PROLOGUE : Comment atteindre le zéro absolu

- Monsieur Di Angelo, pourriez-vous vous redresser, s'il vous plaît, fit la voix douce de la professeure.

Nico releva la tête de ses bras croisés sur sa table à la mention de son nom. La prof de Grec lui adressa un petit sourire puis revint à la Démocratie athénienne. Nico fit immédiatement retomber sa tête sur ses bras en soupirant. Depuis tout petit il s'intéressait à la Grèce antique. Il savait déjà tout ce que Mme Love s'évertuait à leur apprendre – hormis peut-être quelques mots de vocabulaire, mais il se taillerait les veines plutôt que de l'admettre. Alors il n'écoutait pas et comme il avait de bons résultats dans cette matière elle ne disait rien. Sauf de temps en temps. Pour la forme. Malgré cela, il était souvent convoqué dans son bureau. Étant sa professeure principale, elle se devait de surveiller ses résultats. Plus aussi excellents dans les autres matières, voir totalement en chute libre depuis…

La cloche sonna la libération du cours de Grec pour la journée. Nico ferma son cahier qu'il avait ouvert juste pour la forme lui aussi. Il rangea ses affaires, mis son sac sur son dos et s'apprêta à sortir de la salle.

- Monsieur Di Angelo ?

Nico fit volte-face. Mme Love lui souriait chaleureusement comme à son habitude, le fixant de ses grands yeux – dont la détermination de leur couleur restait un sujet de conversation récurrent chez les élèves.

- Je sais que vous êtes peut-être encore très affecté par les tragiques événements que vous avez vécus…

L'atmosphère perdit un ou deux millions de degrés (on ne va pas chipoter pour quelques zéros).

- …mais vous ne pouvez pas vous permettre de négliger votre avenir, reprit-elle, toujours souriante. Je sais que vous êtes fort : vous affrontez cette situation avec beaucoup de maturité. Mais sachez que si vous avez besoin d'aide je suis là. L'équipe enseignante est là. La C.P.E, le Directeur aussi.

Nico acquiesça. On lui répétait souvent ça. Trop souvent. Mais pour rien au monde il ne demanderait de l'aide. Il détestait ça. Il s'en sortirait seul ou il ne s'en sortirait pas. De toute façon, personne ne voudrait l'aider. Il était, pour tout le monde, le gothique solitaire qui égorge des chatons roux à la pleine lune et ça lui allait très bien. Personne ne venait le déranger. Et plutôt mourir que d'aller voir le Directeur. Mr Céleste est aussi aimable qu'un gardien de prison soviétique par temps de pluie.

- Allez-y. Vous allez être en retard, le congédia Mme Love.

Nico se détourna et quitta la salle. L'ambiance avait clairement refroidit quand le professeur avait ramené à la surface les fameux « événements tragiques ». Nico avait besoin de se changer les idées et vite. Avant que les souvenirs ne refassent surface. Des mois qu'il essayait de les terrer, de les enterrer. Mais il y avait toujours quelque chose ou quelqu'un qui le lui rappelait, qui refluait ce qu'il tentait d'oublier. Une chevelure châtain ou brune, un morceau de métal dans la salle de Technologie, un regard sombre, un pneu de voiture. Un petit rien pouvait lui rappeler ce soir-là. Ce triste soir où sa mère et sa sœur avaient perdues la vie dans ce qui était un banal accident de voiture pour les autres.