Bonjour/bonsoir à tous. Je reviens avec un one-shot en deux parties, qui est sans doute le texte le plus personnel que j'ai pu écrire jusqu'à aujourd'hui. Il fait certaines références à un autre de mes écrits, Vague à l'âme, mais le lire n'est en rien une obligation pour comprendre ce qui se passe. Le thème est presque le même, mais je ne pensais pas à l'époque finir celui-ci, aussi je m'excuse pour ceux qui trouveraient ça redondant. J'espère qu'il vous plaira quand même, et je vous souhaite une bonne lecture.

Disclaimer : les personnages ne m'appartiennent pas, pas d'argent, tout ça.


La chute d'Icare (partie 1)


Le soleil était déjà couché depuis longtemps quand Aioros posa son stylo pour pouvoir s'étirer, réprimant difficilement un bâillement sonore. Près de lui, Saga esquissa un demi-sourire moqueur.

« Fatigué ?

-On est là-dessus depuis ce matin, protesta le Sagittaire. Ne me dis pas que tu n'as pas envie de t'arrêter pour ce soir, si ? »

Le Gémeaux referma le dossier, une lueur amusée dans les yeux. Aioros sourit en le voyant faire et l'imita sans attendre. Il savait décrypter Saga, cette fois ne faisait pas exception. Ils rangèrent les papiers du bureau de Shion à leur place, fermèrent les rideaux et éteignirent les lumières avant de sortir du treizième temple. Si Saga frissonna lorsqu'ils se retrouvèrent à la merci du vent froid de l'hiver, Aioros accueillit la brise avec un soupir de contentement.

« Je ne sais pas comment tu fais pour n'avoir jamais froid.

-Signe de feu, très cher, rit le Sagittaire en lui tapotant gentiment le dos. Ça garde au chaud toute l'année.

-Veinard. »

Ils entamèrent la descente des marches dans un mutisme tranquille. Malgré les mois qui avaient passé, se parler était parfois encore un peu difficile, mais au moins les silences n'étaient plus gênés. Ils avaient suffisamment discuté ensemble pour retrouver une relation stable et saine, même si elle était fatalement très différente de celle qu'ils entretenaient avant la mort du brun. Aioros était revenu d'entre les morts plus calme et mélancolique, et Saga avec la volonté flagrante d'essayer de réparer les torts qu'il avait causé en treize ans. Il était plutôt bien parti, du reste, et le Sagittaire était heureux pour lui. C'était entre autres grâce à Shion, qui leur avait demandé de lui donner un coup de main avec la paperasse : il avait aussi envie de profiter un peu de cette nouvelle vie qui leur était offerte, et Saga avait déjà de l'expérience. Aioros venait en renfort, main d'œuvre consentante pour épauler son camarade.

Ils se rendaient donc souvent au dernier temple pour s'occuper de dossiers plus ou moins importants, jusqu'à parfois tard le soir, comme ce jour-là. Souvent ils s'arrêtaient au neuvième temple sur le chemin du retour pour manger ou boire un café, selon les pauses grignotages qu'ils avaient fait au cours de l'après-midi. Le Sagittaire avait alors l'impression d'être privilégié de passer du temps avec Saga en dehors du travail, et de retrouver un peu de son ami d'enfance… Surtout quand il arrivait à le faire rire. Là, son cœur battait plus fort et son sourire était plus grand.

Déjà adolescent, il était amoureux du Gémeaux. Il ne le savait juste pas encore, s'imaginant naïvement qu'il ne s'agissait que d'émotions banales que n'importe qui éprouvait pour son compagnon. Mais aujourd'hui il savait, et il ignorait comment s'accommoder de ces sentiments qu'il avait bien du mal à taire. Peut-être était-il au final très bon comédien, ou bien Saga était-il particulièrement aveugle, mais visiblement personne n'avait compris son intérêt pour le troisième Chevalier d'Or, et c'était tant mieux. Il n'avait aucune envie d'imposer son besoin d'être avec lui à Saga, et partager ces moments de complicité avec lui étaient largement suffisants pour son cœur. Alors même si remplir des dossiers était bien loin du romantisme qu'il avait bêtement imaginé, c'était mieux que rien.

« Café ? » proposa-t-il lorsqu'ils arrivèrent devant chez lui.

Saga hocha distraitement la tête, suivant son camarade jusqu'à ses appartements. Aioros mit l'eau à chauffer et prépara tranquillement la boisson chaude, tandis que le Gémeaux sortait les tasses et les cuillères. Bizarrement, le voir être aussi à l'aise fit sourire le brun. Mais contrairement à d'autres soirs, son ami semblait ailleurs, perdu dans ses pensées. Le Sagittaire attendit que le café soit prêt et servi pour lui jeter un regard un peu inquiet.

« … Tout va bien ? »

Saga releva la tête et sourit d'un air gêné.

« Oui, pardon, je pensais à… Autre chose. »

Aioros haussa un sourcil, dubitatif. Le Gémeaux garda obstinément le silence un moment, avant de capituler et de croiser le regard du Sagittaire, une expression désemparée au visage. Le brun cligna des yeux : il ne l'avait jamais vu avec un air aussi perdu.

« Hey, qu'est-ce qui se passe ? souffla-t-il en venant s'installer près de lui.

-Rien de grave, je t'assure, soupira Saga en touillant son café avec des gestes automatiques. Est-ce que… Est-ce que tu as déjà été amoureux ? »

Le Sagittaire eut l'impression de se liquéfier sur place. Il ne répondit pas tout de suite, essayant d'abord de calmer les battements désordonnés dans sa poitrine.

« Je… J'étais jeune, quand je suis mort, tu sais… » lâcha-t-il pathétiquement, incapable de dire la vérité.

Comment l'aurait-il pu, alors que Saga était si près de lui ? Il esquissa un sourire qu'il espéra normal et réconfortant.

« Oui, c'est vrai, soupira son compagnon en fermant les yeux. Excuse-moi, c'était une question stupide.

-Tu es donc amoureux ? » tenta Aioros, voulant détourner la conversation d'une éventuelle série d'excuses qui n'avaient plus lieu d'être.

Le Gémeaux prit une gorgée de café, cherchant ses mots. Il attendit en apparence patiemment, alors qu'il brûlait littéralement d'envie d'entendre la suite. L'espoir s'était niché dans le creux de son ventre, faisant faire des bonds douloureux à son cœur qui battait beaucoup trop vite. Se pourrait-il que Saga partage ses sentiments ? Il ne devait pas se faire d'illusions, pourtant… Pourtant…

« Je crois, oui, finit par répondre Saga d'une voix incertaine.

-Tu crois ? répéta Aioros d'une voix apaisante. Qu'est-ce qui te fait douter ?

-J'ai été ignoble avec lui, un véritable monstre… » murmura-t-il en baissant les yeux.

Le Sagittaire lui frotta doucement le dos, tentant de lui apporter un peu de réconfort face à la détresse qui menaçait de percer une nouvelle fois.

« Tu as suffisamment expié pour ça, je pense, lâcha-t-il. C'est à toi de te pardonner, à présent.

-Je l'ai tellement fait souffrir, rétorqua Saga d'une voix tremblante. Je ne devrais même pas oser ressentir ce genre d'émotions pour lui.

-Dis pas n'importe quoi ! s'offusqua Aioros. Tu as le droit d'être amoureux comme n'importe qui d'autre ! »

Le Gémeaux eut un petit rire, relevant les yeux vers lui. Ils se sourirent, avant que l'aîné reprenne :

« Je t'admire, tu sais. Pour ton optimisme et ta sincérité. »

Le Sagittaire détourna brièvement le regard, mal à l'aise. Optimiste, sans doute beaucoup trop. Quant à sa sincérité… S'il l'était vraiment, il avouerait tout à l'homme que son cœur avait choisi sans lui laisser le choix.

« Et moi pour ta grandeur d'âme et la force dont tu fais preuve depuis toujours, répondit-il. Si tu l'aimes, ne devrais-tu pas simplement… Le lui dire ? » ajouta-t-il après une hésitation.

Peut-être que Saga oserait faire le pas qu'il n'avait lui-même pas franchi ? Le Gémeaux passa une main sur son visage, l'air complètement désemparé.

« Lui dire..., répéta-t-il lentement. C'est ce qui serait le mieux à faire, mais… Et s'il ne m'avait pas pardonné ? »

Aioros se mordit la lèvre, la gorge serrée.

« Tu sais, Saga, si j'ai pu te pardonner, tout le monde le peut. »

Il rit doucement, avant de souffler :

« Oui, mais toi tu es exceptionnel, Aio. »

Par les dieux, que son cœur faisait mal dans sa poitrine. Il sourit à Saga, avant de reprendre :

« Dis-lui. Tu ne t'en sentiras que mieux après.

-Et s'il ne partageait pas mes sentiments ?

-Et si jamais il les partage ? » rétorqua le Sagittaire.

Le Gémeaux sembla hésiter encore un instant, avant de terminer son café rapidement, un nouvel éclat dans le regard.

« D'accord, tu as gagné. Je vais aller parler à Shura. »

Aioros cligna bêtement des paupières, avant de murmurer :

« … Shura ? »

Saga hocha la tête, les mains serrées autour de sa tasse encore chaude sous ses doigts.

« Je n'y aurais jamais pensé, tu sais. Surtout avec notre différence d'âge. Mais pendant ces treize ans, bizarrement… C'est sa présence qui m'apaisait le plus. Je le gardais plus longtemps pour ses rapports de mission, j'aimais simplement écouter sa voix, c'était… Je me sentais bien avec lui. A cause de son calme, de sa droiture, je ne sais pas exactement mais… L'autre me laissait tranquille. J'ai mis du temps à comprendre pourquoi, j'ai eu peur qu'il s'en serve pour lui faire du mal et c'est ce qui est arrivé. »

La voix du Gémeaux flancha légèrement, puis il reprit :

« Jamais il ne me l'a reproché. Jamais il ne s'est rebellé, alors qu'il aurait pu. Il a toujours eu confiance en moi, alors que je ne le méritais pas. Il a même accepté de me suivre aux côtés de Shion en tant que spectres, avec Aphrodite, Deathmask et Camus. Et même depuis que nous sommes revenus à la vie tous ensembles, ici au Sanctuaire, il est resté le même. »

Le Sagittaire l'écouta sans un mot, le visage figé dans une expression de totale neutralité. La seule chose dont il avait vraiment conscience était le froid brutal qui le faisait presque trembler.

« Tu désapprouves ? » murmura Saga alors qu'il restait silencieux.

Aioros releva les yeux vers lui, et sourit un peu maladroitement. Il serra sa propre tasse de café fort entre ses doigts avant de lâcher :

« Eh bien, disons que je ne m'y attendais pas. Mais après tout, il s'en est passé des choses, en treize ans… »

Il reporta son attention sur sa boisson, pour ne pas croiser le regard de son ami. Il avait mal au ventre. Mal au cœur. Mal partout.

« Mais non, je ne désapprouve pas. Si tu l'aimes, eh bien va lui dire. Il habite à côté. »

Saga sourit, visiblement rassuré d'avoir le soutien du Sagittaire. Il se leva, serrant doucement l'épaule d'Aioros.

« Merci de m'avoir écouté, en tout cas. Tu as toujours été là pour moi, toi aussi… Ça compte beaucoup pour moi.

-… Toujours » murmura le brun.

Le Gémeaux eut un nouveau sourire, les yeux brillants, avant de se détourner pour quitter le neuvième temple et grimper les marches quatre à quatre.

Assis derrière sa table, Aioros ferma les yeux. Il resta sans bouger un long moment, attendant malgré lui le retour de Saga. Quand il finit par comprendre qu'il ne redescendrait pas, il quitta son siège, vida sa tasse dans l'évier comme un automate, puis alla se cloitrer dans sa chambre, le regard vague.

Il avait l'impression qu'on lui avait volé toute son énergie, d'un seul coup. Il était vide. Juste… vide.

Il s'enfouit sous sa couette, les yeux simplement ouverts dans le noir de la pièce. Il avait beau être replié sur lui-même, au chaud, il était gelé.

-/-

Le soleil n'avait pas encore commencé à baisser que Saga se leva, après avoir refermé le dossier avec un petit soupir.

« J'ai fini pour aujourd'hui.

-Je reste encore un peu » répondit Aioros sans lever les yeux de ses papiers.

Le Gémeaux hocha lentement la tête, se préparant à quitter le treizième temple. Il le gratifia d'un petit sourire et d'un signe de la main.

« Passe une bonne soirée.

-… Toi aussi. »

Il se redressa pour voir son camarade partir, avant de reporter son attention sur son travail.

Cela faisait déjà presque deux mois que Saga partait plus tôt le soir pour retrouver Shura. Généralement, ils allaient au troisième temple : Deathmask ayant quasiment établi ses quartiers au douzième et Aldébaran étant un voisin discret, ils n'étaient pas embarrassés par des regards curieux ou des commérages. Mais quand ils restaient chez le Capricorne, Aioros avait du mal à quitter le bureau que Shion avait aménagé pour lui et Saga lorsqu'ils s'occupaient des papiers au treizième. C'était terriblement égoïste et mauvais de sa part, il en avait bien conscience, mais devoir passer près d'eux alors qu'ils étaient dans les bras l'un de l'autre le tuait à petit feu. Il restait alors suffisamment tard pour qu'ils soient en train de dormir, et traversait le temple de Shura le plus vite possible pour rentrer chez lui. Pour la même raison, il partait tôt de sa maison pour se rendre au travail et ainsi passer inaperçu aux yeux du couple.

Il aurait dû être heureux pour Saga. L'Espagnol lui rendait ses sentiments, ils s'entendaient bien et étaient entièrement satisfaits de la présence de l'autre. Mais il n'y arrivait pas. C'était trop lui demander, bien au-dessus de ses forces. Alors il faisait semblant, souriait à Saga quand celui-ci venait le rejoindre au bureau et qu'il rayonnait d'une joie qu'il ne lui avait encore jamais connue. Il souriait quand il ne pouvait pas les éviter et qu'il les croisait, collés l'un à l'autre sur le canapé d'un des deux temples où ils étaient. Il souriait quand, lors de la soirée barbecue qui avait lieu tous les quinze jours, on disait qu'ils formaient un très beau couple, bien qu'improbable. Il souriait quand, au détour d'une conversation bon enfant, quelqu'un lui jetait un « T'as l'air fatigué, ça va ? ». Il souriait, restant généralement silencieux, ou répondant alors un « Ça va » dit d'un ton visiblement assez convainquant. Seul Aiolia semblait percevoir que ce n'était pas totalement vrai, mais son cadet ne disait rien, se contentant de lui jeter des coups d'œil sceptiques ou inquiets.

Et quand il rentrait enfin chez lui et qu'il n'y avait plus personne à rassurer (ou à berner, selon le point de vue), il pouvait laisser à peu près libre cours à ses émotions, affichant un visage plus sombre que celui qu'il montrait aux autres. Parfois, son ventre était tellement serré qu'il n'arrivait à rien avaler d'autre que du chocolat chaud. Mais au moins la boisson lui remontait le moral le temps de vider sa tasse, c'était toujours bon à prendre.

Il se rendait bien compte qu'il ne devrait pas réagir de cette façon-là. C'était puéril, et stupide. Mais là encore, il lui semblait que c'était au-dessus de ses forces. Comme si une partie de lui était réduite en cendres, morte, et que la pourriture était en train de contaminer tout le reste, petit à petit… Le pire étant qu'il n'était même pas certain de vouloir empêcher ça. L'empêcher, ce serait d'une certaine façon renoncer à Saga, et malgré lui, il s'y refusait. Il chérissait trop les brefs moments passés ensemble, même s'il ne s'agissait que de papiers à remplir. Mais dans ces moments-là, les sourires qu'il lui adressait n'étaient vraiment que pour lui, et personne d'autre.

« Aio ? »

Il releva brusquement la tête, pris par surprise. Il cligna bêtement des yeux, dévisageant son petit frère qui le regardait fixement.

« Pardon, je ne t'ai pas entendu venir » s'excusa-t-il en souriant.

Aiolia s'approcha, les sourcils légèrement froncés dans une expression soucieuse.

« Tout va bien ? s'inquiéta aussitôt le Sagittaire.

-Pour moi, oui. Mais toi ? Qu'est-ce que tu fais encore ici, à cette heure ? Ça doit bien faire une heure que je t'attendais à ton temple. »

Mortifié, Aioros referma le dossier sur lequel il travaillait.

« On avait prévu quelque chose ? Désolé, Lia, j'ai oublié, je…

-Non, le coupa son cadet en secouant sa tête. Non, on avait rien prévu. J'avais juste envie de passer un peu de temps avec toi, et comme j'ai vu passer Saga et Shura en arrivant chez toi, je pensais que tu allais rentrer rapidement. »

Ils restèrent silencieux un bref instant, avant qu'Aioros ne se lève, toujours un sourire plaqué aux lèvres.

« Oui, je voulais finir ça avant de partir.

-Comme souvent, pas vrai ? asséna Aiolia en capturant son regard. Qu'est-ce qui t'arrive ? Qu'est-ce qui ne va pas ? »

Les deux frères se dévisagèrent, avant que l'aîné ne détourne les yeux en premier.

« Rien. Tout va bien.

-Dis-le moi en face, alors. Répète-le en me regardant dans les yeux, si c'est vrai. »

Aioros serra les dents. Il se leva, le regard dur, tandis qu'il se tournait vers Aiolia.

« Je vais bien.

-Menteur.

-Ça suffit, soupira-t-il en fermant les paupières un instant. Je vais rentrer, puisque c'est ce qui t'inquiète tant.

-Mais je m'en fiche que tu restes tard bosser ! protesta Aiolia en le forçant à se tourner vers lui. Ce qui m'inquiète c'est la raison pour laquelle tu fais ça ! C'est à cause de Saga et Shura, c'est ça ? »

Aioros frémit, figé sur place comme si son cadet venait de le frapper en plein visage. Pire, il l'avait touché en plein cœur. Il déglutit, incapable de savoir comment réagir, avant de finalement laisser ses épaules s'affaisser et de murmurer :

« Ça se voit tant que ça ? »

Aiolia le regarda sans un mot, avant de combler la distance entre eux et de le serrer contre lui. Aioros resta crispé un instant, avant de finalement se détendre un peu, posant son front contre l'épaule de son cadet. Il avait le cœur qui battait de façon bizarre.

« Si ça peut te rassurer, non, murmura Aiolia en lui frottant maladroitement le dos. C'est pas flagrant. Mais depuis quelques temps tu as l'air malheureux. En tout cas, moi je le vois. »

Il ferma les yeux. Il n'aurait pas dû. Il aurait mieux fait de garder ça pour lui. Il était en train d'inquiéter son frère inutilement. Il était stupide. Tellement stupide.

« T'en fais donc pas, murmura-t-il. Ça ira mieux bientôt. »

Il releva la tête, souriant à Aiolia, même si son expression était plus mélancolique que le visage qu'il offrait aux autres ces dernières semaines. Sceptique, son cadet fit la moue.

« Hm, si tu le dis. Fais attention à toi, d'accord ? ajouta-t-il en s'écartant à regret. Je veux pas te perdre… »

Il n'acheva pas sa phrase. Encore une fois. Je ne veux pas te perdre encore une fois. Aioros prit une brève inspiration, secouant la tête.

« Tu n'as pas à te soucier de ça, crois-moi. Ça va aller. »

Il se prépara à quitter le bureau, Aiolia sur ses talons.

« Tu voulais donc qu'on passe la soirée ensemble ?

-Tu sais bien que je sais pas préparer des chocolats chauds convenables » rétorqua son cadet.

C'était la plus adorable des excuses pour rester un peu avec lui, le Sagittaire en était bien conscient. Mais c'était peut-être exactement ce dont il avait besoin, ce soir.

-/-

Lorsque Saga entra dans le bureau ce matin-là, il sut aussitôt que quelque chose n'allait pas. Rien ne transparaissait pourtant de l'attitude du Gémeaux ou de sa voix, mais Aioros savait.

« Qu'est-ce qui se passe ? » souffla-t-il à son ami en se rapprochant de lui.

Il vit les mains de Saga se mettre à trembler légèrement. Son cœur se mit à battre à tout rompre dans sa poitrine, mort d'inquiétude, et il passa un bras autour de ses épaules.

« Hey, Saga ?

-Kanon s'en va. »

Il cligna des yeux, surpris. Kanon partait du Sanctuaire ? Pourtant il avait eu l'air de s'intégrer, et avait fini par trouver sa place au sein des Chevaliers d'Athéna…

« Définitivement ? demanda-t-il doucement.

-Non, juste pour un moment, mais… Ça me terrorise. Et s'il ne revenait pas ? Si finalement vivre ici ne lui convenait pas ? »

Aioros lui frotta le dos, cherchant à l'apaiser.

« Il reviendra, et je suis sûr que tu le sais aussi bien que moi. Et si vivre au Sanctuaire ne lui correspondait pas, il te l'aurait dit, non ? Il ne partira pas comme un voleur. C'est ton frère. »

Saga serra les poings sur la table et le brun le sentit frissonner sous ses doigts. Son ventre se tordit, alors qu'il continuait d'essayer de le rassurer. Il était désemparé face à la peur de son ami. Comment le réconforter ? Quels mots dire ? Il se sentit tristement inutile et incapable.

« Tu as raison, souffla finalement le Gémeaux après un silence pesant. Il reviendra.

-Tu vois ? » sourit Aioros.

Son estomac se noua un peu plus lorsqu'il croisa le regard soulagé de Saga, mais son cœur fit une embardée lorsqu'il le vit sourire.

« Qu'est-ce que je ferais sans toi, hein ? murmura Saga avec un rire embarrassé.

-Pas grand-chose, s'amusa le Sagittaire, la poitrine plus légère. Ça va mieux ?

-Oui, merci. »

Le Gémeaux posa sa main sur celle de son camarade, serrant brièvement ses doigts.

« Ne change pas. Ne change jamais. »

Cette fois, le sourire d'Aioros était vrai.

« Je vais tout faire pour, s'amusa-t-il.

-Tant mieux, on a besoin de toi tel que tu es » conclut Saga avant de se remettre au travail.

Le brun l'observa un instant, avant de retourner à son propre bureau, perdant progressivement son sourire. Besoin de lui… ? Vraiment ? Saga avait-il réellement besoin de lui, alors qu'il avait déjà Shura dans sa vie ?

« Est-ce que je peux te laisser ça ? demanda le Gémeaux en lui tendant des papiers.

-… Pas de problème. »

Il récupéra la liasse, l'ajoutant à sa pile de choses à faire. Besoin de lui, hein. Bien sûr. Il serra les dents en réprimant un soupir, essayant de se plonger dans ses dossiers. Son écriture était plus hachée, ses doigts légèrement tremblants. Lorsque Saga quitta son bureau pour partir déjeuner avec Shura, il resta sur sa chaise, fermant les yeux pour réprimer un frisson désagréable. C'était lui qui avait rassuré son ami, pas le Capricorne. Pourtant c'était lui qui allait manger seul, si jamais il arrivait à se nourrir. Il regarda les papiers, se décidant à les continuer. Il n'avait pas faim. Et si la seule chose qu'il pouvait faire était de décharger un peu Saga de son travail, soit. Il ferait avec. De cette façon, il n'était pas totalement inutile.

Quand le Gémeaux revint deux heures plus tard, revêtu d'une tunique d'entraînement, il comprit aussitôt qu'il ne le verrait pas du restant de la journée.

« On va superviser les apprentis aujourd'hui, confirma Saga avec un mince sourire. Tu veux venir ? »

Venir aux arènes ? Son premier réflexe aurait été de dire oui sans aucune hésitation. Prendre l'air lui ferait un bien fou, bouger aussi, et voir du monde encore plus. Mais à la place, il secoua lentement la tête.

« Non merci, je viendrai peut-être plus tard. »

Une façon comme une autre de dire qu'il ne viendra pas. Son compagnon lui jeta un regard surpris, s'attendant visiblement à une réponse positive.

« D'accord, à tout à l'heure alors. »

Sur un petit signe de la main, il s'éloigna, laissant Aioros dans le silence le plus complet. Il passa son après-midi à rédiger les rapports, ranger les dossiers, faire un peu de tri aussi. Il s'accorda quelques pauses pour aller se préparer du thé, puisque boire du café avait commencé à le dégoûter. Heureusement, Shion leur avait fait installer une bouilloire et des tasses, avec une boîte contenant tout un assortiment de tisanes et diverses infusions. Il n'aurait jamais cru, même à leur retour, qu'il apprécierait autant de boire de la verveine citronnée, et peu lui importait le petit sourire de Saga qui se moquait gentiment de lui.

Lorsque le soir commença à tomber, il se décida à partir, profitant de la fraîcheur de la nuit tandis qu'il descendait les marches jusqu'à chez lui. Depuis la fois où Aiolia était venu le chercher au treizième temple, il veillait à ne plus l'inquiéter et à rentrer en temps et en heure. Son cadet ignorait évidemment qu'il ramenait parfois des dossiers à ses appartements, mais ce qu'Aiolia ignorait ne pouvait pas lui faire de mal. D'autant plus que Shion, voyant son zèle, lui avait demandé s'il était d'accord pour s'occuper d'autres types de papiers en plus de ceux qu'il gérait déjà. Il n'avait pas pu refuser.

Il ne se rappelait pas avoir eu autant besoin de se sentir aussi… Indispensable, quand il était plus jeune. Voir les visages satisfaits de son mentor et de son ami réussissait à l'apaiser un peu. Alors il continuait. Tout simplement. Quitte à laisser s'échapper une ou deux heures de sommeil chaque nuit. Au moins il avait le vague sentiment d'être utile.

-/-

Saga était malade. Comment il avait fait pour attraper une bronchite aiguë qui le clouait au lit, alors qu'il était Chevalier d'Or, était une question à laquelle même Shion avait du mal à répondre. Mais les faits étaient là : il était fiévreux, toussait à s'en arracher les poumons et avait une respiration sifflante qui lui avait brisé le cœur lorsqu'il était venu lui rendre visite.

« Pardon, je te laisse faire tout le boulot seul » avait soufflé le Gémeaux quand il avait vu Aioros près de lui.

Le Sagittaire avait secoué la tête, un mince sourire aux lèvres.

« T'en fais pas. Contente-toi de guérir, d'accord ?

-Ça ira, Shura s'occupe bien de moi. »

Il avait croisé le regard du Capricorne, hochant la tête, son sourire toujours aux lèvres.

« Je n'en doute pas. Repose-toi bien, et bon courage à toi pour t'occuper de ton malade, Shura. »

Il était sorti avec un petit signe de la main, avant de remonter jusqu'au treizième temple, chaque pas un peu plus lourd que le précédent. Oui, il ne doutait pas que l'Espagnol prendrait soin de lui. Il était bien trop discipliné pour laisser Saga faire n'importe quoi, et il était sûr que le jeune homme serait tout à fait capable de le soigner correctement. Le Gémeaux se remettrait vite.

Arrivé dans la salle où se trouvaient leur bureau, à lui et Saga, il eut la surprise de voir Shion, qui l'attendait visiblement.

« Grand Pope ? le salua-t-il avec curiosité.

-Bonjour Aioros, sourit l'Atlante. Je venais aux nouvelles.

-Les dossiers avancent bien. Ne vous inquiétez pas pour l'absence de Saga, je m'occuperai de ses papiers aussi jusqu'à ce qu'il soit guéri.

-Justement, je voulais te proposer de prendre ta journée. »

Le Sagittaire cligna des yeux, pris de court.

« Comment ça ?

-Prendre ta journée, Aioros, s'amusa Shion en croisant les bras sur sa poitrine. Tu as l'air un peu fatigué, et puisque Saga n'est pas là aujourd'hui, profites-en pour te reposer toi aussi. »

Face à l'apparent désarroi du jeune homme, il s'avança et lui tapota l'épaule gentiment.

« Rentre chez toi, d'accord ? Prends du temps pour toi, ou avec Aiolia, veux-tu ?

-Je… Très bien » capitula Aioros en voyant le coup d'œil que Shion lui lança lorsqu'il tenta de protester.

L'Atlante afficha un sourire satisfait.

« Parfait. A demain, dans ce cas » conclut-il en le conduisant peu subtilement vers la sortie du temple.

Le Sagittaire redescendit les marches vers son temple, un peu hébété. Prendre du temps pour lui ? Mais pourquoi ? Et surtout, comment ? Il sonda rapidement le Sanctuaire à la recherche de son frère, mais visiblement Aiolia avait déjà de la compagnie. Il hésita sur la conduite à tenir, perplexe, se dirigeant dans sa cuisine pour se préparer une boisson chaude. Quand celle-ci fut prête, il alla se calfeutrer sur son canapé, les genoux repliés contre sa poitrine tandis qu'il serrait la tasse de chocolat entre ses mains. Il resta assis sans bouger un moment, le regard vague. Il aurait dû prendre des dossiers en douce, pour s'occuper un peu. Il n'avait strictement rien à faire, autrement, à part rester assis.

A moins qu'il ne se décide à sortir, puisque Shion lui avait expressément demandé de profiter de sa journée de libre ? Depuis combien de temps est-ce qu'il n'avait pas été se promener aux alentours du Sanctuaire, ou même à la plage ? L'idée de sentir à nouveau le vent contre son visage le fit se redresser. Il avala son chocolat rapidement, une énergie nouvelle et insoupçonnée le submergeant d'un seul coup. Il abandonna sa tasse sur la table basse et courut presque dans sa chambre pour aller récupérer un foulard. Chevalier d'Or ou pas, il n'avait pas envie d'être malade lui aussi.

Il quitta le Sanctuaire sans s'attarder. Il passa le troisième temple plus doucement, vérifiant rapidement que Saga allait bien. Shura était bien à ses côtés, et le Gémeaux semblait dormir. Il s'éclipsa, avant d'avoir envie de faire demi-tour et de retourner se cloîtrer chez lui. Il prit soin d'éviter les quelques personnes qu'il aurait pu croiser pour se diriger vers la plage.

Quitter l'enceinte du Sanctuaire fut comme se débarrasser d'un vêtement trop lourd. Il sentit son souffle changer, comme si l'air était soudain plus pur, moins nocif pour lui. Les bourrasques qui secouaient ses cheveux semblèrent le revigorer, et il sentit même un semblant de sourire étirer ses lèvres.

Pour la première fois depuis des semaines, il eut l'impression de se sentir un peu vivant.

Pris d'une inspiration, il retira ses chaussures pour savourer la sensation du sable sous ses pieds nus. De petits débris de coquillages, battus par les vagues et les rafales, lui entaillèrent légèrement la peau, mais peu lui importait. Il s'avança vers la mer, enfouissant ses orteils dans le sable humide, avant de se mettre à marcher lentement au rythme de l'océan qui s'avançait sur la plage, puis se retirait vers le large, avant de revenir de plus belle.

Il marcha un long moment, l'esprit vide de la moindre pensée. Mais plutôt que d'être enfermé dans un silence lourd et triste, c'était un silence tranquille, presque apaisant.

Il finit par reprendre la route qui menait au Sanctuaire, toujours pieds nus. Les cailloux pointus sous ses plantes ne le dérangeaient pas, et il tenait ses chaussures du bout des doigts, comme si cela n'avait pas la moindre importance.

Il reviendrait. Il s'en fit la promesse.