Bonjour/bonsoir, merci de prendre de votre temps pour lire cette fic. Elle se déroule, comme l'indique le résumé, vingt-six ans après la fin du manga (légers spoilers sur Boruto, mais rien de bien méchant puisque je n'ai pas beaucoup regardé l'anime). Elle se divisera en trois ou quatre chapitres, je n'ai pas encore décidé.

Pardonnez les éventuelles fautes de frappe, de grammaire et d'orthographe qui, malgré mes relectures, m'échappent toujours...

Disclaimer: Ni Naruto ni Boruto et leurs personnages ne m'appartiennent.


Un nouveau départ

Chapitre I

Nara Shikadai écrivait encore moins bien que Shikamaru. Telle était la constatation de Naruto tandis qu'il approchait la feuille toujours plus près de son nez, dans l'espoir de discerner des kanjis dans ce qui ressemblaient à des pattes de mouches agglutinées en lignes serrées. Un silence feutré régnait dans le bureau de l'Hokage, semblable au calme plat de la nuit qui était tombée sur le village caché de Konoha il y avait plus d'une heure maintenant. Naruto s'interdit obstinément de lever les yeux vers l'écran de son ordinateur pour voir l'heure. Il savaitqu'il était tard, tout comme il savaitqu'Hinata devait certainement être partie de se coucher, résignée à l'idée de ne pas pouvoir – encore – partager sa soirée avec lui. Il n'en avait plus longtemps, pourtant : juste ce dernier rapport de Shikadai à lire et consigner, et il quitterait enfin son bureau. Si seulement il pouvait y voir plus clair…

En désespoir de cause, le Nanadaime agrippa sa lampe de bureau de sa main bandée pour mieux éclairer ce fichu papier. M'ouais, ce n'était pas forcément mieux… Et maintenant, une migraine commençait à poindre dans son crâne, une douleur qui fusa pile à l'endroit entre ses deux sourcils. Naruto poussa un soupir irrité et lâcha la lampe pour se masser le front. Il ne sursauta pas quand une voix grave fendit le silence studieux de son bureau.

– Si tu mettais tes lunettes, tu y verrais sans doute mieux, espèce d'idiot.

Naruto leva la tête pour fusiller le nouveau-venu du regard. Sasuke était presque invisible, caché dans la pénombre de la pièce par une position habilement choisie et sa cape noire. Seul son Rinnegan brillait avec insistance au travers de ses mèches noires, qu'il portait désormais plus courtes que quinze ans auparavant. Naruto crut discerner une étincelle désapprobatrice dans l'iris marqué de cercles concentriques. Il afficha un rictus agacé.

– Je n'ai pas besoin de lunettes, enfoiré. Et de toute façon, je les ai oubliées chez moi.

En guise de réponse, Sasuke lui lança un projectile à pleine puissance. Naruto ne dut son esquive précipitée qu'à ses réflexes de ninja, heureusement loin d'être émoussés par une longue carrière bureaucratique. Il leva sa main de chair et attrapa de justesse le projectile avant qu'il ne lui fracasse le front, ce qui n'aurait vraiment pas fait du bien à sa migraine grandissante. Il reconnut sans mal son boîtier à lunettes de velours noir, estampillée du symbole de Konoha.

– Où tu les as trouvées ? grogna l'Hokage.

– Chez toi, andouille, répondit Sasuke en roulant des yeux. Hinata m'a demandé de te les apporter.

– Qu'est-ce que tu fabriquais dans ma maison ?

Sasuke s'avança jusqu'à apparaître dans le halo de lumière projeté par la lampe du bureau. Il tira nonchalamment une des chaises placées devant le bureau pour s'y installer, croisant une jambe par-dessus l'autre.

– Je te cherchais. Sakura m'a dit que tu travaillais trop ces derniers temps. Je constate qu'elle a raison.

– Je ne travaille pas plus qu'avant, grommela Naruto en jouant avec son boîtier sans pour autant l'ouvrir.

– Il est presque trois heures du matin.

Naruto poussa un soupir déconfit. Il aurait voulu ne pas savoir. Se berner un peu plus dans l'illusion qu'il ne devait pas être plus de minuit. Il laissa tomber son boitier sur son bureau et se frotta le visage entre ses deux mains. Une immense fatigue l'assaillit brusquement. Ses muscles étaient engourdis par ses longues heures assis sur la chaise de son bureau, et les jointures de ses épaules craquèrent quand il posa ses deux coudes sur son bureau. Jamais encore le poids de son rôle d'Hokage ne lui avait paru aussi pesant.

Devant lui, Sasuke l'observait, un air résolument neutre sur son visage. Son regard impassible ne cilla pas quand les iris saphir du Nanadaime le croisèrent.

– Tu as une tête à faire peur, commenta platement l'Uchiwa.

– Enfoiré, gronda le blond. Si tu me cherchais juste pour m'insulter, c'est pas la peine de rester ici…

– Je voudrais discuter avec toi, l'interrompit Sasuke.

L'Hokage haussa les sourcils.

– De quoi ? demanda-t-il non sans une certaine méfiance.

Jusqu'à maintenant, Sasuke ne lui avait jamais redonné une raison de douter de sa loyauté. Depuis la fin de la dernière guerre, il préférait passer le plus clair de son temps à parcourir le monde plutôt que de rester à Konoha, mais il n'avait jamais été ambigu sur ses attentions concernant le village, qu'il désirait protéger d'autant plus depuis la naissance de sa fille unique. Cela faisait maintenant trois ans que l'Uchiwa ne voyageait plus et qu'il vivait désormais avec son épouse à Konoha. Il faisait parfois quelques excursions au Pays de l'Eau ou au Pays du Son voir ses amis de l'époque d'Orochimaru, mais menait désormais une existence paisible au village, au plus grand bonheur de sa famille et de son meilleur ami.

L'unique main gantée de Sasuke se leva pour désigner toute la pièce d'un geste ample.

– De tout ça. Le village, la situation, ton travail…

– C'est vaste, fit remarquer le Nanadaime. Qu'est-ce qui t'arrive, Sasuke ? T'as une soudaine crise de conscience ?

– On pourrait dire ça, lâcha l'Uchiwa du bout des lèvres en regardant ostensiblement sur le côté.

L'Hokage observa son meilleur ami. Sasuke feignait l'indifférence comme toujours, mais Naruto le connaissait trop bien se laisser berner par cette apparente neutralité. Il y avait d'infimes mimiques dans la posture de l'homme en face de lui qui trahissaient ses véritables états d'âme : sa main serrée de manière quasi-imperceptible sur son genou ou la brève raideur de ses épaules sous sa cape. Sasuke avait quelque chose d'assez important à lui dire pour éprouver de la nervosité.

Naruto soupira. Quoi qu'allait lui dire l'Uchiwa, ça n'allait pas être facile à entendre. Résigné, l'Hokage ouvrit un des tiroirs de son bureau et en extirpa une bouteille et deux coupelles de faïence délicate. Il les posa avec précaution sur son bureau, directement au-dessus de la petite pile de dossiers qu'il avait passé à relire et signer toute la soirée, et déboucha la bouteille. Un ricanement échappa à Sasuke.

– Tss. Tu deviens comme Tsunade.

– Tu ne crois pas si bien dire. C'est sa dernière bouteille, d'après ce que Shizune m'a dit. C'est elle qui me l'a offerte l'année dernière.

Le timbre mélancolique dans la voix du blond n'échappa pas à Sasuke. Tsunade était toujours un sujet sensible pour le Nanadaime. La cinquième Hokage et mentor de Sakura avait poussé son dernier soupir deux ans plus tôt. Après que Kakashi ait cédé le chapeau blanc de l'Hokage à Naruto, Tsunade avait décidé de reprendre la route, accompagnée comme toujours par sa fidèle Shizune. Elle avait vite retrouvé ses vieux travers en recommençant à jouer dans les bars, et avait passé ses vieux jours à perdre continuellement son inépuisable réserve d'or, au grand désarroi de Shizune et Sakura. Elle n'était cependant pas moins restée une figure importante et récurrente de la vie de Naruto, toujours présente pour lui dispenser des conseils et lui délivrer des engueulades à faire trembler les murs de la Tour des Hokages.

– J'attendais une occasion particulière pour la déboucher, ajouta Naruto qui tendit une coupelle à son ami après l'avoir remplie de saké.

– Et tu crois que c'en est une ? demanda Sasuke.

– A toi de me le dire, rétorqua le Nanadaime en lui adressant un regard impénétrable.

Il leva sa propre coupelle. Les deux hommes trinquèrent et burent dans un silence confortable. Naruto grimaça en sentant le saké sur sa langue avant de couler dans sa gorge. C'était un cru bon marché, vu le goût. Tsunade avait toujours eu des goûts laissant à désirer en matière d'alcool. Á voir le rictus dégoûté que Sasuke ne prit pas la peine de masquer, il devait penser exactement la même chose.

– Alors ? demanda Naruto après avoir avalé tant bien que mal sa gorgée.

Sasuke, parce qu'il vraiment un enfoiré sans nom, pris tout son temps avant de daigner répondre. Il avala lentement sa gorgée de saké, s'humecta les lèvres, reposa sa coupelle sur le bureau et posa une main sur ses jambes croisées.

– Beaucoup de gens s'inquiètent pour toi, déclara-t-il finalement. Et pas seulement Hinata et Sakura.

– Sur moi ? Pourquoi ?

L'Uchiwa lui envoya son fameux regard qui voulait dire « mais quel gros idiot » et que Naruto recevait depuis l'Académie. Certaines choses ne changeaient pas, et dans un monde en constante mutation, ça avait quelque chose de réconfortant.

– Même toi, tu n'es pas aussi débile, soupira Sasuke.

– Je t'ai déjà dit que si t'étais juste venu pour m'insulter, tu peux tout de suite prendre la por…

– Dis-moi, l'interrompit le brun sans l'écouter. C'étais quand, la dernière fois que tu as pu voir ta femme ? Ou tes enfants ?

Naruto se sentit rougir et se détesta immédiatement de montrer un signe si évident de faiblesse. Il se versa une seconde coupelle, mais son geste était trop brusque et des gouttes de saké tombèrent sur le rapport de Shikadai. Peu importait, de toute façon, Naruto n'arrivait même pas à décrypter les hiéroglyphes que le fils de Shikamaru avait l'audace d'appeler son écriture.

– Je les vois aussi souvent que je peux, s'indigna l'Hokage en foudroyant son ami – ce bâtard ? Son ami ? Peuh ! – du regard. Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Sasuke ? Je suis toujours surchargé de travail! Tu sais comment ça marche depuis le temps. Et puis je vois pas pourquoi tu t'inquiète. Mes enfants sont grands, maintenant.

– D'après Sarada, ce n'est pas une raison pour ne pas prendre le temps de les voir, dit Sasuke non sans une grimace, et Naruto pouvait presque imaginer la moue sévère de la jeune Uchiwa sermonnant son père sur l'importance de passer du temps avec sa famille plutôt que de courir les sentiers battus. Tu sais qu'Himawari est devenu une Jônin, aujourd'hui ?

Naruto fronça les sourcils.

– Bien sûr que oui, j'y étais !

La cérémonie avait été magnifique. Il avait fait un grand soleil, et l'air avait été chargé du parfum des fleurs de cerisiers. Naruto, dans son habit blanc, avait présidé la cérémonie comme il était attendu de son rang. Il avait décerné le rang de Jônin à sept nouveaux ninjas aujourd'hui, dont sa propre fille Himawari. Elle avait été magnifique, ses yeux bleus brillants de fierté quand son père s'était arrêtée devant elle pour la féliciter. Naruto se souvenait s'être dit à quel point elle pouvait ressembler à sa mère au même âge… Perdu dans ses souvenirs, le blond ne remarqua pas Sasuke levant les yeux au ciel.

– L'Hokage y était, rétorqua-t-il en mettant de l'emphase sur le premier mot. Mais est-ce qu'Uzumaki Naruto était bien là pendant la cérémonie ?

– Je comprends rien à ce que tu racontes, enfoiré ! s'énerva Naruto.

– Naruto, je suis en train de te demander si tu t'es rendu compte que ta fille vient de devenir une Jônin.

Naruto écarquilla les yeux. Oh, pensa-t-il. Sa fille. Himawari, son trésor, sa petite fleur, sauf qu'elle n'était plus si petite maintenant. Il était le père d'une fille – non, bientôt une jeune femme maintenant – de dix-sept ans, fraîchement promue Jônin, participant activement à la défense du village. Et Boruto qui suivait une formation intensive au Mont Myôboku depuis un an maintenant… L'Hokage regarda le rapport de Shikadai qui remplaçait son père dans le rôle d'assistant de l'Hokage depuis pratiquement deux ans déjà. Le temps passait trop vite pour que Naruto parvienne à le compter.

Sasuke, qui observait attentivement le visage de son ami, s'autorisa un sourire quand il vit la compréhension illuminer les prunelles bleues.

– Enfin, tu comprends…

–Le temps va tellement vite, soupira Naruto. J'ai rien vu passer. Merde, je me sens vieux, tout à coup…

Morose, il but sa coupelle d'une traite pour chasser vainement cette sensation qu'il n'avait plus ressentie depuis… depuis vraiment très longtemps.

– T'as le chic pour remonter le moral, ironisa le blond en jetant un regard à son acolyte.

– Je n'ai jamais prétendu que ce dont je devais te parler serait particulièrement agréable à entendre.

Le Nanadaime ricana face à cette réponse laconique.

– C'est ça que tu essaies de me dire depuis tout à l'heure ? demanda-t-il en se renfonçant dans son siège. Que je deviens trop vieux pour être Hokage ?

Sasuke éluda son regard, tournant la tête pour regarder la lune, haute et ronde dans le ciel nocturne. En contrebas, la rue commerciale du village – Konoha était devenu si grande, pouvait-on encore l'appeler un village ? – brillait encore de tous les éclairages aguicheurs des façades commerçantes. Mais Naruto le savait, Sasuke ne regardait pas le village. Même s'il était revenu vivre auprès de Sakura et Sarada, son regard demeurait toujours tourné vers l'épaisse forêt de chênes rouges et l'horizon si lointain. Comme si sa place était toujours sur les routes, dans le mouvement perpétuel, tandis que celle de Naruto avait toujours été là, à Konoha, dans ce village qui l'avait vu naître et pour qui il voulait tout donner.

Après quelques secondes d'un silence contemplatif, l'Uchiwa prit la parole. Ses yeux étaient toujours fixés vers l'astre nocturne.

– Le temps passe, Naruto. Comme tu l'as dit, tes enfants ont grandi. La nouvelle génération est là maintenant, prête à reprendre le flambeau.

L'image d'Himawari reparut dans l'esprit de Naruto. Une jeune femme qui ressemblait tellement à sa mère au même âge, les joues rouges de timidité mais les yeux remplis de fierté, aussi grande qu'Hinata maintenant, ses longs cheveux bruns attachés en queue-de-cheval. Boruto était lui le portrait craché de son père, un jeune homme grand et musclé, assuré et rieur qui maniait la lame – un héritage de son apprentissage avec Sasuke – avec habilité. Quand il revenait à Konoha pour de courtes vacances, il passait son temps à se chamailler avec Sarada. La fille de Sasuke et Sakura était devenue une magnifique jeune femme, la copie conforme de son père mais avec la chaleur de sa mère. Elle était une kunoichi accomplie et envisageait d'entamer une carrière de Jônin instructrice.

Tous les visages de leurs enfants – Shikadai, Chocho, Inojin… – se mêlèrent dans l'esprit de Naruto qui finit par secouer la tête pour s'éclaircir les idées. Il fut agacé de constater qu'il ne pouvait pas donner tort à Sasuke, mais chercha une bonne réplique à lui lancer.

– Je sais. Je n'empêche pas les jeunes de s'investir pour le village. Au contraire, je les encourage.

– Les encouragements, c'était bon quand ils étaient encore enfants. Maintenant, il faut les laisser voler de leurs propres ailes.

– Depuis quand tu t'y connais tellement en matière d'éducation ? s'agaça Naruto en dardant un regard noir à l'Uchiwa. Tu as été complètement absent de la vie de ta fille jusqu'à ses douze ans.

C'était un coup bas qui ferait obligatoirement mal, parce que Naruto savait que Sasuke aimait sa fille – il l'aimait plus que tout – et il sentit aussitôt la colère s'estomper, remplacée par un douloureux sentiment de culpabilité. Il ouvrit la bouche, prêt à s'excuser, mais Sasuke le devança.

– Je n'ai jamais prétendu être un expert pour élever des enfants. Mais les nôtres sont devenus des adultes, et ils ont besoin d'hériter du monde qu'on a protégé pour eux.

Naruto sentit une douleur sourde dans sa poitrine à ces mots, et il ignorait franchement pourquoi. Il était fier, comme n'importe quel père, de voir ses enfants devenir des adultes accomplis, heureux, prêts à se lancer dans la vie. Mais il y avait quelque chose dans le fait de l'entendre qui était… définitif. Pas de retour en arrière possible. C'était insupportable à penser. Évidemment, Sasuke arriva à lire en lui comme dans un livre ouvert.

– Je sais que c'est difficile à concevoir pour toi, Naruto. Mais le temps est venu. Tu dois céder ta place.

– Non, c'est trop tôt, marmonna le blond en fixant une vieille photo de famille – lui avec un jeune Boruto sur les épaules, Hinata tenant une Himawari encore tout bébé. J'ai encore beaucoup de chose à faire…

– Regarde autour de toi, insista Sasuke. Tout le monde a cédé sa place : Shikamaru à Shikadai, Ino et Choji à Inojin et Cho-Cho. Même le fils d'Orochimaru a décidé de reprendre les anciens travaux de son père.

– Je me demande si c'est une bonne idée, ça, grommela Naruto.

Sasuke haussa les épaules avec son habituelle arrogante indifférence.

– Il ressemble à son père, mais il a grandi sous ta protection et ton enseignement. Je ne m'en fais pas trop pour lui.

– Tu as énormément confiance en moi, remarqua le Nanadaime en levant les yeux pour accrocher le regard de Sasuke. Alors pourquoi tu ne me laisses pas choisir le moment où je voudrais me retirer ?

Les sourcils de l'Uchiwa se froncèrent imperceptiblement sous ses mèches noires.

– Je t'ai laissé autant de temps que possible, répondit-il, énigmatique. Á vrai dire, j'attends que tu le fasses depuis mon retour à Konoha. Mais le temps a passé, et tu n'as pas manifesté une seule fois la volonté de désigner un successeur. Alors je le redis : le temps est venu.

Sasuke était calme, mais il y avait une urgence dans sa voix qui alluma toutes les alarmes dans le cerveau de Naruto. L'Hokage observa son ami avec des yeux plissés. Oui, quelque chose avait changé chez Sasuke depuis quelques temps. Il semblait plus distant, ou du moins encore plus qu'il ne l'était déjà par nature. Les sentinelles postées aux portes du village disaient régulièrement voir l'Uchiwa disparaître dans la forêt au petit matin et ne revenir que tard le soir. Naruto s'était promis d'en toucher un mot avec Sakura, mais avec tout le travail qu'il avait déjà, il avait complètement oublié. Il regrettait maintenant de ne pas avoir pris le temps de davantage se pencher sur la question.

– Tu parais bien sûr de toi, dit prudemment Naruto. Qu'est-ce que je dois comprendre, Sasuke ?

Il connaissait déjà la réponse, mais ça n'empêcha pas une vieille douleur de s'éveiller dans son cœur en entendant la réponse de son meilleur ami.

– Je vais bientôt partir. J'ai passé autant de temps que je le pouvais à Konoha. Il est temps pour moi de reprendre la route.

Il le dit sans une once d'hésitation ni même aucune émotion particulière. On aurait dit qu'il annonçait simplement qu'il sortait acheter du pain. Naruto se mordit les lèvres, sa main tenant la coupelle se resserrant si brutalement que la faïence émit un craquement de protestation. Sasuke rencontra son regard orageux sans flancher.

– Et quand comptes-tu revenir ? articula l'Hokage d'une voix qui masquait mal sa colère et son désarroi.

– Je ne l'ai pas encore décidé, vint la réponse placide.

Sasuke était tellement froid et impassible quand Naruto était rouge de colère et submergé par des émotions contraires. Il voulait pleurer et crier en même temps. Il voulait serrer son ami dans ses bras et lui coller une droite en pleine face. Tout changeait, mais Sasuke restait le même : un enfoiré absolu de la première catégorie. Désabusé, Naruto laissa échapper un rire sans joie.

– T'en a pas marre de répéter la même rengaine, Sasuke ? Pourquoi tu veux repartir maintenant ? Si tu vas encore me sortir l'excuse de Kaguya…

– Ca n'a rien à voir avec ça, le coupa l'Uchiwa. Nous n'avons plus entendu parler des Ôtsutsuki depuis pratiquement dix ans. Le risque est minime, et même s'il existe encore, Konoha est suffisamment forte pour se défendre contre leurs attaques. Je veux partir parce que ma place n'est plus ici.

– Konoha est ton foyer…

Naruto fut interrompu par le bref éclat de rire de Sasuke. Son ami secoua doucement la tête, laissant deviner la lueur violette de son Rinnegan dans la pénombre du bureau.

– C'est toi qui ressembles à un disque rayé maintenant, Naruto, se moqua le brun. Konoha est le foyer des Uchiwas, et c'est pour ça que j'ai laissé Sarada grandir ici. Mais ce village n'a jamais été vraiment le mien. J'ai passé moins d'un quart de ma vie dans cet endroit, même en comptant ces dernières années. Je veux repartir.

– Et Sakura-chan ? Et Sarada ? demanda l'Hokage d'un ton agressif. Qu'est-ce qu'elles en disent ? Ou alors tu n'as pas pensé à elles en prenant ta grande décision ?

– Elles le savent déjà, et elles sont d'accord. Je ne prévois pas de ne jamais revenir, Naruto. Mais je ne peux plus vivre ici.

Naruto ravala tant bien que mal sa colère et sa frustration. Bien sûr que Sakura-chan était sans doute déjà au courant, se sermonna-t-il intérieurement. Elle avait tout de suite su à quoi s'attendre en épousant ce salaud de Sasuke. Elle avait su qu'elle passerait probablement la plus grande partie de sa vie seule, loin de son époux, et qu'elle ne vieillirait pas à ses côtés… Sasuke avait de la chance de l'avoir. Quant à Sarada, elle était devenue suffisamment grande pour comprendre la nature réservée de son père. Elle n'était plus cette enfant triste à l'idée de ne pas voir son père aussi souvent qu'elle le voulait, elle était devenue une femme forte et indépendante.

Boruto était-il devenu ainsi ? Naruto le voyait rarement maintenant, c'était vrai, mais entre ses nombreuses réunions et ses interminables heures passées enfermées dans son bureau, l'absence de son fils ne lui pesait pas autant qu'il l'aurait cru. Boruto était grand maintenant, suffisamment pour savoir que faire de sa vie. Himawari également. En tant que porteuse du Byakugân, elle avait été désignée par sa tante Hanabi comme l'héritière du clan Hyûga et passait désormais le plus clair de son temps là-bas, auprès de sa tante et ses cousins. La vie continuait, réalisa doucement Naruto, et lui ressemblait au rocher immuable qui traversait les époques sans bouger.

– Pourquoi tu me racontes tout ça, Sasuke? soupira le Nanadaime en frottant son visage fatigué. Si tu voulais simplement partir, tu ne te serais pas gêné pour le faire sans rien me dire.

– Tu n'as pas tort, admit l'Uchiwa en inclinant la tête. En vérité, j'aimerai te proposer de venir avec moi cette fois.

Les sourcils blonds de l'Hokage se haussèrent aussi haut qu'ils le purent.

– Quoi ?

– Ca fait plus de vingt ans que tu vis dans ce village sans jamais l'avoir quitté une seule fois. Il y a un monde autour de Konoha, qui continue de changer et d'évoluer. J'aimerai que tu viennes le découvrir avec moi.

– Tu crois que ça suffira à me convaincre de céder ma place ? s'agaça Naruto en haussant malgré lui le ton. Tu me parles comme si j'étais un vieux croûton enfermé dans sa tour d'ivoire, incapable de passer le flambeau !

– Parce que ce n'est pas ce que tu es en train devenir ? répliqua Sasuke sur le même ton.

– Je t'ai dit que ce n'était pas encore le bon moment pour moi de partir !

Les yeux de l'Uchiwa se plissèrent dangereusement, et bien que le Sharingan ne s'activât pas, Naruto put y décerner clairement l'étincelle de colère qui y brilla. Parfait, pensa-t-il avec satisfaction, que Sasuke s'énerve, et qu'ils se battent pour que Naruto règle une fois de plus son compte à ce bâtard obstiné. Ça faisait trop longtemps qu'ils ne s'étaient pas disputés.

– Espèce d'idiot, siffla l'Uchiwa d'une voix glaciale. Tu ne crois pas que c'est exactement ce que se sont dit Danzô et sa bande quand ils ont décidé d'ignorer les volontés de tes parents ?

– Qu'est-ce que tu racontes ?

Sasuke s'avança sur son siège, le cou tendu pour planter un regard acéré comme la lame de son épée dans les yeux bleus face à lui.

– Est-ce que tu as oublié pourquoi Konoha était devenue pourrie de l'intérieur quand on était enfants ? Pourquoi la volonté de tes parents, qui voulaient que les villageois te traitent comme un héros, a été ignorée et qu'ils t'ont laissé dans la solitude et l'ignorance toute ton enfance ? Pourquoi mon clan a été anéanti en un claquement de doigts, soi-disant pour le « bien commun » ?

– Sasuke, fais gaffe à ce que tu dis…, gronda Naruto.

– Danzô, Koharu et Homura étaient devenus des vieux croûtons incapables de céder leurs places, poursuivit l'Uchiwa en haussant le ton. Ils se croyaient indispensables, tellement engoncés dans leur égo qu'ils étaient devenus aveugles à la douleur des autres. Danzô lui-même avait passé tellement de temps caché derrière son ANBU Racine qu'il avait complètement oublié la réalité d'un combat, au point de se faire battre par un gamin de seize ans !

Cette fois, le rouge du Sharingan inonda la prunelle noire de Sasuke, brillante comme de la braise dans la pénombre. L'iris étoilé se planta viscéralement dans le regard de Naruto, et l'Hokage pouvait presque apercevoir les souvenirs de la bataille dans les yeux de son ami. Il imagina Sasuke à seize ans, le rouge incandescent de ses yeux offrant un contraste morbide avec celui du sang qui teintait sa lame. Cette vision lui glaça le sang et le remplit de rage en même temps.

– Tu oses me comparer à eux ? s'exclama Naruto en abattant son poing sur la table. Je n'ai rien en commun avec eux !

– Non, confirma Sasuke sur un ton plus calme. Pas encore, mais si tu continues sur cette voie, tu risques de le devenir. Pourquoi est-ce que tu crois que toutes ces horreurs sont arrivée ? Le Sandaime était un vieil homme fatigué qui s'est laissé dépasser par les évènements. Il savait qu'il n'avait plus l'énergie ni les épaules pour continuer à assumer son rôle. Si le Yondaime avait survécu à l'attaque du Kyûbi, je parie que le massacre des Uchiwas ne serait jamais arrivé. Mais il est mort est le Sandaime a dû reprendre sa place.

Naruto ouvrit la bouche, furieux et apeuré comme une bête sauvage, car les paroles de Sasuke le frappaient au plus profond de lui, à l'endroit même où il conservait tous les précieux souvenirs de son passé : son père, sa mère, Jiraiya, Neji, Tsunade, Sarutobi… Il pouvait sentir Kurama gronder doucement en lui, la promesse d'une colère mémorable et surtout destructrice si Sasuke ne se taisait pas immédiatement, mais bien évidemment, l'Uchiwa ignora tous les signes d'avertissements lancés par les pupilles rougeoyantes du blond, jusqu'à l'aura noire et glaciale de son chakra, mêlé à celui du démon-renard.

– C'étaient des hommes et des femmes comme toi au début. Ils avaient endossé leurs responsabilités en leur âme et conscience, ils voulaient bien faire. Mais ils sont restés tellement longtemps accrochés à leur pouvoir qu'ils sont devenus incapables de le lâcher. Dis-moi, Naruto, tu n'as pas l'impression de devenir comme eux ?

– Retire ce que tu viens de dire, Sasuke, gronda le Nanadaime entre ses dents serrées. Retire-le maintenant, ou je te jure que je vais te foutre la plus grosse raclée de ta vie pour la deuxième fois…

Le visage glacial de l'Uchiwa se déforma en un rictus amusé, moqueur même, identique en tous points à celui qu'il avait si longtemps afficher face à Naruto par le passé. Le blond avait l'impression d'être revenu des années en arrière, et qu'il avait en face de lui un Sasuke de dix-sept ans, son Rinnegan fraîchement éveillé dans sa pupille droite, et sa détermination d'anéantir son unique ami brûlant comme de la lave dans ses veines et son cœur.

– Eh bien essaie, rétorqua Sasuke d'une voix provocatrice. Je parie que t'arriveras même pas à m'égratigner le bras qui me reste. Espèce de boulet.

Le Nanadaime se leva d'un mouvement si brusque qu'il manqua de faire basculer son siège derrière lui. Une des coupelles posées sur le bureau tomba et se fracassa sur le plancher avec un bruit de céramique brisée. Naruto l'écrasa sous sa sandale sans plus de considération. Cette insulte, il ne l'avait plus entendue depuis… depuis si longtemps qu'il l'avait presque oubliée mais elle raviva en lui toutes les vieilles blessures qu'il avait cru cicatrisées. Il avait vaguement conscience que le chakra de Kurama s'échappait de son corps par tous ses pores, mais l'ignora complètement et agrippa par le bras le salaud qui lui servait d'ami pour le relever d'un geste brusque. Sasuke se laissa faire sans résister.

– On va régler ça ailleurs. Je vais te faire bouffer la poussière après t'avoir brisé tous les os !

Il entraîna l'Uchiwa dehors, et les deux silhouettes disparurent dans la forêt des chênes rouges, loin des lumières de Konoha.

A suivre


Merci d'avoir lu ce premier chapitre. J'espère qu'il vous a plu, et si le cœur vous en dit, laissez-moi une petite review! Je publierai le prochain chapitre demain soir.