L'éblouissant, l'exaspérant, le triomphant Fersen était revenu sain et sauf de la guerre d'indépendance de la jeune république américaine. Après avoir mollement démentit être toujours épris de Marie-Antoinette, quelques jours plus tard, il ne pu que constater avec désespoir que sa flamme était toujours ardente. Un bal masqué avait été donné en son honneur, Oscar avait usé de ses nombreux contacts pour se faire inviter tout en restant incognito. Une fois, rien qu'une fois, avant de renoncer définitivement à son amour pour le comte suédois , juste une fois elle avait souhaité savoir ce que ça pouvait être d'être une femme dans ses yeux. Coup de tête typiquement Oscarien qui ne sera pas sans conséquences...

Ce soir là , la maison était en effervescence, une effervescence totalement démesurée , pensa André. Tout ce remue-ménage parce qu'il était venu à Oscar la lubie de porter une robe et de se rendre à un bal comme toute dinde de la noblesse qui se respecte. Dinde qu'elle n'était pas... C'était justement cette non-futilité qu'il aimait le plus chez elle. Mais c'était compter sans l'amour. Ah l'amour , celui qui traverse les océans, défie le temps, fait fi des classes sociales, de la barrière de l'âge , et même de celle des sexes, mais ce même amour peut également, et c'est bien connu, c'est même sa principale caractéristique, vous diront les esprits chagrins, vous faire faire les pires idioties. La preuve vivante était ce soir, Oscar. Oscar en robe, Oscar danser, Oscar glousser, telle la susdite dinde, bien cachée, sournoisement derrière son éventail , et pourquoi pas Oscar jouer de la harpe ou chanter l'opéra pendant qu'on y est ? Si l'amour rendait idiot, la jalousie rendait laid, André ne l'était point , loin de là , mais ses pensées se vautraient allègrement dans la laideur. La méchanceté et la mauvaise foi, semblaient être aussi de la partie.

Grand-Mère était aux abois, galopait par-ci , cavalait par-là. Houspillait telle servante pour sa lenteur, en apostrophait une autre pour sa maladresse, menaçait André d'un coup d'ustensile de cuisine, pour le simple motif d'être là, dans le passage. Tout ce piaillant petit monde s'engouffra enfin dans la chambre d'Oscar dans un fracas de tissus et fanfreluches. Naturellement André n'avait pas été convié aux réjouissances, il était son ombre, mais il y avait des endroits où apparemment, les lois les plus élémentaires de la physique n'avaient plus cours, et l'ombre restait... A la porte...

André tendit l'oreille, même si en l'espèce, les choses les plus intéressantes n'étaient pas à entendre. Il pouvait percevoir les « ho » et les « ha » d'admiration de ses collègues domestiques devant la ligne irréprochable d'Oscar, ou bien devant la qualité de la confection de la robe, il n'avait pas bien compris... Il pouvait entendre les jérémiades d'Oscar condamnant, jurant même à destination de son corset, se rebeller contre le supplice dont elle estimait être victime quand Grand-Mère (du moins il lui semblait que c'était elle ) tentait de la coiffer « comme le font les dames ». Au bout d'une poignée de minutes, repus de banalités et d'histoires de chiffons, André alla à la cuisine chercher quelque bricole à boulotter. Ça valait toujours mieux que de rester à ronger son frein.

Bon sang, faut-il toute une armada pour habiller une donzelle ? Il en faut bien moins pour la dévêtir en tous cas ! Pensa-t-il en engloutissant sa deuxième part de tarte Normande. Il regretta que personne ne fut là pour entendre sa plaisanterie qu'il jugea, certainement à tort, excellente. A peine sa collation terminée, la voix chevrotante mais criarde de Grand-Mère se fit entendre.

-André viens voir, viens voir à quel point notre Oscar est belle en robe !

Oscar en robe, ça, en effet il faut que je voie ça... Autant mettre un vieux drap miteux sur un épouvantail à moineaux, le résultat sera le même. Pensa André en ricanant. Derrière ses sarcasmes se cachait, on l'aura deviné, une profonde amertume. Il savait pertinemment qu'Oscar était folle amoureuse de Fersen et qu'il n'avait aucune chance avec elle, qu'elle était inaccessible, que c'était peine perdue, cependant, il ne pouvait s'empêcher d'être jaloux. Il leva les yeux, s'apprêta à railler copieusement la jeune femme , oui, il allait laisser la petitesse de la jalousie s'exprimer, lorsque son regard se posa sur Oscar qui se tenait en haut de l'escalier ,un escalier menant au paradis, de toute évidence... Elle baignait dans un halo de lumière blanche, telle une apparition mystique. Dire qu'elle était belle aurait été l'insulter tant elle était solaire, incandescente, divine, irréelle. Eris, la déesse discorde elle même lui aurait donné la pomme d'or sans l'ombre d'une hésitation ou la moindre arrière pensée. Aphrodite, Athéna et Héra auraient approuvé sans broncher. Les nymphes, même les plus vaniteuses, toutes sans exceptions se seraient inclinées devant son incomparable magnificence. Ça n'était pas une fée qui s'était penchée sur son berceau, mais tout un escadron, non, mieux encore, ça devait être Dieu lui même qui avait du se charger de son cas.

André devant cette preuve irréfutable de l'existence du créateur , se sentait bien mal, surtout après toutes les horreurs qu'il venait de penser au sujet de sa belle inaccessible , mais cet éloquent hommage (même mental) qu'il venait de lui rendre les compensait largement.

Oscar chercha avec inquiétude le regard approbateur de son ami. Après tout, à quelques choses près André était un homme comme les autres, et son avis lui importait, en effet, n'était ce pas toujours à lui qu'elle demandait conseil lorsqu'elle doutait ? N'était-il pas son confident ? Son meilleur ami, son âme sœur ? Ce dernier qualificatif perturba Oscar quelque peu , surtout par sa spontanéité. Non, André ne pouvait pas...

André ne disait rien et son regard semblait insondable. Elle qui pourtant connaissait si bien le jeune homme, elle ne l'avait jamais vu avec des yeux pareils.

Elle descendit gauchement les escaliers, manquant à plusieurs reprises de se retrouver les quatre fers en l'air. Enfin arrivée à bon port en bas des marches, elle relâcha son attention et trébucha avant d'attérrir dans les bras providentiels d'André, et de lâcher un ô combien élégant « Foutre Dieu » qui fit sourire le jeune homme.

-Il va falloir que vous fassiez attention à votre langage Mademoiselle. Recommanda Grand-Mère.

-Je crois même que je vais ne rien dire du tout, on risque de reconnaître ma voix. De même, tu ne pourras pas m'accompagner André, les gens risquent de faire le rapprochement en te voyant.

-Je comprends Oscar, ne t'inquiètes pas.

-Alors, comment me trouves-tu ? Pourquoi ne dis-tu rien ?

-Tu es éblouissante Oscar.

-C'est vrai ? Demanda-t-elle rougissante. Tu ne me trouves pas grotesque ? J'avais peur que tu te moques de moi...

-Bien sûr que non, me moquer de toi ? Quelle drôle d'idée... Marmonna-t-il penaud. Tu es fabuleuse, je le pense sincèrement.

- Merci André, je t'adore tu sais... Murmura-t-elle en lui donnant une accolade amicale. Tu sens bon... Ajouta-t-elle.

André resta subjugué par cette démonstration d'affection qui ressemblait si peu à la jeune femme, enfin, il avait déjà vu Oscar aussi tendre, mais avec Rosalie par exemple, pas avec une personne du sexe opposé. D'ailleurs en y repensant, Oscar s'était comportée de manière différente avec lui ces derniers temps.

- Je ne porte jamais de parfum, Oscar. Répondit André sceptique.

- Ah bon, alors c'est juste toi qui... Insinua-t-elle un peu embarrassée.

La voiture est prête ! Il faut y aller ! Clama une voix.

- A demain André, ne m'attends pas...

- Amuse-toi bien. Dit-il du bout des lèvres.

Elle lui répondit par le plus beau des sourires. Sourire qui lui était destiné, mais dont la perspective d'un bal en compagnie de Fersen était l'origine. Pensa tristement André, à juste titre. Elle posa sur son doux visage un loup en dentelle noire agrémenté de perles de culture. Cet accessoire lui donna un irrésistible charme supplémentaire qui acheva de faire fondre le pauvre cœur d'André. Il la regarda partir, impuissant.

- Et s'il lui arrivait quelque chose... Peut être que je devrais la suivre discrètement ? Demanda André à son aïeule avec inquiétude.

- On y a pensé ne t'inquiètes pas, on a glissé quelques pics à cheveux bien acérés dans sa chevelure. Si elle en a besoin, elle aura de quoi se défendre.

- Félicitations Grand-mère, je n'y aurais jamais songé. Reconnu André.