Salutations !

Me revoilà avec un OS directement inspiré de la fin d'Infinity War. Étant plus ou moins remise des mes émotions (après 6 mois de convalescence, donc), j'avais besoin de combler le trou béant nous séparant de la partie 2. Pour patienter je vous propose donc un Stony de 3 chapitres (parce que pourquoi pas), promis j'essaierai d'être régulière dans le rythme de publication !

Est-il utile de préciser que ce qui suit contient des spoilers monstrueux pour Infinity War et tous les films ayant précédé ? Dans le doute, voilà qui est fait.

Nous voilà donc, à la suite directe d'Infinity War. Accrochez vos petits cœurs parce que c'est reparti.


Steve était assis dans la pièce de convivialité des quartiers des Avengers. Penché en avant, coudes sur les genoux et mains regroupées devant la bouche, il se mordait les lèvres en silence. Il inspirait avec grand peine tant il était encore sous le choc des évènements de la journée, les paupières douloureusement fermées sur une réalité qu'il ne pouvait pas reconnaître.

Cela ne remontait qu'à quelques heures à peine, la blessure était à vif. Une partie de lui refusait encore de l'admettre, mais au fond de lui il ne comprenait que trop bien ce qu'il s'était passé. Il n'avait pas les mots, pas même les émotions pour exprimer le désespoir qui avait pris possession de ses tripes. Il avait donc jeté son dévolu sur un immobilisme silencieux qui, s'il se permettait d'y croire, l'amènerait peut-être à s'oublier.

– Steve.

Forcé hors de sa torpeur, il leva des yeux las vers James Rhodes qui lui tendait une tasse fumante. Ignorant la contestation unanime de ses muscles endoloris – si tant est que le sérum lui eût déjà autorisé des courbatures – il la saisit et remercia le colonel d'un hochement de tête, ce dernier le lui rendit.

Steve apprécia brièvement le peu de chaleur dans le creux de ses mains. Il en profita pour lever enfin les yeux, et suivre Rhodes dans sa tournée. C'est à Bruce et Natasha que le colonel adressa les thés chauds suivants, accolés ils s'écartèrent légèrement pour accueillir l'offre de Rhodes et le remercièrent à voix basse. Bruce et Natasha tentaient de se réconforter mutuellement, une vision qui incisa un peu plus le cœur du soldat. Le docteur disposait d'un tempérament d'acier et gérait ses émotions mieux que quiconque, Natasha était la femme la plus forte qu'il avait jamais rencontrée. Les voir ainsi bouleversés enfonça Steve dans sa prostration.

Rhodes se dirigea ensuite vers Thor qui se tenait debout juste derrière. Le dieu nordique avait l'air un peu absent, mais il conservait une allure plus fière que jamais. À la proposition de Rhodes il émergea de ses pensées, se délesta enfin de sa hache massive qu'il appuya contre le canapé pour se saisir du mug fumant, adressant un large sourire de remerciement, le regard pétillant. Steve fut frappé par le stoïcisme de l'Asgardien dont il n'arrivait pas à s'inspirer. Pas aujourd'hui.

Pas alors que la moitié de l'humanité venait de disparaître à jamais.

Il détourna le regard vers le contenu de sa tasse dont il savait pertinemment qu'il n'en boirait pas une gorgée. Il y aperçut vaguement son reflet, le visage encore crasseux de la poussière et du sang qui avaient abreuvé les terres wakandiennes. Ses cheveux et sa barbe étaient poisseux et désordonnés, mais c'était bien là le moindre de ses problèmes.

La vision de Bucky partant en fumée était encore intacte. Steve se mordit de nouveau la lèvre. Sam avait disparu, T'Challa s'était évaporé, Wanda n'était plus, Vision avait été assassiné. Et ce n'était que la partie émergée de l'iceberg, la partie dont il pouvait témoigner. Il en allait de même pour le monde entier, et tout ça, parce qu'ils avaient échoué.

Il avait échoué.

Il tenta d'inspirer une nouvelle fois, mais le nœud dans sa gorge rendait ce geste pourtant primaire difficile.

Le bruit de faibles sanglots attira son attention, il regarda à sa gauche et dû baisser le regard pour apercevoir le raton-laveur assis à ses côtés, sans que Steve ne l'eût remarqué. La pauvre bête était immobile si ce n'est pour les quelques reniflements qui se succédèrent. Instinctivement Steve porta une main sur la tête de l'animal pour calmer son désarroi, et le raton eût l'air de s'apaiser sous ces quelques caresses. Cela eut l'effet de détendre Steve en retour, la sensation d'apporter un peu de réconfort en étant un en soi.

Sans cesser de consoler Rocket, le soldat releva la tête pour porter un regard un peu plus global sur son équipe. Sur ce qu'il en restait. Le mutisme dans lequel ils étaient plongés était accablant. Et il n'était pas capable de les en sortir, le rôle de chef lui avait parfaitement échappé. Il n'était plus le leader qu'ils attendaient tous qu'il soit, il était incapable d'endosser ce rôle après cette catastrophe qui les avait frappés. Il n'était plus qu'une victime comme les autres, à la recherche de réconfort. Et il aurait dû se détester pour ça, mais même là il n'avait plus l'énergie nécessaire.

Il arrêta de caresser Rocket au constat que ce dernier s'était calmé. Il tenta d'établir un contact visuel se voulant encourageant, mais le raton ne levait toujours pas les yeux. Steve reporta finalement son attention à sa tasse maintenant à peine tiède.

Il était un soldat, il était censé être coutumier des pertes d'alliés, de batailles, voire même de guerres. Il s'était toujours considéré – espéré – suffisamment fort pour pouvoir relever la tête et continuer à mener ses hommes, quelle que soit l'intensité des coups qu'il pût recevoir. C'était une promesse tacite qu'il avait toujours eue envers lui-même, continuer, quoi que ça lui en coûte. Le plus dur était sans doute d'avouer qu'il avait aujourd'hui atteint ses limites, car cette défaite-là n'était pas qu'une déroute. Ça n'était pas l'échec d'une bataille, ou d'une guerre à taille humaine. C'était l'échec d'une galaxie toute entière, au prix inestimable, insoutenable.

Et avec des milliards de vies s'était éteinte la foi indéfectible de Steve Rogers.

Soudain, et avant quiconque, il entendit un sifflement. Il tourna instinctivement la tête vers l'origine présupposée du bruit, tenta d'en localiser l'origine à travers la fenêtre. Le sifflement s'accentua, devenant progressivement un bourdonnement sourd. Il se leva, capta l'attention de ses camarades qui le toisèrent d'un regard interrogateur. Et puis les autres l'entendirent à leur tour à mesure que le bruit gagnait en intensité, bientôt des vrombissements se firent ressentir. Et dans le ciel apparut un point incandescent qui se dirigeait droit sur eux.

Sans qu'un mot ne soit échangé, ils filèrent tous à l'extérieur pour mieux appréhender le phénomène qui allait incessamment les percuter, parés à l'impact. Il n'en fut pourtant rien, le météore mystérieux ralentit progressivement jusqu'à perdre son halot flamboyant, mais ne ralentit pas assez pour ne pas heurter le sol avec violence. Steve porta son bras à son visage pour se protéger des projections de terres qui leur parvinrent, et en les rouvrant constata que le vaisseau alien avait fini sa course un peu plus loin, visiblement mal en point.

Steve le premier, les Avengers se rapprochèrent tous lentement. Sur leur garde, s'attendant à voir débarquer une nouvelle forme ennemie probablement inconnue – comme s'ils n'en avaient pas déjà eu pour leur grade.

Quoique… la main qui apparut en premier derrière les écrans de fumée semblait bien humaine. L'être à qui elle était rattachée également.

Steve s'immobilisa lorsqu'il réalisa.

Tony Stark tituba à l'extérieur du vaisseau.

Le cœur de Steve loupa un rebond.

Tony toussait, s'appuya d'une main sur le battant du vaisseau, l'autre enroulée autour de ses côtes.

Steve ne put esquisser un geste, le choc et la torpeur maintenant mêlés à une indicible fébrilité.

– Tony ! s'écria une voix derrière Steve, et Rhodes courut aussi vite que ses prothèses le lui permirent vers le nouvel arrivant.

– Mon dieu, s'exclama Natasha en portant une main au bras de Steve.

Elle lui jeta un regard ébahi, ce dernier demeurait figé et ne le lui rendit pas vraiment. Elle se précipita à la suite de Rhodes et de Bruce qui étaient déjà au niveau de l'ingénieur.

Steve ne parvint pas à s'extraire de sa stupeur. Il entreprit un pas en avant, mais ne parvint pas à aller plus loin. Tony toussait encore, il avait lâché le battant de la porte et s'était effondré à genoux. La gorge de Steve se serra, quelque chose n'allait pas. Il pouvait dire de là où il était que c'était bien du sang que Tony crachait. Bruce était déjà en train de l'ausculter, Natasha et Rhodes tentant en vain de soutenir leur ami meurtri.

– Toi ! Qu'as-tu fait !

Steve tourna la tête vers Rocket qui venait de s'exclamer, et s'alarma lorsqu'il remarqua son arme dégainée. Le raton parlait à un deuxième visiteur qui venait de sortir par l'autre pan du vaisseau, une femme à la peau bleue et à la démarche flegmatique qui répondit d'une voix étonnamment posée.

– Du calme l'ami, je suis dans ton camp.

– Où sont les autres ? Où est Quill ? Gamora ? Où sont-ils ?! aboya le mammifère dont l'arme était toujours braquée contre la femme.

D'un regard peiné elle hocha imperceptiblement la tête, avant de baisser les yeux. L'arme de Rocket en fit de même.

– Non… Drax ? Mantis ? Où sont-ils ?! implorait-il maintenant.

– Je suis désolée Rocket.

– Non… non !

Le raton avait jeté son arme et courait à grandes enjambées et le poil hérissé vers la femme qui ne broncha pas. C'est Thor qui intervint, saisit Rocket pour l'empêcher de faire du mal à la nouvelle venue qui n'était de toute évidence pas hostile. Rocket tenta de se défaire de son géôlier et crachait des injures à la femme en bleue, Thor tentait vainement de calmer son ami aux longues dents. Jugeant que l'Asgardien maîtrisait la situation – dont il n'avait lui-même pas tout saisi – Steve tenta de reprendre ses esprits.

Tony.

Il était toujours au sol, certainement davantage supporté par ses camarades que par ses propres membres. Lorsqu'enfin Steve retrouva l'autorité motrice de ses jambes pour lui porter assistance, il fut stoppé net par le regard de l'espionne cette fois empreint d'une profonde inquiétude.

– Il a besoin de médecins.

Le cœur de Steve était pétrifié. Il ne put s'empêcher un regard transi vers Tony, dont il comprit qu'il était à deux doigts de l'inconscience à en croire l'urgence des mots dispensés par Rhodes et Bruce qui s'efforçaient de le maintenir éveillé.

Sans attendre davantage, il rebroussa chemin et détala à l'intérieur des quartiers où il saisit le premier téléphone venu pour composer le numéro des urgences. Portant le combiné à son oreille, il tenta une profonde inspiration, ne pouvant refouler ces pensées qui s'imposèrent à lui.

Par pitié. Pas lui aussi.

...

Tony avait été opéré en urgence, cela avait duré plusieurs heures au cours desquelles il perdit un rein, mais garda la vie. La nouvelle se diffusa comme un vent de soulagement inespéré au sein de l'équipe, comme un baume bien en mal de refermer une plaie béante mais s'échignant à en apaiser la brûlure.

– Quand sera-t-il rétabli ? demanda Rhodes au chirurgien qui venait d'annoncer la nouvelle.

– Il devrait se réveiller ce soir ou demain, si tout se passe bien il sera sur pied dans moins de quarante-huit heures. Les multiples lésions internes qu'il a subies seront vraisemblablement source de fatigue, il faudra juste le ménager.

Remerciant chaleureusement le médecin, Rhodes s'empressa d'aller au chevet de son ami, rapidement imité par Bruce. Steve s'assit mollement, demeura songeur.

C'était impensable. Tony était en vie. Il avait survécu à l'hécatombe, ne faisait pas partie de cette moitié unanimement pleurée. Il était parti, et le voilà revenu. Maintenant hors de danger. C'était un miracle.

Pourtant, une pointe d'inquiétude ternissait le profond sentiment de joie que Steve aurait dû ressentir. Une inquiétude dont il ne parvenait pas à discerner l'origine. Thanos avait gagné, c'était un fait. Savoir que Tony n'avait pas fait partie de ses victimes était providentiel, et c'était la seule chose qui comptait. Alors pourquoi n'arrivait-il pas simplement à se réjouir de son retour miracle, pourquoi s'en inquiétait-il ? Un vent d'apaisement soufflait sur les derniers membres de son équipe, ce devrait être là le plus important !

– Tu sais…

Par force de l'habitude Steve ne sursauta pas, mais fut surpris une fois encore de ne pas avoir remarqué Natasha qui venait de se glisser à ses côtés. Il accueillit cependant la chaleur de sa compagnie avec plaisir.

– Je pense qu'il est important que tu sois là pour Tony, continua-t-elle.

– Oui, je sais, répondit-il instinctivement.

Natasha eut une légère moue dubitative, celle qui dit « je te connais mieux que tu ne te connais, Steve Rogers. Non, tu ne sais pas ». Et c'était indéniable, elle avait comme un subtil reproche suspendu dans le regard dont Steve ne comprenait pas la teneur. À la réflexion, sans doute avait-il répondu un peu trop rapidement, laissant entendre qu'il ne pesait pas l'implication des mots pourtant méticuleusement choisi de l'espionne, à en juger par le temps de réflexion qu'elle prenait pour les formuler.

– Laissez vos rancœurs de côté. Oubliez-les.

Steve ne put s'empêcher de pouffer.

– Qu'est-ce que de vieilles querelles face à l'apocalypse, hein ? Je sais, Nat'.

Le reproche grandit légèrement dans le regard de la rousse, Steve voulut se mordre la langue pour avoir, une fois encore, répondu trop vite. Pourquoi Natasha semblait-elle si sérieuse ? Steve n'était pas stupide, évidemment qu'il n'allait pas bondir au réveil de Tony pour lui reprocher d'avoir signé les accords de Sokovie il y a des mois de cela. Deux ans, en fait. Évidemment qu'il répondrait présent, qu'il ferait preuve de patience et de bienveillance, Tony n'était pas son ennemi, il l'avait toujours su. Pourquoi lui aurait-il envoyé ce téléphone s'il en avait été autrement.

– Ce n'est pas ce que je veux dire.

Et Steve avait bien compris que ça n'était pas ce qu'insinuait Natasha. Le souci, c'est qu'il ne comprenait toujours pas où elle voulait en venir.

– Pourquoi t'es-tu figé en l'apercevant ? fit-elle enfin.

Surpris par la question, le pouls du soldat s'accéléra imperceptiblement. Pourquoi s'était-il figé ? Quand Tony est descendu de ce vaisseau, pourquoi n'as-tu pas accouru à sa rescousse ? Pourquoi l'as-tu regardé, immobile, se vider de son sang ? Qu'attendais-tu pour intervenir ? Cette question lui fit l'effet d'une douche froide. Jusque-là, elle ne lui était pas venue, comme si, sur le coup, il n'avait même pas remarqué. Mais cela lui revint subitement en plein visage, pourquoi t'es-tu figé ? Il ne pouvait se l'expliquer, tenta et bégaya un début de justification.

– Je n– j'ai été surpris. Et Rocket, avec Nebula, je pensais être plus utile– vous étiez déjà-

Il se stoppa, soupira au constat que l'espionne avait visé juste. Une fois de plus, elle savait de quoi elle parlait. Elle eut un sourire d'encouragement.

– Il a besoin de toi Steve. Autant que tu as besoin de lui.

Et Steve ne parvenait pas à expliquer d'où Natasha tenait ces facultés extraordinaires d'observation, il se contenta d'acquiescer. L'espionne pressa doucement l'avant-bras du soldat, avant de se lever.

– Je vais lui rendre visite. Tu viens ?

« Je te donne l'occasion d'aller le voir – au cas où tu aurais besoin de soutien – ou de rester seul si tu as besoin de temps » disaient les yeux jade de la rousse. Reconnaissant, Steve hocha légèrement la tête.

– Plus tard.

Natasha acquiesça, et après un dernier sourire, s'éclipsa. Steve la regarda partir tout en bénissant la bienveillance de son amie, à qui décidément rien ne semblait échapper. Pas même ce dont les premiers concernés ne pouvaient soupçonner l'existence.

Pourquoi s'était-il figé ?

L'absence de réponse à cette question n'allait pas le satisfaire, maintenant qu'il réalisait à quel point il avait manqué de réactivité. Dire qu'il avait été surpris n'était pas un mensonge. Mais soutenir que les autres ne l'avaient pas été, aurait été faire preuve de mauvaise foi. Pourquoi ne pas avoir réagi à l'instinct, celui qui pousse à venir en aide à un homme au sol et ensuite se demander qui il est, pourquoi il est blessé, et s'il est encore en danger ? Pourquoi s'être ainsi paralysé, quel genre d'instinct pousse à l'immobilisme ? Qui plus est quand c'est un ami qui est au sol ?

Et ce comportement qu'il ne s'expliquait pas était-il en lien avec l'inquiétude relative au retour de l'ingénieur qu'il n'arrivait pas à lever ? Sur le moment, il eut presque envie de demander à Natasha qui semblait en savoir plus que lui sur la question. Les questions commencèrent à se bousculer sans qu'aucun début de réponse ne se semble se former. Irrité par la tournure que prenait ce face à face avec lui-même, le soldat décida qu'il était grand temps qu'il prenne une douche.

...

Il était tard dans la nuit quand Steve se décida enfin à rendre visite à Tony. Il n'avait pas envisagé à quel point un acte normalement naturel pouvait devenir source d'autant de tourments. Il était sincèrement heureux de savoir Tony en vie, revenu. Alors pourquoi se rendre dans la chambre dans laquelle il récupérait de son opération s'avérait-elle aussi tortueuse ? Cela n'avait aucun sens.

Fatigué d'être confronté à des appréhensions irrationnelles, il décida d'y couper court et de simplement passer à l'action.

Ainsi se retrouva-t-il à hésiter devant une porte entrouverte. À première vue, le calme régnait à l'intérieur de la pièce. Aiguisant sa super-ouïe, il perçut le léger bourdonnement mécanique des machines surveillant les constantes du blessé, ainsi qu'un souffle lent et régulier. Celui de Tony, manifestement toujours endormi.

Steve s'obligea à refouler ses réticences, et poussa la porte un peu plus ouverte. La faible luminosité ne l'empêcha pas d'être frappé par la vision qui suivit.

Tony Stark religieusement alité, un tube à oxygène placé sous le nez, quelques perfusions reliées à son bras. Il avait le visage parfaitement inexpressif, eut-il été mort sans doute aurait-il conservé les mêmes traits. Steve ne dépassa pas le pas de la porte, il se contenta de regarder l'ingénieur avec un soulagement teinté d'un chagrin inopportun.

La dernière fois qu'il l'avait vu, c'avait été en Sibérie il y a des mois de cela, la rage au ventre et dans le regard, proférant des mots durs qui semblaient destinés à marquer la fin de leur amitié. La dernière fois qu'il l'avait vu, Tony avait reproché à Steve de l'avoir trahi, de l'avoir trompé. Et si Steve reconnaissait volontiers ses erreurs, il ne pouvait pas passer sur l'entêtement sans borne de l'ingénieur qui n'avait jamais affronté ses propres responsabilités. La dernière fois qu'il l'avait vu, la tension n'avait jamais été aussi grande, l'amertume aussi forte.

La dernière fois qu'il l'avait vu, la Terre comptait encore sept milliards d'habitants.

Et aujourd'hui, Tony était inconscient, blessé, et Steve était désemparé. Il n'était pas à l'aise, sa présence sonnait comme une intrusion. Tony ne le voulait sans doute pas ici, pas après les évènements qu'il avait dû traverser de son côté. Ce n'était certainement pas le visage de Steve qu'il voudrait voir en premier au réveil.

Non, Steve n'avait rien à faire ici.

– Steve !

Il fut tiré de ses pensées moroses par l'appel de Thor, et eu le réflexe idiot de s'immobiliser. L'Asgardien posa une main chaleureuse sur l'épaule du soldat.

– Je pensais prendre mon tour au chevet de notre cher Stark mais, si vous préférez, je repasserai tout à l'heure.

– Non non, s'empressa Steve, j'allais partir.

– Oh. Comme vous voulez.

Malgré ces mots la main du dieu demeurait sur l'épaule de Steve. Ce dernier se crispa légèrement, n'osant plus prendre retraite. Il décida d'imiter Thor et de reporter son regard sur Tony.

– C'est un sacré survivant, hein ? Même les voyages dans l'espace ne savent en venir à bout.

Steve répondit d'un sourire en coin.

– New-York… évoqua Thor avec nostalgie. Déjà à l'époque son retour était miraculeux, et voilà qu'il nous surprend encore en revenant d'encore plus loin, faisant preuve d'un héroïsme sans égal. Tony Stark est vraiment quelqu'un d'incroyable.

Incroyable… Steve prit quelques secondes pour peser ce mot. La légèreté avec laquelle Thor pouvait présenter certains faits ne faisait parfois que les renforcer.

– Oui il l'est, souffla-t-il.

– J'ai eu vent de ce différend qui vous a opposé vous et lui, continua le dieu nordique tout en ôtant sa main et en s'avançant lentement dans la pièce. La fin des Avengers ? Que s'est-il passé ?

Steve ne retint pas un rire un peu jaune.

– Oui c'est… une longue histoire.

Thor attendait visiblement que Steve en dise plus, tout dans son attitude invitait le soldat à poursuivre. Steve jeta un rapide regard vers l'ingénieur endormi, et se massa nerveusement la nuque.

– Il s'est passé beaucoup de choses après Ultron et… c'est une longue histoire.

Le dieu tourna la tête vers les deux fauteuils installés à quelques pas du lit de Tony.

– J'aimerais beaucoup l'entendre, fit-il.

Steve eut un soupir involontaire. Il avisa successivement Thor, Tony et les deux fauteuils, reporta son attention sur Tony, puis Thor. Misère, déjà que la simple entrée dans la pièce sonnait pour Rogers comme une intrusion, venir jusqu'au chevet de Tony pour raconter sa version de l'histoire qui les opposait était aux antipodes du respect. Pire encore, Steve venait de formuler le vœu d'oublier ces querelles, et tout ce qu'il trouvait à faire était de les remettre sur le tapis face à un Tony Stark inconscient mais sans doute pas tout à fait sourd.

Il lui en voudrait pour ça, il lui en voudrait forcément.

Le visage quémandeur de Thor eut cependant raison de ce que Steve considérait être de la bienséance. Thor méritait de connaître le fond de l'histoire, après tout il était un Avengers à part entière, s'il y avait eu une dissolution de l'équipe, la moindre des choses était encore de lui en expliquer les raisons. Steve se contraint à saisir l'invitation et s'installa aussi confortablement que son malaise le lui permit.

S'assurant de conserver une voix aussi basse qu'intelligible, Steve reprit les évènements depuis le départ de l'Asgardien.

– Attendez, quoi ! s'étonna assez rapidement Thor dans le récit. Stark voulait signer les accords ?

– Oui il a même contribué à leur rédaction, expliqua le captain d'une voix aussi neutre que possible.

– Notre Stark, celui qui d'habitude est toujours enclin à défier l'autorité ?

– Je n'étais pas moins surpris, approuva Steve.

– Quel genre de mouche terrienne a bien pu le piquer !

Steve resta songeur, guetta l'ingénieur qui n'avait pas donné le moindre signe d'éveil.

– De son point de vue, ses raisons étaient légitimes. Après Ultron, il a peut-être compris qu'il avait besoin… de sécurité.

– Une sécurité offerte par vos gouvernements ?

– Pas tant pour lui, surtout pour les citoyens du monde entier. Pour regagner leur confiance.

– Par culpabilité.

Steve hocha la tête face à la perspicacité de son ami.

– Je suppose. L'ennui c'est qu'on n'a jamais vraiment eu le temps d'en discuter.

Et Steve conta les évènements qui se succédèrent : Bucky, l'aéroport de Leipzig, Zemo, les autres winter soldiers, et cette date, fatidique, du 16 décembre 1991. À cette évocation, le visage de Thor s'assombrit imperceptiblement. Il n'interrompit pas Steve jusqu'à ce que les faits aient tous été évoqués, ce n'est qu'après quelques minutes de silence qu'il s'exprima enfin.

– Captain, je pense que quel que soit le statut que les peuples de votre monde nous confèrent, nous n'avons point à craindre pour la survie des Avengers. Nous sommes et resterons les héros les plus valeureux de la Terre ! Tant qu'il demeurera des innocents à protéger, nous serons là. Le différend qui vous oppose à Stark, en revanche, est bien plus insidieux. Vous êtes deux leaders extraordinaires, dit-il en les regardant tour à tour. Nous avons beaucoup de chance de vous avoir tous les deux. Je sais que vous saurez regagner la confiance de chacun.

Thor adressa un sourire confiant à Steve, qui une fois encore fut admiratif de la décontraction du dieu et de son impassibilité légendaire. La moitié de l'univers venait de connaître une fin aussi violente qu'inattendue, et les aventures du dieu – que ce dernier leur avait rapportées plus tôt – revêtaient une gravité sans nom. La mort de son père, de sa sœur maléfique, de son frère et de son meilleur ami, la destruction de son marteau, de son royaume et de son vaisseau, la perte de son peuple et même de son œil le guerrier en avait fait l'inventaire en conservant un détachement inégalable. L'altercation que Steve avait eu avec Stark s'apparentait à un cheveu dans la soupe en comparaison. Mais malgré cela, l'Asgardien adressait à Steve un regard empli de compassion comme s'il pesait le mal auquel il était en proie, et qu'il lui souhaitait de tout cœur le courage nécessaire pour dépasser ses démons.

C'était manifestement ce qu'il lui souhaitait.

Steve accueillit ce soutien avec déférence. À avoir retracé ainsi les évènements qui les avaient opposés, il comprit enfin la raison de son inquiétude sous-jacente à revoir Tony. Le poids de ces rancœurs était encore bien présent, tenter de le nier n'était d'aucune aide. Il n'avait pas eu de nouvelles de l'ingénieur depuis deux années. Deux longues années d'exil qu'il ne pouvait s'empêcher de lui reprocher. Deux années de ressentiment sans aucun dialogue. Voire même plus que deux ans, en réalité.

Il mettait le doigt dessus. Une série de non-dits et de conflits non résolus, voilà ce qui nourrissait la crainte d'une confrontation. Voilà ce qui avait toujours menacé, à tout moment et à la première étincelle, de mettre le feu aux poudres, et ce, depuis bien avant l'histoire des accords. Tony et lui avaient toujours eu un mal de chien à communiquer. En premier responsable, il désignait volontairement l'entêtement renommé du milliardaire et son trop fréquent manque de discernement.

Mais maintenant qu'il était là, convalescent après avoir combattu le Titan Fou sur ses propres terres et en être l'un des seuls rescapés, Steve éprouvait le profond et sincère besoin de dépasser cela. Embrasser la tête de cochon brûlée qui lui avait causé tant de peine et de colère pour simplement reconnaître la joie profonde de retrouver son ami en vie. À le retrouver, tout simplement, après tant de temps.

Thor avait raison. Steve se leva pour se diriger vers le lit du blessé. L'expression de Tony n'avait pas changé d'un pouce, seul un faible mouvement de buste trahissait le fait qu'il soit encore en vie. Steve porta la main à son bras, pria silencieusement pour qu'il se rétablisse rapidement.

– C'est bon de vous revoir Tony, murmura-t-il finalement.

...

Tony s'éveilla plus tard le lendemain. Infirmiers et médecins se succédèrent pour s'assurer de sa correcte guérison, et étaient formels sur le fait que l'ingénieur n'était plus en danger. Pourtant la journée qui suivit, ainsi que celle d'après, il ne quitta pas sa chambre. Refusa de manger, fut-ce seulement de parler. Les premières heures ses coéquipiers n'insistèrent pas, souhaitant ménager leur ami dont le traumatisme de l'aventure extra-terrestre était sans doute encore trop frais. Mais l'inquiétude grandit rapidement avec l'absence de locution de l'ingénieur.

– Je vous assure que ça n'est pas son genre, insista Rhodes au troisième jour. New-York avait été un sacré traumatisme pour lui, pas vrai ? Vous vous souvenez d'un quelconque moment de silence après ça ?

Rhodes s'adressa à Bruce qui hocha pensivement la tête au souvenir des longues heures de thérapie qu'il avait partagé avec l'ingénieur.

– Ce que j'essaie de vous dire c'est que ça n'est pas juste un coup dur, conclut le colonel. Les coups durs ne rabattent pas le caquet de Tony Stark.

– Ça n'est rien de physiologique non plus, aucune anomalie de ce côté-là, plussoya le docteur.

– Donc quoi, on lui aurait jeté un mauvais sort ? tenta – sans trop y croire – Natasha.

– Ne soyons pas ridicules.

Tous se tournèrent vers Steve qui, jusque-là, avait été relativement absent. Soudain conscient de l'attention qu'il venait de capter, il se justifia.

– Ce qu'il s'est passé, ça n'était pas New-York. Je crois qu'on peut tous en témoigner. À New-York on avait gagné.

Ces mots générèrent un silence inopiné que Steve n'avait pas anticipé. Il n'avait pas réfléchi au poids de ses paroles et s'en voulut secrètement, conscient qu'il n'avait pas besoin de remuer le couteau. N'en pensait-il pas moins le mutisme de Tony était évidemment lié à la victoire de Thanos, et à leur défaite.

À New-York, Steve se souvenait trop bien de l'impact qu'avait eu la – prétendue – mort de Coulson sur Tony. Cela n'avait pas duré plus de quelques heures durant lesquelles l'ingénieur avait été renfermé et peu loquace, étouffant une colère qu'il aurait tôt fait d'exprimer sur le champ de bataille. Cette conversation lui revenait en tête comme s'il l'avait eue hier.

C'est la première fois que vous perdez un soldat ?

Nous ne sommes pas des soldats !

Aujourd'hui, la raison du silence de Tony était limpide pour Steve. Ils avaient perdu une guerre.

Toujours au centre de l'attention qu'il avait captée par inadvertance, le soldat se leva, et exposa son point de vue.

– Il était parti avec, quoi, cinq, six personnes ? se tourna-t-il vers Nebula qui acquiesça silencieusement. Et il revient seul, pour découvrir que la moitié de la population a été décimée. Il était parti, sans aucune certitude de retour, se sacrifier pour tous nous protéger, et il revient en ayant échoué. Lui qui est prêt à traverser un trou de ver avec une ogive nucléaire. À créer deux super-intelligences coup sur coup dans l'unique but de protéger la race humaine. À se laisser piloter par des hommes d'État incompétents parce qu'il est persuadé que c'est ce dont le monde a besoin. Cet homme-là est revenu, vivant, en ayant échoué. Nat', James, nous avons été entrainés à ça, nous y étions plus ou moins préparés. Pas Tony. Pas alors qu'il avait dédié son existence à cet unique but dont il a purement et simplement été dépossédé.

Les vengeurs regardèrent leur chef sans rien ajouter. Non pas que Steve était particulièrement fier de comprendre ce qui tourmentait tant Tony, il était au contraire plutôt surpris d'être apparemment le seul. Et tout aussi contrit de s'y identifier il comprenait les sentiments par lesquels devait être en train de passer Tony, d'une douleur insensée. Il éprouvait d'autant plus d'empathie pour l'ingénieur.

– Steve, intervint Bruce.

L'interpellé tourna les yeux.

– Allez le voir.

Steve déglutit. Le moment tant redouté était arrivé. Il avisa successivement ses camarades qui semblaient approuver la demande du docteur.

– Faites-le parler, ajouta James. S'il vous plait.

Le soldat prit une inspiration, sachant pertinemment qu'il ne pourrait pas se défiler éternellement. Il n'était pas allé voir Tony depuis son réveil, encore une fois persuadé qu'il était souhaitable de prendre un peu de temps avant de seulement le saluer. Il n'avait aucune idée de l'accueil que lui réservait l'ingénieur, aucune idée du statut qu'il avait encore à ses yeux. S'il se doutait avoir perdu son amitié, il espérait que l'ingénieur n'ait pas oublié qu'ils étaient dans le même camp. Mais sans savoir les rancunes qu'il avait conservé de son côté, il ne pouvait prédire si la colère était retombée ou s'il profiterait de la première occasion pour rappeler au soldat ce qu'il avait pensé de sa « trahison ».

Il pariait évidemment sur les évènements des derniers jours pour que cette histoire soit reléguée au second plan, mais prudence était mère de sûreté. Or le tact de Banner, la pertinence de Natasha, l'optimisme de Thor et même l'amitié de Rhodes n'avaient su faire revenir Tony des enfers qu'il n'avait visiblement pas encore tout à fait quittés. La prudence ne semblait maintenant plus être de mise.

Saisissant sa promesse faite à Natasha et à Thor, Steve ne s'autorisa pas une réflexion beaucoup plus longue et se mit en marche vers la chambre de Tony.


Merci d'être arrivé jusqu'ici !

Comme je disais, il y aura trois chapitres. Je n'ai pas complètement fini l'écriture mais j'y travaille activement. J'espère poster la suite la semaine prochaine !

Un petit mot pour me laisser votre avis ? :)

Des bisous !