Coucou!
Ceux qui me connaissent savent combien je suis nerveuse à l'idée de poster ce premier chapitre. Après des années d'hésitations, de brouillons griffonnés, de feuilles abandonnées, je me lance à 100% dans ma première fanfic sur Tales of Symphonia. Je suis une adepte de l'effet papillon ainsi que des longues intrigues, ce qui me permets d'écrire sur chaque personnage, de lui donner une place dans l'histoire. Car oui, si j'aime beaucoup les héros principaux, j'avoue avoir également de l'intérêt pour ceux qui sont moins mis en lumière par le scénario (mes petits Cardinaux ^^).
Je remercie Gaianee, Oceanna ainsi que D. pour leurs conseils si avisés! J'ai une grosse tendance à partir complètement dans le WTF ou à ne pas bien cerner le caractère de certains personnages, et grâce à eux j'ai l'impression d'être mieux cadrée et de davantage les comprendre! Merci! Vous êtes top!
"Un dieu, n'est un dieu que s'il est adoré autant qu'il est craint." Citation de mon prof de philo du droit que je trouve non seulement vraie, mais également intéressante à appliquer à la religion de Martel. Si la Déesse est le pendant doux de ce culte, les Séraphins pourraient être vus comme des Anges davantage... moralisateurs/vengeurs? A voir. Hahaha.
Molti Bacci a tutti!
Un autre bruit assourdissant se fit entendre jusqu'aux bas fonds de la capitale de Sylvarant. Alors qu'il courrait dans la direction du palais du roi, un jeune homme vêtu d'une chemise de coton verte pale et d'une paire de pantalon sombre, s'arrêta d'un coup et se retourna, inquiet, vers l'édifice religieux. Ses yeux bleus s'écarquillèrent sous l'horreur de sa vision: des vitraux brisés par les explosions, de la fumée noire s'en échappait. Ils avaient osé! Ces ordures avaient osé violer l'enceinte d'un lieu sacré, où la Déesse était vénérée. Fou de rage, il reprit sa course mais, au lieu de continuer droit devant lui pour arriver sur la Grande Place où se trouvait l'entrée du château, il s'engouffra dans une ruelle étroite qui lui permettrait d'arriver rapidement devant le bâtiment religieux. Quelques secondes après sa venue, il sentit quelque chose lui effleurer le crâne chevelu avant que la chose en question ne se jette contre les murs branlants de la cathédrale, provoquant une nouvelle explosion.
«Des boules de feu!» pensa-t-il, en rage. Ces êtres hybrides utilisaient leurs pouvoirs pour attaquer la capitale de la Dynastie de Sylvarant. Les cris de terreur des habitants de la ville sortirent le garçon de ses pensées. Son sang ne fit qu'un tour. Il s'engouffra dans les débris, dans la fumée afin de porter secours aux âmes qui s'étaient réfugiées dans l'église, prétextant le droit d'asile. Rapidement, et malgré sa musculature peu développée, il parvint à dégager la porte d'entrée de l'édifice, auparavant bloquée par les tuiles tombées lors d'une explosion. Aussitôt qu'il l'eut ouverte, l'air rendu irrespirable par les fumées, vint lui entraver les voies respiratoires. Il toussa alors que de nombreux enfants, profitant de l'ouverture faite par ce dernier, se ruèrent dans la rue défoncée en courant, cherchant à fuir à tout prix cet enfer. Alors qu'il allait revenir sur ses pas, des appels à l'aide le fit avancer dans la cathédrale. Plus il avançait, plus l'air devenait sec et ses vêtements lui collaient à la peau. Et pour cause, dans la nef, un incendie important s'était déclaré suite aux attaques magiques, dévorant les riches tapisseries et les trésors sacrés de l'Eglise. Plus il avançait vers le confessionnal, plus la voix se faisait persistante. Il tiqua un instant. Malgré les fumées, il crut voir une silhouette familière, couchée sur le ventre, écrasée par une statue renversée lors de l'attaque. Il se précipita aux cotés de la victime afin de l'aider à se dégager.
«Dorriant... C'est toi?» Murmura-t-elle en papillonnant des paupières afin de débarrasser ses yeux verts des poussières qui pleuvaient dans la pièce.
«Laureline, tiens bon! Ne t'inquiète pas! Je vais te sortir de là!» Lui lança-t-il alors qu'il poussait les morceaux de marbre blanc avec toute la force dont il était capable.
«M-Mes jambes! Je ne les sens plus! D-Dorriant!»
Il s'arrêta un instant, reprenant son souffle. Il fixa son amie avant de se redresser, de se retourner et d'appeler du renfort, se rendant compte que seul il ne parviendrait pas à la dégager assez rapidement pour la sauver des flammes. Il sentit le noeud qu'il avait dans l'estomac se desserrer lorsque, quelques instants plus tard, il aperçut un membre de la Garde Royale s'engager dans le bâtiment. Il guida le nouvel arrivant vers son amie. A deux, ils purent légèrement déplacer le buste de la statue, en tout cas suffisamment pour que la jeune fille puisse ramper et ainsi se libérer. Il ne fallait pas perdre un instant. Le feu avait dévoré la nef et se rapprochait dangereusement du trio. Aussi, sans prendre de gant, le garde souleva la demoiselle comme un sac de pommes de terre, la hissa sur son épaule, l'y maintint et prit ses jambes à son cou. Une fois à l'extérieur, ils allongèrent la jeune fille dans la ruelle, lui permettant de reprendre son souffle. Debout, Dorriant observait avec appréhension les nombreuses plaies qui se trouvaient sur le corps de cette dernière et surtout ses jambes, qu'il devinait en miettes. Ce corps blessé fut secoué par sa toux.
«Qu'est-ce qui s'est passé?» finit-elle par demander, outre passant la douleur qu'elle éprouvait.
Le jeune homme s'apprêtait à répondre mais au même moment, de nouvelles boules de feu furent lancées contre des habitations voisines. Il jura un instant et reprit sa course vers le palais royal. Toute sa route fut remplie d'embuches, la capitale ayant été détruite lors de cet assaut. Au moment même où il montait les marches, il se retourna et vit cette inquiétante épaisse fumée noir s'élever dans le ciel, au-dessus des maisons. Il devina sans peine que les quartiers commerçants et populaires avaient été consumés par les flammes. Le coeur lourd, il espéra seulement que leurs habitants avaient pu se regrouper dans le port et ainsi, se mettre à l'abri des flammes et des tirs. C'est en courant qu'il entra dans la pièce centrale de la demeure, où son père, assis à une table en bois, se tenait la tête entre les mains.
«Père! Les émissaires d'Izoold et de Luin avaient raison!»
Le vieil homme ne bougea pas, se contentant de rester prostré sur sa chaise, la respiration lourde. Inquiet, le jeune homme s'approcha et vu, étalées négligemment sur la table, plusieurs cartes rayées, marquées de rouge afin de retranscrire les avancées de l'ennemi. Cinq flèches traversaient Sylvarant de parts en parts, se dirigeant vers leur cité. Triste réalité. En quelques mois seulement, les deux grandes villes du pays, Triet et Asgard étaient tombées, seule la capitale, Palmacosta, demeurait libre... Enfin, plus pour longtemps... Terrifié par ce constat, l'adolescent n'entendit pas la porte s'ouvrir à nouveau pour laisser entrer un homme blond, vêtu d'une chasuble blanche brodée de fils d'or, tenant dans sa main gauche une mitre d'or et dans la droite, un petit livre vert et rouge dont les reliures reflétaient le peu de lumière de la pièce, tant elles étaient chargées en métaux précieux. C'est en entendant le bruit du vêtement, glissant sur le parquet que Dorriant releva sa tête et fixa le nouvel arrivant d'un air dubitatif, révélant à qui ferait assez attention, son inimitié pour le personnage. Il s'agissait de l'Archevêque de la capitale, un être que le jeune homme avait en horreur. Le blanc de son habit ne faisait que rendre la peau de l'homme d'Eglise encore plus blafarde, mettant l'accent sur ses petits yeux rougeâtres et perçants. Sa silhouette filiforme et haute achevait l'aura altière qui émanait de l'individu. Décidément, si Dorriant était bien incapable de dire pourquoi, ce clerc le mettait très mal à l'aise et surtout, le dégoutait. Son père, lui, se redressa légèrement et fixa l'Archevêque avec angoisse, craignant qu'il ne soit un émissaire de mauvaises nouvelles.
«Mon cher Dorrist, la cathédrale vient de s'effondrer. Face aux attaques des Démons, une église vidée des prières de ses Fidèles ne pouvait tenir...» lâcha-t-il d'une voix sinistrement rauque. Dorriant le fixait, méfiant, serrant les poings fermement. Il n'aimait pas le voir ainsi faire de longs tours autour de son père. Son oeil acéré lui semblait pareil à celui du rapace qui, trop joyeux d'avoir découvert un cadavre encore chaud, fend les airs pour venir le picorer. Sentant le regard courroucé du jeune homme peser sur lui, le prêtre redressa légèrement le menton et se plaça de manière à faire face à l'impertinent.
«C'est le Péché qui a conduit ici les émissaires du Démon...» siffla-t-il entre ses dents aiguisées d'un air affligé par la situation. Le visage du garçon se tendit davantage. Il lui semblait évident que le prêtre n'était nullement affligé. D'aussi loin qu'il se souvenait, il ne l'avait jamais supporté, l'ayant toujours soupçonné de rechercher davantage la richesse et l'influence que le salut des âmes des citoyens. En effet, dans une monarchie de droit divin comme l'était celle de Sylvarant, le troisième poste hiérarchiquement le plus élevé - et non héréditaire - était celui de l'Archevêque de la capitale. Lorsque ce dernier avait été nommé à la tête de l'Eglise, le Culte avait déjà commencé à décliner, le royaume devenant de plus en plus séculaire -lui faisant perdre toujours plus d'influence-. Ses prédécesseurs avaient bien tenté de remettre leurs ouailles dans le chemin de la religion, de la croyance mais ils l'avaient fait avec douceur, en prônant des valeurs qui semblaient acceptables pour le jeune Prince comme le partage, le respect d'autrui, la dignité de la personne humaine, et non en menaçant du bûcher ou de taxes quiconque ne serait pas un bon croyant.
Dorriant s'avança d'un pas, bombant le torse. «Un Démon à quatre visages je suppose?!»
Le clerc leva un sourcil, agacé, tapotant sans relâche, du bout des doigts, la reliure de son livre saint. «Les Séraphins sont des êtres d'une profonde bonté, ils ont cherché à protéger votre peuple d'hérétiques mais il y a bien un stade où même cette générosité, cette bienveillance immense a trouvé une limite. Alors oui, peut-être que pour vous punir, vous et votre peuple, peut-être ont-ils souhaité vous donner une leçon.»
Le vieux souverain tiqua, se redressant légèrement afin de fixer l'homme d'église d'un air bouleversé. Oui, de ses yeux fatigués, le monarque quémandait l'absolution, cherchant de la pitié dans le regard de son interlocuteur. Ce dernier continuait de triturer la reliure avant de poser violemment un poing sur la table, se penchant sur le roi de sorte que seuls quelques millimètres ne les séparèrent. Il plongea ses prunelles rougeâtres dans celles du vieil homme, se rapprochant encore davantage.
«Vous avez cherché ce châtiment! C'est pour vous punir, vous et votre peuple d'impies que le Cruxis a laissé ces monstres se déchainer contre vous. La bonté des séraphins est infinie mais leurs forces faiblissent si le cœur de leurs fidèles ne leur est pas dévoué! Vous vous êtes détournés de l'Eglise, de la Religion.»
Le monarque étouffa un gémissement. Etant le chef de cette nation, il était responsable du salut des âmes de ses habitants devant la Déesse et ses Anges. Comment avait-il pu se fourvoyer à ce point en permettant la proclamation de ces libertés? Une avancée indéniable selon son conseiller Niss, une damnation selon l'Eglise. Pourtant, en soit, permettre à chacun la liberté de culte, d'expression, ne lui avait pas semblé contradictoire avec le prêche du culte. De ses vieilles mains tordues, il attrapa l'avant bras du prêtre, cherchant un appui, aussi faible soit-il, dans cette épreuve. Son interlocuteur se racla la gorge un instant avant de reprendre.
«Le Cruxis est votre ami. Dans sa bienveillance infinie, il ne veut que votre bien. Mais vous comprendrez qu'une amitié se vit à deux. Si votre ami se sent attaqué, méprisé, ignoré, il sera moins enclin à vous défendre lorsque vous serez agressé. Comprenez-vous ce que je tente de vous dire? Le Cruxis a voulu vous aider, a essayer de vous protéger mais cette sécularisation grandissante de la société, encouragée par les lois que vous avez promulguées, le blesse profondément. Le retour aux dogmes, aux enseignements de l'Eglise devrait rassurer les Anges quant à vos intentions et ils devraient donc être plus enclin à vous aider contre ces monstres qui sont aujourd'hui à nos portes.»
Le vieil homme hocha docilement la tête. O-Oui, il devait revenir dans le droit chemin, il devait présenter ses excuses à la Déesse et aux Séraphins. Il déglutit. Pourquoi donc avait-il écouté Niss?! S'il ne l'avait pas fait, la piété aurait demeuré vivante dans le coeur des habitants de son peuple et les êtres divins n'en auraient pas pris offense. Ils les auraient protégés de ce fléau.
«Remettez votre peuple dans le chemin de la pureté et les Anges vous accorderont à nouveau leur bénédiction.»
Dorriant demeurait passif devant cet échange comme s'il cherchait à s'en détacher le plus possible. Les nouvelles lois qui avaient accordé plus de libertés individuelles aux citoyens avaient reçu son approbation, c'était même lui qui avait milité, en dernier recours, auprès de son père sous les conseils de Niss quand le monarque hésitait encore à apposer le sceau royal. Le jeune homme se tendit davantage. Il n'avait jamais vraiment cru à cette Déesse endormie, à ce héros sacrifié, à ces Anges grands protecteurs des Humains. A vrai dire, s'il n'y avait jamais vraiment cru c'est parce que sa vie en était détachée. Grands protecteurs des Humains? Mais les protéger de quoi? Tout lui avait semblé être des superstitions, des contes qu'on raconte aux enfants pour qu'ils soient sages. Mange ta soupe sinon le Grand Cardinal viendra t'enlever pendant ton sommeil, lui avait dit une fois sa brave nourrice alors que l'infant faisait des caprices. Comment prendre au sérieux ce qui semble être des craintes d'un autre temps? De même, cette tour dont on disait qu'elle reliait la terre au ciel, qui pouvait croire à de telles histoires? Si on en croit la légende, un siècle après que Spiritua eut réussi à monter au Ciel - à supposer que cela soit vrai - elle aurait disparu, pouf! Envolée! Non mais sérieusement, qui pouvait croire à ce genre de contes, mis à part un enfant de quatre ans? Alors oui, tout comme la société, le jeune Prince s'était détaché de ces mythes et légendes, de ces dogmes de l'Eglise qui lui paraissaient être davantage des superstitions fondées sur quelques croyances farfelues. Il n'avait jamais pensé que la pénurie de mana puisse être liée de quelque façon que ce soit au Culte. Il avait simplement imaginé que comme toute chose, le mana n'était pas éternel et qu'il faudrait impérativement trouver une nouvelle d'énergie qui l'épuiserait moins ou un moyen quelconque d'en préserver le plus possible. Il eut un rictus en pensant à combien il avait été naïf.
«Il ne s'agit plus de savoir qui avait raison ou tort, Archevêque, il s'agit de repousser ces barbares! Ils ont déjà pénétré dans l'enceinte de la ville! Combien de temps allons-nous tenir?»
Au même moment, un sifflement leur vrilla les tympans. Une nouvelle explosion. Une nouvelle boule de feu, lancée à pleine vitesse venait de s'écraser contre un mur du palais, provoquant la chute de ce dernier. Le jeune homme se précipita contre une fenêtre mais la poussière qui s'élevait des gravas et la fumée issue des flammes qui dévoraient les habitations l'empêchaient de voir distinctement ce qu'il se passait. Sentant que le danger devenait imminent et estimant que sa mission était remplie, l'homme d'église se retira à pas lents afin de rejoindre un de ses clercs qui l'attendait, caché derrière une grande porte d'ébène.
«Son Excellence a-t-elle pu avertir Sa Majesté des conséquences de son impiété?» demanda-t-il d'une petite voix.
L'archevêque continua sa marche, sans accorder un regard à son serviteur. Lorsqu'il le devança de plusieurs pas, il s'arrêta, lui tournant toujours le dos.
« Tu n'aurais pas dû quitter ta tour Kralem. Tu sais combien j'ai horreur de t'avoir sur mes talons.»
Le suivant n'osa broncher, restant impassible, insensible aux brimades de son supérieur. Après tout n'y était-il pas accoutumé? Ses petits yeux clairs suivaient la silhouette de l'Archevêque d'un air d'abord las avant de s'animer d'une lueur presque moqueuse. Cependant, le clerc, sentant ce regard posé sur son dos, se retourna et lui afficha une mine des plus méprisantes.
«Baisse les yeux, Hybride. Seuls les Hommes ont le regard haut et droit.»
Il obéit, craignant une avalanche de coups. Un nœud se formait dans son estomac à l'évocation de cette possibilité. Il ne connaissait que trop bien la douleur causée par le choc de la lanière contre sa peau et la peine qui en résultait. Du bout de ses doigts fins, il tripota nerveusement l'étoffe de dentelle blanche brodée qui ornait le bout de ses longues manches, cherchant un moyen d'extérioriser son angoisse. Ainsi recroquevillé contre le mur froid nouvellement fissuré, le corps parcouru de petits tremblements, la tête baissée, il se sentait bien pitoyable. L'étreinte au fond de son ventre se desserra dès que les pas lourds de son supérieur s'éloignèrent. Il hésita un instant, posa un pied devant lui avant de reculer à nouveau contre le mur. Doucement, il croisa ses bras frêles sur son torse, cherchant du réconfort. Une nouvelle explosion vint éventrer une fenêtre toute proche. Après s'être terré pendant quelques secondes, il avança vers un morceau de verre aussi gros que son poing, qui était venu se planter dans le tapis désormais déchiré. Il y voyait des bribes de son reflet déformé, avec ses mèches blond platine, sa peau quasi-transparente, ses petits yeux vitreux d'une pâleur presque maladive, son corps de jeune adolescent frêle et efflanqué. Il eut un petit rire. Il était si chétif que son habit de clerc était bien trop grand pour lui; il flottait dedans. La vision était bien ridicule. D'un geste lent, presque mécanique, il saisit ce miroir improvisé. Au sein de sa paume, l'objet se mit à refléter la lumière sinistre des flammes qui dévoraient la cour intérieure du Palais. Nouveau sourire. Il resserra sa prise; le sentant s'y enfoncer, son sang collant couler de la plaie nouvellement ouverte. Il ferma le poing. La blessure s'était aggravée, son cœur pulsait dans sa paume alors qu'il écarta à nouveau ses doigts fins couverts de sang et de débris. Il contempla la semence vermeille, fasciné. Elle était à la fois si semblable et si différente de la leur. Au contraire de celle des Humains qui aurait glissé le long de sa main, le long de son poing, le long de son poignet, la sienne s'engluait autour de ses doigts, semblable à de la fange. «Oui, de la fange...» Il ferma les yeux, retint ses larmes, eut un sourire pale sur ses lèvres fines alors qu'il secouait lentement la tête. A quinze ans, il avait vendu son âme au Di... Aux Anges. Il soupira à nouveau, étouffant presque un sanglot. La situation aurait dû l'amuser, il aurait dû être comblé de joie alors qu'il manipulait ce sale type qui lui servait de maitre depuis des années, il aurait dû être apaisé par la revanche qu'il allait enfin obtenir. Enfin, oui enfin, il pourrait flâner dans les rues sans avoir à courber l'échine, sans avoir à être caché sous un voile noir, sans devoir honteusement dissimuler son existence à une société qui ne voulait pas le voir. Il avancerait le torse bombé, fier. Mais pour cela, pour cela, Lord Yggdrasill avait été formel, les Humains devaient recevoir la leçon qu'ils méritaient. «Ce sont eux qui seront à ramper par terre, à implorer un bout de pain lorsque la faim leur meurtrira le ventre, à recevoir des châtiments pour un oui ou pour un non, c'est eux qui baisseront la tête, honteux de leurs origines!» Alors pourquoi? Pourquoi ne pouvait-il pas se réjouir de la situation? De la fin de la tyrannie? Il referma les yeux. Un parfum sembla lui parvenir, titillant ses narines, accompagné par les éclats d'une voix aigüe. Il la revoyait chantonner dans l'église pendant qu'elle effectuait son office. Il revoyait parfaitement ses boucles rousses, onduler lascivement alors qu'elle allumait les cierges. Combien de fois l'avait-il observer de la sorte, caché dans l'ombre de l'orgue qui dominait la cathédrale depuis le premier étage? Il avait croisé ses prunelles vertes une fois, une seule. Des yeux verts à se damner. Est-ce que ces beaux yeux allaient regarder le sol dorénavant? Est-ce qu'elle pourrait toujours agir de manière aussi légère lorsque ce serait elle qui sera à terre? Est-ce que c'est sur son beau visage que les crachats se poseront désormais? Etait-ce cela qu'il souhaitait? La gorge du métissé se serra. Pouvait-il laisser une fille aussi pieuse être écrasée, mise à genoux comme un animal qu'on dresse? Il rouvrit les yeux puis reprit sa course d'un pas déterminé. De toute façon cette fille était condamnée. Elle dont la vie était si fragile qu'elle lui semblait être celle d'un papillon, comment sa mort pourrait affecter un être qui a plusieurs centaines d'années à vivre? C'est bien parce que leur vie était éphémère que les Humains devaient être à genoux. Ils n'étaient que des imbéciles qui, pendant trop longtemps, s'étaient pris pour les maîtres du jeu alors qu'ils n'étaient que des pions. Zugzwan! Et comme les autres pions que l'on sacrifie en début de partie, cette humaine n'avait que peu d'importance voire aucune. Lorsqu'il enjoignit le pas de son «maitre», le jeune clerc se promit de terminer sa mission, de continuer à l'influencer, de continuer à prêcher une interprétation toujours plus stricte des textes religieux. Dans peu de temps, les Désians auraient pris la capitale du royaume, celui-ci serait alors anéanti et, le monde serait réorganisé à leur façon.
O.O.O.O
«Et donc i peu près six cent ans, les Désians ont assiégé la capitale et en à peine quelques heures, la cité de Palmacosta fut réduite en cendres. Le roi Dorrist, contraint de capituler, abdiqua sans aucune condition, ce qui mit un terme à la dynastie des Rois de Palmacosta. On a vu la semaine dernière que cette dynastie est la seconde en terme de longévité après celle d'Asgard qui a duré mille ans, Cléo III étant mentionné dans les Récits de la Guerre Antique... Lloyd! Arrête de manger les gâteaux de Génis! C'est important ce que je vous dis là! Cet évènement est capital dans notre Histoire, est-ce que vous avez compris pourquoi?»
ll y eut un long silence dans la classe, une quinzaine de paires d'yeux fixaient leur professeur. Celui-ci continua ses aller et retours devant le tableau, captivant davantage l'intention des plus jeunes à l'exception d'un petit garçon brun vêtu de rouge qui continuait son festin, paisiblement, pas dérangé le moins du monde. Les prunelles bleues claires de l'institutrice glissèrent sur chacune des bouilles rondes des enfants avant de se poser sur une fillette blonde, assise à côté du goinfre.
«Personne n'a une idée? Personne ne pense savoir pourquoi ce moment est particulier? Je vous rappelle, juste à titre indicatif que l'interrogation est dans deux jours! Bref, c'est à partir de ce jour, du jour de l'abdication du Roi Dorrist que les Désians ont réorganisé notre monde et l'ont asservi. Connaissez-vous le nom des chefs Désians?»
Nouveau silence. Cependant, celui-ci était différent du précédant. Ce n'était pas un silence gêné, destiné à indiquer au professeur qu'ils ne connaissaient pas la réponse, non c'était un silence de mort, un silence oppressant. L'évocation même de ces noms suffisait à provoquer un état de terreur chez ces enfants. Cela pouvait sembler stupide mais ils étaient persuadés que s'ils n'en parlaient pas, ces «monstres» ne viendraient pas les prendre, eux et leur famille, pour les conduire dans leur ferme. Qu'est-ce qu'ils y faisaient dans ces fermes, ces immenses bâtiments encerclés par des barbelés électrifiés? Un garçonnet blond, assis à côté de la fenêtre, la joue maintenue par le poing, leva son œil ennuyé vers le paysage et vit que l'azure du ciel était sali par une lourde fumée gavée de cendres, qui émanait des hautes cheminées surplombant l'endroit. Les gens y entraient lorsque les Désians les attrapaient, mais est-ce qu'ils en sortaient? Sa mère lui avait dit que non, qu'ils étaient «condamnés», qu'ils rejoignaient les Anges. Le garçonnet fut tiré de sa pensée par ses petits camarades ou plus précisément, par l'un d'entre eux qui avait, du bout de ses lèvres, murmuré, en l'écorchant méchamment, le nom d'un des leaders.
«Minus? A Palmacosta?»
Les élèves éclatèrent alors de rire, au grand dam de l'intéressé qui lança alors des regards abasourdis à leur professeur en jetant des «bah quoi?» à ses congénères. L'enseignant sourit un instant, puis réclama le silence en frappant dans ses mains. Au moins, le lapsus de l'enfant avait eu pour effet d'apaiser la tension dans la classe. Trois autres noms fusèrent ensuite, des différentes rangées.
«Exactement, Magnius, Forcystus, Kvar et Rodyle. Ils se font appeler les Grands Cardinaux, ce qui est logique puisque comme les points cardinaux, ils sont quatre. C'est intéressant parce que cela montre qu'ils ont pris sous leur contrôle l'étendue de nos terres. Aucun espace ne leur échappe car les fermes ont été implantées dans les points clés des territoires...»
L'enseignante s'arrêta un instant lorsqu'elle aperçut la main levée d'un petit brun qui gigotait depuis un moment.
«M'dame, qu'est-ce qu'ils y font dans ces fermes? Vous savez?»
La jeune femme toussota un instant, se demandant quoi répondre alors que toutes les paires d'yeux la fixaient, captivées. Elle se passa une main dans ses cheveux argentés avant de souffler et de les regarder.
«Comment dire...» Elle se tut, prenant appui sur son bureau, cherchant les bons mots. «Je pense qu'il est bon pour vous de connaitre la nature même de ces fermes et de ne pas vous contenter de rumeurs ou de non-dits. Vos parents tentent de vous préserver de la réalité de la chose, mais, je considère que vous devez affronter cette réalité... P-Parce que vous la vivez, que vous grandissez avec cette ferme à quelques mètres de vos maisons et cela justifie que je vous dise ce que l'on sait sur cet endroit... C'est-à-dire que, précisément, on ne sait rien. Peu de gens en ressortent vivant, à vrai dire. Nous savons seulement qu'y entrer signifie mourir. C'est parce qu'ils traitent l'humanité comme de la vermine, parce qu'ils tuent en masse des êtres protégés par la Déesse Martel qu'ils sont des créatures maudites.»
De nouveau, une mouche vola dans la classe. Les enfants terrorisés n'osaient piper mot jusqu'au moment où une fillette rousse osa élever la voix, en se retournant vers une blondinette aux grands yeux bleus. «Mais Colette va nous débarrasser des Désians, de ces Demi-Elfes au sang maudit! Colette va devenir un Ange!»
Ladite enfant sourit doucement, acceptant docilement la tache que sa camarade lui donnait. Du haut de ses dix ans, la blondinette savait pertinemment qu'elle était unique, spéciale, qu'elle était la seule à pouvoir apaiser les maux de ses semblables. Aussi loin qu'elle s'en souvenait, les habitants du village avaient, chaque année, célébré son anniversaire en donnant de grandes fêtes. Cependant, et elle en était consciente, ce n'était pas son âge qu'ils fêtaient mais le nombre d'années qui leur restait à attendre avant qu'elle ne parte pour son périple et qu'elle ne devienne un Ange. Il y avait encore quelques semaines de cela, alors qu'elle était allée jouer chez une amie, elle avait entendu la mère de cette dernière parler avec d'autres dames et dire «plus que six ans, plus que six ans d'horreur à tenir et l'Elue nous sauvera!» Alors qu'elle avait la tête légèrement baissée depuis que la fillette avait évoqué son rôle, Colette ne releva la tête que lorsqu'elle sentit sur son corps un doux regard. Elle sourit, plongeant ses prunelles bleues dans celles noisettes du garçon.
Alors que tous les yeux étaient tournés vers l'Elue, aucun élève n'aperçut le malaise qui avait pris leur professeur. Elle, d'ordinaire si droite, se tenait presque courbée dans un contre son pupitre, la gorge nouée. En un instant, elle se redressa, se tortillant les mains.
«Oui, lorsque Colette deviendra un Ange, les Désians seront à nouveau scellés... Et les Demi-Elfes... Mais vous savez, Génis et moi sommes différents d'eux...» lâcha-t-elle dans un murmure qui ne devait pas être entendu.
«Oui, parce que vous êtes des Elfes de sang pur. Votre sang n'est pas impur.» Lui répondit une gamine un peu plus âgée que ses camarades.
«Oui...»
Après ce moment de flottement, le professeur retrouva ses esprits, claqua dans ses mains et reprit la leçon d'une voix d'abord hésitante puis plus ferme.
«La chute du royaume est intéressante également parce qu'elle nous enseigne quelque chose de fondamentale quant à la nature du Cruxis. Cette organisation sacrée est, comment dire, le bras armé de la Déesse Martel. Ils sont là pour assurer le respect de son culte, pour assurer que nos prières lui parviennent. C'est ainsi que lorsqu'ils ont vu une sécularisation de la société sous le roi Dorrist, ils ont été affectés par l'impiété des citoyens et du coup, ils n'étaient plus en mesure de nous protéger des Désians. C'est pour cela qu'obéir à l'Eglise de Martel est d'une importance fondamentale car si on s'en détourne à nouveau, les Séraphins ne combattrons plus les Cardinaux avec la même force. C'est difficile à comprendre alors Llyod ne disperse pas la classe s'il te plait! Pour résumer, notre foi donne aux Séraphins la force et l'envie de se battre pour nous contre les Désians. S'ils voient que l'impiété nous consume, ils nous abandonneront à la folie destructrice des Cardinaux.»
O.O.O.O
Le clocher du village vint sonner quinze heures, l'heure préférée des élèves car enfin, l'école se terminait. Un brouhaha familier raisonna alors dans la salle quand les enfants quittèrent leur pupitre et se précipitèrent sans ménagement vers l'extérieur en lançant à leur institutrice nombre d' «à d'main, M'dame».
«Llyod, reste un moment je te prie.»
L'injonction eut un effet de surprise sur le dénommé qui dut alors abandonné ses deux comparses et rejoindre l'adulte dans la classe vide. Du haut de ses onze ans, l'élève avait déjà passé de sales quarts d'heure en compagnie de ses professeurs qui le trouvaient souvent trop lent, trop dissipé, pas assez attentif. Quelques fois, il avait même reçu sur ses doigts frêles, un voire plusieurs coups de règle. Les mains fébriles, il arriva à la hauteur de l'enseignante qui le toisa avec une sévérité doublée d'une pointe de douceur.
«Llyod, combien font 6x7?
-Une certaine somme Madame!»
Comme à son habitude, son franc parlé lui avait permis de répondre au tac au tac! L'adulte leva les yeux au ciel mais ne put réprimer un sourire. Elle toussota cependant, voulant conserver son sérieux.
«Tu ne connais pas tes tables de multiplication, Llyod! Alors que tu as onze ans! Regarde Génis, il les connait presque toutes, lui.»
L'enfant baissa un peu la tête alors qu'il jouait avec ses bretelles brunâtres. Qu'est-ce qu'elles étaient belles ses bretelles, avec leur crochet forgé par la force des bras de son père. Oui, même s'il n'était pas son «vrai père» comme lui répètent ses amis, Llyod l'avait toujours considéré comme tel. Après tout, se disait-il, c'était bien lui qui subissait les rendez-vous avec ses professeurs. Et puis, en ce moment même, il devait être en train de lui préparer une bonne tarte, hum, aux fraises? aux pommes? Il en bavait d'avance. Le bavardage de son enseignante ne parvenait plus à ses oreilles, tant il était perdu dans la contemplation de sa pâtisserie imaginaire. Seule l'arrivée brutale d'un petit garçon aux cheveux argentés fit disparaitre cette image tentante de son esprit, une blondinette sur ses talons.
«Raine! Ne punis pas Llyod! Il est nul mais j'peux l'aider!
-S'il vous plait, Professeur! Ne grondez pas Llyod!»
Llyod sourit.
O.O.O.O
Un bruit fracassant se fit entendre, faisant sursauter à nouveau le jeune garçon qui leva alors les yeux au ciel. Il était rentré depuis une heure et dans ce délai, il avait pu entendre une vingtaine de bruits en tout genre provenant de la cuisine. Décidément, sa sœur était un cas! Il s'approcha, lassé, de l'arche qui séparait cette salle du reste de la pièce à vivre et s'y appuya.
«T'en as mis partout.»
La jeune femme se retourna vers lui. Il se mit à rire. Elle avait laissé la marmite trop longtemps sur le feu, conduisant la soupe à bouillir puis à sauter partout, redécorant le mur et aspergeant les joues de la cuisinière. De ses yeux clairs, elle fixa son petit frère avant de soupirer longuement. Un son attira ensuite son intention. Le garçonnet, assis en équilibriste sur le plan de travail, avait ouvert un placard, cherchant désespérément à attraper l'assiette de gâteaux que sa sœur avait rangée là. Sentant le regard accusateur de celle-ci posé sur lui, il se retourna légèrement dans sa direction, la dévisageant d'un air pitoyable.
«S'il te plait Raine... Des gâteaux...»
Tentant de conserver un air sévère, celle-ci s'avoua vite vaincue, roula les yeux et hocha la tête en souriant.
«Allez Génis, va au moins te laver les mains!»
Il sourit jusqu'aux oreilles, savourant intensément cette douce victoire sur sa sœur! Il n'était, en effet, pas commun que cette dernière se laisse ainsi convaincre d'avoir à dîner non pas une «nourriture saine et équilibrée pour bien grandir!» absolument horrible, mais des sucreries aussi délicieuses que le Paradis. Oh oui, durant leurs cours de religion, le prêtre leur avait plusieurs fois précisé que cet endroit sacré était rempli des meilleurs choses au monde -dont des cookies, forcément- et que les Séraphins y vivaient. Comme ils avaient de la chance ces Anges, de pouvoir manger sans cesse des cookies. Il se secoua la tête pour se remettre les idées en place et adressa son plus beau sourire à la jeune femme.
«Merci Raine! T'es la meilleure!»
Il sauta du plan de travail, toujours le plat de gâteaux entre les mains et se dirigea en-dehors de la pièce, toujours avec ce dernier. Raine leva à nouveau les yeux au ciel. Malgré sa grande intelligence, Génis demeurait un petit garçon avec le comportement et les envies qui vont avec. Il fallait bien qu'elle laisse couler certaines choses quelques fois, elle ne pouvait pas passer son temps à le réprimander, non? Elle hésitait. Si seulement quelqu'un lui avait donné des conseils, lui avait dit comment on éduquait un enfant. D'un coup, la pièce lui sembla plus sombre. Son visage se crispa. Un frisson lui parcourut l'échine. Elle ne se retourna que pour poser la main sur le miroir de la salle, maintenu à la poutre derrière elle par un simple clou, qu'elle retourna.
«Je déteste les miroirs...» murmura-t-elle en fixant le dos de celui-ci.
Elle se détendit en entendant les pas de son frère derrière elle et vint vers lui, presque soulagée. Ce dernier la regarda, interrogateur avant de comprendre en voyant le miroir retourné qu'elle avait recommencé. Depuis qu'il était tout petit, il l'avait vue retourner les miroirs quand elle était énervée. Un soir après une dure journée, alors qu'ils étaient encore dans la chambre d'étudiante à Palmacosta, il l'avait entendue sangloter dans son lit. Quand il était descendu de son lit superposé, qu'il s'était glissé dans celui de sa sœur pour la serrer dans ses petits bras menus, elle avait murmuré qu'elle «ne voulait plus la voir». Il lui avait demandé qui était la personne dont elle parlait mais sa grande sœur lui avait alors caressé la joue en lui disant que celle-ci n'était «un souvenir», qu'il ne devait pas s'inquiéter et que sa grande sœur serait toujours là pour lui.
«On prend du lait aussi pour les cookies?» demanda-t-elle, légèrement embarrassée.
Génis la fixa à nouveau avant de hocher la tête tout sourire. «J'apporte les tasses Raine, va t'assoir!» Une fois les deux installés, emmitouflés dans de douces couvertures, blottis l'un contre l'autre, leurs papilles flattées par les cookies et le lait, frère et sœur se sentirent bien. D'un air tendre, l'ainée se pencha vers son cadet qui sirotait sa boisson fumante.
«Génis, pour ce qui s'est passé tout à l'heure avec Llyod, tu veux en parler?» Les prunelles claires de son frère se levèrent vers elle, interrogatrices, cherchant bien à comprendre ce qu'elle venait de lui demander. «Je veux dire, tu t'es tout de suite interposé, tu as même proposé de l'aider. Je ne te savais pas si charitable, à Palmacosta tu ne te comportais pas comme ça.»
Elle se mordit la langue, regrettant un instant d'avoir ainsi évoqué des moments qu'elle savait pénibles pour lui. Lorsqu'elle était élève à l'Académie de Palmacosta pour y passer les certificats nécessaires pour prouver son habilité à enseigner malgré son jeune âge, Génis avait été scolarisé à l'école primaire dépendant de cette même Académie. Si les professeurs s'étaient extasiés devant la rapidité d'esprit phénoménale de cet enfant -qu'ils avaient aussitôt attribuée à un caractère racial, un vieil adage célèbre dans la région mettant en avant la sagesse innée des Elfes de sang pur- ses camarades, eux, avaient préféré l'exclure de leurs jeux et lui renvoyer sa différence en pleine figure. Aussi quand un des écoliers venaient demander de l'aide au métisse, celui-ci se braquait et s'en allait en lui disant simplement combien ce qu'il lui demandait était simple.
«C'est pas pareil! Llyod me mange mes gâteaux, il prend même toute la place pour écrire sur mon bureau! Il me fait souvent des farces! Mais Llyod est trop bien! Et Colette aussi! Eux aussi ils sont... différents!
-Génis, ce n'est pas parce que quelqu'un est «différent» qu'il te comprendra ou sera gentil avec toi, rectifia l'ainée en posant un index sur le nez retroussé du garçonnet, c'est parce qu'il est ton ami qu'il te comprendra et te tendra la main. Va essayer de jouer avec un Cardinal et on verra dans quel état tu reviendras.
-Mais les Désians aussi sont des Demi-Elfes non? Est-ce que ça veut dire que nous aussi on est maudit? Que Colette va nous tuer aussi quand elle deviendra un Ange?»
Elle recula un instant, et leva la tête, songeuse. Pendant un temps, elle ne pipa mot, mesurant avec attention chacune de ses paroles. Jamais sa langue n'avait autant tourné dans sa bouche. Enfin elle lâcha. «Génis, nous sommes différents des Humains par notre sang. Nous sommes aussi différents des Désians par nos actions.»
O.O.O.O
«Colette? Colette?»
Il faisait nuit. La grande maison n'était plus qu'éclairée par la faible lueur des bougies. Dans cette obscurité ambiante, un homme blond âgé d'une quarantaine d'années cherchait désespérément sa fille. Où s'était-elle encore cachée? Sous l'escalier? Déjà regardé. Dans le placard derrière la cuisine? Rien à signaler. Derrière le gros fauteuil rembourré de sa grand-mère? Non plus. Las, il avait même demandé à l'aïeul d'aller vérifier dans la salle de bain, sait-on jamais, la fillette avait pu avoir envie de se débarbouiller avant le diner. Ce n'est que lorsque la vieille femme réapparut seule dans la cuisine en rouspétant que l'enfant n'était pas non plus dans sa chambre que Franck comprit où elle était cachée. Montant les escaliers quatre à quatre, il arriva dans la chambre de celle-ci, ouvrit la fenêtre, se retourna légèrement vers la façade, et leva les yeux vers le toit penché. Il la vit, là, toute seule, assise sous les étoiles, la tête si basse qu'elle ne le remarqua même pas. De la voix la plus douce qu'il put émettre, il l'appela.
«Ma Colette, pourquoi es-tu là toute seule?»
Elle leva doucement la tête et ses yeux brouillés de larmes entrèrent dans le champ de vision de son père. Elle ne put murmurer qu'un faible «Papa, est-ce que c'est mal de pas vouloir mourir?»
Il la considéra un instant. Sa gorge se serra. Il tendit une mains vers elle. «Viens ma Colette.»
Elle ne bougea pas. Aussi, puisant dans ses forces, il parvint -tout en déformant définitivement la base de dormant de la fenêtre- à se hisser, maladroitement, en gesticulant, sur le toit. Là, malgré le vertige qui commençait à se faire sentir, il prit délicatement la petite menotte de la fillette. En voulant lui déposer un baiser sur le front pour la réconforter, il vit combien elle était en peine, les joues rougies par les larmes, le nez rosé à force de renifler.
«Je veux pas devenir un Ange, Papa. Je veux pas, même si c'est égoïste, Papa.» murmura-t-elle en plongeant son regard apeuré dans le sien comme s'il avait le pouvoir de la sauver. Il ne put le soutenir. Il la prit contre lui et entreprit de la bercer.
«Quand je serai morte, ma vie va s'arrêter... Est-ce que ça veut dire que je te verrai plus? Que je ne verrai plus Grand-Mère? Que je ne verrai plus Llyod? Que tout va s'arrêter pour moi?»
Calmement, Franck la berçait. A dix ans, que comprend-on vraiment de la mort? Du sacrifice? De la vie? Il serra davantage la fillette entre ses bras, comme pour la protéger, comme pour tenter de la soustraire à cette destinée cruelle que quelqu'un avait planifié pour elle.
«Quand tu ... Quand tu seras... morte, dit-il en déglutissant, ton âme continuera à vivre au travers de ce nouveau monde. Chaque arbre, chaque feuille, chaque belle petite fleur sera issue de toi. Moi, je continuerai à te voir dans les roses du jardin, Grand-Mère entendra tes rires dans le vent matinal, quant à Llyod, la couleur dorée des grains de blés lui rappela celle de tes cheveux. Rien ne s'arrêtera pour toi, jamais!» murmura-t-il en enfouissant son visage défiguré par la douleur, dans la belle chevelure blonde.
A suivre
J'ai utilisé le site Aselia, The Tales wiki pour connaitre les âges des personnages lors du jeu et ainsi déduire l'âge qu'ils ont dans ce chapitre (c'est-à-dire six ans de moins). Je pars également du principe que le voyage de Spiritua a eu lieu 1000 ans avant les évènements de TOS et qu'un Elu nait tous les deux cent ans. Ce choix est complètement arbitraire mais il me semble logique puisque je vois le mana comme une source naturelle qui dès lors, n'apparait, ni ne disparait en claquant des doigts/en retournant le sablier pour reprendre l'image de Sheena. Spiritua monte au Ciel, le mana retourne vers Sylvarant et les récoltes mettent environs 25 ans à devenir florissantes, abondantes. L'agriculture étant assurée, se développe ensuite le commerce, à plus grande échelle, pendant 50 ans - 75 ans. S'ensuivent 95 années d'opulence/de bonheur/de développement industriel/d'évolutions. Et puis, 15 ans avant la naissance de l'Elu, il commence à y avoir de légères fluctuations dans le mana. Fluctuations qui deviennent intenses au moment du Périple (l'autre Elu commençant aussi son périple, cela a des effets sur l'autre monde comme l'explique Sheena lorsqu'elle dit qu'il y a de moins en moins de mana à Tesséha'lla avant que les Ptéroplans ne se crashent). Après ce n'est qu'une hypothèse personnelle! :)
Bacci!
