Hôtel Meling, Bruges, le 2 décembre 1931 à 23h20.
Sixsmith,
Tu te souviens du ciel étoilé de Corse ? Les lumières scintillaient autant dans ton regard que dans le mien. Nous étions libres, naïfs et totalement stupides. Je me souviens très bien de ce premier baiser échangé. Tu étais terriblement nerveux Sixsmith, j'en souris encore. Je revois tes mains tremblantes, ton hésitation. Tu as tenté par deux fois de troubler mes intentions en prenant la parole, sans savoir quoi dire. Tu pensais que tes études de sciences allaient pouvoir te sortir de là, mais tu avais tord. Je n'avais aucune idée de ce que tu me racontais et c'est ce qui m'a permis de faire le premier pas, d'attraper tes lèvres et de te faire taire. Je sais que tu te sens vexé de lire ces lignes, mais ne le sois pas. J'aime tes petits défauts. J'aime aussi tes discussions ennuyeuses sur la science, que je ne comprendrais jamais. Au moins, une passion t'anime et, même si je t'empêche souvent de partir dans des explications qui me donnent mal au crâne, tu sais bien que ton intelligence me séduit. Toi-même, tu ne comprends pas l'art, et tu m'aimes quand même, n'est-ce pas ?
Revenons-en à ce souvenir, repartons en Corse, toi et moi. Souviens-toi de ce baiser paisible et innocent. Tes lèvres osaient à peine caresser les miennes. Je sais, tous deux avions entamé une relation interdite. Tu avais peur que quelqu'un nous surprenne... Je t'avais pourtant dit que je t'emmenais dans un lieu secret que j'avais déniché plus tôt dans la journée. Il a fallu attendre de longues minutes avant que tu ne puisses te détendre. Je me souviens encore de tes mains et de ton visage crispés, ton regard qui fuyait pour observer les alentours. Tu avais l'air d'un espion, nous avions même blagué sur ce sujet. À l'époque déjà, tu te montrais susceptibles de mes taquineries. Tu es pourtant adorable lorsque tu prends cette mine sévère. Tu pensais sûrement que je ne t'aimais pas assez, que je me jouais de toi. Pourtant, n'était-ce pas ce coté espiègle qui t'a attiré chez moi, en premier ? Mais nous reviendrons à ce souvenir dans une prochaine lettre. Pour l'instant, je dois travailler mon sextuor. Mais je ne t'oublie pas. Je prends toujours quelques minutes pour te donner de mes nouvelles.
Sincèrement,
R.F
Note de l'auteur : Tout d'abord, merci d'avoir lu ce chapitre :) L'histoire de Robert Frobisher et Rufus Sixsmith m'a tellement émue, bouleversée, fascinée, que j'ai décidé d'écrire une fiction à leur sujet. Je reprends la méthode de récit du livre "La cartographie des nuages", à savoir l'histoire sous forme de lettres de Robert. Cependant, si vous avez lu le livre, vous remarquerez que je n'écris pas le texte comme dans le roman pour ce qui est de la façon dont s'exprime Robert (il mange les "Je" dans ses phrases, comme par exemple : "me souviens de notre rencontre"). Pour le reste, j'essaye de respecter au maximum. En espérant que le texte vous plaise et que vous suivrez cette fiction ;)
