J'aurais sans doute pu en faire une fic plus longue mais je n'ai pas le temps et j'étais trop impatiente de partager avec vous ceci. Comme la plupart d'entre vous j'ai lu des fics où Bella ou Edward voyageait dans le temps et se rencontraient, je vous livre ma version de ce thème. Bonne lecture.


D'UN SIÈCLE À L'AUTRE


Chapitre 1

Niles Center, banlieue de Chicago, mai 1918

PDV Bella

« Je n'ai que dix-sept ans ! » protestai je en geignant.

« Dix huit dans quelques mois. »

« Je ne veux pas me marier avec Jacob et je sais qu'il ne veut pas de moi également. Pourquoi vous entêtez vous ?! »

Je ne voulais même pas entendre leur réponse, ils me serinaient le même refrain depuis deux semaines. C'était un jeune homme brillant qui devait se marier au plus tôt pour ne pas gâcher sa future et brillante carrière. Pourquoi avait il réellement besoin de se marier en urgence ? Personne n'avait rien voulu me dire mais je présumais sans doute à juste titre qu'il voulait échapper à la guerre. J'avais rencontré une seule fois mon prétendant, il avait été odieux avec moi, me rabaissant à mon futur rôle d'épouse et de mère. Je ne pouvais me résoudre à l'épouser.

Mon père était un fonctionnaire fils de fermier, ma mère était issue de la petite bourgeoisie de Chicago, sa famille avait été ruinée par la crise de 1837. Mes parents n'étaient pas aisés, nous vivions dans la ferme de mes grands-parents, décédés avant ma naissance. Mon père avait vendu les bêtes et les champs pour ne garder que la maison. J'étais leur unique enfant parce que ma naissance avait gravement blessé ma mère. Sur mes épaules reposait une lourde responsabilité. Je devais me marier avec un homme moins pauvre que nous pour aider mes parents dans leurs vieux jours. Comme j'aurais aimé pouvoir être indépendante et gagner ma vie !

Je savais mes parents inquiets et prêts à tout pour contrecarrer mes plans. Je les avais entendus parler quelques fois, ils n'appréciaient pas mon désir de devenir infirmière. La guerre faisait rage en Europe, nos soldats partaient par centaines au front, en France. Les États Unis avaient mobilisé toute la population, moi aussi je voulais aider.

Un homme était aussi responsable de ma vocation, un médecin rencontré à l'hôpital où j'étais bénévole depuis un an. Sans lui, j'aurais continué à laver les draps et sortir les ordures à l'hôpital. Il m'avait beaucoup appris et m'avait encouragé à m'inscrire au programme d'études d'infirmières en septembre prochain avec la Croix Rouge. Par contre, lui non plus ne voulait pas me voir partir au front.

Je me faufilai hors de chez moi après le souper en direction de l'hôpital. Je débusquai mon cher docteur et lui proposait mon aide pour la suite de ses visites. Il venait de commencer son tour de garde puisqu'il ne travaillait que la nuit.

« Tu t'es encore fâchée avec tes parents. » devina t il.

« Vous savez comme ils sont difficiles en ce moment. »

« Ils ont peur de te perdre... Tu leur as parlé de ton recrutement prochain ? »

« Non, ils m'enverraient sonder les rivières de l'Ouest plutôt que de me laisser devenir infirmière pour la Croix Rouge. »

« Bella, je ne dis pas que tu dois renoncer, mais peut-être que si tu te maries, tu pourras étudier. »

Je chassai aussitôt cette idée et lui lançai un regard de chiot, ce qui le fit sourire, comme à chaque fois où il cédait à mes demandes.

« Je voudrais pouvoir vous aider mieux que cela, docteur Cullen. Je voudrais vous suivre dans vos missions, où que vous alliez. »

Il rigola doucement ce qui me vexa. Je savais bien qu'à ses yeux je n'étais qu'une enfant rêveuse. Ça n'enlevait rien à l'admiration que j'avais pour lui. J'avais besoin de temps pour le conquérir, de lui prouver que je n'étais pas qu'une gamine.

On vint le chercher pour une opération, il me tapota l'épaule. Sans lui, je n'avais pas le droit de continuer à arpenter les chambres. Je me rendis dans la bibliothèque de l'hôpital, j'adorais faire la lecture aux enfants hospitalisés. Ce soir les jumeaux Garner me réclameraient encore une histoire de bandits tandis que Maddy me demanderait de lui réciter un passage de l'Iliade. Les autres étaient déjà endormis, assommés de fatigue.

En passant devant une des salles pour hommes, j'entendis « mademoiselle » être chuchoté puis l'homme toussa très fort avant de gémir de douleur.

« Vous êtes la jeune fille qui fait la lecture ? » me demanda-t-il.

« Euh... oui. » répondis je, incapable de localiser mon interlocuteur.

« Venez. »

« Où êtes vous ? »

« Ici. »

Il leva une main faible, je me précipitai vers lui. Il me parut bien chétif et aussi blanc que les draps. Ses cheveux roux ne flamboyaient pas et ses pupilles étaient noires à cause de la fièvre. Je frissonnai devant un spectacle si triste et me retins de me pencher vers lui. Je me trouvais dans le mouroir, ces hommes étaient atteints de la grippe espagnole, de nombreuses personnes s'y étaient déjà éteintes. Malgré ma vie sans perspective joyeuse, je ne voulais pas mourir. J'installai le petit masque de coton sur ma bouche et mon nez, comme on m'avait appris à le faire.

« Je voudrais juste... un poème... » murmura difficilement le malheureux.

« Bien sur. »

Je tirai une chaise et m'assis dans l'allée. Je sentis les regards fatigués des autres condamnés me chercher, ils n'avaient plus guère de visites. Je posai mon livre de contes, sortis de ma poche le recueil de poèmes qui me quittait rarement, je retirai finalement mon masque.

« Quel poème ? »

« Connaissez vous Tennyson ? »

Je lui souris et avant même que je ne lui demande quel poème de Tennyson il désirait entendre, il me demanda « Les Mangeurs de Lotus », mon préféré.

« Il y a, ici bas, quelque musique légère,

Dont les notes s'égrènent, plus douces

Que des pétales de rose,

Soufflées par Borée jusqu'à terre...

Ou que des perles de rosée,

S'échouant, dès l'aube, dans l'eau pure d'une rivière. »*

Il toussa plus fort et je vis son visage inondé de sueur se tordre de douleur.

« Buvez de l'eau ! » le pressai-je, un verre déjà dans ma main.

Il se détourna.

« N'approchez pas... Vous devez vivre. Merci... merci pour le poème... j'ai entendu mon fils le réciter si souvent... Je voulais encore... Je voulais... Je voudrais... »

Ses lèvres s'étirèrent, il avait dû être beau ce sourire, cette nuit hélas il était sinistrement fou.

« Je t'écoute mon fils... délira-t-il. Pardonne moi de ne pas avoir écouté avant... »

Son corps fut soudain pris de convulsions violentes et je criai pour alerter une infirmière. Quand enfin l'aide arriva, l'homme s'était endormi, son souffle à jamais perdu. On me houspilla et je fus renvoyée dans le service pédiatrique.

Je m'isolai finalement dans la bibliothèque déserte. J'avais appris à ne jamais me donner en spectacle. Seule, à l'abri des regards, je pus enfin pleurer cet homme que je ne connaissais pas, mais aussi ma vie qui méritait pourtant d'être vécue et mes rêves trop fous pour mon époque. Vers quatre heures trente du matin, Carlisle me força à monter dans un taxi et à rentrer chez moi.

Plus tard dans mon lit, je rêvassais, j'avais besoin de croire qu'il y avait plus à recevoir et à ressentir. Le ciel pâlit, l'aube pointerait bientôt et me forcerait à redescendre de mon nuage. Je fermai les yeux pour échapper à cette réalité trop lourde. J'aurais aimé vivre non pas ailleurs, car les femmes étaient partout soumises dans des sociétés patriarcales, mais à une autre époque, une époque future.

Que serait le monde dans un siècle ? J'étais triste rien qu'en pensant que jamais je ne le saurais. Je ne pus m'empêcher de me questionner. Dans ce futur, pourrais-je travailler comme un homme, gagner de l'argent comme un homme, m'habiller comme un homme, décider de ma vie sans pression parentale ? Je voulais aussi aimer pas seulement pour me marier et enfanter, je voulais expérimenter l'amour et la passion, connaître simplement le plaisir de vivre.

Quitte à souffrir... Quitte à devoir attendre que le docteur Cullen me regarde enfin et m'aime.

« Mieux vaut avoir aimé et perdu ce qu'on aime que de n'avoir jamais connu l'amour. »* me souvins-je.

Je murmurai son nom avec espoir, il était celui avec qui je voulais découvrir ce vaste monde.

« Comme je voudrais être ton égale et à jamais à tes côtés. » murmurai-je avant de sombrer dans un sommeil lourd.

_oOo_

Je me réveillai sous les gouttes de pluie, j'avais froid et mes vêtements commençaient à coller à ma peau. Je me relevai en titubant face à un océan d'arbres. Je fis un tour sur moi même, déboussolée, j'étais bien en pleine forêt.

« Bella ? »

Je sursautai en entendant cette voix si chère à mon cœur... Au moins je n'étais pas seule, Carlisle était là.

« Tu la connais ? » intervint quelqu'un.

Je réalisai que Carlisle n'était pas seul, une femme brune s'accrochait à son bras comme si elle ne se faisait pas confiance pour m'approcher.

« C'est impossible. » murmura le docteur.

« Quoi donc ? » le questionnai-je en essuyant ma jupe.

« Tu as disparu, Bella... Il y a un siècle... jour pour jour. » me dit il en s'approchant de moi.

Je remarquai rapidement ses vêtements presque moulants et ses cheveux tirés en arrière, hier encore il les portait avec une raie à gauche.

« Que racontez-vous, docteur Cullen ? Et pourquoi suis-je ici ? Où sommes-nous ? »

« À Skokie. » répondit la jeune femme.

« Skokie ? »

« Anciennement Niles Center. » précisa le médecin.

Je ne pus réprimer un rire, je ne l'avais pas cru adepte des plaisanteries.

« Nous ne devons pas être très loin de chez moi alors. » présumai-je.

« Bella, est ce bien toi ? » me demanda Carlisle, ses sourcils froncés.

« Oui bien sur. Qui d'autre ? »

« Je ne comprends pas. » lâcha-t-il.

« Moi non plus, docteur Cullen. Vous pourriez me ramener chez mes parents ? Ils doivent être fous d'inquiétude. »

Mon père n'aimait pas me voir dormir toute la matinée après une nuit à l'hôpital, ma mère devait me réveiller pour le déjeuner chaque jour. Je leur avais menti, j'aurais très bien pu être bénévole le jour, mais je voulais être avec Carlisle.

« J'en suis bien incapable hélas. »

La femme et lui murmurèrent trop bas pour mon ouïe, alors que je n'étais qu'à deux mètres d'eux. Je n'aimais pas du tout la tournure des évènements.


* Extrait des Mangeurs de Lotus – Tennyson, c'est ce poème que Bella récite à Renesmée. La citation finale est aussi de Tennyson.


Vous avez compris que ce sera à nouveau une mini-fic. Et non ça n'est pas une fic Bella/Carlisle !

Merci d'avance pour vos reviews !