Auteur : Anita Klee (sauf si je change de pseudo entre-temps)

Catégorie: Réflexions/One-shot

Rating : Tout public

Disclaimer : Rien à moi, tout à Clamp… dommage lol.

NDLA : Premier recueil TRC, première fic du recueil ;)

Bonne lecture ^_^


Du bout du monde

Tempête. Du vent et du sable. Encore, toujours.

Il ne voyait que ça, à perte de vue. Il y avait bien les nuages, mais ça n'annonçait rien de bien réjouissant. Le paysage restait le même chaque jour depuis qu'ils étaient partis. En fait, chaque jour en lui-même était identique au précédent. Le temps avait suspendu son envol sur le pays de Clow. Ou peut-être que le pays de Clow s'était enfermé dans une sphère hors du temps.

Il faisait sombre, et tandis qu'il pensait à sa petite sœur déjà loin de ce monde, le vent se mit à souffler plus fort autour des ruines dans un vacarme assourdissant, lui vrillant les tempes. Yukito n'allait pas tarder à arriver, et s'il le trouvait debout, il allait probablement le sermonner dans un Keigo du plus pompeux. De toute façon, Yukito allait nécessairement trouver son roi debout devant la fenêtre. À moins de le rendre incapable de se mouvoir pour l'occasion, Touya ne resterait jamais tranquille dans son lit.

Il ne pouvait pas se le permettre. Il était roi. Rester dans son lit tel un vieil atrophié ne lui allait pas. Sa sœur voyageait à la recherche de son âme, ce qui en soi n'avait déjà rien de réconfortant. Mais en plus, elle voyageait avec cet étrange gamin qu'il n'avait eu de cesse de regarder avec méfiance. Pas la méfiance commune aux grands frères ayant à charge la sécurité et le bonheur de leurs petites sœurs, loin de là. Shaolan n'était pas un méchant garçon, il avait largement pu le constater.

Il était juste trop étrange, trop secret pour être net.

Et il espérait sincèrement avoir tort. Il ne voulait pas avoir laissé sa sœur aux mains de la mauvaise personne, et il ne voulait pas non plus que sa petite sœur ait le cœur brisé. Son âme l'était déjà, et c'était bien assez.

Il amorça un mouvement vers son lit, histoire de ne pas inquiéter Yukito plus qu'il ne l'était déjà, puis étouffa un cri de douleur. Décidément, ces créatures l'avaient pas mal amoché ; et c'était sans compter sa manie de se lever chaque fois qu'il en avait envie, ralentissant toujours un peu plus sa guérison et mettant à mal les efforts du prêtre pour le soigner.

De toute façon, il était trop tard : les pas de son meilleur ami se faisaient déjà entendre dans le couloir. Il aurait bien pu se jeter dans le lit dans un ultime effort, mais n'aurait dans ce cas pas garanti le résultat. Sans doute se serait-il étalé de tout son long avant même d'atteindre le matelas ; ou alors il aurait bien atterri sur le lit, mais dans un horrible hurlement de douleur. Il valait mieux endurer les sermons de Yukito, finalement.

Comme prévu, le prêtre frappa trois coups discrets à la porte, comme s'il avait eu peur de déranger le roi durant son sommeil ; Touya grogna légèrement, signe qu'il pouvait entrer et surtout qu'il se préparait au long discours de Yukito sur le fait qu'il devait rester au lit et ne pas faire d'effort, le tout en Keigo, bien évidemment.

D'ailleurs, pourquoi lui parlait-il toujours en Keigo ? Après tout, ils étaient amis depuis l'enfance. Ils avaient toujours été ensemble et il n'y avait que peu de secrets entre eux. Bien sûr, il lui avait caché la fois où il avait trouvé Shaolan dérangeant et il fallait compter quelques cachotteries enfantines, mais ça ne changeait rien au fait que Yukito était son meilleur ami, et jusqu'à preuve du contraire, c'était réciproque.

Il était tellement préoccupé par ces toutes nouvelles interrogations qu'il ne remarqua même pas le sujet de ses pensées en train de lui expliquer une fois encore les raisons pour lesquelles il devait rester tranquille.

-Pourquoi ?

-Votre majesté ?

Touya se tourna vers Yukito, se rendant compte qu'il avait pensé tout haut, et pire encore : il avait totalement ignoré les paroles de son prêtre. Celui-ci le regardait, interloqué. Faisant abstraction de sa surprise face à la réaction de Touya, il s'approcha de lui et l'entraîna avec douceur et détermination jusqu'au lit, sur lequel il le força à s'allonger, prenant soin de remonter les draps sur lui. Mais Touya ne l'entendait pas de cette oreille. Il voulait parler.

Repoussant les draps, il se redressa sous le regard désapprobateur du mage.

-Tu ne m'as pas répondu : pourquoi ?

-Mais votre Majesté… vous ne m'avez pas posé de question…

-... Pourquoi me parles-tu toujours en Keigo ? Je te répète tout le temps que c'est inutile, non ? Pour ma sœur, je comprends un peu, quoique… mais moi… Nous sommes amis, n'est-ce pas ? Alors pourquoi tiens-tu tant à mettre cette barrière sociale entre nous ?

-Mais vous êtes le roi, et je suis un mage. Je dois utiliser le Keigo parce que c'est la règle, une marque de respect envers mon roi.

Yukito ne se départissait pas de son sourire, même s'il ne comprenait pas vraiment pourquoi Touya l'interrogeait de cette façon. Certes, il lui avait déjà reproché d'employer ce langage pour lui parler, mais la plupart du temps il se rattrapait assez bien, attendant que son roi lui demande de lui parler autrement.

-Balivernes. Tu n'as pas besoin de faire de courbettes à mes pieds pour me prouver que tu me respectes, c'est une règle inutile en ce qui nous concerne. Tu en es dispensé et tu en as toujours été, à ce que je sache. Pourtant, jamais tu n'as usé de ce privilège.

-Puis-je savoir en quoi cela vous tient-il si soudainement à cœur ?

La question avait été posée tout doucement, comme s'il craignait que Touya ne le prenne mal.

-J'y pensais, comme ça…

-Mais encore ?

-Nous sommes amis. Ca n'aurait été qu'en public, j'aurai parfaitement compris ; mais même quand nous sommes seuls, tu t'acharnes à placer cette distance entre nous.

-Eh bien… il faut croire que c'est un réflexe.

Touya tourna vivement la tête vers Yukito, qui souriait encore, comme si de rien n'était.

-J'aime pas tes réflexes, ça me vexe.

-Votre majesté, si j'ai dit quoique ce soit qui ait pu vous offenser…

-Tiens, tu vois ! Tu recommences ! Même quand je te charrie, tu prends ça pour une offense et tu retournes au Keigo. Je ne suis même pas sûr que tu l'aies quitté un jour, ce Keigo… on dirait qu'il te colle à la peau.

-Désolé.

Le mage arborait un sourire contrit, ne sachant pas comment se défendre face aux reproches de Touya. Celui soupira doucement.

-Ne le sois pas. C'est juste que... tu es le seul.

-Le seul ?

-Le seul véritable ami que j'ai. Mon meilleur ami. Celui à qui je peux faire confiance en toutes circonstances. Et j'aimerais que mon meilleur ami me parle comme on parle à son meilleur ami, ne pas avoir l'impression que je suis seul au sommet et que tu me regardes d'en bas.

Touya baissa la tête sur ses mains, elles-mêmes posées sur les draps avec lesquels il jouait doucement. Puis, une troisième main arriva dans son champ de vision, hésitante. Le jeune roi releva la tête, croisa le regard toujours aussi chaleureux de son mage et le sentit serrer l'une de ses mains dans la sienne.

-As-tu vraiment besoin de me voir tourner le dos au protocole pour savoir tu peux avoir confiance en moi en toutes circonstances?

-Je ne te demande pas de lui tourner le dos. Juste d'en faire abstraction au moins quand nous ne sommes pas en public.

-Je... ne peux pas faire ça.

Touya, surpris et déçu, lâcha la main de Yukito et tourna la tête à nouveau vers la fenêtre dans un profond soupir.

-J'en reviens donc à ma première question: pourquoi? On n'est pas assez amis pour ça?

-Bien sûr que si... mais nous ne sommes pas qu'amis.

-Donc pour toi, si j'ai bien saisi, le Keigo comme le protocole sont là pour bien mettre en valeur nos rangs sociaux. Mais nous sommes quand même amis. Toutefois, tu refuses d'arrêter d'employer le Keigo de façon systématique quand nous sommes seuls, parce que seuls ou non, je suis toujours roi et tu es toujours mage. Qu'est-ce que je suis sensé comprendre, au juste?

Le ton employé par Touya était amer, voire légèrement agressif.

-Votre Majesté...

-Que tu places nos statuts au-dessus de notre amitié?

-Touya...

-Je n'ai même plus de petite soeur. Ce sale gosse est parti avec elle et je ne sais pas si elle va bien, si elle est en sécurité, ni même si je la reverrai un jour. Je ne sais pas si le gamin saura la sauver, si j'arriverai à sauver mon royaume. Le temps est couvert, pas une once de soleil, on ne récolte presque plus rien, et je te laisse deviner toute la chaîne de problèmes qui s'en suivent.

-Tu ne devrais pas être si pessimiste.

-Tu parles ! T'avais raison, Yukito. Le pouvoir de ma soeur dépasse tout entendement. Il n'engendre que malheur et souffrance, à tous les niveaux.

Yukito regarda tristement son roi. Il ne savait pas ce qui se passait, c'était bien la première fois qu'il se montrait si pessimiste. Pas qu'il eût été vraiment optimiste un jour, loin de là. Mais avant, il se contentait de s'inquiéter en silence et d'agir. Au-delà du Touya nonchalant et passant une bonne partie de son temps libre à embêter sa soeur, il y avait un homme réfléchi, qui savait prendre des décisions rapidement en toute objectivité. La preuve étant que même en n'ayant pas confiance en Shaolan, il lui avait confié le destin de sa petite soeur.

Il avait pris cette décision sur le vif, mettant de côté son ressentiment. Shaolan était l'Elu. Sa soeur était en danger de mort. Il était roi, devait rester et protéger son peuple. Il ne pouvait pas se séparer de Yukito, bien trop risqué pour le bien du pays. Personne d'assez fort à l'horizon. Le calcul était simple. Tant pis. Ne restait qu'à confier Sakura à Shaolan.

Cette capacité de réflexion était en partie ce qui faisait de lui un bon roi. S'il avait su gouverner d'une telle façon jusqu'à maintenant en gardant ses sentiments pour lui, pourquoi ne le pouvait-il plus maintenant? Qu'est-ce qui avait changé? Se sentait-il seul au point d'éprouver le besoin de l'exprimer?

Le prêtre se figea un instant. Le roi se sentait seul. Son meilleur ami se sentait seul. Seul au sommet. En cas de chute, personne ne le rattraperait. Personne ne le sauverait. La solitude était sombre, froide, cruelle. La solitude prenait toujours le thé avec la mort.

Touya restait crispé. Il ne se souvenait pas avoir été si mal. La culpabilité lui rongeait les entrailles. Son père lui avait tout laissé. Une princesse, un peuple, et la mission de les rendre tous deux heureux. Etait-il en train d'échouer?

Il sentit à nouveau la fine main de Yukito sur la sienne. Il releva la tête, rencontra une fois encore un regard et un sourire. Mais c'était différent. Il y avait cette lueur dans ses yeux, cette lueur qui le réchauffait, l'éclairait de l'intérieur.

-Vous devriez vous reposer, votre Majesté. Je vais rester à vos côtés et serai là à votre réveil. Si vous avez besoin de quoique ce soit, n'hésitez pas à m'en faire part.

Le mage aida le roi à se recoucher à nouveau, prenant soin de ne pas briser le contact visuel qui s'était instauré. Le roi se laissa faire, apaisé.

Maintenant, il savait.

-Ne me laisse pas, Yukito.

-Je ne vais nulle part.

Les mots furent prononcés avec beaucoup de douceur, mais signifièrent bien moins que le regard qu'ils échangèrent à cet instant.

Tant que tu ne disparais pas, le reste m'est égal.

Ils étaient tout ce que les autres ne sauraient ni ne verraient jamais.

Ils étaient ce qu'aucune frontière quelle qu'elle soit ne pourrait jamais séparer.

Parce que le roi n'était pas seul.