Le devoir d'un Roi

X784 - Edolas, Cité Royale

La Cité avait beaucoup changé, se disait Jellal en regardant la ville derrière les créneaux d'un chemin de ronde qui tenait toujours debout. Son regard vert glissa sur les dizaines de bâtiments détruits, réduits à des tas de gravats par cet idiot de Natsu. Fairy Tail allait beaucoup lui manquer, ainsi qu'Earthland, mais désormais c'était à Edolas que sa vie allait continuer. Après tout, c'était ici qu'il était né.

Levant les yeux sur la voûté céleste, mouchetée d'étoiles entourant une lune à demi-pleine, il repensa à cette bataille dont il n'avait vu que la fin, trop occupé à trouver le moyen de renverser le sort qui avait transformé ses amis de la Fairy Tail d'Earthland en lacryma. Son père était vraiment allé trop loin dans ses folies. Sacrifier des dizaines, des centaines d'êtres vivants, juste pour de la magie, était quelque chose d'horrible.

Il n'avait pas eu le choix. Natsu avait beau avoir remis à Faust les idées en place, ce dernier devait à tout prix se rendre compte que la magie n'était pas indispensable. C'est pourquoi Jellal l'avait exilé. Il penserait moins à la magie en étant ailleurs qu'à la Cité Royale.

Un bruit de pas le fit se retourner. Si le physique de l'homme en face de lui ne lui était pas inconnu, il mit un certain temps à se rappeler quel était son rôle à Edolas. Gran Doma était, à Earthland, l'un des membres du Conseil de la Magie. A Edolas, il faisait partie d'une des plus vieilles familles nobles du royaume.

« Altesse. » , le salua le vieil homme en passant sa main dans sa barbe.

Jellal se retint de sourire. Edolas ou Earthland, Gran Doma avait le même tic. C'était étonnamment réconfortant.

« Gran Doma. , répondit-il d'un ton neutre.
- Vous vous souvenez de moi, Altesse ? , demanda le vieillard en haussant les sourcils. Fort bien, reprit-il d'une voix plus assurée.
- Que me voulez-vous ?
- Votre victoire sur le Démon Dragneel vous a amené la confiance du peuple. Vous avez, en tant que Prince d'Edolas, d'ors et déjà le respect des soldats et des nobles. Pour aider complètement le peuple à se relever de l'épreuve de la perte de la magie, le mieux serait de rapidement-
- Me faire couronner , compléta Jellal à sa place.
- En effet, répondit Gran Doma sans se démonter. Officialiser les choses serait un pas en avant et faciliterait bien des choses. Même si, officieusement, vous êtes déjà Roi. »

Sur ces mots, le vieil homme salua Jellal avant de s'en retourner autre part. Soupirant, Jellal se retourna et leva à nouveau les yeux vers le ciel. Etait-il seulement capable d'être Roi ? Il avait autrefois su être Jellal, le Prince d'Edolas. Il avait su, durant les sept dernières années, être Mystogan de Fairy Tail. Saurait-il être, pour le restant de ses jours, le Roi Jellal ? Il en doutait. Et il n'avait pas le choix.


Le lendemain matin, descendant prudemment les marches du seul escalier du palais qui avait résisté au massacre et aux explosions, il trouva dans le hall, encadrés par des soldats qui semblaient très mal à l'aise, les anciens commandants de l'armée de son père.

Il avait déjà compris qu'ils avaient tous, à l'exception peut-être de Coco, beaucoup changé. Mais ils restaient quand même similaires aux souvenirs qu'il avait d'eux d'il y a sept ans. Erza et sa crinière de cheveux rouges - quoique sérieusement raccourcie désormais -, Hugues et sa mèche blanche au milieu de ses boucles violettes, et Sugar Boy avec sa coiffure improbable.

Quand il apparut devant eux, ils relevèrent la tête. Et leur regard changea. De la joie pour Coco. De la méfiance pour Sugar Boy. De la colère pour Hugues. Mais ce qui le frappa le plus fut le regard brûlant de haine d'Erza. Mobilisant toutes ses ressources pour garder contenance, il fixa un point se trouvant quelque part entre les épaules de Hugues et Sugar Boy.

« Hugues, Sugar Boy, Erza Knightwalker, commença-t-il d'une voix qu'il espéra neutre et ferme. Pour les crimes que vous avez commis sous les ordres de l'ancien Roi Faust, c'est-à-dire le massacre des guildes de magie et la tentative de génocide des Exceeds, vous êtes démis de vos fonctions de Capitaines des Divisions de l'Armée Royale. »

Les trois concernés n'eurent aucune réaction. Après tout, ils s'y attendaient.

« Cependant, reprit Jellal, votre véritable châtiment n'est pas celui-ci. En réalité, ce n'est pas moi qui vais en décider. Etant donné que ceux qui ont le plus souffert de vos actions sont les membres de la guilde Fairy Tail, j'estime que c'est à eux de décider comment vous allez réparer vos fautes. »

S'il n'y avait eu que lui, Jellal les aurait laissés à leur place dans l'armée. Après tout, ils avaient déjà réalisé que suivre Faust était une erreur. Mais il ne pouvait faire cela, car on l'aurait accusé, au mieux de laxisme et d'incompétence, au pire de favoritisme. Il était donc obligé de les condamner en faisant appel à un tiers. Il n'avait pas confiance en les nobles d'Edolas. Ces derniers ne se seraient pas gênés pour faire exécuter les trois ex-Capitaines. Il avait donc décidé de laisser Fairy Tail juger. Après tout, quel que soit le monde, les fées restaient les fées. Jellal était convaincu que, malgré leur rancune, ceux de Fairy Tail leur laisseraient une deuxième chance.

Les portes du hall s'ouvrirent, laissant entrer les membres de la guilde des fées, Lucy en tête, servant de porte-parole, suivie par Mirajane et Natsu. Jellal se tourna vers eux.

« Avez-vous décidé ? »

Lucy balaya du regard les anciens Capitaines, toute la rancune du monde se distinguant dans ses yeux. Puis elle planta ses pupilles dans celles de Jellal.

« Oui, répondit-elle d'une voix dure.
- Et ? , demanda le futur souverain.
- Nous ne voulons pas leur ressembler, commença la blonde en envoyant un autre regard noir vers ceux dont elle parlait. C'est pourquoi nous n'avons pas choisi l'exécution. Cependant, il est hors de question que nous les laissions se balader dans le pays pour faire ce qu'ils veulent. Ils sont trop dangereux pour ça et nous n'aurons aucune confiance en eux. Ni maintenant ni jamais. »

Jellal eut un mauvais pressentiment. De tous les châtiments qui pouvaient correspondre à ce que venait de dire Lucy, il espéra que ce ne soit pas celui auquel il pensait. Car c'était peut-être bien le pire de tous, après la peine de mort.

La voix de la blonde claqua comme un coup de fouet.

« Nous demandons à ce que les anciens Capitaines soient emprisonnés dans les geôles du Château. Et ce jusqu'à la fin de leurs jours ! »

Jellal pâlit en entendant le verdict. Ouvrit la bouche pour protester. Avant de se rendre compte qu'il n'avait plus voix au chapitre. Il avait espéré la clémence de la part de Fairy Tail. Mais même la bonté des fées avait ses limites.

Sa raison lui souffla qu'il avait bien agi. Il était, officieusement, le Roi. A tous les désastres qui étaient arrivés durant le règne de son prédécesseur, il devait amener une solution. Dans tous les conflits, il devait établir justice pour les victimes. Ce qui voulait dire condamner des coupables. Séparer le bon et le méchant. Le juste et le coupable. C'était le devoir du Roi.

Son cœur lui cria qu'il avait tort. Car les coupables qu'il châtiait n'étaient au final que des victimes de plus. Il le savait. Et dans le cas présent, il était peut-être même le seul à le savoir. Empêcher ses amis d'être injustement châtiés. Rétablir la vérité. C'était le devoir de Jellal.

Mais si Jellal agissait pour lui-même, le Roi, lui, agissait pour un pays entier. Le devoir du Roi primait sur tout. La raison avant le cœur. La justice du Roi avant celle de l'ami.

Et, déconnecté de la réalité, Jellal regarda ses trois plus vieux amis disparaître dans le couloir sombre qui menait aux prisons.

Il n'était même pas encore roi qu'il se détestait déjà lui-même.