Nouvelle fanfic se déroulant dans l'univers de Supernatural. J'espère qu'elle vous plaira, bonne lecture !


Chapitre 1
Crayons de couleur

La pluie tombait depuis un moment dans les rues grises de la ville déchiquetée, caressant froidement les murs détruits et les éclats de verre éparpillés sur le goudron noirâtre des rues. Les gouttes n'arrivaient plus à arracher cette crasse qui recouvrait le paysage, ne réussissant qu'à se ternir à son contact, finissant dans le caniveau en une sorte de pétrole poisseux.

Assis sur une chaise, Castiel observait en silence ces larmes amères frapper les carreaux de la fenêtre. Ses yeux bleus étaient cernés, presque éteints, peinant à garder au creux de leurs entrelacs la dernière lueur qui y vacillait, fragile et vulnérable. Les coudes posés sur ses genoux, au-dessus de la toile usée de son pantalon noir, il attendait, impassible, que cette tristesse atroce s'éloigne de ces lieux brisés. Son trenchcoat sale laissait pendre des morceaux de tissus incrustés de sang, protégeant vaguement son costume et sa chemise, seuls éléments encore épargnés par le lent processus de décrépitude rongeant ce monde.

Le bruit de l'averse cessa petit à petit de se faire entendre, et les nuages passèrent enfin, laissant les rayons rougeâtres du soleil frôler les murs. Même le feu de l'astre ne parvenait plus à réchauffer l'ambiance morne et glacée qui gisait entre les décombres, ajoutant une touche crépusculaire au paysage désolé.

L'ancien soldat se leva, faisant craquer le bois de la chaise sur laquelle il était resté de longues minutes. Il ne savait plus réellement comment il était arrivé là ni pourquoi il continuait inlassablement d'attendre quelqu'un ou quelque chose. Il se souvenait juste du jour de son réveil, allongé sur un lit plus ou moins confortable, et de cette certitude qui lui assurait qu'on allait venir le chercher tôt ou tard. Alors il était resté, ignorant le reste, ne ressentant pas de besoin particulier comme celui de manger ou de boire. Seul le sommeil parvenait à avoir une influence sur son corps de plus en plus froid, l'amenant à clore ses paupières pour un temps indéterminé. Il n'y avait pas d'horloge pour lui indiquer la course du temps.

D'un pas lourd, Castiel s'avança vers le lit, attrapant le carnet bleu et les crayons de couleur qui y étaient posés. Il les avait découvert à ses côtés lorsqu'il s'était réveillé quelques jours – semaines ? – plus tôt. Il avait cherché partout la personne derrière ce geste. Pour rien. Il n'avait trouvé aucune présence entre les murs de la ville, et seule sa voix s'était reflétée en écho au sein des rues et des ruelles.

Cela avait été un premier échec et une première fêlure dans la foi de l'ange. Il avait senti la solitude peser plus lourdement sur ses épaules, les voûtant légèrement sous le crachat de la bruime rouge qui tombait à cet instant. Une boule avait fait son apparition au sein de sa gorge, l'amenant à poser une main dessus, étonné et inquiet. Il n'était pas malade, il en était sûr, mais cette gêne ne semblait pas vouloir partir. Pire, elle s'amplifiait avec le temps, prenant de plus en plus de place au creux de ses cordes vocales, semblant vouloir l'étouffer avec une lenteur insoutenable.

Le brun secoua la tête, chassant ses pensées. Ses cheveux voltigèrent légèrement, frôlant sa nuque dans une caresse discrète qui le fit frissonner. Tranquillement, ses doigts tournèrent les pages du carnet, observant les dessins ancrés dans le papier. Tous étaient identiques. Deux yeux. Seule la couleur de leurs iris changeait légèrement. Castiel s'assit sur les draps, observant les différentes étapes de son parcourt avec une attention dévorante. Il fallait qu'il réussisse à trouver ce vert qui le hantait, il fallait qu'il trouve ce qui rendait ces iris lointains si particuliers si… sublimes. Sa grâce vibra dans sa poitrine, pulsant sa volonté dans les entrelacs bleutés du vaisseau, attisant la flamme affaiblie qui y était nichée. Il était certain que la personne qu'il attendait viendrait s'il réussissait cela. Ce n'était sans doute qu'une croyance enfantine, mais lui, il y croyait, il s'y raccrochait de toutes ses forces. Parce qu'il n'avait plus que ça.

L'ancien soldat fronça les sourcils, ses dents venant happer sa lèvre inférieure dans une moue frustrée et inquiète. Il ne lui restait plus qu'une feuille de libre. C'était sa dernière chance.

Saisissant un premier crayon, il se lança, bloquant instinctivement sa respiration lorsque la mine se posa sur la page vierge, ne la reprenant qu'après de longues secondes de tensions. Les yeux rivés sur son travail, il ne prit pas garde au léger souffle qui traversa la pièce, s'intéressant uniquement aux traits qu'il posait sur le blanc de la feuille. Ses gestes étaient lents, doux, son visage tiré par la concentration, illuminé par ses iris qui luisaient légèrement sous la caresse d'un rayon plus aventureux que les autres. Seul le bruit de la mine sur la surface plane emplissait la pièce, ne s'arrêtant que de brefs instants lorsque le brun se saisissait d'une autre couleur, comme une faible chanson murmurée dans un langage fait de pigments et de papier.

Au bout de quelques heures, l'ange s'arrêta, laissant les crayons rouler au sein des draps grisâtres du lit. La lueur vacilla dans ses prunelles si profondes, s'amenuisant un peu plus, semblant se noyer dans les ténèbres insondables de ses pupilles. Ses mains se crispèrent. Tremblèrent. Sur ses yeux trop bleus, un mince vernis humide se fraya une place de plus en plus imposante.

- J'ai échoué…

Sa voix s'éleva, brisée et rauque. La boule explosa au sein de sa gorge, l'empêchant de respirer, attisant l'étrange douleur qui saisissait sa grâce. Dans un long gémissement blessé, l'ange se recroquevilla sur le lit, pressant ses jambes contre son torse, essayant vainement d'empêcher son énergie de se disloquer au creux de son vaisseau. Il ne savait pas pourquoi, mais cet échec lui insufflait une souffrance qu'il n'avait jamais connu jusqu'alors, comme s'il venait de perdre une moitié de lui-même.

Un nouveau gémissement s'échappa de ses lèvres craquelées. Il avait l'impression de se noyer dans une eau plus glaciale que l'hiver, de se déchirer sous le poids des secondes qui passaient. Il n'avait même pas remarqué que la pluie grise tombait de nouveau dehors, accompagnant sa douleur d'une mélodie triste et tendre. Il voulait que ça s'arrête, que cette souffrance cesse d'empoisonner ses veines !

Ses membres vibraient sous la force de ses sentiments épars, et une larme brillante finit par glisser le long de son visage. Elle s'écrasa sur la feuille, imbibant les couleurs, les mélangeant à l'amertume et au désespoir funèbre qu'elle portait dans son sein.

Castiel se recroquevilla un peu plus, ne remarquant pas le changement sur le dessin, gardant ses paupières closes tandis que d'autres perles d'eau glissèrent sur ses joues. Dans un sanglot, il pressa le carnet contre sa poitrine, se balançant faiblement d'avant en arrière, faisant grincer les ressorts du lit. Il ne vit pas les symboles noirs apparaître sur les murs de la pièce, pas plus qu'il ne vit l'air tanguer autour de lui. L'ange se laissa tomber sur le lit dans un gémissement sourd, se noyant délibérément dans les flots qui grondaient en lui, ignorant les bruits d'un combat proche et pourtant si lointain qui perçaient l'atmosphère de la ville.