Chapitre 1

La lame se figea plus profondément encore dans son torse et dans le mien par le même mouvement. Il fallait en finir et mener à son terme cette maudite prophétie. Tuer mon propre père. Je l'aimais malgré tout, mais il m'aurait probablement tué pour obtenir ce qu'il désirait. Et surtout, surtout, je n'aurais pas supporté qu'il touche ne serait-ce qu'un cheveu des deux êtres que j'aimais le plus au monde. Je le serrais contre moi une dernière fois, et embrassais sa tempe. Malgré tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il avait avoué dans la boutique, je ne pouvais m'empêcher de lui montrer mon affection – même si je m'étais longtemps convaincu que je ne l'aimais pas. Et dans un rai de lumière, nous disparûmes…

La chute fut rude, mon souffle se coupant alors que mon dos frappait la terre avec force. Je n'eus pas le temps de comprendre que déjà, l'homme qui se disait mon père tentait de m'étrangler avec le peu de force qu'il lui restait. Un réflexe de survie qui venait du fin fond de son être. Etonné d'être encore en vie, je mis une seconde avant de réagir, lâchant la dague toujours plantée en nous pour me redresser et le faire rouler sur le dos. Dans ce mouvement soudain, la tête de Malcolm frappa une roche et j'entendis son hoquet de surprise. Ses doigts se relâchèrent doucement sur mon cou et je me reculais vivement avant que son dos ne touche la terre humide et ne fasse s'enfoncer plus encore la dague en moi. Je me laissais tomber, assis, le souffle court et le corps torturé de douleurs. Mais la seule pensée qui m'habitait pour le moment, c'était mon père dont je contemplais les derniers instants… La lame dépassait clairement de son torse à présent, et même si ses yeux étaient ouverts, me fixant avec cette haine qui ne l'avait pas lâché, je sentais que sa mort était imminente. Je me rapprochais de lui, le prenant contre moi et posant sa tête sur mon genoux.

"- Papa… Papa…"

Je me pliais en deux, des larmes coulant sur mes joues sans même que je ne puisse les arrêter et mon front touchant le sien. Heureusement pour moi, il était trop faible pour m'en empêcher et je ne remarquais même pas le geste qu'il tenta de faire pour me faire reculer. Je pleurais. Sur ma vie, sur mon destin, sur ce père dont la mort me terrifiait. Je ne pouvais me résoudre à le faire partir et pourtant, je savais que je le devais. C'était ainsi. Et c'était probablement pour le mieux…

"- Tu… Tu as changé ladie…"

Il se mit à tousser violement, projetant du sang sur ma joue. Je fronçais les sourcils, cherchant à comprendre le sens de sa phrase.

"- Tu te bats maintenant… Mais tu as perdu… Encore…

- Je n'ai pas perdu… C'est toi qui meurs…"

Tout en prononçant ces mots, je me rendis compte qu'en effet, je me sentais vivant. Du moins, la douleur était bien présente, et loin de l'idée d'engourdissement que je me faisais des derniers instants avant le trépas. Si c'était le cas, j'aurais bien le temps de me pencher sur mes perceptions…

"- Mais tu as tout perdu… Vis donc cette vie misérable qui t'attend… Je reviendrais te hanter…

- Papa…"

Ce mot n'avait été qu'un souffle. Un souffle désespéré et las. Je posais ma main sur sa joue, avec plus de douceur que je n'aurais pu l'imaginer. Je lui en voulais, c'était certain, mais une partie de moi, la partie encore enfantine, refusait de croire que mon père était totalement perdu. Sinon, pourquoi me serais-je autant effondré en revoyant la poupée Peter Pan ?

"- Vis… Souffre… Et rejoins-moi…"

Il toussa de nouveau et ses poumons semblèrent gargouiller, tout rempli de sang qu'ils étaient. Contre moi, son corps se détendit d'un coup et il tenta de me sourire.

"- Je vais être éternellement jeune…"

Cela fut ses derniers mots. Ses yeux se fermèrent et je laissais ma tête aller contre la sienne pour enfin pleurer pour de bon. J'avais perdu mon père, ma compagne et mon fils dans les dix dernières minutes. J'étais blessé, probablement mortellement et une forêt dans un monde quelconque était mon seul horizon. Je n'aurais pu imaginer pire situation et il fallait avouer que la mort aurait peut-être été plus rapide et aisée. Mais maintenant que je sentais mon cœur battre, ma mauvaise habitude prenait le dessus. Je devais me battre. La peur de mourir était si forte.

Frottant fortement mon avant-bras sur mes yeux pour essuyer toutes traces de larmes, je me penchais au-dessus du corps de mon père pour retirer la dague de son dos. Mon regard se porta aussitôt sur l'inscription qu'elle portait depuis des siècles : mon nom. Elle y était encore. Comment cela se faisait-il ? Non seulement je n'étais pas mort, mais en plus j'étais toujours le Dark One, même si mes pouvoirs étaient pour le moment étouffés par le bracelet de cuir qui emprisonnait mon poignet. J'avais failli me couper la main pour m'en débarrasser avant de me rendre compte que je n'avais pas besoin de mes pouvoirs pour sauver ceux que j'aimais. Cependant, si je voulais me sauver à présent, ceux-ci pourraient s'avérer utile…

Une idée me vint alors. La dague recelait tout de même une assez grande puissance. Je la plaçais donc entre mon bras et le bracelet, la lame aiguisée raclant doucement ma peau. Puis d'un geste violent, je tirais vers le haut. La pièce de cuir se coupa après une seconde de résistance. Je me laissais alors tomber à même le sol, cet effort semblant être le dernier que je pourrais faire avec cette blessure. La sueur perlait sur mon front et ma respiration était presque aussi rapide que les battements lancinants de mon cœur. J'étais épuisé. Mentalement comme physiquement, je n'aspirais qu'au repos. A présent, j'allais pouvoir vérifier si mon hypothèse était vraie… Je passais ma main au-dessus de mon torse, là où la dague m'avait transpercé, heureusement bien moins profondément qu'elle ne l'avait fait avec mon paternel. Faisant appel à ma magie comme à une vieille amie, je fermais les yeux et me laissais bercer par la douce chaleur que je ressentis alors que la plaie se refermait. Je poussais un profond soupir de soulagement et pris enfin conscience que j'allais vraiment vivre. Je m'offris le luxe de soigner l'égratignure sur mon poignet et repris la lame pour la regarder. Mon nom était comme il l'avait toujours été. Gravé puissamment dans le métal. Mon destin était lié à cet objet tout comme le sien était lié à moi.

"- Je suppose que tu ne t'attendais pas à ce qu'un Dark One se poignarde lui-même, n'est-ce pas ? Donc, mes pouvoirs me reviennent et je ne peux pas mourir… Sinon, tu n'as plus personne…"

Le prix de la magie était aussi mon salut. Et pour une fois, j'étais heureux de le payer. Je me relevais pour enfin regarder autour de moi. La forêt était sombre et humide, et la nuit n'allait pas tarder à tomber si j'en croyais la luminosité. Je baissais les yeux sur le corps qui gisait à mes pieds et avisais l'arbre devant lequel nous étions tombés. Il ferait une belle tombe pour mon père. D'un geste, le corps disparu à un mètre sous terre et d'un autre, je marquais l'endroit pour le retrouver un jour. Je n'écrivis rien de particulier et cette marque, je serais le seul à la voir. Je ne voulais pas que quelqu'un vienne se recueillir sur sa dernière demeure. Qui l'aurait fait de toute façon ?

Et puis soudain, je me figeais. Non pas par volonté, mais mon corps semblait être bloqué. Je cessais de respirer sous la surprise alors qu'un rire éclatait dans mon dos. Non, vraiment, je n'avais pas le droit à une seule seconde de tranquillité ?

"- Le Dark One… Je me disais bien que cette magie était différente… Et je savais que tu m'appartiendrais un jour ! Tournes-toi !"

Sans pouvoir désobéir mon corps pivota sur lui-même et je remarquais avec horreur ma dague entre ses doigts. Je levais alors les yeux sur la femme qui se présentait devant moi. Elle était habillée d'une robe noire moulante avec des broderies d'onyx et ses cheveux roux contrastaient fortement en retombant en quelques mèches sur ses épaules. Ce qui avait semblé être un chignon strict n'arrivait pas à faire accepter sa peau d'un vert d'herbe de printemps. Connaissant parfaitement le prix de l'apparence quand la magie le décidait, je ne lui offris même pas une grimace de surprise face à cette particularité. Après avoir compris à qui j'avais à faire – après tout, les sorcières au teint vert n'étaient pas légion – je tentais un geste pour récupérer mon bien, mais mes pouvoirs ne fonctionnèrent pas.

"- Ce ne serait pas drôle si c'était aussi simple, non ?"

Elle avait dû profiter que mon attention soit sur la création de la tombe de mon père pour attirer la dague jusqu'à elle. Sorcière.

"- Que me voulez-vous Momba ?

- Oh, voilà bien des années que plus personne ne m'a appelé comme cela ! Pour le moment, je veux que tu marches… Nous avons le temps de discuter."

Je me mis en marche, notant très rapidement que mes vêtements et mes chaussures n'étaient absolument pas adaptés pour ce genre d'escapade. La sorcière de l'ouest me suivait de près, marchant à côté de moi alors qu'elle tenait ma liberté entre nous. Il me suffirait de tendre le bras pour la toucher, mais j'en étais incapable. Je me demandais toutefois pourquoi elle ne me tuait pas tout de suite pour prendre mes pouvoirs. Cela simplifierait tellement…

"- Vous savez que toute magie vient avec un prix… Cela ne change rien d'avoir la dague…

- Je ne connais que trop bien ce prix…"

Elle se tourna vers moi, le regard chargé de colère. Je ne comprenais pas vraiment la raison de cette haine, mais j'avais dans l'idée que je le saurais bien assez tôt. Comprenant alors que ma vie n'était pas en danger, dans l'immédiat du moins, je m'autorisais un petit trait d'humour qui m'était venu à l'esprit en voyant son regard.

"- Je comprends mieux l'expression « verte de colère »…"

Je me mis à sourire narquoisement et elle posa sans douceur la main sur mon épaule pour m'arrêter. Le regard que je lançais montrait bien ce que je lui ferais si seulement je le pouvais, juste pour m'avoir touché. Dans le même temps, je ne cessais de regarder autour de moi. J'étais perplexe. Vu la personne que j'avais devant moi, j'aurais juré être dans son pays, mais je ne reconnaissais rien.

"- Fais le malin tant que tu peux, Dark One. En attendant, emmènes-nous au château."

Devant mon regard circonspect, elle se mit à sourire, comme si elle allait m'annoncer qu'elle avait gagné à la loterie.

"- Le château de l'Evil Queen…"

Ainsi, nous étions à Fairytale ? Je ne montrais même pas mon étonnement. Elle avait dû trouver un moyen pour venir ici et avait profité de ces nombreuses années pour s'installer. Cela correspondait bien à son profil. Prendre ce qui ne lui appartenait pas. Après un dernier coup d'œil à ma dague, je me pliais à sa volonté. Nous arrivâmes donc dans le salon où j'avais l'habitude de rencontrer mon apprentie. Les lieux n'avaient pas vraiment changé par rapport à mon souvenir, même si les ans ne les avaient pas vraiment aidés. Un feu ronflait dans l'âtre, prouvant qu'elle était établie depuis un certain temps. D'ailleurs, ce ne fut qu'en cet endroit que je me rendis compte qu'elle portait l'une des robes noires de Regina. Je faillis faire un commentaire, mais décidais de garder cela pour plus tard. Pour un moment où j'aurais besoin de générer une émotion en elle. Elle lâcha mon épaule et mit la dague dans sa ceinture avec un petit sourire.

"- Attends-moi là, j'ai quelque chose à faire."

Je sentais déjà mon corps se figer malgré lui. Prestement, je lançais donc.

" - Puis-je au moins m'asseoir ?

- Fais ce que tu veux…"

Ces mots étaient plus que je n'en demandais. Bien sûr, je savais bien que je ne pouvais pas espérer partir puisque juste en m'appelant je serais obligé de revenir vers elle. Mais au moins, j'avais la liberté de mouvement pour trouver une solution. Je la regardais s'éloigner comme si je pouvais l'immoler sur place. Puis, je me mis à faire les cents pas, tournant et retournant le problème dans mon esprit. Une heure passa, puis une seconde sans que je n'avance dans ma réflexion. Soudain, je repérais un scintillement dans le miroir en face de moi. Fronçant les sourcils, je m'approchais et le frôlais de mes doigts comme pour activer la magie. Une face apparut alors, visage que je reconnus immédiatement malgré mon étonnement de le voir ici.

"- Sydney ?"

Il semblait paniqué, ses yeux révulsés roulaient dans leurs orbites et il regardait autour de lui comme pour trouver une sortie. Je commençais à connaître la sensation d'être enfermé, le souvenir de la boîte de Pandore restant encore vivace dans mon esprit. Je le laissais alors se calmer, luttant contre mon envie de lui mettre une claque pour lui faire reprendre ses esprits. Heureusement, c'était inutile de frapper le miroir. Il sembla me voir d'un coup, comme si j'apparaissais devant lui alors que cela faisait dix minutes que j'observais ses gesticulations.

"- Rumplestiltskin…

- Qu'est-ce que vous faîtes là ?

- Nous sommes revenus ?"

Je vis l'horreur dans ses yeux. Il fallait avouer que l'idée d'être de nouveau enfermé dans un miroir n'avait rien de réjouissant. Pour ma part, une pointe d'espoir naquit en moi, tout comme la peur. La crainte lancinante de ce que la sorcière de l'Ouest pourrait faire à ceux que j'aime… Et pire… Ce qu'elle pourrait me faire faire…

"- Apparemment oui. Etes-vous tous là ? Bae et… Belle…"

Je me mordis la lèvre d'avoir laissé entrevoir une faille dans mon visage si impassible habituellement. Leurs noms étaient sortis tous seuls. Sans me prévenir, il disparut. J'attendis un long moment, me demandant si je n'avais pas rêvé quand enfin, il réapparut.

"- Oui… Ils sont là…

- Comment ?

- Je ne sais pas. J'ai vu votre disparition à travers la fenêtre de mon bureau. Ensuite, ils sont partis. Et la malédiction nous a rattrapés…"

Je soupirais de déception. J'avais eu l'espoir qu'en tuant mon père, la malédiction aurait été annulée. J'étais un idiot de penser qu'un sort aussi puissant était indépendante du mage une fois apportée à la vie.

"- Ils vont bien ?

- Désorientés… Ils sont dans une plaine à ce que j'en ai vu…"

J'entendis alors un bruit de porte qui me fit rater un battement de cœur.

"- Génie, dis leur que Momba possède ma dague !

- Comment ?

- Pars !"

Je me précipitais pour aller m'asseoir, prenant l'air parfait de celui qui s'ennuie depuis plusieurs heures. La sorcière marcha vers moi comme sur un podium de mode. Elle se planta devant moi avec l'expression de celle qui va m'annoncer une excellente nouvelle.

"- Tu vas pouvoir te mettre au travail.

- Travail qui est ?

- Filer de l'or, mon cher. Filer de l'or… "