Partie 1 : L'acceptation

« ICI REPOSE EN PAIX HARUNO SAKURA – 1996-2013 »

Naruto Uzumaki n'y croyait toujours pas. Pourtant, cela faisait déjà un mois que son amie d'enfance dormait paisiblement à l'ombre du chêne du cimetière. Il se souviendrait toujours de cette fatidique journée de novembre où Sakura Haruno avait rendu l'âme, dans l'un des blocs opératoires du CHU de Fukuoka. Combien de temps avait-il passé dans la salle d'attente, le cœur battant au rythme de l'angoisse ? Combien de temps avait-il passé à prier une instance divine en laquelle il ne croyait aucunement ? Il l'ignorait. Tout ce dont il était sûr, c'était qu'une partie de lui-même s'était envolée en même temps que sa meilleure amie.

Trépasser alors que l'on vient de fêter ses dix sept ans restait une chose injuste et cruelle. Selon Naruto pourtant, la mort de Sakura l'était d'autant plus. Pas seulement parce qu'il la connaissait depuis l'époque du bac à sable, non, mais parce qu'elle était morte en donnant la vie. Des suites d'un accouchement difficile qui avait finalement débouché sur une éclampsie. Avant de rejoindre les cieux, Sakura avait connu la douleur et la souffrance mais, selon les dires de l'équipe obstétricale, elle était partie avec le sourire aux lèvres. Certainement parce qu'avant de pousser son ultime soupir, elle avait eu le privilège d'entendre les premiers cris de son fils.

Naruto l'avait baptisé Yukio parce que Sakura adorait la neige. Ses grands yeux verts étaient toujours traversés par l'émerveillement lorsque les premiers flocons tombaient sur le Japon. Elle ne ratait jamais une occasion de faire un bonhomme de neige ou des batailles de boules de neige avec les voisins du quartier. Dans ces moments-là, elle retrouvait son âme d'enfant. Une fois, elle avait même réussi à lancer par inadvertance une boule de neige avec un caillou à l'intérieur au visage de Sasuke Uchiha, l'un de ses amis d'enfance et le petit ami de Naruto. Sasuke s'était retrouvé avec un cocard impressionnant à la place de son œil gauche. Aussi loin qu'il s'en souvienne, Naruto avait toujours connu Sakura avec un large sourire sur les lèvres. Elle faisait partie de ces gens que rien ne semble atteindre, qui croquent la vie à pleines dents et ne laissent pas troubler par les aléas du quotidien. Certes, Sakura disposait d'un caractère bien trempé –mieux valait ne pas trop titiller ses nerfs, sous peine de se ramasser une paire de gifles en plein visage- mais elle se souciait réellement des autres. Pour leur venir en aide, elle n'hésitait jamais. Au nom de ses amis, elle aurait déplacé des montagnes et changé les saisons.

Naruto se souviendrait toujours de cette fois où, ivre de rage, elle s'était rendue au domicile de Shino Aburame, le sagouin qui avait eu l'audace –ou l'idiotie- de larguer Hinata Hyûga, la quatrième de leur petite bande de potes, la veille de son anniversaire. Pour avoir fait couler les larmes de Hinata, Shino avait récolté une baffe digne de ce nom accompagnée d'une panoplie d'insultes. Autant dire qu'il avait été habillé pour l'hiver. Bref, Sakura était comme ça, à la fois dure et pleine de douceur. A son avis, les femmes devaient être fortes pour survivre dans ce monde*. Cependant, derrière ses sourires fissurés et son tempérament jovial, Sakura dissimulait de profondes blessures. En effet, ce n'était pas d'un trop plein d'amour dont elle avait souffert jusqu'à présent.

Ses parents décédés dans un accident de la circulation, Sakura se retrouva livrée à elle-même à l'âge de quinze ans. Ses grands-parents, qui étaient alors sa seule et unique famille, vivaient dans la capitale. Nullement enclins à se retrouver avec une adolescente sur les bras, ils se contentèrent de l'aider à subvenir à ses besoins en lui envoyant de l'argent tous les mois. Cela leur permettait sans doute de soulager leur conscience, pour autant qu'ils en aient une. A l'âge de seize ans seulement, Sakura menait déjà une vie d'adulte. Elle abandonna ses études, malgré les recommandations de ses trois meilleurs amis, pour trouver du travail. Elle fut embauchée comme vendeuse dans un magasin de vêtements. Son salaire associé à l'aide financière que lui apportaient ses grands-parents, lui permit de louer un petit studio situé à quelques rues du centre ville. Elle ne disposait pas de beaucoup d'argent mais elle était heureuse. Naruto n'en avait jamais douté.

Pourtant, alors qu'elle s'apprêtait à souffler sa dix septième bougie, tout bascula. En l'espace d'une minute, sa vie changea radicalement.

La vie était décidément pleine de surprises. Certaines s'avéraient bonnes, d'autres l'étaient moins. Il existait aussi des surprises considérées comme mauvaises au départ mais qui se révélaient merveilleuses, en fin de compte. Yukio était ce genre de surprise. Cela faisait déjà un mois qu'il respirait et autant de temps que sa mère avait rejoint les cieux. Bien qu'il n'éprouvait ni colère ni rancœur envers ce bébé malchanceux, Naruto continuait de penser que la mort de Sakura était tout bonnement injuste. Elle était injuste sur bien des points. Donner la vie en perdant la sienne possédait quelque chose d'horrible mais rendre son dernier soupir alors que l'on a dix sept ans l'était davantage. Mourir alors qu'on a encore rien vécu, alors que l'avenir se trouve devant nous, était vraiment injuste et incompréhensible. Mais, à bien y regarder, tout dans la vie de Sakura Haruno était incompréhensible.

Car en plus de son passé tumultueux et difficile, Sakura tomba enceinte à seize ans et demi, en plein mois de février. Surprise. Agréable ou désagréable ? A cet instant, la jeune fille n'aurait su le dire, Le père de l'enfant devait certainement être ce garçon qu'elle avait rencontré un mois plus tôt lors d'une soirée bien arrosée, ce jeune homme avec lequel elle avait couché sans se protéger, sans se soucier de rien, fidèle à elle-même. Elle s'était simplement laissée porter par ses désirs. Devait-elle lui annoncer sa grossesse ? Evidemment que non. Comment pourrait-elle le faire, d'ailleurs ? Elle ne connaissait même pas le nom de cette aventure d'un soir improvisée. Dans un premier temps, Sakura n'y crut pas. Mais quand sa gynécologue, le docteur Shizune, lui fit passer une écographie, le doute se dissipa.

Sakura ne se considérait pas comme une « fille facile » et jamais, oh grand jamais, elle n'aurait pu croire qu'elle tomberait enceinte à seize ans et demi. Oh, cela ne posa aucun problème à ses parents puisqu'ils se trouvaient dix pieds sous terre. Cela dit, c'était déjà un problème en moins. Le regard pétrifié qu'elle portait sur ce ventre se métamorphosa doucement, puis changea au fil du temps. Pour elle, petite orpheline qui ne connaissait que douleur et solitude, ce fut la possibilité d'un nouvel avenir. Dès lors, ce qui semblait au départ une mauvaise surprise se transforma en un merveilleux cadeau. Un don du ciel, disait-elle. C'était le bonheur lui-même qu'elle abritait à l'intérieur de ses entrailles. Le bonheur lui-même. Et parce qu'elle détenait le bonheur au creux de son ventre, elle se fichait comme d'une guigne du jugement des gens et du regard désapprobateur que certains lui lançaient lorsqu'elle exhibait, non sans fierté, son ventre rond. Un ventre qu'elle adorait caresser avec tendresse, un ventre auquel elle aimait parler en adoptant une petite voix fluette.

Parce que ce qui au départ était une erreur de jeunesse se révélait désormais une véritable bénédiction.

Les premiers à apprendre la nouvelle furent ses amis d'enfance, Naruto Uzumaki, Sasuke Uchiha et Hinata Hyûga. Tous les quatre se connaissaient depuis l'époque du bac à sable et de la plasticine. Au fil des années, l'amitié de Naruto et Sasuke évolua en relation amoureuse mais rien ne changea jamais entre eux quatre. Un jour, Sakura les avait invités dans son petit studio pour leur annoncer l'heureux évènement. Dès qu'ils apprirent la nouvelle, ses trois amis tombèrent des nues. Hinata ouvrit des yeux ronds au milieu d'un visage soudainement dépourvu de couleurs, Sasuke faillit s'étouffer avec sa salive et Naruto s'était contenté de la dévisager comme si elle était devenue folle à lier. Naruto et Sasuke lui passèrent un savon digne de ce nom et lui conseillèrent d'avorter illico presto. On ne tombe pas enceinte à seize ans, Sakura ! s'était exclamé Naruto. Bordel, comment t'as fait pour te foutre dans un tel merdier ? Tu connais pas les capotes et les pilules ou quoi ?! avait hurlé Sasuke. Hinata, fidèle à elle-même, fit preuve d'un calme admirable. Elle fut la seule à ne pas crier et la première à accepter le choix de Sakura. Car Sakura refusait d'avorter. Elle voulait garder son bébé, même s'il n'avait pas de père, même si elle-même n'était encore qu'une enfant.

Pour Sasuke Uchiha et Naruto Uzumaki, respectivement âgés de dix neuf et dix huit ans, concevoir un enfant avant la trentaine et de manière totalement irresponsable relevait de l'impensable. Pas à cette époque. Pas avec l'éducation qu'ils avaient reçue. Pas avec l'étendue des moyens de contraception en vente sur le marché. Hinata, quant à elle, n'avait pas vraiment d'avis sur la question. Après tout, elle ne s'estimait pas en droit de juger ou d'imposer quoi que ce soit à son amie. Il s'agissait d'un choix n'appartenant qu'à elle. Alors pendant que les deux garçons s'époumonaient inutilement, Hinata s'était contenté de serrer Sakura dans ses bras et de lui murmurer ses félicitations au creux de l'oreille. Une aberration pour le couple, qui finit par rendre les armes.

Les mois défilèrent à une vitesse folle. Si Sakura n'avait ni parents ni conjoint pour l'accompagner durant sa grossesse, elle avait ses amis. Une fois calmés, Naruto et Sasuke se chargèrent de la décoration de la chambre du bébé. Ils achetèrent quelques meubles bon marché et fabriquèrent eux-mêmes le berceau. Hinata, quant à elle, se chargea de recouvrir les murs d'un papier peint à l'effigie du système solaire. Puis elle aida Sakura à dévaliser les magasins de jouets et de vêtements pour enfants. Les deux amies ne lésinèrent pas sur les prix. Heureuse, Sakura était une future maman épanouie. Rien ne laissait croire qu'elle y laisserait la vie, six mois et demi plus tard.

Aujourd'hui, aux yeux de Naruto, cela n'avait plus grande importance.

Une main se posa sur son épaule.

-Naruto ? Tu comptes rester longtemps ?

Le concerné tourna la tête. Sasuke le regardait, l'air désolé. Un léger sourire flottait au coin de ses lèvres ourlées et les pâles rayons de soleil de décembre faisaient briller ses cheveux noirs. Souvent, lorsque leurs regards se croisaient, Naruto se surprenait à songer que Sasuke était sans aucun doute la meilleure chose qui ne lui soit jamais arrivée.

La brise hivernale souffla, ébouriffant ses cheveux blonds, chassant la chaleur de ses vêtements. Comme un réflexe, les bras de Sasuke vinrent entourer sa taille, dans un geste protecteur. Au fond de ses yeux sombres, Naruto crut déceler quelques lignes de mélancolie.

-J'arrive, répondit-il d'une voix évasive. Yukio va bien ?

-Oui. Hinata a joué avec lui un petit moment. Là, il dort dans la voiture.

Un long soupir franchit les lèvres du blondinet.

-Bien. Allons-y, conclut-il.

Puis sans rien ajouter de plus, il tourna les talons. Sasuke le suivit, blessé par son indifférence. Yeux rivés sur le sol et cœur en peine, il tentait de réfréner ce sournois mélange de colère et de tristesse qui s'accumulait en lui au fil des jours. Depuis la mort de Sakura, bien des choses avaient changé. Hinata passait la plupart de son temps à sangloter et Naruto ne semblait plus avoir conscience de la réalité. Seul Sasuke parvenait encore à rester lucide et à avancer jour après jour, à mettre un pied devant l'autre pour continuer sur le chemin de la vie. Cependant, outre ces sentiments de tristesse et d'injustice qui paralysaient leur relation de couple, Naruto et Sasuke, ensemble depuis bientôt quatre ans, s'éloignaient pour une autre raison.

Car à l'âge de dix huit ans, Naruto avait subitement décidé de devenir père.

Sans se soucier de l'avis de Sasuke, il prit la décision d'adopter le fils de Sakura. Dès qu'il avait aperçu ce nourrisson aux yeux rieurs et au sourire d'ange, Naruto en était devenu fou. Majeur, il n'eut pas besoin de la permission de ses parents, Minato et Kushina Uzumaki, pour adopter l'enfant qu'il baptisa Yukio. D'ailleurs, les grands-parents de Yukio n'étaient toujours pas au courant de leur nouveau statut étant donné qu'ils voyageaient à l'étranger depuis plus d'un mois. Sasuke ne doutait pas un seul instant qu'ils seraient ravis d'apprendre une telle nouvelle lorsqu'ils poseraient le pied sur le sol japonais, samedi prochain.

Plusieurs fois, Sasuke avait essayé de lui en parler et surtout de le faire revenir sur sa décision. Têtu et déterminé, Naruto l'envoya paître tout autant de fois en prétextant que ce choix n'appartenait qu'à lui et que Sasuke n'avait absolument rien à dire. C'était à peine s'il ne lui disait pas de ficher le camp, s'il ne lui disait pas qu'il n'avait pas besoin de lui à ses côtés pour vivre sa vie. Son attitude égoïste et fermée affectait beaucoup Sasuke. Il aimait Naruto à en mourir mais il craignait que leur couple ne survive pas au trépas de Sakura et à la naissance de Yukio. Naruto faisait de cet enfant le sien, Sasuke ne l'acceptait pas. Le bambin était la principale source de leurs nombreux conflits. Ils ne parvenaient pas à en discuter calmement.

Etudiant en deuxième année de médecine, le ténébreux ne se sentait absolument pas prêt à s'engager dans une telle aventure. A vrai dire, si Naruto avait toujours rêvé de pouponner, cela était loin d'être le cas pour Sasuke. Non pas qu'il haïssait les enfants, en fait, il parvenait à les apprécier lorsqu'il s'agissait de ceux des autres. Mais là… Si encore l'abruti blond avait daigné lui en parler avant, peut-être réagirait-il autrement.

-N… Naruto ?

Naruto s'arrêta et regarda par-dessus son épaule. Ses yeux bleus étaient vides, éteints. Sasuke réunit tout son courage et lui décocha un sourire tendre auquel il ne répondit pas.

Le ténébreux ne se souvenait même plus de la dernière fois où il avait aperçu son sourire.

-Tu veux qu'on fasse quelque chose ce soir ? demanda Sasuke. Un ciné par exemple ?

Naruto poussa un soupir las et glissa une main dans ses cheveux blonds.

-Sasuke… tu penses vraiment que c'est l'endroit pour parler de ça ? Franchement ?

-Non, je le sais bien, mais…

-De toute façon, je ne peux pas. Je dois m'occuper du petit.

Et il recommença à marcher en direction de la petite Toyota bleue stationnée à l'entrée du cimetière. Installée derrière le volant, Hinata Hyûga les regardait approcher. Sous ses épais cheveux noirs, les yeux nacre de la jeune femme brillaient d'inquiétude.

-Pourquoi est-ce que tu ne demandes pas à Hina ? tenta Sasuke, elle adore ce gosse presque autant que toi, je suis sûr qu'elle acceptera ! En plus, ça te ferait du bien de sortir, ça te changerait les idées.

Naruto se retourna à la volée. Surpris, Sasuke faillit lui rentrer dedans. Désormais, les prunelles céruléennes du blondinet pétillaient de colère. Une colère sourde qu'il ne parvenait pas à exprimer.

-Non, répliqua-t-il froidement. Je n'ai aucune envie de demander à Hinata de s'en occuper. C'est moi son père, non ? C'est à moi de veiller sur lui. Je l'ai juré à Sakura.

Et voilà. Deuxième round. Sasuke n'insista pas, sachant pertinemment où cela les mènerait. Une fois de plus, il avait perdu.

Sa bouche s'ouvrit sur un silence avant de laisser échapper un soupir qui voulait tout dire. C'était toujours pareil. Dès qu'il tentait d'aller vers lui, Naruto le rejetait froidement. Souvent, Sasuke se demandait si Naruto l'aimait encore. Souvent, il avait l'impression de n'être plus qu'un étranger pour celui qu'il considérait comme l'amour de sa vie. Certes, comme la plupart des couples, ils avaient déjà traversé ce que la plupart des gens nommaient « des mauvaises passes », mais c'était bien la première fois, en quatre ans de relation, qu'ils s'éloignaient autant.

Et le pire dans tout ça, c'était que Sasuke ne savait même pas pourquoi.

oOoOo

Une fine pluie tombait sur Fukuoka en ce matin de décembre. Confortablement installé dans le canapé du salon, Naruto Uzumaki donnait le biberon à Yukio. La joue posée contre sa poitrine et regard ancré dans le sien, Yukio semblait au comble du bonheur. Un feu crépitait doucement au cœur de la cheminée et, sur le tapis, un chat au pelage roux dormait paisiblement. Dehors, il faisait encore noir mais les premières voitures commençaient déjà à se faire entendre, ébréchant le silence. Un sourire béat était scotché sur les lèvres de Naruto. Lorsqu'il se trouvait en compagnie du bébé, il souriait sans même s'en rendre compte. Yukio était certainement le seul être auquel il parvenait à sourire, ces derniers temps.

La première chose que Naruto remarqua chez Yukio fut son regard. De grands yeux verts et rieurs, habités par une lueur de curiosité. Des orbes de jade à travers lesquels véhiculait une multitude d'émotions. La malice. La peur. La tendresse. La douceur. Des prunelles qui lui en rappelaient d'autres. Puis Naruto s'attarda sur ses lèvres charnues, ourlées, perpétuellement étirées en un discret sourire. Un sourire débordant de joie. Un sourire vrai, pur, sans contrefaçon. Un sourire contagieux, auquel Naruto répondait sans difficulté malgré la grande tristesse qui enserrait son cœur. En ce début de journée, comme à chaque fois qu'il pleuvait, la tristesse de Naruto se décuplait. Elle donnait alors l'impression d'un étau se resserrant autour de sa poitrine. Simplement car cela lui rappelait cet après-midi sordide où Sakura rendit son dernier soupir.

Ce jour sordide de novembre, il pleuvait, exactement comme aujourd'hui. Le ciel était d'un gris maussade, triste, et déversait une pluie glaciale. On aurait dit que des aiguilles vous perforaient la chair. Naruto se souvenait parfaitement des larmes chaudes et bruyantes de Hinata. La joue posée sur l'épaule de Sasuke, la jeune femme avait regardé, sans dire un mot, le cercueil de Sakura s'enfoncer dans la terre. Sasuke n'avait pas versé la moindre larme. Traits fermés et yeux pleins de tristesse, il s'était simplement contenté de passer un bras protecteur autour des épaules frêles de Hinata. Non, ce jour-là Sasuke n'avait pas pleuré. Sa fierté l'en empêchait sans aucun doute. Pourtant, quelques heures plus tard, Naruto l'avait entendu pleurnicher dans la salle de bains. Sasuke paraissait fort mais il restait un homme sensible, même s'il ne l'avouerait jamais.

Sakura lui manquait. Elle lui manquait terriblement et souvent, il se surprenait à penser que sa vie ne serait plus jamais la même, que sa vie ne pourrait plus jamais être la même. Quelque chose avait changé en lui depuis l'annonce du décès de la jeune femme, un peu comme si une partie de lui-même s'était envolée avec elle. Naruto n'aurait su dire si ce changement était de bonne ou de mauvaise augure, mais après tout, il s'en fichait un peu. Il vivait dans un passé révolu et perdait la notion du temps. Serveur dans un restaurant, il ne travaillait plus depuis plusieurs semaines. Heureusement, son patron, Jiraya, se montrait étonnement compréhensif. Ne reviens que lorsque tu te sentiras prêt à le faire, avait-il dit.

Cependant, la question à se poser était la suivante : serait-il prêt un jour ?

-C'est un bel enfant que t'as fait là, Sakura, chuchota-t-il.

Naruto se souvenait de chaque instant passé en compagnie de sa défunte amie. Il s'en souvenait dans ses moindres détails. Il se rappelait de chaque sentiment, de chaque sensation, de chaque émotion qui avait un jour saisi son âme dès qu'il l'entendait rire ou la surprenait à sangloter. Mais plus particulièrement, il se remémorait ce soir de septembre où elle était venue lui rendre visite à l'improviste. Un paquet de bonbons sous le bras, elle s'était exclamée d'une voix enjouée « Soirée cinéma surprise ! » Ce soir-là, elle semblait tellement heureuse que Naruto n'eut pas la force de lui claquer la porte au nez. Il la laissa donc entrer. Polie, Sakura avait salué Minato et Kushina Uzumaki puis les deux amis s'étaient éclipsés dans la chambre de Naruto. Oh, les parents du blondinet ne s'en inquiétaient pas : ils connaissaient très bien la nature de la relation que leur fils entretenait avec Sasuke Uchiha et en plus, Sakura n'était qu'une amie d'enfance. Aucun danger que les deux adolescents découvrent les plaisirs du corps juste au-dessus de leurs têtes, pendant qu'ils regardaient Une famille en or à la télévision.

Ce soir-là, Naruto ne remarqua pas immédiatement la détresse de Sakura. Simplement parce qu'elle avait le don de la dissimuler derrière des sourires lumineux. Masquer ses faiblesses était l'un de ses points communs avec Sasuke. La robe en laine qu'elle avait revêtue dissimulait parfaitement son ventre rond que sa main ne cessait pourtant de caresser avec tendresse, comme un réflexe. Insouciant, Naruto s'était contenté de glisser un DVD –P.S. I love you, le genre de film romantique que Sasuke détestait regarder- dans le lecteur et d'allumer la petite télévision que son parrain lui avait offerte un an auparavant. Installés confortablement dans le lit de Naruto, sous d'épaisses couvertures, ils regardèrent le film sans piper mot. Puis, soudainement, Sakura s'exclama : « Naruto… si un jour il m'arrive quelque chose, tu seras là pour prendre soin de mon enfant ? » Stupéfait, le concerné l'avait dévisagée avec une pointe d'inquiétude au fond des yeux. Avait-elle présagé son sort ? Naruto l'ignorerait toujours.

Qu'aurait-il pu faire d'autre que promettre ?

-Sakura, je tiendrai parole, murmura-t-il d'une voix enrouée. Je veillerai sur Yukio et je le protègerai.

Être père à dix huit ans ne faisait pas partie de ses projets d'avenir, bien au contraire. Homosexuel, il avait renoncé depuis longtemps à son désir d'enfant et quand bien même son petit ami, Sasuke, aurait souhaité adopter, aucun bambin ne serait entré dans leur vie avant au moins l'âge de trente ans. Simplement parce qu'ils vivaient encore tous deux chez leurs parents et que Sasuke souhaitait continuer ses études. Pourtant, malgré les conditions tragiques de sa venue au monde, Yukio était arrivé comme un véritable miracle.

Comment aurait-il pu l'abandonner à son sort et lui tourner le dos ?

Comment aurait-il pu laisser cet être innocent finir dans un orphelinat alors qu'il connaissait mieux que quiconque la douleur que la solitude avait procuré à Sakura ?

Jamais Sakura n'aurait accepté que son fils connaisse la souffrance de grandir sans parents, abandonné de tous. Elle, elle avait eu la chance de croiser la route de personnes merveilleuses sur lesquelles se reposer de temps en temps. Elle, elle avait eu la chance de retrouver une sorte de mère en Hinata Hyûga. Elle avait eu la chance de trouver deux grands frères extrêmement protecteurs en Sasuke et Naruto. Néanmoins, Yukio n'aurait peut-être pas eu autant de chance. Car la vie était pleine de surprises.

Des bonnes et des mauvaises.

Et vu la manière dont débuta la vie de Yukio, Naruto estimait qu'il avait besoin, plus que quiconque, qu'un ange gardien veille sur lui.

Pendant ce temps, Sasuke Uchiha se préparait à partir en cours. Planté devant le miroir de la salle de bains, il essayait désespérément de faire quelque chose de ses cheveux d'ébène. Avec une noisette de gel, il parvint enfin à dompter sa crinière rebelle. Sans scrupules, il s'empara du parfum de son frère aîné et s'aspergea généreusement avant de le remettre exactement à la même place, afin qu'Itachi ne remarque rien. Il jeta un dernier coup d'œil à son reflet avant de quitter la pièce, la démarche traînante, pour rejoindre sa chambre.

Comme un réflexe, il regarda son téléphone portable, espérant presque avoir reçu un nouveau message. Hélas, comme toujours, Naruto ne lui avait rien envoyé. Depuis qu'il s'était enfermé dans un monde à part avec ce maudit bébé, Sasuke n'existait plus. Leur couple n'existait plus. Hinata pouvait bien lui rabâcher qu'il ne supportait pas partager son petit ami –ce qui s'avérait tout à fait justifié-, Sasuke n'était pas suffisamment stupide pour se sentir en rivalité avec un nourrisson. C'était autre chose. Parfois, il en arrivait à se demander combien de temps il tiendrait le coup avant d'envoyer Naruto et son maudit gamin sur les roses.

En soupirant, il enfila une veste et attrapa son sac de cours. Il fit un détour par la cuisine où sa mère préparait le petit-déjeuner. Assis sur une chaise autour de la table, son père lisait le journal en sirotant son café. Une odeur de pain grillé flottait dans l'air et l'estomac de Sasuke gronda furieusement. Sa mère, Mikoto Uchiha, le dévisagea, l'air étonné.

-Sasuke tu ne manges pas avant de partir en cours ? demanda-t-elle.

-Non, je me suis réveillé vingt minutes en retard. Je ne dois pas traîner si je ne veux pas être à la bourre.

Déçue, Mikoto regarda les tartines pleines de confiture qu'elle venait tout juste de préparer avec amour pour son fils cadet.

-Ben… et mes tartines alors ? Qu'est-ce que j'en fais ?

-Laisse ma chérie, intervint Fugaku Uchiha, je vais les manger.

En marmonnant quelque chose d'incompréhensible, Mikoto attrapa une petite boîte en plastique où elle fourra quelques cookies faits maison. Sourcils froncés, elle la plaça ensuite entre les mains de Sasuke, presque agressivement.

-Mange ça sur le chemin, ordonna-t-elle, ce n'est pas bien malin de commencer la journée avec le ventre vide !

Sasuke acquiesça d'un hochement de tête et jeta un regard à la dérobée à son père qui se mordait les lèvres pour ne pas éclater de rire. Si sa mère était d'un calme et d'une douceur exemplaires, mieux valait éviter de l'énerver le matin, sous peine de la rendre de très mauvaise humeur pour la journée.

-Bon, je vais être en retard ! A ce soir ! dit Sasuke avant de tourner les talons.

Dehors, la pluie tombait toujours. En pestant contre le mauvais temps, Sasuke se hissa sur son vélo et partit sous l'ondée, en direction de l'université. Heureusement, le campus ne se trouvait qu'à quelques rues de son domicile. Il pédala comme un forcené, grillant même quelques feux rouges, et rejoignit la faculté de médecine après une bonne dizaine de minutes. Trempé jusqu'aux os, il s'empressa de ranger son vélo sous l'abri destiné à cet effet et de rejoindre son amphithéâtre. Décidément, la chance semblait lui sourire en cette sombre matinée d'hiver puisque le professeur d'anatomie, Kakashi Hatake, n'était toujours pas arrivé. En laissant échapper un soupir empreint de soulagement, Sasuke se laissa tomber sur l'un des sièges de la rangée du milieu. Ses cheveux noirs dégoulinaient et sur son visage perlaient encore quelques gouttes de pluie froides. Indifférent au brouhaha des étudiants, Sasuke sortit de son sac un stylo et un bloc de feuilles, puis se saisit de son téléphone portable.

Aucun nouveau message.

Evidemment. Une note de tristesse s'inscrivit dans son regard.

A force, il devrait pourtant s'y être habitué. Comment pouvait-il encore se montrer déçu par l'attitude de Naruto ? Comment pouvait-il encore être blessé par son indifférence ? Sans savoir pourquoi, il avait la désagréable impression que désormais, il demeurait le seul à vouloir sauver leur couple fragile. Leur couple qui s'effondrerait comme un château de cartes à la moindre occasion. Le cœur en lambeaux, Sasuke décida de faire le premier pas. Comme toujours. Souvent, il se demandait si Naruto réalisait les efforts qu'il faisait pour lui.

Pourvu d'un ego démesuré, Sasuke éprouvait toujours d'énormes difficultés à mettre sa fierté de côté pour se rapprocher des autres. Pourtant, il ne lésinait pas sur les efforts pour tenter de combler cette énorme distance qui se trouvait à présent entre son petit ami et lui. Il se montrait plus tendre et attentionné que de coutume, il essayait de faire comprendre à Naruto qu'il n'était pas le seul à souffrir du décès de Sakura. Hélas, Naruto ne se reposait pas sur lui. En réalité, il l'ignorait complètement. Au début, Sasuke crut que cela ne serait qu'une question de temps, que Naruto avait besoin de recul pour accepter le départ de Sakura. Désormais, il n'en était plus si sûr. Depuis qu'il était devenu père, seul Yukio comptait aux yeux de Naruto.

Et cette simple pensée suffisait à lui briser le cœur.

« Coucou mon amour, bien dormi ? Le cours de cet aprem est annulé, tu veux qu'on en profite pour se voir ? Bisous»

Et il acheva son message par un petit cœur niais formé à l'aide de doubles points et du chiffre trois. C'était le genre de truc complètement ridicule qu'il attribuait habituellement aux filles mais ces derniers temps, il tentait l'impossible : reconquérir Naruto. Simplement parce qu'il l'aimait à en crever. Il l'aimait au point de lui pardonner d'avoir adopté un bambin sans lui demander son accord. Il l'aimait au point de se remettre en question et d'essayer d'accepter Yukio, sans pour autant le considérer comme son fils. Ses sentiments à l'égard de cet enfant étaient tout ce qu'il y a de plus ambigus. Il ne le haïssait pas. Il ne le rendait aucunement responsable de la mort de Sakura.

Cependant, il ne parvenait pas à supporter l'idée que Naruto soit devenu son père. Ou en tout cas, qu'il soit devenu son père sur un coup de tête, simplement pour respecter une promesse ridicule, sans même prendre la peine d'en discuter avant. Sasuke était son petit ami mais n'avait pas son mot à dire. Aux dernières nouvelles, ils souhaitaient vieillir ensemble mais Naruto prenait seul la décision d'adopter un enfant. Il prenait seul la décision de bouleverser un avenir qui les concernait pourtant tous les deux. Logique, n'est-ce pas ? Leur couple était comme mort en même temps que Sakura. Ils ne couchaient plus ensemble depuis des semaines, ils ne se voyaient que rarement et les fois où, miraculeusement, cela arrivait, ils finissaient toujours par se disputer. La complicité et la confiance qui régnaient autrefois entre eux n'étaient plus que des lointains souvenirs, aujourd'hui. A tout moment, Sasuke s'attendait à être jeté comme un mouchoir usagé. Et cela le terrifiait. Pourtant, malgré l'étendue de son amour pour Naruto, il n'était pas certain de tolérer cette situation des années encore.

Son cœur rata un battement lorsque son Samsung vibra.

« Salut. Ouais si tu veux, t'as qu'à venir chez moi après ton cours »

Pas un seul mot tendre. Pas même un « bisou » conventionnel. Rien. Nada. Le néant complet. Mais, bonne nouvelle, il n'avait pas refusé sa proposition. C'était déjà ça. Mieux valait ne pas trop lui en demander.

-Il y a quelqu'un à côté de toi ?

Tiré de ses rêveries, Sasuke sursauta légèrement. Un jeune homme de son âge au teint pâle et aux cheveux noirs se tenait devant lui, un sourire radieux sur les lèvres.

-Non, il n'y a personne, répondit-il.

-Je peux m'asseoir alors ?

Sasuke opina de la tête. Sans cesser de sourire, le garçon s'installa à ses côtés et alluma son ordinateur portable. Sasuke ne se rappelait pas l'avoir déjà aperçu dans l'amphithéâtre. Cela dit, ils étaient plus d'une centaine d'étudiants, passer inaperçu n'avait donc rien d'extraordinaire.

-Je m'appelle Sai, se présenta-t-il.

-Sasuke.

-Je tâcherais de m'en souvenir.

Sasuke ne releva pas, trop préoccupé par son téléphone portable et son abruti de petit ami pour prêter attention à Sai.

-Je viens de Niigata, expliqua Sai. Je suis arrivé au début du mois.

Sasuke le dévisagea d'un air décontenancé.

-Tu as loupé les premiers mois de cours alors ? demanda-t-il. Si tu veux, je peux te filer mes notes.

Le sourire de Sai s'élargit de plus belle. Sasuke n'aurait jamais cru cela possible.

-Je veux bien, merci. Quand tu auras le temps, ça te dirais de me faire visiter le coin ? Je ne connais pas du tout Fukuoka et je n'ai pas d'amis par ici.

Au départ, Sasuke ne sut quoi répondre. Il vivait à Fukuoka depuis sa naissance mais ignorait tout ou presque de ses coins touristiques. D'autant plus qu'il venait à peine de rencontrer ce Sai et qu'il ne savait absolument rien à son sujet. D'un autre côté, cela l'occuperait un peu et lui permettrait peut-être de se changer les idées. Il fallait dire qu'il passait chaque seconde de sa misérable existence à songer à Naruto Uzumaki et à s'inquiéter pour l'avenir de leur couple. Il devait bien admettre qu'à force cette situation commençait sérieusement à l'user.

-D'accord, conclut-il.

Sai eut tout juste le temps de répondre un cool empreint de joie. Kakashi Hatake était enfin arrivé et débutait le cours. Et c'était parti pour deux longues heures d'anatomie. Inutile de préciser que Sasuke passa son temps à compter les minutes, hâtif de retrouver Naruto. En d'autres termes, il n'écouta pas un traître mot.

A la fin du cours, Sai raccompagna Sasuke jusqu'à son vélo. La pluie avait cessé et ils discutèrent pendant un bon quart d'heure avant que Sasuke ne prenne la direction du quartier où vivait Naruto, le cœur gonflé d'espoir. Lorsqu'il franchit le seuil de la demeure des Uzumaki, il s'attendait presque à ce que Naruto l'accueille en se jetant dans ses bras. Mais ce ne fut pas le cas.

-Naruto ? T'es où ? cria-t-il.

-A l'étage.

Sasuke grimpa les escaliers quatre à quatre jusqu'à la chambre de Naruto. La pièce était vide. Il jugea alors que son petit ami devait se trouver dans la chambre d'ami, là où dormait Yukio. Bingo. Le bébé dans les bras, Naruto faisait les quatre cents pas. De larges cernes noirs entouraient ses yeux. Les joues rouges de colère, Yukio pleurait à n'en plus finir. Ses petites jambes boudinées heurtaient légèrement le ventre de Naruto, comme s'il essayait de lui donner des coups de pied. Ses joues marbrées de pourpre étaient humides de larmes et sa bouche se déformait en une grimace hideuse. Doucement, Naruto lui tapotait le dos en lui murmurant des paroles rassurantes.

-Qu'est-ce que tu fais ? demanda Sasuke en s'approchant, pourquoi il braille comme ça ?

-J'essaie de l'endormir, ça se voit pas ?

Non, espèce d'imbécile, ça ne se voit pas, eut envie de rétorquer Sasuke.

-Il a fait une mauvaise nuit, expliqua Naruto, il est très fatigué, c'est pour ça qu'il pleure.

Sur le coup, le ténébreux fut tenté de proposer de lui donner un peu de bière ou de drogue, histoire que ça aille plus vite. Il préféra néanmoins s'en garder, jugeant que son petit ami n'était pas vraiment d'humeur à plaisanter. Il se contenta donc de laisser tomber son sac de cours et se débarrasser de sa veste. Tout sourire, il tendit les bras vers l'avant.

-Donne-le-moi, proposa-t-il, je peux essayer si tu veux. Toi aussi tu as l'air mort de fatigue, tu devrais te reposer.

-Ca va, merci. Je gère la situation.

Et hop. Un nouveau coup de poignard en plein cœur.

Sasuke ne répliqua pas, sachant pertinemment qu'il ne pourrait contenir sa frustration ô combien grande. Il n'était pas venu pour se disputer.

-Bon…

-T'as qu'à aller attendre dans ma chambre si tu veux, proposa Naruto, je viendrais te rejoindre quand il se sera endormi.

Sasuke haussa un sourcil dubitatif mais ne releva pas. Pour une surprise, c'était une fameuse surprise ! S'il n'avait pas rêvé, Naruto venait de lui faire… du rentre-dedans ? Juste au cas où, il se pinça le bras et grimaça de douleur. Dieu soit loué, il se trouvait bel et bien dans la réalité ! Ce genre de chose n'arrivait pas souvent, ces derniers temps. A vrai dire, le ténébreux se demandait même s'il n'y avait pas anguille sous roche.

-Bon t'attends quoi là ? Qu'il neige ?

-Non, j'y vais de ce pas, déclara Sasuke.

Et il joignit le geste à la parole. Il quitta la pièce, laissant Naruto se débrouiller avec un bébé au summum de la mauvaise humeur.

-Allez, calme-toi Yukio, chuchota Naruto. Tu vas faire un gros dodo et ça ira mieux après, hein?

Le bébé lui répondit par un rugissement furieux. Blasé, Naruto soupira. Il se demandait comment une si petite chose parvenait à hurler aussi fort. Yukio n'avait qu'un mois mais Naruto devinait déjà qu'il avait hérité du tempérament colérique et combatif de sa mère. Avec un sourire aux lèvres, il songea qu'il en baverait certainement lorsque Yukio serait en pleine adolescence. Mais bon, cela n'était pas encore pour maintenant. Au bout d'une bonne vingtaine de minutes et après une trentaine de berceuses, Yukio finit par sombrer dans un profond sommeil. Délicatement, Naruto le déposa dans son berceau, là où plusieurs peluches avaient élu demeure, et le couvrit d'une couverture. Il s'étira comme un chat et fit craquer sa nuque, soulagé. Il n'avait encore jamais autant apprécié la valeur du silence.

Il quitta la pièce, prenant soin de laisser la porte entrouverte, et rejoignit Sasuke dans sa chambre. Allongé sur le lit, un livre entre les mains, Sasuke l'accueillit avec un sourire radieux. Un sourire auquel Naruto ne répondit pas, comme d'habitude. En poussant un soupir de bien-être, il se laissa tomber sur son lit, les bras en croix, épuisé. A la vitesse de l'éclair, Sasuke envoya valser le roman de bas étage qu'il était occupé à feuilleter pour se coller à Naruto. Il huma son parfum à pleins poumons, absorba la chaleur de son corps, respira sa présence, le cœur battant. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi bien. Il ne demandait rien de plus. Le simple fait d'être ainsi, allongé aux côtés de l'homme de sa vie, suffisait à son bonheur.

Seigneur, comme il pouvait l'aimer !

Il l'aimait à s'en exploser le cœur.

Naruto tourna la tête. Leurs regards s'accrochèrent. Leurs lèvres se rencontrèrent. Naturellement, Naruto enroula les bras autour de la nuque de Sasuke, pressant son corps contre le sien. Les mots n'avaient jamais eu leur place entre eux. Ils se comprenaient en un regard, en un geste. Chacun sondait l'esprit de l'autre avec une aisance déconcertante. Le cœur de Sasuke battait à n'en plus finir mais pourtant, les baisers de Naruto possédaient une saveur différente. Ils étaient imprégnés d'une indéniable tristesse. Une tristesse qu'il n'exprimait pas mais que Sasuke décelait dans chacun de ses regards, dans la moindre de ses paroles. Une tristesse qui, bien souvent, finissait par se métamorphoser en une colère sourde.

Sasuke avait beau l'embrasser, avait beau l'étreindre de toutes ses forces, Naruto semblait se trouver ailleurs. Comme si ses pensées vagabondaient loin de cette chambre, à mille lieues des bras de Sasuke. Un peu comme s'il était présent de corps mais pas d'esprit. Sasuke l'embrassait à en perdre haleine mais il pensait à autre chose. Pas très flatteur. Naruto ne réagissait pas à ses sentiments. Il n'arrivait plus à l'atteindre, Naruto se trouvait déjà trop loin. S'il seulement Sasuke détenait le pouvoir de pénétrer dans le cœur de Naruto pour y absorber toute cette douleur qu'il percevait dans ses baisers… il le ferait sans même hésiter. Il voulait être là pour lui. Il voulait être son refuge, son radeau. Un radeau qui ne se briserait pas, ni au contact des vagues, ni face à la violence des tempêtes, quelles qu'elles soient.

Gourmandes, les lèvres de Sasuke glissèrent au creux de son cou pour y déposer un chapelet de baisers tendres. Prévenant, il prenait garde à ne pas le brusquer. Le corps de Naruto n'avait désormais plus aucun secret pour le ténébreux. Naruto le serrait fortement contre lui. Ses doigts étaient agrippés à sa chemise. On aurait dit qu'il s'agrippait à une bouée de sauvetage pour ne pas sombrer dans les abysses glacés d'une mer déchaînée. Ils étaient l'un pour l'autre un véritable répit au beau milieu de ce calvaire que savait parfois être la vie. Croyant un instant que Naruto pleurait, Sasuke entrouvrit les paupières. Naruto ne pleurait pas. Non. Mais quelque chose était différent.

Sasuke mis fin à leur échange et se redressa. En appui sur les coudes, il scruta le visage du blondinet, en quête d'une once d'émotion.

Il n'en décela aucune.

-Ecoute, ça va pas. Y'a un truc qui va pas. J'ai l'impression que t'es ailleurs, Naruto.

Le regard du blondinet était glacial. Jamais encore il ne l'avait regardé de cette manière.

-Quoi ? C'est pour ça que t'es venu, non ? demanda-t-il sèchement.

-Pour… ça ? répéta Sasuke.

Incrédule, le ténébreux le détailla comme s'il était devenu fou à lier. Venu pour ça ? Qu'est-ce que ça voulait dire ? Naruto le prenait-il pour un sale pervers ? Avait-il à ce point diminué dans son estime ? Ne lui inspirait-il désormais plus que du dégoût ? Décidément, c'était à ne rien y comprendre. Naruto venait vers lui puis le repoussait aussi ardemment ensuite. Sasuke commençait sérieusement à se demander s'il ne souffrait pas d'un trouble bipolaire. Où était donc passé le garçon jovial et souriant qui faisait jadis chavirer son cœur ? Ce garçon-là, Sasuke ne l'avait pas oublié. Oh que non. Aujourd'hui cependant, il ne connaissait plus que ce jeune homme malheureux et habité par une colère sans nom. Une colère dont il se trouvait être la principale victime.

Rien n'aurait pu lui faire plus mal que d'être rejeté de cette façon. Comme un malpropre. Comme un obsédé obnubilé par le sexe. Bien sûr, comme tout le monde, Sasuke Uchiha possédait bien des défauts mais certainement pas celui-là. L'amour et le sexe allaient de pair pour lui. En dépit de son physique avantageux, Sasuke n'était pas du genre à coucher avec le premier venu, Naruto le savait parfaitement. Jamais encore il ne lui avait parlé de cette manière, jamais encore ses mots avaient été si cruels, jamais leur impact n'avait été si grand.

Que cherchait-il en se comportant ainsi ? A le blesser ?

Pourquoi ? Et surtout, pourquoi lui ?

Une panoplie de sentiments contradictoires déferla en Sasuke, telle une vague. Il était partagé entre l'envie d'éclater en sanglot et celle de lui coller un pin en pleine figure. Et vu à quel point il était énervé, il ne doutait pas une seconde que sa main trouverait aisément le chemin jusqu'à la joue de ce parfait abruti. En poussant un gémissement de colère, il attribua un coup de poing au matelas, qui émit un grincement plaintif.

-J'en ai rien à foutre de coucher ou pas avec toi, espèce de crétin ! s'énerva-t-il, moi je voulais juste qu'on passe un peu de temps ensemble ! Mais apparemment, c'est trop demander ! Je commence à en avoir marre, Naruto !

Si Sasuke possédait un véritable talent pour masquer ses émotions, ce n'était pas le cas de Naruto. Ce qu'il pensait se lisait aisément sur son visage, ce qu'il ressentait s'inscrivait dans ses prunelles d'azur.

Mais aujourd'hui, ses traits restaient froids et inchangés.

Sasuke sentit son cœur se glacer d'horreur.

-Très bien, répondit-il. Alors dégage.

Le ton de sa voix était sec, dur. Naruto ne lui parlait jamais comme ça, pas même lors de leurs rares disputes. Les yeux de Sasuke se voilèrent de colère et une boule lui noua la gorge. Il déglutit avec difficulté et la sentit glisser le long de son œsophage pour retomber lourdement sur son estomac, telle une lourde enclume.

-Oui… c'est exactement ce que je vais faire, Naruto. Je vais dégager. Ne t'inquiète pas.

Il se leva du lit sans un regard pour son petit ami. Un silence inconfortable s'installa entre les deux garçons. Allongé sur le dos, Naruto ne bougea pas d'un poil. Ses yeux éteints continuaient à fixer le plafond beige. C'était comme s'il ne prenait même pas conscience de la présence de Sasuke. Ce dernier enfila sa veste et s'empara de son sac de cours.

-Tu es malheureux et en colère parce que Sakura est morte, chuchota presque Sasuke. Je le comprends, je sais combien c'est dur pour toi, mais ne me rends pas responsable Naruto. Je ne supporte plus d'être ton punching-ball.

Et sur ce, il claqua la porte.

Quelques secondes plus tard, la porte d'entrée subit le même sort.

Puis ce fut de nouveau le silence.

Lentement, il se redressa sur les coudes et scruta la pièce de ses yeux affolés. Ses prunelles céruléennes étaient à la recherche d'un mètre soixante quinze de douceur et de gentillesse mais elles ne les trouvèrent nulle part. Sasuke était vraiment parti. Un goût amer peupla sa bouche et de grosses larmes tièdes lui brouillèrent la vue. Fou de douleur, il se mordit la langue pour ne pas hurler. La tête enfouie dans son oreiller, il déversa toutes les larmes de son corps. Depuis quand était-ce comme ça entre eux ? Lui-même ne le savait pas. En réalité, il avait cruellement besoin de Sasuke. Aujourd'hui plus que jamais. Seulement, toute la colère peuplant son cœur se retournait contre ses proches. Cette tristesse qu'il n'arrivait pas à exprimer se métamorphosait en une rage incontrôlable qu'il devait dépêtrer d'une façon ou d'une autre. Dès qu'il s'adressait à Sasuke, dès qu'il l'insultait ou lui déblatérait des méchancetés, il en avait à peine conscience. Il ne réalisait l'impact de ses paroles qu'après les avoir prononcées. Blesser Sasuke ne lui apportait aucun soulagement, aucune satisfaction. Bien au contraire. Le savoir malheureux par sa faute provoquait en lui une souffrance insupportable.

Il avait besoin de Sasuke mais ne savait comment lui dire. Aller vers les autres lui semblait un effort colossal qu'il ne trouvait pas la force de réaliser.

Tant de choses avaient changé depuis la mort de Sakura. Même s'il donnait l'impression de maîtriser parfaitement la situation, il se sentait la plupart du temps dépassé par les évènements. Prendre soin de Yukio, veiller à ce qu'il ne lui arrive rien, respecter l'ultime promesse faite à son amie d'enfance… tant de poids pesant lourdement sur ses épaules de jeune garçon à peine majeur. Depuis la première fois depuis longtemps, il avait envie que ses parents soient là. Il donnerait tout l'or du monde pour que sa mère l'étreigne doucement et lui murmure au creux de l'oreille que tout finirait par s'arranger un jour. Pour la première fois depuis longtemps, Naruto Uzumaki était paralysé par la peur. Il avait peur pour l'avenir de Yukio. Il avait peur que Sasuke ne le quitte définitivement. Il avait peur de se retrouver seul. Il avait peur de ne pas être un bon père. Sakura était partie avec le sourire aux lèvres, sereine, car elle savait pertinemment qu'il serait là pour s'occuper de son fils.

Mais… et s'il n'y arrivait pas ?

Un cri étouffé franchit la barrière de ses lèvres. A l'instar de ses joues, l'oreiller était trempé par les larmes. Pris de soubresauts, son corps entier tremblait comme une feuille. Jamais il n'avait eu aussi mal. C'était comme si quelqu'un venait de lui arracher le cœur pour le broyer férocement. Pourtant, depuis la mort de Sakura, il avait toujours cru que rien ne pourrait le faire souffrir davantage. Peut-être qu'il ne s'autorisait pas à être heureux, tout simplement ?

Etre heureux alors que sa meilleure amie venait de perdre la vie, être heureux de réaliser le rêve d'être parent… d'être un père… cela avait quelque chose de… malsain ? Non ?

Peut-être aussi que c'était une façon de se punir. Se punir d'être encore en vie alors qu'elle dormait six pieds sous terre.

-Sasuke… reviens…

Ces quelques mots s'étaient échappés de sa bouche en un soupir. Mais cette fois, Sasuke ne reviendrait pas. Il le devinait. Depuis le temps, il le connaissait par cœur.

Il sanglota jusqu'à s'endormir, épuisé.

oOoOo

« Mes parents rentrent d'Afrique cet après-midi. Je vais leur présenter mon fils. J'ai besoin que tu sois là, Sasuke »

C'était le premier message que Naruto lui envoyait en trois jours. Depuis leur altercation, ils ne s'étaient ni revus, ni parlés. Chacun avait continué sa petite vie de son côté. Sasuke s'était complu dans son rôle de petit étudiant modèle, dépourvu de soucis. Naruto quant à lui, avait continué de jouer son rôle de père attentionné et prévenant. Pourtant, ils partageaient un point commun : leur cœur était en lambeaux.

Dans sa chambre, installé derrière son ordinateur portable, Sasuke relut plusieurs fois le message. Alors comme ça, Minato et Kushina Uzumaki rentraient aujourd'hui ? Sasuke tentait d'imaginer leur réaction lorsqu'ils apprendraient l'heureux évènement. Avec un peu de chance, ils parviendraient à faire entendre raison à leur imbécile de fils. Ils réussiraient à le persuader qu'il ne devait pas passer à côté de sa jeunesse au nom d'une stupide promesse. Avec leur regard d'adultes, ils trouveraient les mots pour lui faire comprendre qu'il n'était pas suffisamment mature et responsable pour prendre soin d'un bébé d'un mois et demi. Un bébé qui de toute façon n'était pas le sien et ne le serait jamais vraiment. Connaissant le caractère franc de Kushina Uzumaki, Sasuke devinait qu'elle n'irait pas par quatre chemins. Cela risquait d'être difficile pour Naruto et malgré toute la souffrance qu'il lui causait, Sasuke ne se sentait pas capable de l'abandonner.

« Très bien. Dis-moi seulement à quelle heure je dois me pointer »

La matinée s'égrena avec une lenteur épouvantable.

L'avion en provenance de la Tanzanie atterrit à Tokyo aux alentours de quatorze heures. Kushina et Minato rejoignirent leur demeure à seize heures trente. Naruto et Sasuke les accueillirent avec le sourire aux lèvres, comme si tout allait merveilleusement bien dans le meilleur des mondes, et les aidèrent à décharger leurs nombreuses valises. Tous les quatre se posèrent ensuite dans le salon. Les parents de Naruto racontèrent leur voyage, décrivirent les lieux qu'ils avaient visités et les gens qu'ils avaient pu rencontrer. A ce moment-là, Minato et Kushina ignoraient toujours qu'un bébé dormait à poings fermés à l'étage, juste au-dessus de leur tête. Une minute plus tard, ils apprirent la mort de Sakura, l'existence de Yukio et la paternité de leur fils unique. Leurs yeux s'écarquillèrent au milieu d'un visage soudainement dépourvu de couleurs. A la grande surprise de Sasuke, Kushina n'entra pas dans une colère noire. Au contraire, elle sembla profondément attristée. Sans dire un mot, elle fixa longuement le sol, perdue dans ses pensées, tandis que Minato essayait de comprendre le choix de Naruto en lui faisant passer un véritable interrogatoire. Pourquoi et comment furent les questions qui revinrent le plus souvent. Aux yeux de Naruto, elles n'avaient aucun sens.

-Et toi Sasuke, qu'en penses-tu ? demanda finalement Kushina en levant les yeux vers lui.

Le concerné laissa échapper un rictus amer. On aurait dit qu'il attendait que quelqu'un lui pose cette question.

-Ce que j'en pense ? Parce que vous croyez que j'ai mon mot à dire ?

Sasuke pouvait sentir les yeux assassins de Naruto lui vriller la joue. Son cœur rata un battement. Voilà qui n'allait certainement pas améliorer les choses entre eux mais ce serait peut-être un pas de plus vers une prise de conscience de la part du blondinet. La stupéfaction se lut aisément sur les visages des grands-parents de Yukio. Aussi loin qu'ils s'en souviennent, Sasuke s'était toujours rangé du côté de leur fils, quelle que soit la situation. Qu'importe les conséquences, il était toujours le premier à prendre sa défense. Quelque chose avait changé entre eux. Même un aveugle saurait le voir. Le temps s'était-il arrêté pendant qu'ils découvraient les splendides paysages africains ? Ils avaient l'impression de se retrouver dans une autre galaxie. En un mois de temps, la vie de leur fils avait pris une nouvelle direction.

Et pas forcément la bonne.

-Comment ça ? questionna Minato, Naruto ne t'en as pas parlé avant ?

-Evidemment que non. Il a pris cette décision tout seul.

-Mais… vous êtes un couple, non ? Si vous désirez construire un avenir ensemble vous devez prendre ce genre de décision ensemble, pas vrai ?

-C'est aussi ce que je crois, répondit Sasuke, l'air satisfait.

Minato et Kushina échangèrent un regard, incrédules. Depuis quand Naruto agissait sans en parler à Sasuke, celui qui endossait les rôles multiples de petit copain, meilleur ami, et confident ? Une première en plus de dix ans d'amitié et en quatre ans de relation amoureuse. Ivre de colère, Naruto grinça des dents et serra les poings, se retenant pour ne pas en balancer un dans la figure de ce parfait abruti qui lui servait de petit ami. Personne n'était donc de son côté ? Personne ne le soutenait ? Personne n'allait donc l'aider ? Alors cela signifiait donc que les personnes qui comptaient le plus au monde pour lui, à savoir ses parents et son petit ami, ne le féliciteraient pas ? Cela voulait donc dire que les dernières personnes au monde capables de le comprendre et de lui venir en aide l'abandonnaient, tout simplement ?

Si on le lui avait fait remarquer ne serait-ce que deux mois plus tôt, Naruto aurait éclaté de rire.

-Je ne veux pas de ce gosse, Naruto le sait très bien, continua le ténébreux. Etre père à dix neuf ans alors que je suis encore aux études ? Ce n'est qu'une blague de mauvais goût, vous ne croyez pas ?

-En effet… c'est vrai que nous ne nous y attendions pas… mais…

Kushina garda le silence. Ses yeux clairs fouillaient ceux de Naruto, à la recherche d'une explication. Elle connaissait son fils mieux que personne. Certes, il était du genre à foncer dans le tas tête baissée, sans réfléchir une seconde à ce qu'il faisait, mais tout de même, l'idiotie avait ses limites, non ?

-Naruto… comment comptes-tu t'occuper de ce bébé ? demanda-t-elle, toi-même tu es encore un enfant ! Tu vis encore chez tes parents et tu veux être père ? Est-ce qu'il t'arrive parfois de réfléchir avant d'agir, Naruto ? Il s'agit d'un enfant ! Pas d'un jouet ! C'est un engagement pour la vie ! Tu t'en rends compte au moins ?

Le ton commençait à monter. L'atmosphère était subitement devenue malsaine, tendue. Minato posa une main compatissante sur le genou de sa femme en lui conseillant de se calmer.

-Je… je m'occupe très bien de Yukio, articula-t-il d'une voix tremblante, je l'aime. Je fais tout ce qu'un père doit faire, je l'élève exactement comme vous m'avez élevé ! C'est mon fils !

Sasuke bondit sur ses pieds, les traits décomposés par la colère.

-Ce n'est pas ton fils espèce d'idiot ! cria-t-il, c'est celui de Sakura ! Tu n'as pas à t'en occuper et à gâcher ta vie pour lui !

Mâchoires serrées, Naruto l'imita. Ils semblaient à deux doigts de se taper dessus.

Ce fut le début de leur fin.

-Gâcher ma vie ? Qui te dit que je gâche ma vie hein, Sasuke ? Est-ce que tu m'as déjà entendu me plaindre de Yukio, ne serait-ce qu'une seule fois ? C'est vrai que pour toi, être père, ça doit relever de l'impensable ! Tout ce qui compte pour toi, c'est vivre tranquillement chez papa et maman, sans te soucier de rien à part de tes examens de fin d'année !

-Oh excuse-moi de penser à l'avenir ! Excuse-moi si je n'ai pas envie d'avoir une vie de galère et de trimer du matin au soir à l'usine comme mon père !

Epuisé, Minato se leva et se plaça entre eux, craignant qu'ils n'en arrivent aux mains. Cela n'était jamais arrivé jusqu'à présent mais il fallait dire que Naruto et Sasuke ne s'étaient encore jamais disputés devant eux avec une telle violence. Habituellement, cela ne se limitait qu'à quelques boutades, sans plus, et ils se réconciliaient tout aussi rapidement.

-Calmez-vous, soupira Minato, se bagarrer ne sert à rien. Vous devez discuter calmement. Allez prendre un peu l'air, ça vous fera du bien.

Les deux garçons se défièrent du regard pendant une salve de secondes avant d'obtempérer sans dire un mot. La fraîche brise de décembre embrassa leur visage, les faisant frissonner. D'épais nuages opacifiaient le ciel et de légers flocons de neige commençaient à tomber.

-T'aurais pu me soutenir devant mes parents Sasuke, commença Naruto. Si je t'ai appelé, c'est parce que je croyais que je pouvais compter sur toi.

Fier, Sasuke croisa les bras et détourna les yeux.

-Non, je regrette. J'suis pas hypocrite moi, pourquoi je devrais faire le lèche-botte devant tes parents alors que j'approuve absolument pas ton choix ? Tu sais très bien que je veux pas de ce gamin !

-T'es vraiment égoïste, ça me dégoûte !

-C'est moi qui suis égoïste ?! Tu te fous de ma gueule là j'espère ? Depuis que Sakura pionce six pieds sous terre, tu m'ignores en permanence ! Quand tu te décides à me parler, c'est pour me lancer des horreurs en plein visage ! Je n'existe plus pour toi et c'est moi qui suis égoïste ? Putain ce gosse aurait mieux fait de crever avec sa mère, au moins on serait tranq…

La main de Naruto heurta sa joue avec une violence telle qu'il perdit l'équilibre. De nombreux points colorés naquirent devant ses yeux onyx. Il venait de dépasser une limite qu'il n'aurait jamais dû franchir. Parler de Sakura de la sorte était une erreur qu'il n'aurait jamais dû commettre en présence Naruto. Il le savait. Il le savait mieux que quiconque. Avait-il fait exprès ? Peut-être. Peut-être qu'il avait voulu le blesser aussi férocement qu'il le blessait. Or, pour le moment, Sakura et Yukio demeuraient les seuls points faibles de Naruto. Pour le toucher, il fallait s'attaquer à eux. Car les seuls sentiments habitant encore le cœur de Naruto leur étaient destinés.

Poings serrés et traits tendus, Naruto le toisait avec colère. Le mépris brillait au fond de ses yeux bleus. D'ici plusieurs minutes, Sasuke devinait que Naruto prononcerait les mots qui changeraient tout. Définitivement. Peut-être aussi qu'il avait agi de cette façon par qu'il ne possédait pas suffisamment de courage pour mettre lui-même fin à leur relation. Oui ça devait être ça. Pourtant, il ne suffisait que d'un mot. Un seul et Sasuke ne renoncerait pas. Si Naruto trouvait la force de le retenir, de lui dire je t'aime encore une fois, alors il serait prêt à tout accepter. Si seulement Naruto lui faisait une place à ses côtés, peut-être alors qu'il n'aurait plus peur de devenir un père pour Yukio. Peut-être même qu'il éprouverait de l'affection, voire de l'amour, pour ce petit bébé innocent. Ce bébé qui finalement n'avait rien demandé. Peut-être aussi qu'il cesserait d'en vouloir à Sakura de les avoir abandonné en laissant derrière elle un lourd fardeau.

-Vas t'en Sasuke. Nous deux, c'est terminé.

Voilà. Il les avait prononcés, ces douloureux mots. Sa voix avait chevroté, légèrement.

Cependant, elle n'avait pas hésité.

Malgré la tristesse qui enserrait son cœur, le regard de Sasuke ne perdit rien de sa froideur.

-D'accord, répondit-il. Sache que c'est un vrai soulagement.

Puis il tourna les talons, le cœur en miettes et les yeux humides. Jusqu'à ce qu'il atteigne le bout de la rue, il espéra que Naruto le retienne. Il espéra qu'il lui tombe dans les bras pour pleurer sur son épaule. La neige continuait à tomber, drapant Fukuoka d'un manteau blanc qui lui allait à ravir. Avant de tourner à l'angle de la rue, Sasuke fit ce qu'il n'avait encore jamais fait : il se retourna.

Mais Naruto n'était déjà plus là.

oOoOo

Ce soir-là, lorsque Hinata Hyûga découvrit Sasuke Uchiha sur le pas de sa porte, elle crut rêver. En plusieurs dizaines d'années d'amitié, c'était bien la première fois qu'il se rendait chez elle dans l'intention de se confier. Les épaules et les cheveux couverts de neige, les lèvres claquant sous le froid de l'hiver, Sasuke l'implora du regard. Evidemment, elle le laissa entrer. En l'apercevant, le petit ami de Hinata, Kiba Inuzuka, comprit immédiatement que leur petite soirée en amoureux venait de tomber à l'eau. Kiba partit de lui-même, l'air un peu déçu, sans que Hinata n'ait à le lui demander. Ils ne sortaient ensemble que depuis un an mais ils se connaissaient déjà par cœur. Parfois, en les apercevant main dans la main, à sourire de façon si insouciante, Sasuke ne pouvait s'empêcher de les envier un peu. Cette complicité et cette simple joie de demeurer ensemble n'existaient plus au sein de… non, pas de son couple. Son couple venait à peine de se briser en mille. Bien qu'il ne le réalisait pas encore, son couple, ainsi que Naruto Uzumaki, ne faisaient plus partie de sa vie.

A cette pensée, une douleur aigue lui perfora le cœur et une boule noua sa gorge. Avec un doux sourire, Hinata lui proposa de s'asseoir dans le canapé. Sasuke obtempéra puis se débarrassa de sa veste trempée par la neige. La jeune femme alla leur préparer deux tasses de chocolat chaud ainsi qu'une assiette de petits biscuits. Pendant de longues minutes, Sasuke se perdit dans la contemplation de sa boisson, lèvres scellées et yeux brillants de larmes. Patiemment, Hinata attendit qu'il se livre. Elle présageait que cela ne tarderait plus. Exactement comme Naruto, elle connaissait Sasuke comme s'il s'agissait de son propre frère. Assister à l'autodestruction de Naruto et à l'effondrement de leur couple était une véritable torture pour Hinata Hyûga, jeune fille de dix huit ans au cœur d'or.

Dans leur petite bande d'amis, cela avait toujours été ainsi. En dépit des liens qui l'unissaient à Naruto, ce dernier s'était toujours senti plus proche de Sakura. Dès qu'il allait mal, c'était vers elle qu'il allait en premier. Parfois, il se confiait d'abord à Sasuke mais généralement, Sakura restait la première à connaître les raisons de ses changements d'humeur. Il fallait dire que tous deux avaient à peu près le même tempérament électrique et impulsif. Hinata et Sasuke, au contraire, étaient d'une nature plus calme et plus réfléchie. Et si Naruto demeurait plus proche de Sakura, Sasuke l'était autant avec Hinata. La grande fierté de Sasuke ne le poussait pas toujours à parler de ses petits malheurs à sa meilleure amie mais Hinata n'avait pas besoin qu'il le fasse. En un seul regard, elle devinait. Elle trouvait toujours les bons mots pour le rassurer ou lui redonner confiance. Cependant, elle ne l'avait encore jamais vu pleurer, pas même à l'enterrement de Sakura.

-Naruto… Naruto m'a laissé tomber, murmura Sasuke.

Un air étonné se peignit sur les traits pâles de Hinata. Certes, si elle n'ignorait rien des difficultés de leur couple, elle s'était toujours attendue à ce que Sasuke craque le premier.

-Pourquoi ? Que s'est-il passé ? demanda-t-elle.

-Pourquoi ? Eh bien parce que je lui ai dit ma façon de penser ! Ses parents sont rentrés aujourd'hui et il leur a appris la nouvelle.

-Et ils ont bien réagi ?

Sasuke haussa les épaules d'un air désinvolte.

-J'sais pas trop, je pense qu'ils sont trop choqués pour y penser sérieusement. La mort de Sakura, le fait que Naruto ait adopté… ça fait beaucoup à encaisser. S'ils avaient su ce qui les attendait, je pense qu'ils auraient prolongé leur séjour en Afrique.

En guise de réponse, Hinata se contenta de hocher tristement la tête. Le silence reprit ses droits un instant. Puis la voix étranglée de Sasuke le déchira.

-Putain, ça me fait vraiment chier de vivre l'enfer tout ça parce que cette conne a pas été foutue de baiser intelligemment ! Merde ! La pilule et la capote ça existe non ?! C'est quand même pas compliqué, bordel ! Elle serait pas morte si elle avait été moins conne !

Hinata soupira. Gentiment, elle posa une main sur son épaule.

-Calme-toi, Sasuke, souffla-t-elle. La colère te fait dire des choses horribles. Tu ne le pense pas vraiment.

Sasuke fut alors submergé par un véritable torrent de larmes. Des larmes brûlantes de colère que ni la fierté, ni la pudeur ne parvinrent à arrêter. En gémissant, il enfouit son visage marbré de pourpre entre ses mains et se débarrassa de toute sa tristesse. Sans hésiter, Hinata l'attira contre son cœur pour l'étreindre avec la tendresse d'une maman. Tandis qu'elle se sentait prête à éclater en sanglots à son tour, elle glissa une main dans les cheveux ébène de Sasuke.

-Calme-toi, ça va aller, chuchota-t-elle.

-Comment ça pourrait aller, hein ? Je viens de perdre la personne que j'aime le plus au monde alors dis-moi comment ça pourrait aller ! Si Kiba t'abandonnait du jour au lendemain sans aucune raison, tu réagirais comment ?

-Naruto est perdu, il ne sait plus où il en est, Sasuke. Il n'y a pas qu'avec toi, il est distant avec tout le monde, tu le sais très bien. C'est sa façon de se défouler, il cherche un responsable sur qui cracher tout son venin. Sakura lui manque beaucoup et Yukio doit certainement la lui rappeler, c'est pour ça qu'il en prend tellement soin et qu'il ne veut le confier à personne d'autre. Il a besoin de temps, Sasuke. Je sais que c'est dur mais tu dois te montrer patient. Tôt ou tard, Naruto reviendra vers toi.

Sasuke aurait aimé rétorqué que le plus tôt serait le mieux mais il n'en trouva pas la force. Il se sentait épuisé, vidé. Il était lassé de la vie et de ses mauvaises blagues. Pourquoi Diable ne pouvait-il pas vivre la même vie que n'importe quel autre garçon de son âge ? Les adultes n'avaient-ils pas pour habitude de dire que les années estudiantines demeurent les plus belles de l'existence ? Au goût de Sasuke, cela n'était qu'un vulgaire mensonge véhiculé par une paire d'imbéciles regrettant leur jeunesse. Parce qu'au contraire, selon lui, les années estudiantines étaient bien les pires.

Malgré les paroles rassurantes que Hinata lui susurrait au creux de l'oreille, il ne parvenait pas à se calmer. Le regard haineux de Naruto, ses paroles acerbes, cette gifle –méritée ou non- qu'il lui avait flanqué en pleine figure… ces dernières semaines de souffrance semblaient avoir marqué son âme au fer rouge. Jamais il ne pourrait les oublier, même avec toute la volonté du monde. Pourtant, il fallait croire que cela ne lui suffisait pas puisque son cœur continuait de battre pour Naruto. Il fallait vraiment être stupide ou complètement masochiste pour continuer d'aimer un type pareil, qui ne se préoccupait que de lui-même et de son maudit bébé. Un bébé qui n'était même pas vraiment le sien, en plus.

Naruto lui manquait déjà, certes. Mais quelqu'un d'autre lui manquait aussi. Comme si elle détenait le pouvoir de lire dans ses pensées, Hinata murmura :

-Sakura te manque aussi, n'est-ce pas ?

-Evidemment ! Je voudrais qu'elle soit là ! C'était mon amie aussi ! Tu crois que je suis heureux qu'elle soit morte, Hinata ?

-Non. Bien sûr que non.

Puis ni l'un ni l'autre n'ouvrit la bouche. Enlacés, ils sanglotèrent silencieusement la disparition de leur amie. Leur amie qui autrefois apportait tant de joie et de gaieté à ce bas monde. Leur amie aux éclats de rire particuliers, sur lesquels s'élevaient quelques notes cristallines. Leur amie aux yeux de jade et aux cheveux roses. Leur amie dont le prénom signifiait fleur de cerisier. Leur précieuse amie qu'ils ne cesseraient d'aimer, qu'ils n'oublieraient jamais.

Leur amie qui avait perdu la vie en la donnant.

oOoOo

-Fukuoka est vraiment un bel endroit ! s'exclama Sai d'un ton enthousiaste, quelle est cette statue Sasuke ?

Un soupir las franchit les lèvres du concerné tandis que Sai dégainait pour la millième fois au moins son appareil photo.

-J'en sais rien, répondit-il, je sais juste qu'elle est là depuis toujours.

Sai le dévisagea pendant une seconde en se demandant s'il se moquait de lui mais ne releva pas. En cet après-midi de décembre, Sasuke faisait découvrir à Sai le square de Fukuoka. Les abondantes chutes de neige avaient plongé le petit parc dans un décor monochrome qui lui allait à merveille. Le soleil planait haut dans le ciel, il n'y avait aucun nuage à l'horizon. On pouvait entendre le soupir du vent se faufiler entre les branches nues des bouleaux bordant le lac gelé. C'était un endroit splendide aux yeux de Sasuke. C'était là qu'il s'était déclaré à Naruto par une chaude soirée d'été, quatre ans plus tôt. Il s'en souvenait parfaitement.

Ils marchaient tranquillement au tour du lac, sourire aux lèvres et vent dans les cheveux. Un crouton de pain au creux de la paume, Naruto s'était approché de l'eau pour nourrir les canards. Bientôt, ces derniers cancanèrent sans plus s'arrêter, brisant le silence régnant jusqu'alors. Longuement, Sasuke l'avait regardé en se répétant mentalement les mots qu'il souhaitait lui dire. Ensuite, d'un pas hésitant, il avait comblé la courte distance qui les séparait. Puis, le cœur battant, il lui avait pris la main. A ce moment-là, il se sentit comme l'homme le plus riche du monde, comme s'il détenait le bonheur lui-même au creux de sa paume. Il avait toujours songé qu'avoir Naruto Uzumaki à ses côtés valait bien plus que le bonheur : c'était comme posséder un morceau de paradis. Dans leur dos, le soleil tombait dans l'horizon, gravant à la surface du lac un sillon doré. Sa lumière se reflétait dans les yeux bleus de Naruto et mettait de l'or dans ses cheveux. Aux yeux de Sasuke, il apparut plus beau que jamais. Finalement, il n'eut aucunement besoin de mots. Leurs lèvres se trouvèrent d'elles-mêmes.

Ce fut leur premier baiser.

-Sasuke ? Tu m'écoutes ?

Le concerné secoua la tête, éloignant ces douloureux souvenirs. Il fut presque surpris en découvrant le visage de Sai et il le dévisagea comme s'il venait seulement de prendre conscience de sa présence.

-Est-ce que tout va bien ? demanda Sai.

Sasuke déglutit avec difficulté.

-Oui… ça va. Je crois que j'ai juste un peu faim.

Il n'avait rien trouvé de mieux à rétorquer. En réalité, il n'avait absolument pas faim. Son estomac était noué mais pour une autre raison. Au fond de lui, il savait pertinemment que Naruto ne lui enverrait aucun message. Le blondinet lui en voulait beaucoup trop pour ça. Malgré tout, il ne passait pas une heure sans qu'il ne vérifie la boîte de réception de son téléphone portable. Juste au cas où.

Soucieux, Sai jeta un coup d'œil à sa montre. Il parut étonné.

-Il est déjà quatorze heures et nous n'avons rien mangé. Tu veux qu'on aille dans un fast-food ? J'adore les trucs gras même si ça me donne mal au ventre !

Sasuke le toisa d'un air qui signifiait clairement « je m'en fous de ta vie » et répondit mollement :

-Ca m'est égal.

Tout lui était égal depuis que Naruto ne se trouvait plus à ses côtés. Le monde semblait perdre ses couleurs. Il lui paraissait moins beau. La démarche traînante, il suivit Sai jusqu'au fast-food le plus proche. D'une oreille distraite, il l'écouta raconter sa vie tout en fixant le hamburger qu'il avait commandé tout en sachant qu'il ne le mangerait pas.

Il comprit qu'avancer dans la vie sans Naruto n'avait pas le moindre sens.

oOoOo

-Attends Yukio… ne bouge pas, sinon il faudra tout recommencer.

Allongé sur la table du salon, sur le dos, Yukio le dévisageait avec curiosité tout en mordillant ses doigts. Parfois, il babillait et souriait sans raison, redonnant sans le savoir un peu de baume au cœur de Naruto. Cela devait faire un bon quart d'heure que le blondinet essayait de lui mettre une couche. Il avait beau répéter ce geste plusieurs fois par jour, il rencontrait toujours les mêmes difficultés. Inutile de dire que Yukio ne rendait pas la tâche plus facile. Il ne cessait de battre l'air avec ses petites jambes boudinées. Naruto en arrivait même à se demander s'il ne le faisait pas exprès pour le contrarier. Il reconnaissait bien là le caractère de Sakura. Cette pensée lui arracha un triste sourire.

Son père fit irruption dans la pièce. En apercevant son fils occupé à se battre avec une vulgaire couche, il ravala un petit rire.

-Tu as besoin d'aide, Naruto ? demanda-t-il.

Dépité, le jeune homme hocha la tête en l'implorant du regard. En éclatant de rire, Minato s'approcha et prit sa place. Soigneusement, il entreprit de mettre la couche à Yukio. Il lui fallut moins de cinq minutes. Impressionné par une telle prouesse, Naruto contempla son père avec une pointe d'admiration, comme s'il s'agissait d'un véritable héros.

-Merci ! s'exclama-t-il, moi je suis vraiment nul pour lui mettre. Je dois recommencer au moins dix fois et en plus, il bouge sans arrêt.

-Ce n'est pas tous les jours facile d'être père, pas vrai ?

Un petit rire franchit les lèvres craquelées de Naruto.

-Tu l'as dit. Ce serait plus facile si…

Sa phrase se termina en un soupir qui en disait long. Les mots se perdirent dans sa souffrance. Il baissa tristement les yeux, réfléchissant aux paroles qu'il avait failli prononcer. Cela serait plus facile si Sasuke était là. Comment pouvait-il dire cela ? Comment pouvait-il ne serait-ce que le penser ? Sasuke n'avait pas choisi de partir. C'était lui qui l'avait chassé de sa vie. Cela dit, ils ne se trouvaient plus sur la même longueur d'onde depuis la naissance de Yukio mais il devait bien admettre que Sasuke lui manquait terriblement. Son ex petit ami aurait peut-être davantage accepté la présence de Yukio au sein de leur couple s'il avait daigné lui faire un peu de place. Au lieu de cela, il s'était barricadé dans une bulle protectrice avec celui qu'il considérait comme son fils. Nul ne possédait le droit d'entrer à l'intérieur. Comme les autres, Sasuke était resté dehors. Comme s'il était devenu n'importe qui. Naruto n'en parlait pas mais il prenait pleinement conscience de ses torts. La souffrance et la colère le rendaient méchant et idiot.

Jusqu'à aujourd'hui, il avait toujours considéré Sasuke comme une personne capable de tout endurer, prête à tout tolérer. Il l'avait toujours considéré comme une personne qui serait toujours là, envers et contre tout. A présent, il se rendait compte que Sasuke aussi pouvait s'en aller en le laissant derrière. Oh, bien sûr, Naruto l'avait bien cherché. Il n'avait absolument rien fait pour sauver son couple à la dérive, la promesse faite à Sakura occupant chacune de ses pensées. Comme Sasuke devait souffrir par sa faute. Maintenant, il n'était plus là et Naruto se sentait capable de faire n'importe quoi pour qu'il revienne à ses côtés. En réalité, le blondinet éprouvait bien trop de honte pour oser lui téléphoner. De plus, rien ne lui disait que Sasuke n'avait pas trouvé refuge ailleurs. Dans d'autres bras. Il était beau garçon, après tout.

Cette seule idée lui donna la nausée.

Cette idée le terrorisait.

-Maman est toujours fâchée après moi ? se risqua-t-il à demander.

-Elle n'est pas fâchée, Naruto. Elle a juste besoin d'un peu de temps, c'est tout.

Naruto regarda ses pieds. Depuis quelques temps, sa mère paraissait bouleversée. Contrairement à ses habitudes, elle parlait peu et s'isolait souvent dans la cuisine ou le bureau afin de lire. Le blondinet ne pouvait s'empêcher de culpabiliser tout en espérant que cette phase ne durerait pas plus longtemps.

Minato posa une main compatissante sur l'épaule de son fils et lui murmura un courage qui ne fut d'aucun réconfort avant de vaquer à ses occupations habituelles.

Lorsqu'il avait perdu Sakura, Naruto crut perdre en même temps une part de lui-même. Maintenant qu'il avait perdu Sasuke, c'était comme ci son âme elle-même se trouvait mise à mal. Comme si elle semblait sur le point de disparaître, elle aussi. Parfois, il se sentait à deux doigts de perdre la raison et de ficher le camp loin d'ici, sans rien dire à personne. Heureusement, il n'était pas encore suffisamment fou pour recourir à un tel moyen.

Tendrement, il prit Yukio dans ses bras et le serra contre son cœur. L'odeur singulière de sa peau lui titilla les narines. Naruto déposa un doux et long baiser sur son front. Yukio lui répondit par un petit sourire malicieux et il se surprit à songer que si ce bébé n'existait pas, il aurait déjà sombré.

-Et si on allait se poser devant la télévision ? Hein ? T'en penses quoi ?

Le bébé répondit par un babillement sans aucune signification que Naruto interpréta comme un oui. Il alla donc s'asseoir au fond du canapé et plaça Yukio sur ses genoux. Il attrapa un hochet qui traînait et commença à l'agiter sous les yeux intéressés du nourrisson. Tout en parlant dans son langage incompréhensible de bébé, Yukio tendit les bras pour s'en saisir, curieux.

Pensif, Naruto laissa son regard se perdre à travers la fenêtre. La neige recommençait à tomber.

oOoOo

Debout devant le miroir de la salle de bains, Sasuke s'aspergeait généreusement de parfum. Vêtu d'un jean noir et d'une chemise foncée, il était plus élégant que jamais. Il avait enfin trouvé le courage de raser cette maudite barbe noire qui commençait à élire demeure sur ses joues et sa grève de la faim semblait s'être terminée puisqu'il avait repris un peu de poids. Dieu merci, son frère aîné cesserait de l'appeler l'anorexique. Cela faisait environ trois semaines que Naruto et lui ne s'adressaient plus la parole. Il leur arrivait parfois de se croiser au détour d'une rue ou dans les rayons d'un magasin. Ils se contentaient alors de se saluer courtoisement et de continuer leur chemin. S'ils parvenaient tous les deux à garder une apparence indifférente, au creux de leur poitrine, ils avaient le cœur qui se tordait de douleur.

Décembre se terminait lentement, emportant avec lui les fêtes de Noël, de la nouvelle année… et les examens académiques ! Janvier débutait, froid et rude. En cette période festive et joviale, Sasuke éprouvait un besoin vital d'oublier Naruto, le temps d'une soirée. Alors lorsque Sai, son ami du moment, l'invita à sortir ce samedi-là afin de fêter la fin de leur période d'examens, il ne songea même pas à refuser. Il adressa un sourire charmeur à son reflet –du genre tu sais qu't'es beau, toi ?- avant de quitter la salle de bains. Un bref coup de klaxon fit écho dans la rue. Au volant d'une Nissan Micra, Sai patientait, toujours avec ce sourire innocent aux lèvres. Sasuke prit le temps de saluer ses parents avant de quitter la demeure. Dehors, le vent âpre de janvier chassa le peu de chaleur que contenaient ses vêtements légers. Un frisson dégringola le long de son échine. Le temps qu'il descende le perron et traverse la chaussée pour gagner le véhicule, ses épaules et ses cheveux furent recouverts par une neige brillante. On aurait dit des diamants tombant d'un ciel d'encre.

En poussant un salut enjoué, Sasuke s'engouffra dans la Nissan et boucla sa ceinture. Cela faisait des années qu'il n'était plus sorti en tant que célibataire. Et, sans qu'il ne s'explique pourquoi, son cœur battait étrangement vite. Phares allumés, la voiture fila dans la nuit, telle une bille phosphorescente. Le trajet se déroula dans une ambiance festive. Habituellement plongé dans des silences interminables, Sasuke se montra plus bavard qu'une pie. Les deux garçons plaisantèrent et s'esclaffèrent comme s'ils se connaissaient depuis toujours. En fait, ils étaient… complices ? Oui. Voilà. Ils étaient complices. Et pour la première fois depuis des mois, Sasuke se sentit bien. Serein. Presque apaisé. Personne pour lui crier sans cesse dessus ou pour l'envoyer sauvagement sur les roses. Le bonheur total.

Pourtant, lorsque la Nissan passa devant la maison de Naruto, la bonne humeur de Sasuke s'envola un court instant.

Sai stationna son véhicule un kilomètre plus loin, sur un grand parking recouvert de graviers. Une musique pop-rock provenant d'un imposant bâtiment virevoltait au gré du vent. Sai et Sasuke pénétrèrent à l'intérieur du bar estudiantin, heureux de vivre. Heureux d'être ensemble, aussi.

Sai se tourna vers Sasuke et indiqua le comptoir d'un geste du menton.

-Je t'offre un verre ? demanda-t-il.

-Si tu veux.

Machinalement, Sai passa un bras autour des épaules de Sasuke et l'entraîna vers le bar. Sasuke en fut surpris mais cela ne lui déplut pas particulièrement. Ils s'installèrent sur deux tabourets et Sai commanda deux boissons alcoolisées. Une vodka pour Sasuke, un Malibu pour lui. La fête battait son plein. La piste de danse était littéralement noire de monde. Tous se déhanchaient au rythme endiablé de la musique. Pour se faire entendre par son interlocuteur, il fallait pratiquement hurler dans ses oreilles. De ce fait, Sasuke se voyait contraint de physiquement se rapprocher de Sai afin de lui parler. A maintes reprises, il eut l'impression que les lèvres de Sai frôlaient son oreille. Son souffle tiède lui heurtait la nuque, hérissant toute la surface de sa peau, et ses yeux sombres le contemplaient avec un désir aussi inconscient qu'indéniable.

Une fois ou deux, la main de Sai atterrit sur la cuisse de Sasuke. Bien qu'étonné, ce dernier ne broncha pas. Sai faisait preuve d'audace et il devait bien admettre que cela lui plaisait. De temps à autre, il perdait le fil de la conversation et en arrivait à se demander ce qu'il fabriquait là. Casanier, Sasuke n'aimait pas particulièrement sortir. Il préférait de loin les soirées cocooning derrière sa télévision aux fêtes bruyantes et alcoolisées. De plus, sans savoir pourquoi, il ne pouvait s'empêcher de culpabiliser un peu. Certes, il se trouvait de nouveau sur le marché mais il ne parvenait pas à cesser de penser à son ex petit ami. Qu'était en train de faire Naruto, à cette heure-ci ? Comment réagissait-il à leur rupture ? Est-ce qu'il manquait à Naruto autant qu'il lui manquait ? Tant de questions qui martelaient sa tête.

Aux alentours de vingt deux heures trente, Sai réussit à traîner Sasuke sur la piste de danse. Les deux étudiants se frayèrent un chemin parmi leurs pairs et accordèrent leurs mouvements à la musique. Au fil des chansons, leurs corps se rapprochaient, leurs regards s'accrochaient. Pendant un bref instant, Sasuke crut que Sai allait l'embrasser. Ils se trouvaient si près l'un de l'autre qu'il pouvait sentir les effluves alcoolisés de son haleine. Puis, après une heure de danse endiablée, Sai posa une main sur l'épaule de Sasuke et murmura quelque chose à son oreille. Les traits de Sasuke composèrent une mine stupéfaite mais après une poignée de secondes, il finit par hocher la tête. Un sourire rayonnant de bonheur naquit alors sur les lèvres de Sai qui l'attrapa par la main et l'entraîna à l'extérieur.

D'un pas pressé, ils rejoignirent la Nissan, stationnée entre un imposant 4x4 et une petite Audi. Garée à l'arrière du bâtiment, elle se situait loin des regards indiscrets. Sasuke eut à peine le temps de pénétrer à l'intérieur : Sai se jeta littéralement sur lui. Ses mains encadraient le visage humide de Sasuke. Le parfum singulier de Sasuke semblait s'être installé dans ses narines. Ses doigts parcouraient avec frénésie ce corps tant désiré. Il était chaud. Brûlant même. Ses lèvres, gonflées à force de baisers donnés et rendus, s'aventurèrent au creux du cou de Sasuke, laissant derrière elles un léger sillon de salive.

-Tu crois au coup de foudre, Sasuke ?

Paupières à demi-closes, Sasuke glissa les mains sous le t-shirt de Sai, découvrant la douceur de sa peau.

-Non. Pas vraiment, répondit-il d'une voix rauque.

Un sourire amusé se peignit sur les lèvres de Sai.

-Je n'y croyais pas non plus avant d'arriver dans cette ville…

Les yeux de Sasuke s'ouvrirent en grand. Et, puis comme s'il venait soudainement de prendre conscience de ce qu'il faisait, il plaqua les mains sur le torse de Sai et le repoussa un peu, l'air penaud.

-Je n'ai jamais fait ça avant, confia-t-il.

Sai haussa les sourcils.

-Quoi ?

-Coucher avec quelqu'un que je connais à peine.

-Y'a un début à tout dans la vie, Sasuke.

Sans demander son reste, Sai captura de nouveau ses lèvres. De ses mains tremblantes, il déboutonna la chemise de Sasuke et laissa ses doigts s'égarer sur son torse ferme et finement musclé. Sasuke se laissa faire, découvrant dans les baisers de Sai un nouveau moyen d'oublier son ex petit ami. Contrairement aux apparences, Sasuke se sentait vraiment mal à l'aise. A cet instant, il aurait tout donné pour se transformer en petite souris et ficher le camp loin de cette maudite voiture. Il fallait dire que jusqu'à aujourd'hui, Naruto fut son seul partenaire. Il découvrit alors combien cela était différent d'embrasser une personne que l'on n'aimait pas. Même s'il trouvait un semblant de réconfort dans l'étreinte de Sai, la saveur de ses baisers lui paraissait bien fade. Si ceux de Naruto parvenaient à faire battre son cœur, ceux de Sai le laissaient quasiment de marbre. Si les caresses habiles de Naruto le faisait l'aimer davantage, celles de Sai le dégoûtaient presque. Si les soupirs de Naruto demeuraient doux à son oreille, ceux de Sai ne l'atteignaient pas.

Sasuke réalisait qu'il s'était fait prendre à son propre piège. Comment avait-il pu se montrer naïf au point de croire que passer une nuit dans d'autres bras l'aiderait à dénier toute cette douleur qui gangrénait son cœur ? Au contraire, c'était bien pire. Naruto hantait ses pensées plus que jamais et il prenait conscience de l'étendue de ses sentiments. A vrai dire, il se sentait à deux doigts de balancer un coup de poing à Sai et de courir comme un forcené jusqu'à chez Naruto. Alors il tambourinerait à la porte comme un sauvage et, à genoux, il le supplierait de le pardonner. Il lui jurerait de redoubler d'efforts et de tout mettre en œuvre pour nouer une relation avec Yukio. Car, à ses yeux, rien sur cette maudite Terre n'était pire que la vie sans Naruto Uzumaki.

Si seulement…

Sasuke sursauta lorsqu'il sentit son téléphone portable vibrer contre sa cuisse. Son cœur bondit dans sa poitrine. Faîtes que ce soit lui, songea-t-il sottement. Il mit fin à leur échange, ignorant superbement la mine déçue scotchée sur le visage de Sai, et décrocha.

-Allô ?

-A… Allô Sasuke ? Je suis désolé de te déranger en pleine nuit, je sais que tu veux plus me voir mais j'ai un gros problème là !

Il ne put réprimer un long soupir de soulagement.

Car c'était bel et bien lui.

Le seul homme qu'il désirait vraiment.

-Dis-moi ce qui se passe.

-C'est le bébé… je crois qu'il va pas bien du tout… je sais pas quoi faire ! Mes parents se sont cassés tout le week-end, je… je suis seul à la maison !

La panique secouait chacun de ses mots.

-J'arrive tout de suite.

Sasuke raccrocha. Mâchoires serrées, il reboutonna sa chemise en quatrième vitesse.

-Excuse-moi, Sai, bafouilla-t-il maladroitement.

Visiblement déçu, Sai se contenta de hausser les épaules. D'un côté, c'était bien fait pour lui. Il avait cru profiter de la faiblesse de Sasuke pour arriver à ses fins. C'était raté.

Sasuke ouvrit la portière. Il allait s'extirper du véhicule lorsqu'une poigne ferme saisit son bras. Il regarda par-dessus son épaule et Sai ancra son regard dans le sien.

-Ce type… tu l'aimes ?

Sasuke lui décocha un sourire empreint de tendresse.

-A en crever, répondit-il avant de s'enfuir.

Sous les regards curieux des étudiants occupés à fumer à l'extérieur, Sasuke traversa le parking comme un forcené. Sous la neige, il courut à une vitesse vertigineuse. Il courut comme si le Diable se trouvait à ses trousses. Les poumons en feu et le souffle court, il ne ralentit pas une seule fois et ne songea pas une seconde à s'arrêter. Plusieurs plaques de verglas recouvraient le trottoir et il faillit tomber une ou deux fois. Heureusement, il parvint toujours à recouvrer l'équilibre. Naruto avait besoin de lui. Il avait enfin besoin de lui.

Sasuke piqua un sprint lorsqu'il aperçut la demeure des Uzumaki se dresser devant lui, tel un défi. Il ne prit pas le temps de sonner et pénétra à l'intérieur de la maison, les cheveux et les épaules couverts de neige. Les cris de Yukio perçaient les murs de la maison. Sasuke découvrit Naruto dans le salon, debout, le bébé dans les bras. Ses yeux étaient rouges et un peu gonflés. Sasuke devina qu'il avait pleuré. Lorsqu'il aperçut Sasuke, le soulagement se lut sur son visage inhabituellement blême.

-Qu'est-ce qu'il a ? demanda Sasuke en s'approchant.

-J'en sais rien ! Il arrête pas de pleurer depuis que je lui ai donné son biberon ! J'ai essayé de joindre mes parents mais ils ne répondent pas ! Il faut qu'on l'emmène à l'hôpital Sasuke ! Faut que tu m'aides !

-Calme-toi, Naruto. Laisse-moi jeter un œil à Yukio, d'accord ? Je suis un futur médecin après tout.

Paniqué, Naruto hocha frénétiquement la tête. Les traits tendus, il plaça Yukio dans les bras de Sasuke. Le bébé pleurait toujours, le visage incroyablement rouge. On aurait dit une tomate géante pourvue de deux grands yeux et d'une bouche. Le malaise que ressentait Sasuke ne se vit absolument pas. Il se remémora la chanson que sa mère lui fredonnait souvent avant de le mettre au lit et l'entama le premier couplet. Il était un petit navire qui n'avais ja-ja-jamais navigué ohé ohé, claironnait-il sous le regard stupéfait de Naruto. En fait, il répétait inlassablement le refrain car il ne connaissait pas la suite. Bref, cela ne calma aucunement Yukio mais la voix de Sasuke ne s'éteignit pas.

Alors… cours de première année avec Kurenai Yui… souviens-toi…

Délicatement, Sasuke déposa le bébé sur le canapé du salon, sur le dos. Sans cesser de fredonner, il souleva le haut du pyjama bleu ciel de Yukio et commença à lui masser le ventre dans le sens des aiguilles d'une montre. Puis, au bout d'une dizaine de minutes, il le berça en le portant à cheval sur son avant-bras. Le petit ventre douloureux de Yukio reposait sur la main de Sasuke, qui continuait à le masser doucement.

-Naruto, enlève-lui cette foutue couche, demanda-t-il.

Impressionné par le savoir-faire de Sasuke, Naruto ne broncha pas et obtempéra immédiatement. Au fur et à mesure, au contact des doigts fins de Sasuke, Yukio commençait à se calmer. Il cessa de pleurer et ses joues retrouvèrent une couleur normale.

-Voilà… ça devrait aller maintenant, c'était juste une petite colique. Essaie d'éviter les vêtements trop serrés pendant un jour ou deux. En attendant, emmitoufle-le dans un linge chaud à la place et ne serre pas trop ses couches.

Rassuré, Naruto se laissa tomber aux côtés de Sasuke.

-Merci… je ne le savais pas.

La tristesse traversa ses pupilles. Bientôt les larmes le submergèrent une nouvelle fois et il se détourna un peu, espérant que Sasuke ne remarque rien. Cependant, le ténébreux n'était pas dupe : il le connaissait par cœur. Tendrement, il passa un bras autour des épaules du blondinet et l'attira vers lui. Le front de Naruto trouva refuge sur son épaule. Le blondinet y déversa chacune de ses larmes. Sasuke devinait sans difficulté se qui se tramait dans cette petite tête blonde.

-Naruto… tu es un bon père. N'en doute pas une seconde. Tout ce qu'il te manque, c'est l'expérience.

Le concerné ne trouva pas la force de répondre. Il se contenta simplement d'enrouler ses bras autour de la nuque de Sasuke. Ce dernier aurait préféré qu'il agisse ainsi dans d'autres circonstances mais il était tout de même heureux. Enfin, il se sentait apaisé.

Réellement apaisé.

Plusieurs minutes furent nécessaires avant que Naruto ne reprenne contenance. D'un revers de manche, il s'essuya les yeux. Les traits détendus, Yukio s'était endormi dans les bras de Sasuke. A la grande surprise de ce dernier, Naruto ne s'éloigna pas de lui. Au contraire, il posa la joue sur l'épaule de Sasuke et ne bougea plus. Quelques mèches blondes chatouillaient le menton de Sasuke. Il lui suffisait de tourner un peu la tête pour déposer un baiser sur son front.

-Je reprends le travail lundi, c'est Hinata qui devait garder Yukio mais avec ce qui vient de se passer, je pense que je vais téléphoner à Jiraya pour lui dire que je ne viens pas.

-Non, ne fais pas ça. Jiraya est patient mais si tu ne reviens pas travailler, il finira par embaucher quelqu'un d'autre.

Hésitant, Sasuke marqua une pause et avala sa salive avant de continuer.

-Lundi je n'ai pas cours, si tu veux… je peux m'occuper du morpion pendant tes heures du travail.

Naruto garda le silence pendant des secondes qui semblèrent une éternité avant de murmurer :

-Si tu veux. Je te fais confiance pour Yukio, je sais que tu en prendras soin.

Je te fais confiance.

Un sourire lumineux se dessina sur les lèvres de Sasuke. Rien n'aurait pu lui faire plus plaisir. Finalement, leur rupture aura peut-être été un mal pour un bien.

Naruto respira à pleins poumons l'odeur de Sasuke. Il grimaça. Sasuke avait-il changé de parfum ? Non… il le connaissait trop bien pour savoir qu'il mettait toujours le même depuis des années. Paco Rabbane one million. Lentement, très lentement, Naruto tourna la tête. Il regretta immédiatement son geste. Le suçon incrusté dans le cou de Sasuke glaça son cœur d'horreur.

-T'étais avec un autre, Sasuke ? demanda-t-il tout en connaissant la réponse.

Le teint de Sasuke devint soudainement plus pâle. Rapidement, il pesa le pour et le contre dans sa tête. Mentir n'avait jamais été son for et il doutait que cela arrange son cas. Après une courte réflexion, il décida de se ranger du côté de la vérité, comme il le faisait toujours.

-Oui mais il ne s'est absolument rien passé Naruto, je te le jure, balbutia-t-il, affolé.

Le regard de Naruto était redevenu froid. Feignant l'indifférence, il se contenta de hausser les épaules avec désinvolture.

-Tu fais ce que tu veux Sasuke, de toute façon on est plus ensemble. Tu couches avec qui tu veux.

Le cœur en miettes, il se leva et prit Yukio dans ses bras.

-Je vais le mettre au lit, dit-il simplement.

Puis sans rien ajouter, il tourna les talons et grimpa les escaliers, laissant un Sasuke décontenancé dans le salon. Quel changement d'ambiance ! En moins de cinq minutes, ils venaient de passer du romantisme à l'affrontement. L'inquiétude déferla en Sasuke comme une vague. Il devait agir. Tout de suite. Naruto commençait enfin à se reposer sur lui, hors de question de gâcher cette chance uniquement pour une embrassade furtive dans une voiture. Sans réfléchir, Sasuke bondit sur ses pieds et gravit les escaliers de bois à la vitesse de la lumière. A pas de loup, il longea le couloir jusqu'à atteindre la chambre d'ami. Debout devant le berceau, Naruto contemplait Yukio d'un air triste. En prenant soin de ne pas faire de bruit, Sasuke s'approcha. De ses deux bras, il entoura la taille de Naruto et déposa un doux baiser sur sa nuque. A son grand étonnement, le blondinet ne le repoussa pas.

-Naruto, je n'ai jamais voulu te perdre murmura-t-il. Je t'aime, tu sais.

Le concerné posa une main sur les siennes.

-Moi aussi je t'aime, répondit Naruto. Mais si tu n'es pas prêt à accepter Yukio, je pense que ça risque de devenir difficile… pour nous deux.

-Et si tu me laissais essayer, hein ? Laisse-moi prendre soin de lui quand tu ne pourras pas le faire. Je… je voudrais que tu te reposes un peu plus sur moi, Naruto. Tu n'es pas obligé de supporter ça tout seul. Je suis là, moi. Je suis là et j'ai l'impression que tu ne me vois même pas.

Naruto se tourna vers lui et planta son regard dans celui de Sasuke.

-Je ne te demande pas d'abandonner Yukio, continua le ténébreux. Tout ce que je veux, c'est que tu me fasses une place.

A cet instant, Naruto prit pleinement conscience de la souffrance de Sasuke. Il se rendit compte combien il avait pu le faire involontairement souffrir en s'enfermant dans un monde à part. Sasuke l'attendait. Il l'avait toujours attendu. A l'extérieur. Un fantôme de sourire flotta au coin de ses lèvres. Il se blottit contre Sasuke et enfouit son visage au creux de son cou. Sasuke n'attendit pas une seconde pour l'étreindre avec une douceur insoupçonnable.

-Reste ici cette nuit, chuchota Naruto.

En guise de réponse, Sasuke se contenta de lui rendre son sourire.

Pour la première fois depuis des mois, ils passèrent la nuit perdus dans les bras l'un de l'autre. Epuisés mais heureux, ils sombrèrent rapidement dans un profond sommeil dépourvu de cauchemars. Aux alentours de cinq heures du matin, ils furent réveillés par les pleurs stridents de Yukio. Le petit bonhomme devait certainement mourir de faim. Après s'être battu pendant cinq bonnes minutes pour savoir qui irait donner le biberon, Sasuke se porta volontaire. Après tout, il avait promis à Naruto de faire des efforts. En baillant à s'en décrocher la mâchoire, il rejoignit la chambre de Yukio. Le bébé hurlait à n'en plus finir. Avec précaution, Sasuke prit Yukio dans ses bras et le serra contre sa poitrine. Doucement, Yukio posa la tête sur son épaule nue et commença à lui baver dessus. Sasuke n'avait jamais vraiment apprécié sentir la salive des enfants contre sa peau mais bon, pour une fois, il pouvait faire une petite exception.

En chantonnant, il descendit les escaliers et fourra un biberon plein de lait dans le micro-onde. Puis lorsque la sonnerie retentit, il testa la température du lait en en versant quelques gouttes sur son poignet. Biberon sous le coude, Yukio dans les bras, il s'installa confortablement dans le fond du canapé. Il présenta la tétine au bébé qui la captura immédiatement entre ses lèvres. Les yeux ancrés dans ceux de Sasuke, Yukio commença à téter tranquillement. Il n'avait encore jamais remarqué à quel point Yukio Uzumaki était adorable. Du pouce, Sasuke essuya la coulée de bave pendouillant sur son menton

-Alors petit démon ? T'as plus mal au bide ? chuchota le ténébreux.

Le bébé ne répondit évidemment pas, continuant son activité. Ses petits doigts étaient posés sur ceux de Sasuke. Quelques cheveux noirs commençaient à recouvrir son crâne jusqu'alors chauve. La gentillesse et la douceur semblaient inscrites sur les traits de son visage au teint de porcelaine. L'émotion noua la gorge de Sasuke, sans qu'il ne sache pourquoi. Il lui embrassa le nez avec une tendresse qu'il ne se connaissait pas. Perdu dans sa contemplation, il n'entendit pas Naruto approcher.

-Tu t'en sors plutôt bien, commenta le blondinet en s'accoudant au canapé.

-Il a fallu que tu te lèves pour venir m'espionner, hein ? Une vraie maman poule !

Naruto fit la moue en marmonnant quelque chose d'incompréhensible et Sasuke laissa échapper un petit rire. Une fois que Yukio eut terminé son biberon, Naruto s'en empara et disparut dans la cuisine. Pendant ce temps, Sasuke se leva péniblement en bougonnant un on a plus vingt ans, et tapota doucement le dos de Yukio, attendant qu'il fasse son petit rot. Puis, sans raison apparente, une odeur pestilentielle se mis à flotter dans l'air. Pris de nausée, Sasuke grimaça et se précipita dans la cuisine. Naruto, occupé à nettoyer le biberon, l'interrogea d'un regard inquiet.

-Quoi ? Il ne se sent pas bien ? demanda-t-il en s'essuyant les mains à l'aide d'un torchon.

-Non… c'est plutôt moi qui…

Sourcils en circonflexe, Naruto le dévisageait avec perplexité. Sasuke huma l'air à pleins poumons et fut pris d'une quinte de toux qui fit sourire Yukio.

-Naruto… y'a un truc qui pue là…

Les traits de Naruto composèrent une mine amusée. Compatissant, il tapota l'épaule de Sasuke.

-Bienvenue dans le monde merveilleux de la parentalité, s'esclaffa-t-il, je te laisse découvrir le petit cadeau que Yukio a caché dans sa couche. Bon courage.

Sasuke le fixa pendant une fraction de seconde, incrédule, avant de prendre un air dégoûté. Il venait enfin de comprendre.

-Quoi ? Nan… y'a des limites, je peux pas faire ça, change-le toi !

-C'est toi qui a dit que tu voulais apprendre à t'en occuper non ? Amuse-toi bien, Sasuke la nounou.

Sur ces derniers mots remplis de bon sens, Naruto abandonna Sasuke à son sort, un sourire malicieux sur les lèvres.

Un sourire comme il n'en dévoilait plus depuis des mois.

oOoO

Après une longue discussion, Naruto et Sasuke avaient décidé de recommencer. Cela fut un moment difficile mais leur rupture leur avait ouvert les yeux sur bien des évidences. Quand Sasuke lui proposa d'emménager dans un appartement, Naruto fut tellement troublé qu'il ne sut quoi répondre. Finalement, il accepta, heureux de réaliser un vieux rêve. Celui de fonder sa propre famille. Un rêve auquel il s'était cru forcé de renoncer lorsqu'il découvrit son homosexualité. A cette heure, il n'existait certainement pas de mots suffisamment forts pour exprimer l'étendue de son bonheur.

De son côté, si Sasuke nageait également dans le bonheur, une légère déception lui pinçait le cœur. Arrêter ses études du jour au lendemain pour vivre la vie de famille à dix neuf ans seulement était une situation que Sasuke n'aurait jamais cru connaître en étant gay. Pourtant, il avait pris sa décision. A présent, il savait ce qu'il voulait. Il lui avait fallu moins d'une semaine pour s'attacher à Yukio. S'y attacher comme s'il s'agissait de son propre enfant. Désormais, il comprenait enfin les sentiments de Naruto, exactement comme Naruto avait fini par comprendre les siens. Au fil du temps, à force de changer des couches souillées et de prendre soin d'un autre être, bien plus vulnérable, Sasuke avait mûri. En fait, il avait carrément grandi. Ses parents et son frère aîné ne le reconnaissaient plus. Oh bien sûr, il restait toujours le petit étudiant modèle qui rendait fiers ses parents mais la sérénité semblait avoir élu demeure en lui.

Jusqu'à aujourd'hui, Sasuke avait toujours su de quoi serait fait son avenir. A la fin du lycée, il réussit sans difficulté le concours d'entrée de la prestigieuse Université de Fukuoka et entreprit d'étudier la médecine, une science qui l'avait toujours passionné. Il y a encore trois semaines, si on lui avait demandé où il serait dans quinze ans, Sasuke aurait certainement rétorqué qu'il exercerait sa profession dans un hôpital renommé et qu'il viendrait en aide à un tas de personnes. Aujourd'hui, sa trajectoire de vie s'était un peu modifiée. Il n'avait pas abandonné ses rêves de carrière prestigieuse, il décidait seulement de les reporter à plus tard, lorsque Yukio serait un peu plus âgé.

S'il ne craignait pas de regretter son choix, il devait maintenant rendre des comptes à ses parents. Installés dans le canapé du salon, la mine anxieuse, Mikoto et Fugaku Uchiha tentaient de deviner ce qui se tramait dans la tête de leur fils.

Sasuke inspira une bonne bouffée d'air et réunit tout son courage.

-Papa, maman, j'ai quelque chose à vous annoncer.

A la fois surpris et inquiets par le ton employé, Mikoto et Fugaku Uchiha ouvrirent grands leurs pavillons.

-Nous t'écoutons, dit Mikoto.

La bouche de Sasuke s'ouvrit sur un silence. Son cœur battait avec tant de force qu'il le sentait pulser dans ses tempes.

-Eh bien… comme vous le savez, Naruto a adopté l'enfant de Sakura. Quant à moi, je l'aime et je veux faire ma vie avec lui.

Fugaku déglutit avec difficulté, présageant presque ce qui allait suivre.

-J'ai appris à prendre soin de Yukio, continua Sasuke, je me suis beaucoup attaché à lui et je le considère comme mon fils. Naruto et moi voulons vivre ensemble, nous voulons être de bons parents pour Yukio.

-Tu… tu veux…

-J'ai des responsabilités envers mon fils et envers Naruto. Alors voilà, j'ai décidé d'arrêter mes études pour subvenir aux besoins de ma famille. J'arrête médecine. Je suis désolé car je sais combien cela est important pour vous mais je ne peux pas à la fois travailler et continuer mes études, mon salaire ne sera pas suffisant pour payer les frais universitaires et le loyer de l'appartement.

Ses parents ne hurlèrent pas. Ils ne se mirent aucunement en colère. Sa mère ne fondit pas en sanglots et son père ne lui flanqua pas une paire de gifles en l'insultant d'irresponsable. Contrairement à ce qu'il s'était attendu, ses parents ne sortirent pas de leurs gonds. Ils se contentèrent de le fixer, incrédules. Qu'ils disent quelque chose. N'importe quoi. Qu'ils disent quelque chose, par pitié ! pria Sasuke. Nerveusement, Mikoto se mordillait la lèvre inférieure jusqu'à la faire saigner tandis que Fugaku se perdait dans la contemplation de ses pieds.

Il fut le premier à prendre la parole.

Tendrement, il posa une main sur le genou de son fils, le faisant sursauter.

-Sasuke, nous comprenons ta décision et sache que nous te soutenons, commença Fugaku. Cependant, il est hors de question que tu fiches ta vie en l'air et que tu passes à côté de ta jeunesse pour cela. Tu as des capacités intellectuelles monstrueuses Sasuke, tu es très intelligent et passionné par ce que tu fais, il est totalement exclus que mon fils fasse un boulot mal payé jusqu'à la fin de ses jours alors qu'il est capable de faire plus. En plus, la médecine, tu aimes ça, non ?

Tristement, Sasuke opina de la tête. Un doux sourire naquit sur le visage pâle de Mikoto.

-Alors, ton père et moi nous continuerons de payer tes études, décréta-t-elle. Comme ça, si tu t'en sens capable, tu pourras subvenir aux besoins de ta famille tout en continuant tes études.

-Et si cela ne vous suffit pas, alors nous vous aiderons à assumer. Nous en avons déjà parlé avec les Uzumaki et ils sont d'accord pour que l'on vous aide financièrement. Après tout, si Yukio est ton fils, cela fait de nous ses grands-parents.

Sasuke n'ignorait rien de la grande tolérance et de la bonté qui habitaient le cœur de ses parents. Cependant, il ne se serait jamais attendu à une telle réaction. Il avait presque envie d'en pleurer. Péniblement, il ravala la boule s'étant nouée au creux de sa gorge.

-Merci mais je ne veux pas que vous m'aidiez davantage même si cela me touche, finit-il par articuler. Si vous continuez à payer mes études, je pourrais assurer le reste, je vous le garantis. En plus, Naruto a repris le travail. Nous saurons nous débrouiller.

En poussant un petit rire, Mikoto s'approcha de Sasuke pour le serrer contre sa poitrine. Avec douceur, elle l'embrassa sur la joue.

-Alors il faudra que tu nous amènes Yukio un peu plus souvent, s'excalama-t-elle.

En guise de réponse, Sasuke lui sourit. En réalité, ce qu'il ne savait pas, c'était qu'avec un premier fils au tempérament volage et un second homosexuel, Mikoto Uchiha avait jusqu'à présent perdu l'espoir de devenir un jour grand-mère. Yukio ne réalisait pas seulement le rêve de Naruto.

Il était devenu le rêve de tous.

oOoOo

-Sasuke ? T'as bientôt fini ? s'époumona Naruto depuis la cuisine.

-Presque ! répondit le concerné depuis la salle de bains, je suis en train de frotter le dos de Yukio ! Il adore ça !

-Ouais ben accouche parce que le dîner est prêt !

-Tu sais quoi Naruto ? On devrait arrêter de hurler comme ça parce que sinon les voisins vont se plaindre !

Naruto pouffa.

-Ouais, cria-t-il de plus belle, je suis tout à fait d'accord !

Sans cesser de rire, Naruto continua à ventiler le riz qu'il venait de mettre dans un grand saladier. Cela faisait maintenant un peu plus d'un mois que le jeune couple et leur enfant s'étaient installés dans ce petit appartement pourvu de deux chambres, situé non loin du centre ville. Tout le monde avait mis la main à la pâte pour les aider à s'installer. Hinata et Kushina s'étaient occupé de décorer la chambre de Yukio, tandis que Fugaku, Minato et Itachi s'étaient chargé de monter les meubles. Mikoto, Sasuke et Naruto avaient passé de longues heures à écumer les brocantes à la recherche de mobilier peu coûteux et en bon état. A la fin du mois de mai, ils purent enfin s'installer chez eux avec Yukio, désormais âgé de sept mois.

Et même si quelques cartons traînaient encore, entassés dans les recoins de certaines pièces, tout se passait merveilleusement bien. En plus de ses études, Sasuke travaillait à mi-temps dans une grande surface où il s'occupait de mettre les produits en rayons ou d'entretenir le bâtiment. Parfois, il lui arrivait même de se retrouver derrière une caisse. Naruto, quant à lui, avait repris son job de serveur à temps plein et Jiraya ne s'en montrait pas mécontent. Pendant qu'ils travaillaient ou que Sasuke se rendait en cours, les grands-parents de Yukio se disputaient presque pour savoir chez qui il séjournerait. De ce fait, ils avaient fini par trouver un arrangement : les Uchiha et les Uzumaki se partageaient les jours de la semaine. En fonction de leurs horaires, Naruto ou Sasuke déposait l'enfant chez ses grands-parents le matin et passait le rechercher le soir, une fois la journée terminée.

Entre les murs de leur appartement, Naruto et Sasuke s'étaient enfin retrouvés. Au fil des jours, ils devenaient de plus en plus complices, de plus en plus proches. Plus soudé que jamais, leur couple semblait invulnérable, prêt à surmonter le moindre des obstacles. Plus rien ne leur faisait peur. De temps à autre, en compagnie de Yukio, ils rendaient une petite visite à Sakura. Au printemps, lorsque fleurirent les cerisiers, ils furent envahis par une bouffée de nostalgie. Parfois, Naruto s'interrogeait sur l'avenir. Il se demandait ce qu'il pourrait bien répondre à Yukio lorsque ce dernier serait en âge de lui poser les bonnes questions. Qui suis-je ? D'où est-ce que je viens ? Qui est ma mère ? Où est-elle ? Naruto craignait que cela soit difficile pour Yukio d'entendre la vérité mais il était hors de question pour le blondinet de réécrire son passé. Non. Un beau jour, Yukio découvrirait que sa mère, Sakura Haruno, était la meilleure amie de ses parents. Il découvrirait aussi que malheureusement la vie savait se montrer cruelle, que la vie lui avait arraché sa mère alors âgée de dix sept ans à peine. Naruto lui expliquerait aussi qu'à ses yeux, exactement comme aux yeux de Sasuke, il était l'enfant qu'il avait toujours désiré.

Et surtout, que tous deux ne cesseraient jamais de l'aimer.

Oui, ce temps-là viendrait. Mais pas tout de suite.

On sonna à la porte. Occupé à mettre la table, Naruto jeta un bref coup d'œil à l'horloge fixée au mur. Dix neuf heures. Ils n'attendaient pourtant personne. Perplexe, le blondinet se dirigea vers la porte et l'ouvrit sans prendre la peine de regarder à travers le judas.

Quand il découvrit l'identité de ses visiteurs, ses yeux bleus s'écarquillèrent au milieu d'un visage dépourvu de couleurs.

Pendant ce temps, dans la salle de bains, Sasuke achevait d'essuyer le corps humide de Yukio à l'aide d'une serviette.

-On a sonné à la porte, s'exclama Sasuke de cette petite voix fluette qu'adoptent les adultes lorsqu'ils s'adressent à un bébé. Qui c'est ? C'est Hinata ?

En guise de réponse, Yukio lui décocha un sourire à se damner. Il marmonna aussi quelque chose qui ressemblait à agagbwagaga mais étant donné que Sasuke ne parlait pas le dialecte des bébés, il ne comprit absolument rien.

-Ou peut-être tes grands parents ?

Yukio se contenta de fourrer son poing à l'intérieur de sa bouche pour le mordiller, ce qui fit sourire Sasuke. Avec précaution, le ténébreux lui enfila un pyjama sur lequel se trouvait imprimé un énorme ours beige qui disait « Bonne nuit ! ». Sasuke le prit ensuite dans ses bras et gagna le salon, s'attendant à trouver Hinata ou les parents de Naruto affalés sur le canapé. Mais le salon était désert. Sasuke fronça les sourcils et déposa Yukio dans son parc rempli de jouets avant de rejoindre Naruto. Le blondinet se trouvait toujours sur le pas de la porte, blanc comme un linge.

-Naruto, qu'est-ce que tu f…

En apercevant les grands-parents de Sakura Haruno sur le seuil de leur porte d'entrée, Sasuke perdit sa langue. Vêtue d'une élégante robe de satin jaune, un chapeau à plumes couvrant ses cheveux gris, Aoki Haruno le toisait avec une pointe de mépris. Bras croisés sur la poitrine, Kyosuke Haruno défiait Naruto du regard, un sourire mesquin flottant au coin de ses lèvres fines. Les grands parents de Sakura Haruno n'avaient pas changé depuis ce jour tragique où ils s'étaient rendus à l'hôpital pour faire leurs adieux à leur unique petite fille. Que Diable fabriquaient-ils ici ? Trop choqué pour arriver à parler, Naruto ne leur proposa même pas d'entrer. Trop méfiant pour s'y résoudre, Sasuke fit de même, le regard froid.

-Que faîtes-vous chez nous ? demanda-t-il sèchement.

La grand-mère de Sakura esquissa un sourire narquois.

-Bonsoir, jeunes hommes, dit-elle d'une voix mielleuse. Visiblement, la politesse ne semble pas être votre point fort.

Poings serrés, Sasuke se garda de répondre à cette provocation. Ses maxillaires vibraient sous la peau de ses joues, tels deux cœurs battant à l'unisson. A travers les dires de Sakura, Naruto et Sasuke avaient appris à connaître Aoki et Kyosuke Haruno. Inutile de dire qu'ils ne les appréciaient en aucune façon. Arrogants, les grands-parents de Sakura s'acharnaient à croire que le monde se trouvait à leurs pieds.

Kyosuke Haruno se racla la gorge.

-La semaine dernière, nous avons passé un coup de téléphone à la maternité de l'hôpital où Sakura est décédée, expliqua-t-il. Nous voulions avoir des nouvelles de l'enfant, nous voulions savoir ce qu'il était devenu. Et l'un des médecins qui s'est occupé de notre petite fille nous a appris que l'enfant avait été adopté. Par vous.

-Nous sommes venus à Fukuoka pour le récupérer, enchaîna Aoki Haruno. Nous voulons obtenir la garde définitive de… Yukio ? C'est comme ça qu'il s'appelle ?

Ce fut une véritable bombe. Le visage de Naruto se décomposa littéralement tandis que la rage commençait à se peindre sur celui de Sasuke. Imperturbables, Aoki et Kyosuke Haruno continuaient de les dévisager d'un air supérieur.

-Vous… vous…

La voix de Naruto tremblait légèrement. Les mots se perdirent dans sa souffrance. La simple idée d'être séparé de son fils engendrait en lui un sentiment de panique indescriptible. Une colère sourde déferla en Sasuke. Sans réfléchir, il attribua un violent coup de poing à la porte d'entrée. La porte claqua sauvagement contre le mur du couloir.

-En avoir la garde ?! hurla-t-il presque, vous vous foutez de nous c'est ça ? C'est une blague ? Vous n'avez rien souhaité de tel à l'hôpital lorsque vous êtes venu le voir après la mort de Sakura !

Pendant plusieurs minutes, ses cris firent écho dans tout l'immeuble et quelques portes voisines s'entrouvrirent.

-Eh bien, nous avons réfléchis depuis, répliqua Aoki Haruno. Nous avons perdu notre petite fille deux ans après notre fille unique. Cela n'est pas facile à surmonter, vous savez.

A ce moment-là, si Naruto ne l'avait pas retenu par le bras, Sasuke aurait très volontiers refait le portrait à cette vieille bique au chignon impeccable. Qu'importe qu'elle soit une femme, qu'importe qu'elle soit âgée, personne n'avait le droit de menacer leur bonheur. Personne.

-Me faîtes pas rire ! s'époumona-t-il, vous n'avez jamais aidé Sakura ! Vous lui envoyiez de l'argent tout les mois mais à part ça, qu'avez-vous fait ? Où étiez-vous pour l'aider à surmonter la mort de ses parents ? Où étiez-vous lorsqu'elle était au plus mal ? Sakura avait du mal à arrondir ses fins de mois ! Elle devait travailler comme une malade alors qu'elle était enceinte jusqu'aux dents ! Vous êtes des gros bourges et vous lui envoyiez à peine soixante mille yens* par mois ! Bande de salauds !

Une main plaquée sur sa poitrine, une autre enserrant fermement son avant-bras, Naruto le forçait à rester à l'intérieur de l'appartement.

-Arrête Sasuke ! Tu fais qu'empirer les choses !

Tant bien que mal, les conseils de Naruto parvinrent à lui faire entendre raison. Mâchoires serrées, Sasuke se mordit la langue, retenant courageusement la salve d'insultes qu'il rêvait de leur cracher en pleine figure. Il examina alors plus attentivement les yeux clairs des Haruno et y aperçut autre chose que du mépris. Il y décela du dégoût. Un dégoût tel que c'était à peine s'ils ne plissaient pas le nez pour l'exprimer. Naruto et Sasuke les dégoûtaient. Et il ne fallait pas disposer d'une intelligence exceptionnelle pour en deviner la raison.

Car leur arrière-petit-fils n'avait pas seulement était adopté par un couple de jeunes adultes à peine majeurs. Non. Il avait été adopté par un couple d'hommes. Par des homosexuels. Des homosexuels qu'ils avaient vu s'étreindre à l'hôpital, qu'ils avaient vu main dans la main lors de l'enterrement de Sakura. Et maintenant, voilà qu'ils vivaient ensemble et espéraient éduquer un enfant, comme s'ils en avaient le droit, comme si cela leur était dû. Comme s'ils étaient normaux. Seigneur, quelle infamie. Pour des personnes à la mentalité conservatrice telles que les Haruno, il était tout bonnement impensable qu'un couple si… comment dire… contre-nature élève un enfant. Un enfant, pour s'épanouir pleinement, avait besoin d'un père et d'une mère, pas vrai ? Comment deux hommes pervertis pourraient-ils assumer ces rôles ? Le simple fait d'y penser suffisait à leur donner la nausée. Ils ne pouvaient qu'imaginer le genre d'éducation que recevrait leur arrière-petit-fils.

Une haine claire se dessina sur les traits de Kyosuke Haruno. Si cela ne tenait qu'à lui, il voterait volontiers pour qu'on les liquide tous, un par un, ces anormaux. Après tout, ces personnes ne servaient à rien puisqu'elles ne pouvaient se reproduire. Autant les éliminer et débarrasser la planète de leur impureté. Comme s'il lisait dans ses pensées, Sasuke l'assassina du regard. Si ses deux yeux étaient des pistolets, Kyosuke Haruno serait mort sur le coup.

-En tout cas entendez bien cela messieurs, siffla Kyosuke Haruno, jamais je ne laisserais cet enfant entre vos mains. Hors de question qu'il soit élevé dans un milieu perverti par deux hommes comme vous qui pratiquez des activités totalement contre nature. Vous êtes sales et souillés. Je ne vous laisserais pas entraîner le fils de Sakura dans votre monde dégueulasse. Profitez bien des derniers jours qu'il vous reste à passer avec lui car je vais de ce pas chez un avocat réputé. Et, croyez-moi, nous obtiendrons la garde définitive de l'enfant.

-Ensuite, vous ne le verrez plus jamais, articula Aoki.

-Allez crever, répliqua Sasuke d'un ton glacial.

Ils se défièrent du regard quelques secondes encore. Puis les Haruno tournèrent les talons, sans rien ajouter de plus. Sans même les saluer. Naruto peina à résister à l'envie de leur balancer un Et la politesse alors, ma p'tite dame ? On oublie de dire au revoir ? ironique. En silence, les deux hommes rentèrent à l'intérieur de l'appartement. Sasuke se laissa tomber dans le canapé. Machinalement, il alluma la télévision, et commença à zapper. Naruto, quant à lui, prit Yukio dans ses bras, lui donna son biberon et alla le mettre au lit. Le bambin s'endormit rapidement, ce soir-là. Inutile de dire que personne ne goûta au plat préparé par Naruto. Afin de s'empêcher de penser, Naruto entreprit de ranger les assiettes et les couverts propres. Puis, il plaça la nourriture dans le frigo avant de rejoindre Sasuke.

Il se résolut à poser la question qui brûlait ses lèvres.

-Sasuke… qu'est-ce qu'on va faire ? Je veux pas… je veux pas qu'ils nous prennent Yukio.

Sasuke se contenta de le serrer contre lui. Epuisé, Naruto clôt les paupières un instant, bercé par les battements de cœur de Sasuke. En résistant aux sanglots qui le gagnaient, le ténébreux glissa une main dans les cheveux blonds de Naruto et, d'une voix pleine de combativité, il déclara :

-Je ne les laisserais pas faire. Je te le jure. Je ne laisserais personne prendre notre fils, tu m'entends ?

Naruto leva vers lui deux yeux humides et traversés par la stupéfaction. C'était la première fois que Sasuke appelait Yukio ainsi et il n'existait en ce bas monde aucun mot suffisamment puissant pour définir l'effet que cela fit à Naruto. Sasuke serra les dents. Malgré ses louables efforts, une larme silencieuse et brûlante de colère glissa sur sa joue.

-Je vais me battre, dit-il. Je vais me battre pour défendre mes droits.

-Tes droits ?

-Ouais. Mes droits. Celui d'aimer les hommes et celui d'être père. Et tu sais quoi Naruto ?

Le blondinet secoua la tête.

-Nous gagnerons.


*Phrase tirée du manga « Naruto Shippuden », M. Kishimoto.

*60 000 yens = 500 euros

Bonjour, bonjour !

J'ai décidé d'écrire cet OS pour plusieurs raisons. D'abord, je soutiens pleinement l'homoparentalité. Cela dit, c'est quelque chose qui se fait déjà depuis des années dans mon pays alors c'est devenu naturel pour nous, tout comme le mariage homo (depuis 2003 ou 2004) et l'adoption pour les parents homos (2006). Ensuite, je supporte plus d'entendre des bêtises aussi grosses qu'une maison sortir de la bouche de certains crétins qui ne savent pas de quoi ils parlent x) les gays sont tout aussi aptes que les autres à avoir des enfants et je pense que c'est ce que j'avais envie de transmettre. Concernant la grossesse adolescente, je ne porte aucun jugement sur cela. Les avis de « mes »personnages ne sont pas toujours forcément les miens.

Pour en revenir à l'histoire, si j'avais écrit une fiction longue, je pense que je me serais plus attardée sur certaines parties ou certains personnages qui mériteraient selon moi davantage d'attention. Mais étant donné qu'il s'agit d'une histoire courte en 2 ou 3 parties (je ne sais pas encore), j'ai choisi de me centrer sur le trio Naruto-Sasuke-Yukio. Enfin là, c'est plutôt la relation de couple (chaotique) et le travail de deuil qui sont exposés. Dans la seconde partie, je développerais plus la relation entre Naruto, Sasuke et le bébé. Cette partie-là était surtout destinée à planter le décor mais j'espère qu'elle n'était pas trop ennuyeuse. J'espère sincèrement que cette première partie vous a plu, j'y ai mis énormément de cœur, si vous saviez x) J'espère vous retrouver bientôt pour la seconde partie qui s'intitulera « Le combat ». Une fois de plus, le couple SasuNaru (ou NaruSasu ? Bon sang, je n'en sais toujours rien haha) sera mis à l'épreuve et de nouveaux personnages feront leur apparition =)

Gros bisous et merci d'avoir lu ^^