À ta place

I. Naître.

Dis mon amour, lorsque tu fermes les yeux, et que tu penses à « nous », que vois-tu ? Moi, je vois un avenir, avec de beaux enfants, dans un endroit qui n'aurait été qu'à « nous ». Moi, je vois le bonheur.

Il pleuvait, d'une pluie lourde, qui tombait sur le toit de l'hôpital en une multitude de petits bruits sourds, rompant le silence de sa chambre, la tenant éveillée au fond de son sommeil sans rêve. Ses yeux allaient et venaient entre la fenêtre et la porte, incertains, confus au milieu du calme, sans qu'elle ne distingue rien. Elle réfléchissait, à elle, à lui, à eux, et à ce futur bébé qui prenait trop de place dans son utérus. Le regard fixe, elle croyait vainement arrêter le temps, garder encore un peu de ces moments comme suspendue. Elle transpirait, à mesure que s'écoulait ces douloureuses minutes, à mesure que filait la pluie dans les gouttières. Elle les sentait, ses doigts qui se crispaient contre le lit, ses cheveux qui collaient désagréablement à son front, sa bouche si sèche et ses pieds si froids, mais la souffrance de son coeur ne l'atteignait pas, ni la douleur de ses contractions qui semblaient briser tout son squelette. Elle se souvenait, lorsqu'il souriait, elle aussi elle souriait.

« Hinata ? Hinata je suis là, ça va aller. Tu verras, je vais rester là, à te tenir la main. »

Elle vit les larmes de son amie, si chère à son bien être, qui lui caressait le haut du crâne, doucement, tout doucement, sans tenir compte de sa sueur. Elle se laissait choyer, écoutant distraitement le son des roues cahotant jusqu'à la salle d'accouchement. On aurait dit qu'elle n'avait pas mal, avec ce visage si serein, si posé, et on se demandait pourquoi Sakura avait si peur en lui serrant la main. Autour d'elle, ils s'agitaient tous, dans un flot continu d'alerte et d'ordre. Elle se demanda pourquoi tant de précipitation, pourquoi son enfant ne pouvait pas naître en étant le seul à troubler son inertie. Les jambes écartées, elle fit basculer sa tête en arrière, comprenant enfin la situation pénible dans laquelle elle se trouvait. Pour une fois, elle fit des efforts, faisant de son mieux pour reproduire les indications des médecins, pour que son bébé soit beau et rond, la peau lisse et l'oeil vif, sans défaut, près à vivre pleinement.

« Sakura, appela-t-elle. J'ai mal !

- Je sais. Mais c'est juste un mauvais moment à passer, après, tout ira bien.

- Tu promets ?

- Oui, je promets. C'est vrai. Quand il sera né, tu rentreras avec moi, on installera un beau landau, qu'on aura choisi en se disputant, et on trouvera qu'il est vraiment mignon quand il cherche à attraper nos doigts. Et même si Sasuke râle un peu, on plantera un grand ficus dans le salon, avec des orchidées et des oliviers, un océan de verdure envahissant. Tu ne seras plus triste, je ferais tout contre.

- Comment je vais l'appeler ? Il lui faut un prénom, un viril puisque c'est un garçon.

- Vous n'en aviez pas parlé ? Sasori n'avait fait aucune suggestion ?

- Non. »

Ses mots restèrent coincés dans sa gorge en une boule compacte, qui l'étouffa autant que les brulures qu'elle ressentait le long de son échine. Ils n'en avaient pas parlé, ils pensaient bêtement que l'heure venue, l'un d'eux saurait comment l'appeler, que cela se décidait d'instinct, quand on découvrait pour la première fois ses traits et qu'on entendait sa voix. Mais là, devant le fait accompli, rien ne lui venait, pas un germe d'idée, le seul prénom qu'elle avait envie de crier était le sien : Sasori. Alors, voyant la passivité la gagner, Sakura décida pour elle, donnant à son neveu une identité que sa mère n'avait pas la force de lui offrir. Ce serait Haruki.

« Tu veux le prendre dans tes bras ? interrogea Sakura, un peu plus tard, lorsqu'elle fût de nouveau dans sa chambre, le bas du ventre meurtrie. Il est tout léger. »

Le bébé n'était pas spécialement beau, il avait une tête trop grosse, et de petits yeux flétris qui ne voulait pas s'ouvrir. Sa peau était encore un peu rouge, et humide sur le sommet de sa tête, d'où pointaient des cheveux d'un châtain noisette, flouté par de sombres reflets roux. Il avait ses lèvres qui vibraient, sans qu'aucun son ne s'en échappe, et ses doigts qui cherchaient à remuer, sans arriver à trouver la clé du mécanisme d'un mouvement net et simple. Calé contre son sein, elle pouvait sentir son souffle qui frôlait sa peau, hérissait par endroit ses poils. A l'instant où elle voulut baiser son front ridé, la porte s'entrouvrit, d'une lenteur peureuse, jusqu'à laisser apparaître Sasuke, portant dans ses bras Shinichi, son garçon de deux ans, né après qu'il eut accidentellement mit Sakura enceinte un soir où l'orage les avait étrangement pousser à boire trop, à oublier toute responsabilité et à s'étonner les semaines suivantes de toutes ces nausées intempestives.

« Alors ? Tout va bien ?

- Oui, lui répondit-elle. C'est fini. Il est enfin né.

- Tant mieux. Il aura mit le temps, répliqua-t-il en serrant celle qu'il aimait contre lui. Tiens, il voulait absolument que tu le portes, il a hurlé pendant plus d'une heure.

- Vraiment ? D'habitude il est si sage, s'étonna Sakura en prenant son fils contre elle. Mais venez, je vais vous présenter Haruki. Le docteur affirme qu'il est en pleine santé, et que c'est un bébé plutôt robuste. »

Hinata les laissa découvrir son fils, et en profita pour fermer les yeux. En faisant cela, c'était comme s'il n'était jamais mort. Elle arrivait à sentir ses caresses, à entendre sa voix qui lui murmurait : « Bravo. Il est magnifique. Je suis heureux. » Alors qu'en réalité, Sasori était mort.


II. Rêver.

Le vent soulevait les rideaux, ébouriffait ses cheveux et faisait frissonner le bébé.

La première fois qu'elle l'avait vu, que ses yeux avaient plongé dans les siens, elle avait vomi juste après. A vingt trois ans, elle était bête, encore plus qu'aujourd'hui. Elle buvait dans un bar ce soir là, un whisky coca, une bière, et encore un whisky coca. Naruto lui avait encore jeté à la figure qu'il l'aimait. Et elle l'avait encore jeté. Il comprenait pas qu'il l'emmerdait, avec cet air candide et cet amour niais. Elle elle avait tourné la page, pourquoi pas lui ?

Et puis il était entré, passant le seuil, tranquille, avec un oeil au beurre noir, la lèvre entaillée, regardant les autres comme ci c'était rien que des idiots qui n'avaient rien compris. Puis il l'avait remarqué, assise en biais, les cheveux malheureusement gras parce qu'elle les avait pas lavé depuis très longtemps, peut être trop, et qui semblait ne plus supporter les verres qu'elle s'enfilait sans s'arrêter. Elle se savait conne, minable, elle savait qu'un mec qui l'aimerait autant que son blond n'arriverait sans doute plus jamais, mais elle en voulait pas, de Naruto. Et lui, il débarquait pile à ce moment là, dans sa dégaine de voyous trop irrésistible, et il lui proposait de lui payer le prochain whisky, et elle vomissait pile à ce moment là.

Ils avaient passé la nuit ensemble, collé l'un contre l'autre, ne pensant pas que trois mois plus tard ils emménageraient dans le même appartement, découvriraient une envie folle d'avenir commun, s'amuseraient à répéter inlassablement des scènes de mariage toujours un peu plus érotiques. Et puis, au bout de trois ans, décider de passer le cap, d'enfanter tous les deux une nouvelle vie, de chérir un troisième être qui viendrait compléter leur joie désormais omniprésente.

Sasori.

A présent, tout lui paraissait loin, étranger à sa vie. Ses rires avec lui semblaient appartenir à un vieux fantasme adolescent, qu'elle croyait enfouie mais qui avait finalement resurgit. Qu'elle était malheureuse, à serrer comme une bouée ce petit être inconscient de tout. Elle s'était remise à pleurer souvent, à maudire la vie, mais plutôt que de s'enfiler des vodkas elle regardait des sitcoms à l'heure des insomnies d'Haruki. C'était devenu dramatiquement pathétique.

« Il est mignon, dit Naruto pour relancer la conversation. Il a tes lèvres.

- Sans doute, puisque je suis sa mère.

- Hinata...

- Tu soupires Naruto. Ne soupire pas.

- Je sais que ça t'agaces. Mais toi aussi tu es irritante. Tu fuis le sujet. Il faudra bien que tu l'acceptes pourtant. Maintenant que Sasori est mort, tu es toute seule.

- Et comme tu l'es aussi, nous devrions nous marier comme si de rien n'était ? »

Elle savait qu'elle se montrait cruelle, il était prêt à tout lui pardonner, effacer son ardoise pleine par amour pour elle et elle le dédaignait, regagnait ses hauteurs pour le regarder encore une fois comme une fourmi. Elle le faisait souffrir, elle en avait conscience et en était désolé, cependant à présent elle n'aurait plus accès à sa drogue aux cheveux roux, à son ange racoleur descendu du ciel pour la baigner de lumière. En ce sens, elle se sentait acculée. Alors elle articula les quelques mots magiques qui lui permettraient de s'alléger un peu, qui la noyait dans le déni tout en lui permettant de respirer. Sakura n'approuverait pas, Sasuke prendrait son parti mais juste parce qu'il ne la voulait plus chez lui. En fermant sa valise, elle eut la sensation d'être happée pas les évènements. Elle aurait voulu fuir une dernière fois entre ses bras, mais tout ce quelle trouva fut sa boîte de comprimé de somnifères. Elle l'avala tout entière, elle ferma les paupières, et ce doux rêve qui l'avait habité ces trois années passés resurgit, presque plus net qu'à l'origine, l'emportant dans une plaine de bonheur, marquant un pont avec ces choix irréfléchis et son envie de fin imminente.

« Hinata, réveille toi. On est arrivé. Tu as dormi tout le trajet. »

Ouvrir les yeux, contempler le monde et l'accepter, toutes ces phases qu'elle répétait à chaque fois gardait cette dureté et ajoutait à son aigreur. Vivement, elle jeta un coup d'œil à sa nouvelle maison, en banlieue de Tokyo, où elle avait déjà vécu trop d'année et pas assez. Derrière les tâches de poussières du pare-brise sale elle lui remarquait un charme soudain, comme caché puis découvert aujourd'hui, comme appuyant sa décision qui remontait sous forme de bile au fond de sa gorge. Dans le soleil de fin d'après midi, le lieu avait ce quelques choses d'effroyablement attirant, et de désespérément touchant. Plantée au milieu de la chambre aménagé pour Haruki, elle crut juste bon de se dire que son blond ferait un bon père, à défaut de la faire voler.

« Tu te souviens, c'était ma mini salle de gym. Je l'ai repeint en blanc et j'ai remit des gonds sur la porte. On dirait presque une autre pièce sortit d'un trou noir ! Elle est bien pas vrai ?

- Oui, acquiesça-t-elle en passant ses doigts sur le landau que remontait Naruto. Elle est parfaite.

- Je suis content qu'elle te plaise, j'y ai bossé pendant au moins dix week-ends consécutifs ! »

Elle l'embrassa, doucement, car elle avait oublié ce frisson qui la parcourait quand même lorsqu'il passait sa langue dans sa bouche, puis elle le laissa lui faire l'amour. Vraiment, le temps semblait ne pas avoir eu d'emprise sur eux, comme si après ce soir là, elle n'était finalement pas repartit vivre autre chose avec Sasori, mais qu'elle avait juste regagner son lit et fait un long et agréable rêve.

En réalité, mon amour, « nous » n'était pas envisageable, « nous » était juste là pour nous rappeler que cette flamme que l'on croyait morte était toujours en nos coeur, et qu'elle allait continuer de briller encore longtemps. N'est-ce pas ?