Titre : Dragon doré

Auteurs : Kashiira et Kats

Genre : Angst, medieval fantastic, post Hades, NCS

Couples : Dm/Mu

Source : Saint Seiya

Disclaimers : Malheureusement ces messieurs ne nous appartiennent pas… Ce qui ne nous empêche pas de jouer un peu avec vv

Dragon doré

I

Déjà plusieurs minutes qu'une petite voix dans sa tête l'exhortait à reprendre conscience, l'homme se décida enfin à obéir et à ouvrir les yeux.

Mauvaise idée, très mauvaise idée…

Trop de lumière…

Mais il s'obstina, toujours soutenu par sa voix intérieure. Après un moment qui lui parut une éternité, il réussit à entrouvrir les paupières, sans que le soleil au zénith ne lui brûle les rétines. Les masses informes autour de lui devinrent moins floues.

Une forêt…

Quelque chose de chaud reposait en travers de sa poitrine… un bras. Oui, mais pas le sien… Il tourna la tête autant qu'il put et aperçut une masse rouge et mauve de cheveux en désordre…

" Mu du Bélier, " maugréa-t-il intérieurement.

Parfait ! Il ne manquait plus que cet enquiquineur pour que son bonheur de se réveiller dans un lieu inconnu le corps en miette soit total.

L'enquiquineur en question poussa soudain un vague gémissement avant de bouger légèrement contre son coussin involontaire et de relever légèrement la tête, dardant un regard trouble sur son compagnon d'infortune.

" Masque de Mort ? Matteo ? " marmonna-t-il vaguement avant de plisser les yeux sous l'afflux de douleur.

Il roula sur le côté, libérant le Cancer, avant de ravaler son souffle en se recroquevillant instinctivement en une position fœtale comme un barre de feu traversait son torse. Le Bélier se sentait aussi faible qu'un chaton, une sensation de vide, qu'il ne pouvait encore identifier, le hantant. Sa tête pulsait violemment et le simple fait de respirer semblait devoir le scier en deux, chose qui n'avait rien d'agréable, il fallait bien l'admettre. Il se redressa pourtant sur un coude, regardant autour de lui avec des yeux immenses dans son visage barbouillé de terre et de sang, lui donnant un air enfantin, presque effrayé.

" Où sommes-nous ? " souffla-t-il enfin.

Enquiquineur, le terme était faible.

En le bousculant, le bélier venait de raviver certaines douleurs que le cancer aurait préféré oublier. Les sons semblaient pulser dans sa tête comme un cœur gigantesque et sa nausée grandissante lui tordait l'estomac. L'italien, ignorant son encombrant collègue, tenta d'abord de s'asseoir. Il ne réussit qu'à se faire mal, crier et retomber lourdement sur le dos. Une violente douleur lui déchirait le ventre et pour cause. Il ne savait pas comment mais il s'était empalé sur une courte branche d'arbre, qui dépassait d'une plus grande, manifestement coincée sous son corps. Rien de vital, mais juste assez douloureux pour faire danser des étoiles devant ses yeux. Serrant les dents, Masque de Mort se cambra, cassa d'abord la base de la branche, et ensuite tira d'un coup sec sur l'extrémité dépassant de son coté droit, grimaçant et grondant. La souffrance exacerbait sa colère. Colère d'être là, au milieu de nulle part, blessé, avec cet adolescent attardé qui le fixait avec des yeux de merlan frit. Est-ce qu'il avait une tête de guide touristique ?

" Comment veux-tu que je le sache ? " cracha-t-il, le regard mauvais.

Mu soupira sans répondre avant de se relever précautionneusement. Le cœur entre les lèvres, la main pressée contre son côté, il s'approcha de son… collègue, s'agenouillant à ses côtés.

" Au moins, nous en savons autant l'un que l'autre… Laisse-moi regarder, " ajouta-t-il bien décidé à ignorer l'agressivité de son vis-à-vis, en désignant le flanc de ce dernier.

Ses talents ne se limitaient pas à réparer les armures – bien qu'il se plaignît souvent que les autres chevaliers le prennent pour un employé de Touring Secours – et il avait retapé plus d'un de ses compagnons d'armes. Lui-même avait des côtes cassées mais il ne pouvait pas y changer grand chose pour le moment, tandis que le Masque de Mort pouvait s'être blessé bien plus sérieusement avec cette branche pourtant anodine. On avait la vocation ou on ne l'avait pas, songea le tibétain avec une touche d'ironie. Le Cancer allait certainement le rabrouer… Ce qui ne le dérangeait pas outre mesure, lui non plus n'avait pas d'atomes crochus avec le crabe. Mais sa compagnie valait mieux que la solitude.

Matteo – bigre ! il y avait longtemps qu'on ne l'avait plus appelé comme ça – regarda d'un œil torve son compagnon se lever puis s'agenouiller près de lui. Ca y était, maintenant, le Bélier se sentait une âme miséricordieuse… Il ne manquait plus que ça. Ce qu'il était pénible, avec ses bonnes intentions écœurantes ! Si l'italien avait eu plus de force et de facilité à bouger, il se serait certainement reculé ou aurait esquivé. Mais le moindre mouvement lui coûtait. En même temps, sa tête était si lourde, si douloureuse… Mu était un chieur, ne s'était jamais préoccupé de sa santé, et ça allait très bien à l'Italien. Qu'il continue à l'ignorer !

" Pourquoi, tu veux m'achever ? " lâcha-t-il, se parant de la plus belle attitude ironique qu'il put obtenir de son corps meurtri.

Le visage de Mu dansait devant ses yeux, et la nausée ne le quittait pas…

" Nous sommes tous les deux blessés, Matteo… Et tu sembles être en plus mauvais état que moi. "

Doucement, Mu ouvrit la chemise du Cancer découvrant la blessure.

" Quoi que tu puisses penser de moi, je ne souhaite la mort de personne, même pas la tienne. Vu l'état de la plaie, tu risques une infection si on ne la nettoie pas convenablement. "

Il releva la tête et posa une main légère sur la joue de son compagnon, ignorant le regard furieux que ce dernier lui jeta.

" Et tu as un début de fièvre… Il faut trouver un coin d'eau et je ne pourrai pas te porter… Tu te sens capable de marcher un peu ? "

L'Atlante avait gardé sa voix neutre, d'une polie indifférente. Lui aussi avait mal et était un peu effrayé de se retrouver perdu au milieu de nulle part mais ce n'était pas pour ça, qu'il se montrait désagréable !

Marcher ? Marcher ? ! ?

Bonne question.

Le Cancer fit de gros efforts pour ne pas mordre – au sens propre, comme au figuré – la main étrangère qui frôla sa joue. Masque de Mort avait horreur qu'on le touche, que l'on rentre dans son périmètre. Le Bélier s'était permis cette folie trois fois de suite. Cependant, il fallait bien l'admettre, l'Italien était dans un tel état qu'il ne pouvait, malheureusement, que se rendre aux arguments de son coéquipier imposé par le destin.

" Ça on va le savoir tout de suite. "

Il se leva plus facilement qu'il ne l'aurait cru mais sa tête n'apprécia pas le changement d'altitude. Du coup, c'était l'ensemble du paysage, Mu compris, qui valsait devant ses yeux. Malgré lui, le Cancer se rattrapa à la tunique de son 'soigneur', le temps que son environnement se stabilise un tant soit peu. Quelque chose de chaud lui coula de la nuque jusqu'entre les omoplates. Machinalement, l'Italien préleva de ce fluide, sa main droite rougie par le sang ne l'étonna pas outre mesure.

" J'ai connu plus agréable comme réveil… "

" Moi aussi, " fit remarquer le Tibétain, les dents serrées.

Ses traits fins s'étaient crispés sous la douleur mais il ne repoussa pas le Cancer.

" Je vais t'aider, " souffla-t-il en soutenant ce dernier du mieux qu'il pouvait. " Mais évite de donner dans mon torse, c'est déjà assez pénible comme ça, " ajouta-t-il une ligne se creusant entre ses yeux.

Il n'avait aucune envie que ses côtes se déplacent et percent un organe vital. L'idée d'un poumon abîmé n'avait rien de réjouissant. Pourtant, il n'était pas vraiment inquiet pour lui, l'état de Matteo lui semblait bien plus inquiétant. Il n'avait aucun atome crochu envers cet individu mais il ne souhaitait pas sa mort pour autant.

L'Italien eut un petit rire de gorge, tout en se stabilisant sur ses jambes, soulageant légèrement le bélier. Les Dieux avaient un grand sens de l'humour. De tout l'ordre doré, ils étaient incontestablement les deux chevaliers ayant le moins d'affinités. L'affaire des cinq pics n'était pas vraiment classée. Et les voilà, blessés, perdus, devant – il l'espérait momentanément – faire équipe. Chanceux comme il l'était ces derniers temps, ça ne pouvait qu'empirer. De toute manière, le Bélier se lasserait assez vite de jouer les infirmières dévouées. La douleur et les vieilles rancunes finiraient bien par craqueler ce joli masque condescendant qui ornait le minois du Tibétain. La trêve ne serait pas longue… mais il avait besoin de récupérer. L'Italien choisit d'écouter son instinct de survie plutôt que son orgueil et son amertume.

" Moi qui croyais que cette fois-ci ce serait la bonne… " fit-il ironique.

" Il faut croire qu'un dieu t'aime bien, " fit Mu avec un petit sourire amical.

S'ils devaient rester ensemble pendant un moment, autant que la cohabitation se passe au mieux, décida-t-il en se mettant en route. Bientôt, il entendit un son cristallin et orientant leur marche commune et cahotante, les deux hommes arrivèrent bientôt devant un ruisseau.

" Là… " fit l'Atlante en aidant son compagnon à s'asseoir et s'écroulant presque sur lui. " Enlève ta chemise, je vais nettoyer ta blessure… "

La réponse de Mu surpris un peu l'Italien. Quel Dieu pouvait être assez fou pour vouloir garder un spécimen tel que lui en vie, à part pour s'amuser avec son existence ? Ca et la douleur qui ne l'abandonnait pas suffirent à le faire taire et il concentra ses ressources pour stabiliser son corps dans l'espace en contractant les mâchoires. Pas évident quand vos sens ont décidés d'assurer le service minimum. En tout cas, le bélier avait retrouvé plus de facultés que lui car il les conduisit plutôt rapidement au précieux liquide tant recherché. Matteo se laissa tomber sur le rocher que lui avait indiqué Mu. Ce dernier perdit légèrement l'équilibre et appuya malencontreusement sur un point douloureux. Ce n'était pas le moment de jouer les fillettes, surtout devant l'autre. Docile, le Cancer ôta lentement sa chemise avec des gestes raides. Puis, il planta son regard bleu acier dans les yeux du Tibétain qui semblait hésiter. La colère, sa fidèle compagne, celle qui l'avait maintenu en vie toutes ces années, revint submerger son cœur.

" Qu'est ce qui se passe ? Tu as peur de te salir les mains avec le sang d'un traître ? "

Mu serra les lèvres, réprimant à la fois une folle envie d'assommer l'ingrat devant lui et un gémissement de douleur comme ses côtes clamaient leur mécontentement face au traitement auquel elles avaient eu droit.

" Tu permets que je reprenne mon souffle ? " répliqua-t-il avec une pointe d'agacement devant le complexe paranoïaque du cancer.

Lui aussi souffrait, après tout, le moindre geste était douloureux. Il ne savait même pas pourquoi il faisait tout ça pour le crabe, pensa-t-il légèrement énervé. Il déchira son écharpe tibétaine en bandes avant d'en laver une soigneusement.

" Ca va faire un peu mal, " fit-il.

C'était probablement l'euphémisme du siècle.

Masque de Mort contint ses plaintes entre ses dents serrées. Un peu mal… tu parles ! Il avait l'impression qu'on lui fouillait joyeusement les entrailles, ce qui était en quelque sorte un peu vrai. La douleur n'avait jamais été un véritable problème jusqu'à présent. Habituellement, ce genre de blessure ne l'aurait pas plus gêné que ça pendant un combat. Sauf que là, il n'y avait rien d'habituel. A commencer par Mu qui continuait à laver et panser ses blessures, malgré sa propre douleur, malgré leurs différents et malgré son attitude pour le moins hostile. Le Bélier était au même niveau que lui, avec des blessures somme toute banales pour des hommes comme eux, mais qui les affectaient beaucoup plus qu'à la normale. Sans doute un cadeau de ce fameux Dieu aimant et empli de compassion qui l'avait épargné, correction, qui les avait épargnés. Le Masque de Mort soupira, à la fois de résignation et de soulagement, lorsque le Tibétain eut fini de s'occuper de son flanc et prit sur lui pour lui adresser ces quelques mots.

" Tu n'arriveras pas à te bander les côtes tout seul. Si tu n'as pas peur que je ne te blesse d'avantage, je peux t'aider… "

Le ton était sec et légèrement cynique, marque de fabrique du cancer oblige. Malgré tout, il essayait, à sa façon, de signifier sa bonne volonté. Des excuses ? Ce n'était pas son genre.

Les yeux de Mu s'agrandirent imperceptiblement, trahissant sa surprise. Il ne s'était pas attendu à ce que l'Italien propose spontanément de l'aider. Pourtant, ce n'était pas plus mal, il ne se sentait pas la force de quémander un coup de main. Il soupçonnait son compagnon de présenter des excuses à sa manière bourrue et, ménageant la susceptibilité de ce dernier – il avait vraiment besoin d'aide pour ses côtes ! –, il se contenta d'ôter sa tunique, révélant une peau fine, presque translucide entièrement noircie d'hématomes sur le torse.

Le cadeau d'adieu de Rhadamanthe…

" Merci... " murmura-t-il trahissant un peu de sa fatigue.

" Il ne t'a pas raté, le Wyvern ! " répondit le Cancer, pour se donner une contenance.

Il n'avait pas vraiment l'habitude d'être remercié. Agoni d'injures ou supplié, oui, mais là… C'était nouveau, pas désagréable, mais un peu déstabilisant. Matteo attrapa le reste de l'écharpe de Mu et déchira une partie de sa chemise pour compléter l'ensemble de son bandage improvisé.

" Mets tes bras à l'horizontale et serre les dents… Ca ne va pas être très agréable, mais il faut empêcher tes côtes de se déplacer… " fit-il en se levant et passant ses mains dans le dos du Bélier.

L'Italien, légèrement plus grand, pencha sa tête par dessus l'épaule du Tibétain pour positionner correctement son bandage, frôlant son corps au passage. Lorsqu'il s'écarta de lui, après avoir noué les extrémités du tissu ensemble, l'atlante semblait au bord du malaise, les traits tirés et le visage pâle.

" Ça va aller ? " demanda-t-il presque gentiment malgré sa voix grave.

" Si tu me donnes deux minutes, oui… " souffla son compagnon en s'appuyant contre un rocher pour se stabiliser. " Merci, " ajouta-t-il à nouveau.

Malgré la douleur, le contact du Cancer n'avait pas été désagréable. Il n'y avait rien de sensuel, ni de séduisant dans ses actes, simplement une présence incroyablement solide qui l'espace de quelques secondes l'avait troublé. Ce n'était pas l'image qu'il avait de son frère d'arme et quelque part s'était dérangeant.

" C'est étrange… Je sens plus mon cosmos, " fit-il soudain, détournant la conversation.

Lors de son réveil, il n'avait pas su mettre le doigt sur cette sensation de vide qu'il éprouvait mais désormais, il se rendait compte avec un sentiment de panique grandissant que s'était son cosmos qui ne répondait pas à l'appel, il ressentait des restes de sa présence mais c'était tout. Son cosmos qui l'avait empêché de sombrer dans la folie, enfant, face à des pouvoirs psychiques qu'il ne contrôlait pas toujours… Resserrant ses bras autour de lui comme s'il avait froid, il fixa son compagnon, attendant sa réponse.

" Moi non plus, je ne le sens presque plus. " avoua le Cancer qui se laissa tomber sur un rocher en grimaçant.

Ce vide intérieur était déstabilisant, comme s'il habitait dans un corps autre que le sien et n'arrivait pas à s'en assurer le contrôle. Puis il leva les yeux vers le ciel, le soleil.

" Apparemment, on a gagné, " fit-il en désignant l'astre du jour d'un signe de tête.

" C'est peut-être le prix à payer pour avoir défié les Dieux de l'Olympe, " reprit le cancer avec un sourire mauvais.

L'idée d'avoir ébranlé les colonnes du ciel n'était pas pour lui déplaire. L'italien était rompu à être solitaire, hors limite et hors contrôle. Par contre, la présence des autres chevaliers d'or semblait manquer à Mu, plus sociable que lui. Soudain, le Tibétain avait l'air si fragile, alors qu'il était son égal.

" Tu as froid ? " lui demanda-t-il poliment. " On peut faire une pause, avant de repartir. Il faut qu'on se trouve un abri pour la nuit. Rester à découvert ne me dis rien qui vaille. "

Mu hocha la tête.

" Ca ira… De toute façon, nous sommes à la même enseigne, " répliqua-t-il. " Mais tu as raison, nous ne pouvons pas rester ici, " ajouta-t-il comme un coup de vent lui arrachait un violent frisson. " Il fait presque aussi froid qu'au Tibet et nous ne sommes pas équipés pour y résister. "

Il se tourna vers le ruisseau et le regarda d'un air critique.

" Suivons-le, il nous mènera bien quelque part, " proposa-t-il enfin.

L'Italien se leva péniblement, toujours la tête cotonneuse, mais la petite halte et les soins attentifs du Bélier l'avait consolidé. Il focalisa son attention sur la tache mauve ondulant devant ses yeux et en fit son point de repère pour marcher. Sa vue restait trouble, mais inutile d'en informer le tibétain. La situation était déjà assez pénible sans en rajouter. Mu aurait très bien pu le laisser se débrouiller et marcher à son allure, il n'en fit rien. Masque de Mort soupira et ouvrit la bouche, hésitant.

" Au fait, merci… " finit-il par grommeler en baissant la tête vers le sol.

L'Atlante sursauta et faillit glisser dans la rivière. Il regarda son compagnon avec des yeux rendus immenses par la surprise avant de crisper la main sur ses côtes douloureuses.

" C'était avec plaisir, " fit-il simplement, toujours incrédule.

Le Masque de Mort remerciant autrui, à plus forte raison lui que l'italien détestait… c'était incroyable. Pourtant, une agréable chaleur l'envahit tandis qu'il dédiait un sourire sincère au Cancer.

" Après tout, tu en as fait autant pour moi, Matteo, " ajouta-t-il avec une malice presque enfantine.

Il éclata soudain de rire en reprenant sa route.

" Je me souviens de la première fois où je t'ai vu, " précisa-t-il, soucieux de ne pas vexer l'autre homme. " Tu avais six ans et moi trois, je crois… Tu ne t'en rappelles sans doute pas… "

" Si… je m'en rappelle… " chuchota presque le Cancer, plus touché qu'il ne l'aurait cru par le sourire du Bélier. " Tes cheveux étaient plus courts et plus clairs, mais je m'en souviens. C'est moi qui était chargé de te 'parrainer' à ton arrivée au sanctuaire. J' étais le plus vieux de ma section, alors… "

Un petit bout de chou un peu timide mais très attachant, tombé lui aussi dans les griffes du sanctuaire.

Deux enfants, parmi tant d'autres, condamnés à se battre ou mourir, à l'entraînement ou au combat.

Masque de mort abandonna l'esquisse de sourire qui se dessinait sur son visage pour durcir ses traits. Le sentimentalisme ne menait à rien, sinon à la faiblesse et la mort. Une des premières mais rudes leçons que lui avait enseignées son maître.

" C'est loin tout ça. "

Si loin, comme s'il s'agissait d'une autre vie.

Une autre vie…

Mu hocha la tête, son pas ralentissant un peu.

" Oui… C'est loin, " répéta-t-il à contrecœur. " Beaucoup de choses se sont passées depuis. "

Le petit garçon qu'il avait été avait grandi et souffert. Il avait survécu à l'assassinat de son maître, vécu en direct – un long frisson le parcourut à ce souvenir –, il s'était élevé seul à Jamir, sous les conseils de Roshi, jusqu'au jour où ce dernier lui avait confié Kiki. Il n'avait que treize ans et le petit garçon n'avait pas encore dépassé son premier printemps. L'atlante en avait pris soin comme d'un petit frère. Comme d'un fils en quelque sorte. Puis, il y avait eu les Guerres Saintes et la dernière, opposant Hadès au Sanctuaire, la plus éprouvante.

" Je suis désolé, " fit-il soudain. " J'aurais dû me rendre compte plus tôt que quelque chose n'allait pas… Mon maître ne se serait jamais retourné contre sa déesse et même si tu n'es pas le chevalier le plus conventionnel que je connaisse, j'aurais dû savoir que tu es un homme d'Athéna. "

Il ne regardait pas son compagnon, se mordillant la lèvre, pourtant, il était sincère. Il regrettait d'avoir douté de ses compagnons, de ne pas s'être montré plus fort face à Rhadamanthe. Il se figea soudain, dressant l'oreille. Etait-ce des rires d'enfants qu'il entendait ?

" Par ici, Matteo ! Il y a des gens par là ! " s'écria-t-il avec un regain d'énergie.

Le bras en travers de son torse, soutenant ses côtes, il fit mine de passer derrière un buisson avant de s'arrêter attendant le Cancer.

Ce dernier n'eut pas le temps de répondre aux excuses raffinées de son compagnon et resta immobile en entendant le Bélier l'exhorter à bouger d'une voix dynamique. Mu avait ressenti la présence d'autres personnes. Pas lui.

Cette perte d'acuité de ses sens le contrariait et le troublait. Il fallait rattraper Mu avant qu'il ne fasse une bêtise, après tout, ces gens pouvaient s'avérer être une menace. Matteo se rapprocha de la forme floue qui lui servait de guide.

" Pas si vite ! " fit-il, tentant d'agripper le bras libre de Mu qui s'était remis en mouvement.

Le Cancer manqua sa cible de quelques bons centimètres. Pris de stupeur, il se redressa fièrement, ses yeux aux pupilles surdimensionnées dardant un regard hostile.

" Matteo ? " demanda l'Atlante d'une voix incertaine.

Il s'était retourné à l'appel de son compagnon et dardait sur ce dernier un regard inquiet. Levant la main, il la passa sur le front de l'Italien avant de plisser les paupières à la manière d'un chat.

" Ta tête ! Tu saignais tout à l'heure ! Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? " lui reprocha-t-il avec agacement. " Ce n'est pas le moment de jouer aux héros ! "

Soudain un cri strident retentit derrière lui et il se retourna pour voir une fillette d'une dizaine d'année les regarder avec horreur. Elle recula de deux pas avant de faire volte face et de s'enfuir en appelant son père.

" Attends ! " cria le Tibétain en tendant la main.

Pourtant, il ne la poursuivit pas, se contentant de passer le bras sous celui de son compagnon, le soutenant.

" Tu as besoin de soins, " fit-il d'une voix sans réplique. " Il doit y avoir une ville ou un village pas loin, le mieux serait de s'y rendre. "

Le Cancer tourna la tête à la recherche de la créature qui criait.

Mauvais, mauvais, mauvais.

Cette gamine hurlait si fort qu'elle allait rameuter tout le village, si tant est qu'ils en soient à la périphérie. Deux étrangers, blessés, ne pouvaient qu'inspirer la méfiance. Mu faisait trop confiance à la nature humaine parfois.

Des ennuis, des ennuis en perspective, et l'incapacité de se défendre correctement.

Tant pis, même dans cet état là, il vendrait chèrement sa peau. Fuir n'était pas dans ses habitudes, et de toutes manières, il n'aurait pas pu aller bien loin. Instinctivement, il se mit en posture défensive, percevant indistinctement des bruits de pas dans les fourrés, ne s'apercevant pas qu'il plaçait le Bélier derrière lui, ignorant ses attentions ou ses paroles. Il plissa les yeux, essayant de mieux voir la grande tache sombre qui venait de surgir d' un buisson. Sûrement un bûcheron au vu du volume qu'il occupait dans l'espace, et d'une forme allongée et brillante qu'il semblait tenir dans ses mains.

" Matteo ! "

Mu regarda incrédule le Cancer se placer devant lui le protégeant. C'était nouveau, ça !

" Ca suffit ! " siffla-t-il en saisissant le bras de son compagnon. " Personne ne va se battre ! C'est ridicule ! "

" Que faites-vous là ? " gronda une voix rauque.

Le Tibétain leva la tête vers l'homme qui devait avoisiner les deux mètres et ne laissa rien paraître sur ses traits, face au visage balafré de leur vis-à-vis à part une expression apaisante.

" Nous sommes perdus… Nous sommes blessés et mon ami a besoin de soins. "

Le colosse abaissa un peu sa hache avant de la placer sous la gorge du Bélier.

" Et si vous étiez des brigands ou des esclaves en fuite ? "

Mu ne broncha pas, se contentant de fixer l'homme avec une assurance qu'il ne ressentait certes pas.

" Nous ne sommes ni l'un, ni l'autre. Juste des voyageurs égarés. "

La hache s'abaissa totalement cette fois, le libérant.

" Je vous amène au village… On verra ce qu'on peut faire pour vous, " fit le géant d'une voix bourrue avant de repartir sans plus se soucier des blessés.

" Je n'aime pas ça… " marmonna le Cancer que tirait Mu par le bras pour suivre l'armoire normande. Plutôt Brésilienne, l'armoire, car de dos, ça ressemblait furieusement à Aldébaran, pour le peu que Masque de Mort pouvait distinguer de leur nouveau guide.

" Trop facile… "

Le terme 'esclaves en fuite' n'avait sûrement pas échappé au Tibétain. Mais dans quel monde de dingues étaient-ils tombés ? Bon sang, des chevaliers, marinas ou spectres en armures, ça, il savait gérer, mais s'il fallait se la jouer diplomate… Matteo distinguât une tache claire quelques mètres sur sa droite. semblant mobile. La petite, sûrement, blonde ou châtain clair. Elle suivait à bonne distance des étrangers. La tournure des évènements ne plaisait pas du tout au cancer mais, à moitié sourd et aveugle, il ne pouvait que faire confiance au jugement de l'atlante.

De la folie furieuse…

Les bruits et l'odeur envahissant son nez indiquèrent à l'Italien qu'ils venaient d'entrer dans le village. Les bruits se firent de plus en plus présents jusqu'à faire vibrer douloureusement son cerveau. Une foudre insoutenable traversa son corps avant qu'il ne sombre dans l'inconscience.

" Matteo ! " cria Mu en s'agenouillant aux côtés du Cancer.

Ses doigts cherchèrent le pouls de son compagnon et il soupira de soulagement en le trouvant. Il était juste évanoui. Il releva la tête et se figea devant la foule qui s'était attroupée autour d'eux. Des femmes en robes épaisses tenaient contre elles des enfants habillés pour la plupart de haillons. Des hommes en vêtements rapiécés regardaient les deux blessés d'un même regard méfiant. Beaucoup tendaient la main vers l'Atlante et ce derniers surpris 'sorcellerie' plusieurs fois. Mais les mots qui revenaient le plus souvent étaient 'esclaves' et 'dragons'…

Des dragons?

Lorsque le bûcheron lui avait demandé s'il était un esclave en fuite, il s'était demandé dans quel pays, ils avaient bien pu atterrir mais désormais, il doutait de plus en plu de se trouver toujours sur terre – ou alors, il était tout simplement en train de rêver. L'explosion qu'ils avaient provoqué en détruisant le Mur des Lamentations les avait-elle projeté dans un monde parallèle ou dans un autre niveau d'existence ? Quoi qu'il en était, la populace commençait à s'agiter sérieusement suite aux explication du bûcheron géant. Une femme ramassa soudain une pierre et la lança sur les blessés.

" Maudits esclaves ! " hurla-t-elle, tandis que le projectile atteignait Mu à l'épaule. " Vous allez apporter le courroux des maîtres sur nous ! "

" Attendez ! " protesta l'Atlante en se redressant. " Vous faites erreur, nous ne som… "

Il ne put pas terminer sa phrase, les villageois semblaient en avoir assez entendu et se ruait sur lui. Instinctivement, le Bélier tomba en position de combat, déséquilibrant ses attaquants et les repoussant. Un homme s'était approché de Matteo et le bourrait de coups de pied vicieux. Avec un cri mêlé de douleur et de colère, le Tibétain esquiva une attaque avant d'assommer proprement le lâche, se positionnant au-dessus du Masque de Mort inerte. Comme si c'était un signal, la populace choisit ce moment pour se ruer à la curée et le jeune homme, déjà blessé et à bout de force, succomba sous le nombre, se roulant en boule et tentant de protéger la tête de son compagnon inconscient.

" Ca suffit ! " tonna soudain une voix semblable à des coups de tonnerre.

Tous s'immobilisèrent et se reculèrent, reformant le cercle autour des blessés.

" Il y a d'autres moyen de vérifier s'il sont bien des esclaves ! " continua le forgeron qui était resté hors de la rixe.

Mu releva légèrement la tête mais sa vision était trouble et il se sentit bientôt sombrer dans une miséricordieuse obscurité comme des mains les soulevaient, lui et Matteo.

A suivre