autorisais pas à les utiliser lorsque je marchais, les réservant à des cas d'urgence dus à la fatigue ou de la détresse où j'en aurais plus besoin.
C'est pourquoi je me déchaînais le soir, malgré la fatigue, pour évacuer la pression, chasser la solitude, porter mes pensées ou apaiser mon cœur à vif de s'être tant ouvert durant la journée.

J'étais dans une bulle confortable où mon corps naviguait dans les espaces infinis des dortoirs vides.
Au détour de quelques miroirs, je découvrais mon enveloppe qui se modifiait. Les quelques rondeurs dues à mon inactivité engendrée par la dépression disparaissaient au profit de muscles fins qui se dessinaient doucement. Ma silhouette déjà longiligne s'élançait tranquillement.
Si chanter m'avait appris à apprivoiser mon âme alors danser m'appris à redécouvrir mon corps. Mes déhanchements, nu face à un miroir, me firent réintégrer toutes mes digressions volages dans un corps qui n'était plus seulement à mes yeux un véhicule mais aussi un réceptacle de sensations et un vecteur de sensualité.

Me découvrir sous toutes ces facettes me fit sentir complet, et avec ce sentiment grandiose d'être à ma place dans ce monde vint un début de sérénité.

Cette solitude qui m'avait semblé si terrible au début me livrait bien des secrets appréciables et je ne la redoutais bientôt plus autant qu'avant, bien qu'elle fut constante.

A l'approche de l'Espagne en revanche, environ deux étapes avant le fameux col que les pèlerins devaient franchir et que tous redoutaient, je rencontrais de plus en plus de personnes qui me tirèrent de ma solitude et éveillèrent mon esprit à la présence d'autres âmes.

C'est dans cette redécouverte de la vie en collectivité que je passai ma dernière nuit en France, dans la belle ville de Saint-Jean-Pied-de-Port, à l'auberge municipale située directement après l'entrée des remparts dont le franchissement des remparts me tira des frissons tant cette ville était symbolique. Pour ceux qui venaient de loin, c'était une étape importante car il s'agissait de la dernière ville française que nous voyions avant la frontière. Pour d'autres, elle était le point de départ du voyage et ce fut le cas de ces dix-huit coréens avec qui je partageai le dortoir. La présence d'autant de monde et d'autant de bruits m'étouffait et je plongeais dans une certaine mélancolie douloureuse. Le choc était rude.

Alors que j'avais pour projet de sortir faire un tour pour évacuer la tension, l'occupant du lit en dessous du mien se mit à me parler, pour me demander si je savais où est-ce qu'il y avait une machine à laver, préoccupation de pèlerin oblige, tandis qu'il soignait péniblement d'énormes ampoules qui épousaient sa voûte plantaire. De mon anglais timide, je lui répondis que je n'en savais rien et qu'il devrait demander à l'hospitalière. Puis je m'empressai de partir marcher, pleurer, écrire, et tenter de téléphoner à mes parents pour les prévenir que dès le lendemain, je quittais la France et leur partager mes angoisses.

La nuit à l'auberge fut horrible, mes compagnons de dortoir ne comprenant sans doute pas que même s'il est appréciable de partager une bonne bouteille de vin comme tous pèlerins, rentrer dans un dortoir, tard, en faisant du bruit l'était beaucoup moins. De même, se lever à cinq heures du matin pour empaqueter bruyamment ses affaires dans son sac, sacs qu'ils n'allaient même pas porter, profitant du « Donkey Service », ne semblait pas être un problème pour eux.
Bien éveillé malgré l'heure matinale grâce à ce réveil tout en bruits et en agacement, je suivis le mouvement et préparai mes affaires aux côtés de mon compagnon de lit superposé, ce grand brun un peu joufflu et à l'air bourru voire presque peu avenant qui s'assit finalement à côté de moi pour petit-déjeuner le peu qu'il nous avait été laissé.

Il faisait encore nuit dehors lorsque je sortis de l'auberge avec mon sac. Le grand brun à l'anglais et l'accent étrange était assis en face de moi, en train de se rouler une cigarette et il me regarda m'échauffer en me demandant avec amusement si je comptais vraiment partir dans le noir, comme les coréens. Je lui répondis que, maintenant que j'étais réveillé, je n'allais pas attendre que le jour se lève pour partir. Il me sourit et après un bref salut, j'entamai lentement la descente de la rue de la Citadelle, observant avec attention la vieille vile éclairée par les lampadaires, levant parfois les yeux vers le ciel noir empli d'étoiles, tentant de me faire un dernier souvenir de la France avant un moment.
Je savais quelle journée difficile m'attendait mais lorsque j'entendis derrière moi de lourds tapements de chaussures, je ne me fis plus de soucis.

-Alors tu pars de nuit finalement ?

Il me sourit d'un air penaud et nous échangeâmes nos noms. Il s'appelait Krum, il était Tchéquoslovaque, et nous marchâmes tranquillement côté à côté, jusqu'à ce qu'il ralentisse l'allure, observant un jeune homme assis devant une église, son sac et son bâton à côté de lui. A la vue de Krum, l'étranger se leva en silence et prit ses affaires pour nous rejoindre. Il était grand, cheveux châtains tirant sur le blond en bataille et la démarche sûre qui attira immédiatement mon regard. Ils se saluèrent chaleureusement et Krum me présenta à Cedric, un jeune américain qu'il me dit avoir rencontré la veille en se promenant. Celui-ci me tendit sa longue main étonnamment chaude et nous échangeâmes une franche poignée de main. Nous nous sourîmes et quittâmes la ville d'un bon pas pendant que je les écoutais parler anglais et réagissais parfois pour leur faire remarquer que je les comprenais.

Le soleil se leva au-delà des montagnes et la chaleur monta rapidement, surtout lorsque la paisible route se transforma bientôt en une montée ininterrompue où filait en arabesques des dizaines et des dizaines d'autres fous courageux. J'étais heureux de marcher avec Krum et Cedric, de partager ce moment d'effort et de souffrance avec quelqu'un. La sueur coulait dans mon dos, mes mollets et mes cuisses me brûlaient et je songeais aux efforts supplémentaires que j'aurais dû faire si je n'avais eu personne pour m'entraîner dans l'ascension et me pousser au-delà des limites que je me fixais.

Les discussions et les questions pour faire peu à peu connaissance se calmèrent avec l'effort et Krum déclara qu'il était l'heure pour lui de mettre sa musique matinale. Sur son téléphone, il lança une chanson de Bob Marley qui nous apaisa un peu et nous redonna de l'élan, même après avoir quitté la route bitumée pour une montée plus difficile pleine de cailloux sortant aléatoirement du sol et ce, jusqu'à un point d'eau pas loin d'une table d'orientation qui nous sembla être le lieu idéal pour remplir nos gourdes et faire une légère pause tout en observant et saluant tout ceux qui passaient à côté de nous, piétons ou vélos, jusqu'à ce que nous remarquâmes un jeune avec un sac d'où se balançaient ses chaussures de marche. Il avançait pieds nus, sur le bitume que nous supposions encore froid, en grande discussion avec une jeune fille dans un anglais très marqué par un accent français. Cedric l'interpella et lui demanda pourquoi est-ce qu'il marchait sans ses chaussures. Il s'approcha de nous, tous sourires, en détachant son chignon pour le refaire.

-J'ai besoin de me reconnecter, j'ai besoin d'air. C'est mon premier jour, j'expérimente. , confia-t-il tous sourires.

Les présentations faites, il se greffa à notre petit groupe et nous affrontâmes les montagnes et le vent terrible qui nous poussait vers les ravins en de violentes bourrasques. Même sans forcément nous parler, surtout parce que le vent ne nous permettait pas de nous entendre, nous restions ensemble, d'un heureux accord tacite. Même lorsque Krum et Cedric nous laissaient Alex et moi en arrière, nous donnant l'occasion de discuter, au bout de quelques minutes nous les rejoignions parce qu'ils nous avaient attendus, coupant court à nos conversations sur la vie, l'avenir, la reconnexion avec soi apportée par le chemin.

Le passage officiel en Espagne, en plein milieu des montagnes, me colla de longues traînées de frissons qui s'accentuèrent sous les félicitations de mon petit groupe qui était au courant que j'étais parti de Paris, ce qu'ils s'empressaient d'ailleurs de raconter à tous les nouveaux venus lors des habituelles questions entre pèlerins. J'appris immédiatement au cours de cette première journée dans la foule très dense de marcheurs, qu'il était courant de se saluer par un « Holà » chantant, de demander d'où est-ce qu'on était parti, pourquoi on faisait le pèlerinage, éventuellement échanger encore quelques mots puis se souhaiter un « Buen Camino » si l'on souhaitait poursuivre seul.
Toutes les discussions semblaient aisées. Je plongeais dans un univers de facilité, de sérénité où on reconnaissait ce que j'accomplissais, où on était sincèrement heureux pour moi, parce que c'est ainsi que vont les choses sur le Chemin. Il me semblait que je renaissais au contact des autres, moi qui l'avais tant craint.

La fin de la journée se passa merveilleusement bien et fit taire toutes mes angoisses. A ma grande surprise, j'étais capable de m'intégrer à un groupe, de parler, comprendre et rebondir en anglais. Les gens m'appréciaient malgré ma confiance en moi encore un peu balbutiante lorsque j'étais avec les autres et me soutenaient dans ma fatigue grandissante.
Nos muscles douloureux par la montée du col nous posèrent quelques problèmes lorsqu'il fallut redescendre et nous expérimentâmes en riant quelques techniques pour que nos cuisses ne nous brûlent pas trop dans l'effort, au moins jusqu'à ce que nous regagnâmes une partie de la forêt aux pentes moins importantes qui nous permit de nous mettre tous les quatre pieds nus dans les feuilles mortes et de se les envoyer à grands coups de pieds comme les enfants que nous étions encore.

Je souhaitais que ces moments ne se finissent jamais, que l'on puisse marcher ensemble le plus longtemps possible tant notre entente était inattendue et bienfaitrice. J'avais besoin du soutien et du bonheur qui m'apportait leur présence. Le hasard arrangea bien les choses puisque nous fûmes tous les quatre dans le même carré de lit à l'immense auberge de Roncevaux. Ca nous permit de passer la soirée ensemble et de partir ensemble au matin après avoir pris comme beaucoup d'autres gens une photo de groupe sous le panneau routier annonçant Santiago de Compostela à sept cent quatre-vingt-dix kilomètres de là où nous étions.


Nos jambes nous brûlaient autant que le soleil de fin d'après-midi. La pause d'une heure que nous avions prise le midi pour nous reposer et écouter du jazz nous avait beaucoup retardés par rapport à tous les pèlerins que nous avions dépassés le matin même. Le chemin est une danse perpétuelle où on se croise et se recroise. Il avait également fallu s'arrêter plusieurs fois pour que Krum puisse soigner ses énormes ampoules. Mais nous étions restés soudés et ce fut dans l'allégresse du soulagement que nous pénétrâmes dans le village de la fin de notre étape.

Dans la rue principale, le soleil dans notre dos, en direction de l'auberge, nous échangions en riant, l'ombre de notre groupe en ligne se projetant devant nous.

-On dirait des super-héros badass qui arrivent en ville pour botter des culs. , dit Alex alors que nous avancions d'un même mouvement et d'un même pas assuré.

Je ris avec eux et la partie espagnole ne me sembla plus du tout infaisable. J'étais à ma place, toujours capable de progresser.


On dit bonjour à notre petit Draco! Heureusement pour lui il n'en est qu'au début de ses pérégrinations. :) Dites-moi ce que vous avez pensé de ce chapitre si le coeur vous en dit! La reprise est stressante et une petite review apaise toujours l'anxiété. n_n

A bientôt o/