D'aussi loin que je me souvienne, il y avait toujours eu des cris à la maison. C'était toujours lui qui gueulait, elle qui criait. Je me cachais dans l'ombre d'un coin et je me faisais oublier. C'était ce qu'on attendait de moi. Si d'aventure je m'essayais à chercher un peu d'attention, je le regrettais dans la minute qui suivait. Et j'en portais encore la marque de jours après. Il n'y allait pas de main morte. Lorsqu'enfin j'entrai dans l'âge adulte, je connaissais par cœur mon corps pour l'avoir soigné tant de fois. Je savais où était cette bosse qui ne désenflerait plus, où était cet os qui frotterait toujours, où étaient ces cicatrices que je cachais. Je savais quelle douleur mes yeux reflétaient lorsque je m'observais dans un miroir. Je savais aussi le regard éteint que j'affichais en toute autre circonstance. Pas un regard mort, un regard vide. Pour dissuader quiconque de poser des questions. Je savais faire les yeux pétillants, quand je devais m'intéresser à quelque chose. Je savais faire les yeux résolus, puis pitoyables, pour finir par vide lorsque cela s'arrêtait. Et tout ce que je voyais chez moi, j'aurais pu le déceler chez n'importe qui d'autre. Lorsque l'on passe autant de temps à se rendre différent, tel un acteur s'immergeant dans la vie de son personnage pour l'éprouver, on sait reconnaître ce que l'on cache chez un autre peut-être moins doué.
Et ce garçon, petit, maigre, avalant son repas comme quatre, qui avait les yeux tour à tour joyeux, vides, morts, pétillants, comme une girouette qui dans la tempête ne sait où se placer, il le reconnaissait. C'était lui, vingt ans plus tôt. Et dans sept ans, tout serait fini. Des yeux définitivement vides, pour qu'on lui laisse la paix.
Aux yeux de Severus Snape, Potter devrait apprendre seul à se débrouiller. Pour trouver sa vie, et être joyeux enfin, il faudrait sortir de ce guêpier tout seul.
Il veillerait tout de même au nez.
