I. Esprit de feu
Je m'appelle Bellatrix Black. Oui, Black. Comme la famille à la plus pur descendance de toute l'histoire des sorciers. La famille au sang immaculé, parfait. Depuis ma naissance, tout le monde m'aime, tout le monde m'envie et me respecte. J'aime beaucoup ça. Ils ont raison, en même temps. Je suis une Black.
Quoi, je me vante ? Oui, je me vante ! Je suis fière ! Et avouez qu'il y a de quoi ! Jalousez-moi, je m'en fous. Je suis Black et c'est tout. Ma mère disait souvent quand j'étais petite : « Cette gamine a le diable au corps et l'esprit en feu ! » Ca faisait beaucoup rire mon père. Je ne saisissais pas très bien. Mais j'ai compris. Caractère de battante, légèrement tête brûlée, téméraire, têtue… Je ne lâche jamais l'affaire. Je sais m'enflammer tout en restant froide comme la glace. Je ne cède jamais. Jamais.
Déjà, en première année à Poudlard, j'ai su me faire respecter. Je me souviens, quand on me demandait mon nom, je répondais avec fierté, le menton haut et la voix claire. Ca impressionnait même les profs. Je ne les craignais pas. Ils ne me faisaient rien, avec leurs menaces, leurs retenues, leurs points en moins… On m'accusait d'insolence. On disait que j'avais un tempérament bien trop rebelle. Que je n'avais aucune tolérance, que je fonçais droit devant, tête baissée, comme un bélier. Agir sans réfléchir mais être doté pourtant d'une intelligence respectable. De mes trois sœurs, je suis la plus âgée. Ca a toujours été comme ça, ça c'est fait ressentir directement. Je suis dominante. On m'accuse parfois de me croire toujours supérieure aux autres. C'est faux. Je ne me crois pas supérieure.
Je me contente de l'être.
Et alors ? Ca vous dérange ? Qu'est-ce que ça peut bien me faire ?
Rien. Bonne réponse. Je ne sais pas si je vous l'ai dit, mais je suis maintenant mariée. Ca me dégoûte. Non pas que mon mari soit repoussant à ce point – il est acceptable, disons. Le seul souci, l'énorme problème… C'est mon nom. Bellatrix Lestrange. C'est écœurant. Ca sonne mal, mais mal… ! Je regrette le temps où mon nom était toute ma fierté, ma dignité, ce qui faisait que je marchais la tête haute dans la rue en me sentant puissante… Mais bon, un nom de change pas un caractère. Je me dis parfois que j'ai quand même de la chance d'être marié à Lestrange. C'est pas meilleur que Malfoy – qui est une famille très respectée aussi – mais c'est toujours mieux que l'horrible moldu que s'est trouvé celle qui fut autrefois ma sœur. Je me demande parfois quand même si il existe vraiment de l'amour entre Rodolphus et moi. Peut-être pas. Sûrement que non. Tout comme il n'en existe aucun entre Narcissa et Lucius.
C'est le temps qui fait ça. Quand on était jeunes, on ressentait pleinement nos sentiments. On en avait, c'est déjà pas mal. Maintenant, on est des coquilles vide, sans cœur, sans âme. On se contente d'être, d'exister, de servir. Ca me convient. C'est toujours mieux que d'être dépendante de l'autre. La dépendance… J'ai horreur de ça. Je suis parfaitement indépendante, je n'ai besoin que de moi même. Les autres ont parfois besoin de moi, et souvent, j'aime les ignorer. Apprendre à se démerder seul dans la vie, à se battre. Pour ne pas être sans défense le jour où la solitude s'imposera, où on sera abandonné face au danger… Ne jamais dépendre de quelqu'un, jamais.
Pourtant, à Poudlard, je crois que j'ai éprouvé quelques vagues sentiments. Je dis vague parce que je n'ai jamais vraiment aimé. J'éprouve évidemment de l'affection pour mes parents et ma sœur – je n'en ai plus qu'une, désormais –, et… Oh, en fait, non. Juste ma sœur. Cissy a toujours été celle que je voulais défendre, protéger du danger et de l'avenir sombre qui l'attendait. Je savais qu'elle n'était pas prête pour se battre contre ça, pas prête pour cette guerre, qu'elle ne le serait jamais… Elle est bien trop pure, bien trop belle, bien trop douce pour combattre dans ce camp, dans ces rangs. Quel être humain au monde voudrait la pousser au combat, elle, avec ses yeux d'azur brillants d'innocence et ses airs d'ange tombée du ciel ? Elle n'est pas faite pour cette vie, elle ne le sera jamais. C'est tout.
Même aujourd'hui, alors qu'elle est épouse et mère, je ressens encore le besoin de la protéger. Elle est si vulnérable, si faible… Je crois que c'est la seule personne pour qui j'aurais vraiment éprouvé de l'affection, de l'amour. Ma petite sœur. Même Rodolphus, même pendant nos années de Poudlard… Je ne l'ai que très faiblement aimé. Je l'ai simplement apprécié, vaguement.
oOoOoOo
- Bella !
- Je ne te permet pas de m'appeler comme ça !
- Bellatrix !
- Depuis quand on est assez familiers pour que tu m'appelle par mon prénom ?
Rodolphus Lestrange sourit, et ses yeux sombres se baissèrent. Il respira profondément et leva le regard vers la belle jeune fille brune qui se trouvait devant lui, ses yeux chocolat lançant des éclairs.
- Black ?
- C'est mieux.
- Je disais donc. Pourquoi tu m'évites ?
- Pardon ?
- Chaque fois qu'on se croise, dans les couloirs… tu m'évite.
- Te crois-tu réellement assez important à mes yeux pour que je fasse des détours ?
- Réellement, acquiesça le jeune homme en élargissant son sourire.
- Eh bien il faut croire que tu as tort, soupira Bellatrix. Bon, si tu permet, j'ai un cours de potions dans dix minutes, et je n'aimerai pas être en retard.
- C'est bien dommage, parce que tu vas l'être, si tu ne me répond pas maintenant.
- Oh, c'est un ordre ou une menace ? s'enquit railleusement Bellatrix. C'est très impressionnant, en tout cas… J'en tremble, regarde !
- Tu te défile pour changer de sujet comme ça ?
- Je ne change pas de sujet, je souligne ta stupidité.
- Ne m'insulte pas !
- Alors laisse-moi passer !
Il secoua la tête et ne bougea pas, dos à la porte, son bras bloquant le passage de la salle de classe vide dans laquelle il l'avait entraîné de force, au prix de griffures, coups de pieds violents et même quelques morsures sur le poignet qui avait fermement tenu le bras de la brune.
- Tu n'as pas le droit de me garder ici ! s'emporta-t-elle, à bout de patience.
- C'est pas comme si je te gardais prisonnière pendant toute ta vie.
- Qu'est-ce que tu veux, alors ?
- Tu es sourde ou idiote, Black ? Une réponse ! Ca fait dix fois que je te le dis !
- Je t'interdis de m'insulter !
- Tu le fais pour moi, je ne fais que t'imiter, ma belle…
- Oh, alors c'est pour ça…
Un éclair de compréhension traversa le regard de Bellatrix.
- Quoi ?
- Pour ça que tu tiens tellement à me coincer seule.
- De quoi tu parle ?
- Ecoute Lestrange, tu es très séduisant, mais tu n'es pas pour moi. Trouve-toi une autre fille qui sera ravi de t'avoir pour elle, mais…
- Mais par les fantasmes les plus débauchés de Merlin, de quoi parles-tu ?
Elle s'interrompit un instant, hésitante.
- Tu veux sortir avec moi, non ?
- C'est une demande ? sourit-il.
- Une question, disons.
- C'est probable.
- Je vois.
- Ah.
Il y eut un court silence.
- Qu'est-ce que tu vois, au juste ?
- Laisse-moi sortir, pervers.
- Pardon ?
- Tu m'a traînée ici pour faire des choses que je n'ai aucunement l'intention de faire.
- On se calme chérie, déjà, si je t'ai « traînée » ici, c'est pour avoir une réponse – que tu ne m'as toujours pas donné, d'ailleurs. Ne vas pas t'imaginer que tes rêves sont les miens.
- J'y crois pas ! s'écria-t-elle. Qui veut l'autre, là ?
- Je ne sais pas.
- Quoi ?!
- Ben, toi, tu veux de moi ?
- Je suis une Black, Lestrange.
- Et alors ?
- Les Black n'aiment pas. Jamais. Personne.
- Les Lestrange non plus, enfin pas vraiment, d'après ce qu'on m'a dit. Faut croire que c'est faux. Je suis l'exception qui confirme la règle.
- Répète-moi ça sans tourner autour de la question.
Il inspira de nouveau un grand coup et se mordit la lèvre.
- Je crois que je suis complètement dingue.
- C'est fort possible. Je t'approuve, si ça peut te rassurer. Je peux y aller ?
- De toi.
- Pardon ?
- Complètement dingue de toi.
Il y eut un silence, de nouveau. Rodolphus eut un sourire gêné et baissa une nouvelle fois les yeux, sous le regard intense de Bellatrix.
- Quoi ? lâcha-t-elle enfin.
- Je crois que tu as parfaitement compris.
- Tu déconnes ?
- J'ai malheureusement peur que non.
- Woa… Ah ben merde…
- Eh ouais.
- Mais t'es vraiment sérieux ?
- Je suis vraiment sérieux.
- Toi ?
- Moi.
- Tu m'aimes ?
- Je…
Il hésita, puis plongea son regard dans le sien avec un sourire.
- Ouais. Je t'aime.
- T'en es sûr ?
- Quasiment certain.
- Ah ben merde…, répéta-t-elle.
Il y eut un long moment où ils se fixaient sans rien dire. Il esquissait un mouvement pour sortir quand une main pâle l'attrapa violemment par sa cravate vert et argent. Il eut tout juste le temps de comprendre ce qui se passait quand des lèvres se plaquèrent contre les siennes. Des lèvres au goût sucré de caramel.
- Tu es délicieuse, susurra-t-il quelques minutes plus tard.
Elle ne répondit pas et remit rapidement quelques mèches rebelles de cheveux en place. Il sourit, amusé.
- C'est la première fois qu'on te dit ça, pas vrai ?
Elle se tourna vers lui, haussant un sourcil.
- Je t'aime, précisa-t-il.
- Oui, tu me l'as déjà dit.
- La première fois qu'on te dit « Je t'aime ».
- Ah. Ben… non, bien sûr…
- Avoue.
- Bon, ouais, et alors ?
- A ton avis, pourquoi ?
- Parce que je suis pas assez belle pour certain ? Pas assez intelligente ?
- Tu es magnifique et très intelligente, répliqua-t-il.
- Alors pourquoi, si tu es si malin, hein ?
- Tu es… glaciale.
Elle renifla dédaigneusement.
- Enfin, d'apparence ! ajouta-t-il avec un sourire. Parce que sinon… la chaleur que ressentirai n'importe qui en t'embrassant dépasse de loin celle des enfers…
Elle rougit.
- Tu fais fuir les gens, avec ton air hautain, méprisant. Ils te respectent par crainte, mais tu ne respire franchement pas la gentillesse. Tu te crois supérieure à tout le monde et ceux qui t'aiment vraiment ne le disent pas, par peur de se faire rembarrer. Ils savent que tu n'aime personne, et ils ont peur de toi.
- Pas toi, visiblement ! fit remarquer Bellatrix avec un faible sourire, tout sortant du rouge à lèvre de son sac.
- Non. Je n'ai pas peur de toi.
- Tu as tort ! affirma-t-elle en se remaquillant, un petit miroir dans une main.
- Non. Tu sais pourquoi eux ne te disent jamais qu'ils t'aiment ?
- Non, mais je suppose que tu vas me le dire. Je n'attends que ça ! ajouta-t-elle en détournant le regard du miroir pour le dévisager avec impatience.
- La peur dépasse tous les sentiments.
- Et pas pour toi ?
- Pas pour moi.
- L'amour devant ?
- L'amour devant, acquiesça Rodolphus en lui souriant.
- C'est étrange.
- Pourquoi ?
- Pour un Lestrange.
- Ce qui est étrange, c'est la ressemblance entre le mot « étrange » et mon nom de famille.
- Tu es stupide.
- Peut-être.
Elle lui rendit son sourire.
- C'est ça que j'aime bien chez toi, finalement.
- Ma stupidité ?
- Ton côté différent. Toi tu ose m'approcher et me dire que tu m'aime. Tu ose le penser, vraiment. C'est ça qui me plais. Oser aimer pour quelqu'un de ton rang, de ton sang… C'est mignon.
- Thank's.
Il s'approcha et se pencha vers elle pour lui ravir ses lèvres. Elle écarquilla alors les yeux et s'écria :
- Merde !
- Quoi ?
- Mon cours de potions !
Elle ouvrit la porte à la volée et sortit de la salle. Il esquissa un sourire amusé et cria soudain, alors qu'elle partait en courant dans le couloir, déjà en retard :
- Eh, attends !
Elle se retourna.
- Quoi ?
- Un dernier…
Il marcha tranquillement pour arriver à sa hauteur et l'embrassa encore une fois.
- Satisfait ?
- Satisfait.
- Je peux y aller ?
- Tu peux. On se voit tout à l'heure… Bella ?
Elle lui sourit et hocha la tête, avant de repartir en courant vers les cachots. Il s'appuya contre un mur et se laissa glisser à terre. Il avait prit le cœur de Bella, sa Bella. Lui, Rodolphus Lestrange, sixième année de Serpentard avait réussi à avoir Bellatrix Black rien que pour lui. Une Black rien que pour lui. Un exploit, un miracle… Même si elle ne l'aimait pas vraiment, elle était quand même à lui, et ça, c'était vraiment… parfait. Ca valait largement les griffures, morsures et hématomes dont les marques allaient restées visibles sur lui comme un rappel de cette journée.
oOoOoOo
Je me souviens encore de ce jour où il m'avait coincée dans cette salle de classe vide. Il voulait savoir pourquoi je l'évitais. Pourquoi, au fait ? Ah oui. Il me fixait tout le temps. Ca m'intriguais, je n'aimais pas trop sa présence, je ne savais pas exactement ce qu'il me voulait. Quand je l'ai su, j'ai été un peu surprise, mais finalement, je ne regrette pas. J'ai épousé quelqu'un que j'aimais bien, de sang pur et respectable… Je n'ai pas trop à me plaindre, au bout du compte. Je sais aussi que c'est la seule personne, encore aujourd'hui, à part ma sœur, à qui je permet de m'appeler Bella.
