Une bulle dans le Brouillard
Cela faisait plusieurs mois déjà que les réserves dédiées aux réfugiés Ishbals étaient désertées lorsque le colonel Roy Mustang découvrit dans un des nombreux dossiers qui arrivaient chaque jour sur son bureau que le plus grand camp Ishbal de la région était complètement vide, le doute se fit dans son esprit. Ces centaines d'hommes, de femmes et d'enfants qui avaient atterrit dans ces réserves parce qu'ils n'avaient nulle part où aller ne pouvaient pas être parties comme ça du jour au lendemain de leur plein gré. Il mena sa propre enquête et s'aperçut que l'armée déplaçait plus ou moins discrètement les Ishbals vers l'Est, en direction de la ville de Lior et de la guerre qui avait éclaté depuis un moment déjà. Il rassembla ses propres hommes et un régiment en repos dans la capitale et demanda, le plus naturellement possible, la permission de rejoindre le front. Le généralissime accepta, trop heureux de trouver enfin une excuse pour le supprimer discrètement. Mais Roy n'envoya pas ses hommes au casse-pipe ; il suivit les traces du trajet du dernier convoi d'Ishbal que Maes Hughes lui avait fournit au péril de son grade et peut être de sa vie.
Seul son premier lieutenant, Riza Hawkeye, connaissait leur véritable destination même si elle ignorait ce qu'ils découvriraient en arrivant là-bas. Ils atteignirent leur destination un matin, très tôt. Après plusieurs jours de train, ils durent encore marcher quelques heures sur les routes de campagne de l'Est, dans le froid et le brouillard et enfin les contours d'un camp se dessinèrent vaguement dans l'aube grise. Riza ne put s'empêcher de frémir à la vue de l'impressionnant mur d'enceinte surmonté de trois lignes de barbelés. Une atmosphère glauque irradiait de tout le bâtiment, silencieux et hostile.
La grande porte métallique était gardée par un petit adjudant au visage pâle et maladif et aux yeux marqués par l'horreur. En les voyant sortir de la brume, il eut un pauvre sourire de soulagement qui avait quelque chose d'effrayant, comme un avertissement muet à ce qu'ils allaient découvrir derrière la porte.
- Colonel Mustang ! S'exclama-t-il en oubliant même le salut d'usage. Vous venez nous aidez ?
Le ton de sa voix, rauque et désespérée, fit frémir Riza. Elle pressentait qu'il leur lançait un appel au secours, qu'il ne demandait pas de l'aide pour garder les Ishbals mais plutôt pour les libérer.
- Oui. Répondit simplement Mustang.
- Je savais que vous viendriez.
Il jeta son fusil à terre, déverrouilla la porte et se retourna vers le colonel en serrant les mâchoires. Celui-ci s'avança vers le jeune homme et le frappa au visage, l'envoyant rouler à terre, puis il continua à le rouer de coups de pied jusqu'à ce qu'il gémisse. Certain de ses hommes voulurent s'interposer, croyant leur supérieur devenu fou mais Riza les en empêcha. L'adjudant devait porter des traces de coups sinon il serait considéré comme complice de cette rébellion. Le petit groupe passa finalement devant le soldat toujours à terre et entrèrent dans le camp.
L'horreur surgit alors devant leurs yeux. Une poignée de militaires dirigeait ce camp de la mort où les Ishbals travaillaient jour et nuit jusqu'à l'épuisement total, un « génocide humain économique purifiant la population du pays et nous fournissant des armes ». Voilà la seule excuse que le général de brigade en faction au camp fut capable de lui donner lorsque Mustang, très en colère mais toujours maître de lui-même, enfila ses gants et s'enferma avec lui à peine vingt minutes. Riza ne doutait pas un instant des talents convaincants du colonel dans le domaine de la torture mais elle était trop choquée, frappé par l'inhumanité des gens qui avaient organisés ça, des gens pour lesquelles elle travaillait, pour s'attarder sur de tels détails. Elle était totalement tétanisée par le spectacle des Ishbals conduit à travailler en creusant des fosses pour y enterrer les cadavres squelettiques des leurs, mort à la tâche en fabriquant des armes.
Elle erra un moment, seule dans le camp tandis que le reste de son équipe se dispersait afin de le fouiller. Hébété, elle marcha lentement vers un des bâtiments et en poussa la porte. Elle y découvrit de très jeunes enfants, qui, ne servant à rien aux yeux de l'armée, avaient été enfermés dans des cages comme des animaux, morts de faim, en pleurs, en cris et en gémissement sans fin. Elle plaqua une main sur sa bouche, tremblante de peur à la vue des centaines de petites mains décharnées tendues vers elle dans une énième supplication. Elle s'enfuit sans pouvoir les aider et se retrouva à vomir tripes et boyaux contre un arbre. Encore tremblante et soudain submergée par la fatigue, elle se laissa tomber à genoux dans l'herbe humide de rosée et pleura entre ses mains. Voilà six ans déjà qu'elle côtoyait l'horreur de la guerre à ses côtés mais jamais elle n'avait constaté de pareilles monstruosités. Mustang qui passait par là la sermonna durement.
- Debout Hawkeye ! Fouillez-moi ce camp comme tout le monde. Ne croyez pas y échapper parce que vous êtes une femme, ici vous n'êtes qu'un soldat.
Bien que heurtée violemment par ces paroles, elle intégra le groupe d'hommes qu'il lui assigna et repris sa tâche. La journée fut interminable pour elle mais une fois le soir venu le régiment de Mustang monta un camp de tentes sommaire devant l'édifice.
- Hawkeye ! Au rapport ! L'appela-t-il de sous sa tente.
Elle s'y présenta quelques minutes plus tard, le salua et lui fit son rapport : tout ce qu'elle avait vu et fait pendant cette atroce journée d'effroi. Riza dut faire d'énormes efforts pour empêcher sa voix de trembler. Lorsqu'elle eut enfin fini, il se leva de sa chaise et se posta devant elle à quelques centimètres et fronça les sourcils.
- Repos !
Elle abaissa son bras mais resta très droite.
- Je suis désolé de vous avoir brusqué ce matin, s'excusa-t-il doucement.
- Ce n'est rien mon colonel, j'ai eu un moment de faiblesse et je vous remercie d'être intervenu. Ça ne se reproduira plus.
Comme elle était devenue dure ! Ils se connaissaient depuis longtemps tous les deux mais jamais dans sa vie ou sa carrière il n'avait rencontré de personne plus forte qu'elle. Roy se retourna et ôta sa veste puis il s'assit sur le lit de camp mit à sa disposition et lui fit signe de s'asseoir. Riza voyait bien où il voulait en venir.
- Non merci mon colonel.
- Appelez-moi Roy, nous ne sommes plus en service, cette journée est terminée, nous ne sommes plus supérieur et subordonné mais simplement homme et femme et je vois bien que vous êtes mal alors à présent venez vous asseoir de votre plein gré avant que je vous l'ordonne.
Elle soupesa ses paroles et finalement s'assit doucement à côté de lui car elle avait vraiment besoin d'un peu de réconfort. Il passa un bras autour de ses épaules et l'attira à lui. Riza ne mit pas longtemps à sentir ses larmes couler à nouveau.
- Comment est-ce possible ? Demanda-t-elle. Comment des gens sensés peuvent-ils organiser tout ça ?
- N'y pensez pas.
- Comment pourrais-je ne pas y penser ?
Il ne sut que répondre et se contenta alors de s'allonger lentement en la tenant contre son torse.
- Non ! Colonel ! S'exclama-t-elle en se redressant.
- Ne vous méprenez pas Riza. Je n'ai aucune mauvaise intention à votre égard si c'est ce à quoi vous pensez, je ne veux que vous offrir une épaule où dormir cette nuit.
Elle rougit de honte de s'être laisser emporter mais parfois les sentiments qu'elle éprouvait à son égard l'aveuglaient, l'empêchant de ce concentrer sur son seul et unique objectif : veiller sur lui et le protéger jusqu'à ce qu'il atteigne son but.
- Pardon.
- Ce n'est pas grave, considérez ce moment comme une parenthèse dans votre vie si vous voulez. Accordez-vous un moment de repos avec moi et je vous promets que personne n'en saura rien, je n'en parlerais plus une fois la parenthèse refermée, demain matin.
Ça ne lui ressemblait pas de parler comme ça, d'être aussi attentionné et elle se demanda un instant s'il ne se moquait pas d'elle. Mais comment le pourrait-il dans un moment pareil, dans un endroit pareil ?
- Colonel ? Demanda-t-elle une fois rallongée à côté de lui.
- Appelez-moi Roy.
- Roy, est-ce que vous me promettez que rien de tout ceci ne sortira d'ici ?
- Pas par moi en tout cas.
- Dans ce cas, je crois qu'il faut que je vous dise quelque chose. Quelque chose que je veux vous dire depuis vraiment longtemps, depuis que je vous ais laissez voir les recherches de mon père.
oOo
Roy se souvenait parfaitement de ce jour là. Son mentor, le père de Riza venait de mourir quelques semaines seulement après son enrôlement dans l'armée en tant qu'alchimiste d'état. Riza savait à quel point la décision de son disciple avait déçu son père ; un chien à la botte de l'armée. Pourtant, alors qu'il la soutenait moralement lors de l'enterrement, elle avait senti son dos la démanger tandis qu'il était posté juste derrière elle. Et c'est là, sur la tombe de son père, une fois seuls tous les deux, qu'elle lui avait dit vouloir croire en lui et lui confier le secret de l'alchimie de flamme découvert par son père.
Le lendemain, il l'avait donc retrouvé dans la maison familiale et dans la pénombre du crépuscule, elle l'avait emmené jusqu'au bureau de son père. Roy savait que son maître avait caché précieusement le fruit de ses recherches et il était heureux que sa fille en ai connaissance mais surtout qu'elle souhaite les lui confier à son tour. Il était conscient que sans ses recherches, atteindre le but qu'il s'était fixé serait beaucoup plus difficile.
Riza se tenait immobile face à lui, les bras serrés autour de sa poitrine tandis qu'il laissait son regard courir sur les dizaines de livres et de papiers plus ou moins rangés ou étalés en se demandant dans quelle cachette pouvait bien se trouver ce qu'il avait tant chercher lui aussi.
- Et bien ? demanda-t-il finalement alors qu'elle ne disait rien.
- Monsieur Mustang, je veux que vous compreniez que mon père a depuis très longtemps décider de me transmettre le résultat de ses recherches, à moi et à moi seule. Elle marqua une pause. Il a aussi spécifié dans son testament que je serais… que je suis le seul décideur quant au devenir de ses recherches et qu'au vu du moyen par lequel il me les a transmises je suis libre de refuser de… les partager.
Roy hocha la tête ne sachant que dire devant un tel discours et ne comprenant pas vraiment où elle voulait en venir. Il savait que la jeune femme était très proche de son père et que si elle décidait de lui transmettre ses recherches c'est qu'elle l'en considérait digne mais elle semblait encore réticente à ce propos et il ne savait pas pourquoi. Ils étaient tous les deux dans le début de la vingtaine et se connaissaient depuis que Monsieur Hawkeye avait accepté de prendre Roy comme disciple quatre ans plus tôt. Même s'il n'avait pas eu beaucoup d'occasion d'échanger avec la jeune femme, les rares fois où ça avait été le cas ils s'étaient plutôt bien entendus et ils avaient débattu pendant des heures de leur vision de l'avenir.
Finalement, il l'a vit inspirer profondément, planter son regard déterminé dans le sien et commencer à se déshabiller, laissant son petit gilet de laine glisser au sol. Roy franchit les quelques centimètres qui les séparaient et attrapa ses poignets pour l'empêcher d'ôter son débardeur.
- Riza ! Mais qu'est-ce qui vous prend ?
- Vous savez monsieur Mustang, je suis heureuse de savoir que vous allez faire bon usage de cette alchimie car je n'aurais fait cela pour personne d'autre au monde.
Elle se dégagea en douceur de sa poigne, lui tourna lentement le dos et passa son débardeur par-dessus sa tête. Roy avait déjà commencé à enlever son propre manteau pour la couvrir lorsqu'il se figea, incapable de détacher ses yeux du spectacle qu'elle lui offrait. Elle dégagea sa nuque en passant ses cheveux blonds vers l'avant, finissant ainsi de lui livrer un gigantesque cercle de transmutation tatoué à même sa peau. Voilà ! Il avait enfin le secret de l'alchimie de flamme sous la main ! Ses yeux bondissaient d'un bout à l'autre du cercle, déchiffrant ici une équation, là une formule. Incapable d'un seul mot, il s'approcha plus près encore mais au moment de poser ses mains sur elle, il se reprit, se souvenant que toutes ses nouvelles données tant convoitées sur l'alchimie n'étaient pas simplement écrites dans un vieux bouquin mais gravées à l'encre noire sur la peau pâle du dos de Riza.
Elle tenait son débardeur contre sa poitrine nue de ses deux bras croisés. Il se décala légèrement sur le côté et elle tourna son visage vers lui. Il décryptait dans son regard, un mélange de gêne et d'admiration surmonté d'une détermination farouche.
- Je peux ? demanda-t-il doucement en lui montrant ses mains.
Elle hocha la tête, peut-être un peu trop vivement, trahissant ainsi la légère appréhension qui l'envahissait tout à coup. Elle était jeune et depuis le décès de sa mère lorsqu'elle avait six ans, Riza s'était dévouée corps et âme à son père. S'occupant de tout pour lui permettre d'avancer sur ses travaux alchimiques. Ce fut donc la première fois qu'un homme posa la main sur elle et bien qu'encore très jeune lui aussi, Roy le fit avec une infinie douceur. Le cercle et toutes les indications qui y était jointes était immense. Il couvrait entièrement ses deux omoplates et s'étendait de sa nuque jusqu'au milieu de son dos. Les doigts de Roy en suivaient chacune des lignes, son visage en était si près que son souffle caressait la peau de Riza ; soudain elle fut prise d'un long frisson et il se redressa vivement, constatant qu'elle avait la chair de poule. Aussitôt il la recouvrit de son long manteau noir.
- Riza, vous êtes gelée ! Excusez-moi, je me conduis comme le dernier des imbéciles.
- Non, allez-y ça ira, ne vous inquiétez pas, dit-elle en faisant mine de se découvrir à nouveau. Ces recherches sont plus importantes.
- Ce n'est pas vrai, laissa-t-il tomber tandis qu'elle se figeait dans ses bras. Ces recherches sont certes très précieuses pour moi mais pas autant que vous.
Elle ne sut que répondre, émue par cet aveu. Alors il secoua légèrement la tête rompant leur contact visuel et fit un pas en arrière, un peu gêné.
- Allons au salon.
Elle le suivit jusque là-bas et le regarda s'activer dans la pièce. Roy sentait que malgré sa détermination, Riza était très nerveuse de se trouver à demi-nue devant lui et il souhaitait lui faciliter la tâche le plus possible. Il remua les braises dans l'âtre et y remis trois bûches. Puis il s'éclipsa quelques minutes et revint avec deux couvertures qu'il avait prise dans la petite chambre d'ami qu'il occupait du temps où il était l'apprenti de son père. Il en roula une en boule et la posa à un bout du canapé puis il se tourna vers elle en lui faisant signe de s'y allonger avant de se retourner pour lui laisser un peu d'intimité.
Elle se débarrassa de son manteau et prit place sur le ventre en serrant la couverture roulée en boule contre sa poitrine.
- C'est bon.
Il se retourna et d'un geste sec, il déplia la deuxième couverture pour l'en recouvrir. Elle tourna la tête sur le côté pour le regarder du coin de l'œil alors qu'il s'asseyait à doucement au niveau de sa taille.
- Vous êtes prête ?
- Oui.
Il descendit lentement la couverture le long de ses épaules et recommença à examiner son tatouage.
oOo
Sortant de ses souvenirs, Roy entendit Riza lui souffler un aveu qui le figea.
- Vous m'êtes vraiment très précieux.
Etait-ce l'horreur ambiante qui la poussait à chercher de l'affection ? Ou était-ce tout simplement ce qu'elle pensait vraiment depuis longtemps sans trouver de moment propice pour lui déclarer ? Après un moment il repensa au fait qu'elle ne le lui avait avoué ceci que parce qu'il lui avait promis d'être tenu au secret.
- Je ne pourrais pas oublier ça Riza.
- Colonel ! Vous aviez promis ! S'exclama-t-elle le regard effrayé à la pensée d'avoir tout gâcher.
- Bien sûr, mais comment avez-vous pu le garder pour vous pendant tout ce temps ?
- Il me suffisait de penser à votre grade, au fait qu'on me réaffecterait aussitôt si j'en parlais ou à l'une de vos soirées avec d'autres femmes.
- Vous vous faîtes du mal ! Elles ne sont rien pour moi.
- C'est pour notre bien à tous les deux et pour la réussite de votre objectif. Maintenant dormons, vous voulez bien ?
- Oui, mais sachez que je n'oublierais jamais ce que vous m'avez confié ce soir.
Ils se blottirent l'un contre l'autre savourant cette parenthèse éphémère qui s'évanouirait avec l'aube. Avant même les premières heures du jour, Havok se présenta sous la tente de son supérieur. Il le trouva en train de finir de mettre sa veste et remarqua son lieutenant encore endormi dans le lit de Mustang. Celui-ci suivit le regard de son subordonné et prit la parole.
- Les femmes n'ont pas leur place dans la guerre. Une femme aussi belle qu'elle ne devrait pas se trouver ici, dit-il en désignant la blonde endormie. Mais elle est là et vous savez pourquoi ?
- Non, mon colonel.
- Pour moi, répondit-il dans un murmure les yeux posés sur elle avec un regard doux qui ne dura pas longtemps.
Il reprit son visage impassible.
- Quand elle se réveillera, affectez là avec Fuery au rapatriement des survivants. La parenthèse est terminée.
Vingt ans plus tard, le généralissime Mustang mourut d'une étrange maladie ressemblant fortement à un empoissonnement. On ne lui connaissait ni femme, ni héritier et le général Hawkeye prit donc sa place et la décision d'organiser un vote pour rétablir la démocratie à Amestris. Lorsque ce fut fait, elle plaça le lieutenant général Olivia Armstrong à la tête de l'armée et démissionna.
FIN
