Bonjour tout le monde ! Cette fic date de l'année dernière et certaines d'entre vous la connaisse déjà. Elle n'était destinée à être mise sur Internet mais finalement, la voici ! ^^

J'espère que ça vous plaira, bonne lecture !

- Hé les filles ! Vous sortez du boulot ? Vous voulez vous amuser un peu ?

- T'as l'air fatigué…Allez viens, je connais un bar génial !

- Mais fichez-moi la paix !

- Non ça m'intéresse pas !

Tous les soirs, c'était le même rituel. Se vêtir de ses plus beaux vêtements, ressembler à une gravure de mode et se poster sur le trottoir pour essayer de ramener des clientes. La technique était bien rodée et pourtant, Yoshiki eut un peu de mal pour le rabattage de ce soir-là.

Poussant un gros soupir, il repoussa de son visage les mèches blondes qui lui tombaient dans les yeux et jeta un œil envieux à hide qui retournait vers le club avec deux filles sous les bras. Sa mine gouailleuse sous une touffe de cheveux roses se tourna vers Yoshiki et lui adressa une grimace un peu moqueuse qui signifiait « J'en ai plus que toi encore une fois ! » Yoshiki ne releva pas la provocation et fit quelques pas dénués de motivation parmi la foule qui se pressait. Il n'avait jamais beaucoup aimé ce moment où il fallait essayer de repérer les filles les plus riches ou les plus fêtardes pour les convaincre d'aller passer une soirée dans un endroit d'assez mauvaise réputation dans la société japonaise. Les filles étaient méfiantes et fuyaient quand elles reconnaissaient un hôte dans le garçon élégant qui les abordait. Yoshiki n'eut pas envie d'insister et décida de retourner dans le club. Tant pis, les autres avaient dû ramener suffisamment de monde. Et pourtant, s'il avait fait des efforts, Yoshiki aurait pu ramener beaucoup de clientes car il était très populaire. Les filles aimaient son caractère taciturne et mélancolique. Il n'avait pas le bagou de hide et parlait même assez peu pour un hôte. Mais il était très beau et n'en paraissait ainsi que plus attirant et mystérieux aux yeux des clientes.

Il n'avait pas fait trois mètres que quelqu'un l'attrapa par le bras :

- Yoshiki-kun, tu m'as manqué toute la journée ! On y va ?

Le jeune homme se retourna face à la fille qui le tenait par le bras et se para de son sourire le plus hypocrite :

- Tiens Aya, je suis content de te voir, quelle fidélité !

Ladite Aya avait vingt-deux ans, un chapeau en fausse fourrure sur la tête, un petit haut, une mini-jupe en jean et des bottines montantes blanches. Et trop de maquillage au goût de Yoshiki. Elle lui décocha son sourire le plus radieux et se rapprocha encore de lui. Il se braqua comme à chaque fois qu'elle le collait mais elle ne paraissait jamais s'en apercevoir :

- Tu es le seul que j'aie envie de voir. Je ne viens que dans ce club et rien que pour toi, dit-elle.

Yoshiki aurait cent fois préféré n'être que l'un de ses nombreux chouchous comme cela arrivait avec la plupart des clientes qui fréquentaient plusieurs bars à hôtes. Malheureusement, il semblait qu'Aya l'avait réellement pris pour unique obsession. Il ne pouvait pas la rejeter pour la simple et bonne raison qu'Aya dépensait des fortunes pour sa compagnie à chaque fois qu'elle venait et qu'il ne pouvait pas se permettre de faire fuir une si bonne cliente. Il prit donc sur lui-même et l'entraîna à l'intérieur du club.

Il s'appelait L'Araneia. A mi-chemin entre le restaurant chic et le salon, comportait plusieurs tables entourées de canapés blancs moelleux sous une lumière tamisée. Tout y était fait pour le confort, pour que les clients aient envie de s'y attarder. Mais on n'y mangeait pas. On n'y faisait que boire. Les clientes venaient là pour dépenser leur argent en champagne coûteux et pour discuter avec les hôtes. Plus elles payaient cher et plus les hôtes faisaient attention à elles. C'était la règle de ce jeu où l'affection se monnayait.

L'ambiance était déjà survoltée lorsque Yoshiki et Aya rentrèrent et traversèrent la pièce. Toutes ces filles surexcitées enchérissaient déjà sur des bouteilles de plus en plus chères pour s'attirer les faveurs de ces beaux garçons. Yoshiki vit hide courir un peu partout de table en table, distribuant champagne, sourires de façade et clins d'œil séducteurs à des filles qui se pâmaient. hide était le patron du bar et c'était également l'hôte numéro 1, c'est-à-dire le plus populaire, celui pour lequel les filles dépensaient le plus. Cela n'avait rien d'étonnant. Avec sa coiffure rose originale, ses yeux pétillants et son talent pour parler aux filles, hide avait tout pour plaire et L'Araneia était le club plus fréquenté de tout Kabukicho.

Plusieurs filles appelèrent Yoshiki à leur table mais ce dernier savait qu'il devait d'abord s'occuper de sa principale cliente. Il fit donc asseoir Aya dans l'un des canapés et, s'armant de son plus beau sourire, commença à lui faire la conversation :

- Alors quoi de neuf depuis la dernière fois ?

- Oh il y a toujours ce client…, soupira Aya, tu sais ce chef d'entreprise qui me réclame presque tous les jours ? J'en ai assez de le voir parce qu'il commence à avoir des exigences malsaines…

- Du genre ?

- Des jouets…des positions bizarres… Il m'a tenue deux heures hier soir.

Le visage d'Aya se ternit quelque peu mais sa voix resta toujours la même : dépourvue de toute émotion.

- Après…j'ai pissé du sang. Il y est allé trop fort ce con.

Yoshiki avait l'habitude de ce genre de récit qui ne le choquait plus vraiment. Aya était une prostituée.

- Tu devrais aller chez le médecin pour vérifier que tu n'a rien.

- Mouais…j'y penserai.

Elle lui sourit soudain en lui montrant fièrement un superbe bracelet serti de diamant qu'elle portait au poignet droit :

- T'as vu ça ? Ca vaut le coup de se farcir trois ou quatre clients par jour non ?

Avant que Yoshiki ait pu répondre, elle leva le bras et cria dans la salle :

- Une bouteille de votre meilleur champagne !! J'ai envie de boire ce soir !

- Oh voilà quelque chose que j'aime entendre ! s'écria hide qui, un peu plus loin, se laissait caresser les cheveux par trois filles qui ne semblaient déjà plus tout à fait dans leur état normal. Heath une bouteille pour mademoiselle et ma compagnie en prime !

Il laissa là ses trois admiratrices un peu boudeuses et vint s'asseoir à droite d'Aya tandis que Yoshiki était à sa gauche. Heath, un brun ténébreux aux longues jambes, apporta une bouteille de champagne français très coûteuse qu'Aya déboucha avec des éclats de rire pendant que quelqu'un dans la salle augmentait le son de la musique.

Bien qu'Aya fût sa cliente principale, Yoshiki se devait de tourner un peu de tables en tables pour satisfaire la demande. Dans ces moments-là, il se sentait réellement comme un produit de consommation qui s'offrait de lui-même aux caresses et aux conversations insipides des clientes. La musique ne cessait jamais, il enchaînait les conversations et les verres de champagnes à un tel rythme que tout était devenu presque machinal. C'était un peu cela d'ailleurs. Rien ne l'intéressait là-dedans ni les filles, ni l'alcool, ni cette ambiance de fête dont il connaissait trop bien la facticité pour l'apprécier réellement. Il ne s'amusait pas, il travaillait. Il était là pour sourire, pour faire le beau et pousser les clientes à acheter des bouteilles et c'était tout.

Les heures passèrent sans saveur, de plus en plus floues à mesure que son ivresse montait. Mais il y avait maintenant beaucoup de monde dans le club et il n'était pas question de se relâcher. Lorsque Yoshiki se sentit un haut-le-cœur au moment de devoir porter un énième toast à une fille dont il avait oublié le nom, il marmonna une excuse et disparut aux toilettes. Là, penché sur la cuvette des toilettes, il eut recours à la technique habituelle pour évacuer tout l'alcool qu'il avait dans l'estomac. L'odeur âcre qui s'attardait dans la pièce indiquait que bon nombre de ses collègues en avaient fait autant avant lui. Yoshiki respira profondément et s'enfonça deux doigts dans la gorge…

Il revint dans la salle, épuisé et barbouillé par ses vomissements. Depuis peu de temps, ils lui provoquaient des élancements dans le ventre qu'il ne s'expliquait pas. Ils finissaient toujours par passer s'il ne restait pas debout trop longtemps. Chassant justement cette douleur lancinante, il retourna vers Aya qui chantait bruyamment sur la musique en brandissant une nouvelle bouteille. Cette soirée serait encore plutôt bonne financièrement et bientôt, il pourrait atteindre son but.

- Yoshiki ! s'écria Aya qui se pendit à son bras. J'arrive p-pas à la déboucher !

Le jeune homme saisit la bouteille et d'un coup de pouce fit sauter le bouchon et jaillir une mousse qui trempa ses mains et les manches de sa chemise. Aya riait, il la servit abondamment même si une petite voix dans sa tête lui disait qu'il était peut-être temps qu'elle arrête de boire.

Aya l'entraîna sur une banquette et se colla à lui d'une façon que Yoshiki connaissait bien. Avec une petite moue, les yeux vitreux d'ivresse, elle lui tendit les lèvres :

- S'te plaît… Embrasse-moi et serre-moi dans tes bras…Tu peux bien m'offrir ça en extra non ? J't'aime tellement Yoshiki…

Les baisers qu'elle parvenait à lui soutirer étaient rares. D'ailleurs Yoshiki n'embrassait aucune cliente à moins d'y être vraiment acculé. C'était un geste un peu précieux, un peu trop pur pour qu'il ait envie de l'utiliser dans cet univers-là… Même si cela faisait longtemps qu'il n'avait plus personne à embrasser dans sa vie.

Toutefois étant dans un soir de bonté, Yoshiki lui concéda un baiser chaste et rapide. Pensant l'avoir amené à de bonnes dispositions, Aya se lova dans ses bras qu'il ne referma que mollement avant qu'elle ne saisisse brusquement sa main pour la poser sur l'une de ses cuisses découvertes et chaudes. Yoshiki voulut retirer sa main mais elle la maintint en place avec dans les yeux une lueur à la fois suppliante et déterminée. Cela faisait longtemps qu'elle lui faisait des avances en espérant pouvoir obtenir une nuit avec lui. Le contrat de Yoshiki ne lui interdisait pas de le faire. Au contraire, certains de ses collègues le faisait si ça pouvait leur rapporter plus d'argent, hide en tête de liste. Mais lui, il n'en avait tout simplement pas envie. Aya l'agaçait de plus en plus avec son insistance mais d'un autre côté, il ne pouvait pas se permettre de la perdre comme cliente. Alors que faire ? Il essaya de gagner du temps en lui caressant sensuellement les cuisses. Elle frissonna de plaisir et se coucha sur le canapé, les jambes légèrement ouvertes. Autour d'eux, il se passait un peu le même genre de chose autour de certaines tables. Les filles, ivres, laissaient parler leurs désirs et leur envie d'affection. Les fins de soirée ressemblaient toujours à des scènes d'orgies. Sans vraiment prêter attention à ce qu'il faisait, Yoshiki glissa la main sous la jupe d'Aya qui glapit de plaisir. Cela l'ennuyait profondément et il ne savait pas comment il allait faire pour éviter d'aller trop loin.

La chance devait être avec lui ce soir-là car Aya se redressa soudain, la main devant la bouche et se précipita hors de la pièce pour aller vomir aux toilettes. Yoshiki poussa un gros soupir de soulagement : il en avait fini avec elle, du moins pour ce soir.

Aya lui paya la somme rondelette qu'elle avait dépensée dans la soirée et Yoshiki enferma le liquide dans une sorte de cassette métallique fermée d'un gros cadenas. Chacun des hôtes en avait une et s'il y avait bien une règle à respecter dans ce club, c'était de ne jamais toucher à l'argent d'un collègue. C'était une faute extrêmement grave, presque déshonorante aussi, Yoshiki n'avait jamais eu réellement peur de se faire voler. Dans la salle, quelques clientes et hôtes dormaient d'un sommeil lourd. Parfois, les clientes réclamaient de pouvoir dormir un moment dans les bras de leur hôtes attitrés en une quête évidente de chaleur humaine qui devait leur manquer dans la vie. Yoshiki s'allongea sur un canapé libre et attendit, à demi-somnolent que hide se décide à fermer.

- Tu restes un peu après la fermeture ?

hide vint lui murmurer cette phrase au creux de l'oreille deux heures plus tard. Yoshiki en connaissait la signification cachée et répondit d'un signe de tête. L'esprit anesthésié par l'alcool et l'envie de dormir, il regarda les derniers traînards quitter les lieux à pas incertains. Puis la lumière s'éteignit en ne laissant que celle du gros aquarium posé sur un meuble près du mur en face de lui. hide allait arriver. Il se leva lourdement et dégrafa son pantalon. Il n'était pas obligé de faire cela mais c'était devenu une sorte d'habitude qui, quelque part lui faisait du bien. Les sentiments qu'il avait envers hide étaient assez indéfinissables. Sous les yeux brillants de l'homme aux cheveux rose se cachait une personnalité cynique et apparemment dépourvue de tout sentiment. Yoshiki ne pouvait pas réellement utiliser le mot « ami » en parlant de lui. Mais à Tokyo, hide était la seule personne qu'il connaissait vraiment bien. Il continuait de rechercher sa compagnie par peur de la solitude et aussi parce que, le cœur de hide, endurci par la cruauté de la vie, aidait Yoshiki à résister. hide lui disait souvent qu'il était trop faible, trop sensible et que tout ce qui comptait quand on était à un niveau aussi bas que le leur, c'était la loi du plus fort. Quelque part, Yoshiki aurait souhaité pouvoir être aussi insensible que lui.

Aucun des deux ne se revendiquaient comme étant gays, ni même bisexuels. hide avec sa vision utilitaire de toutes choses prenait le plaisir là où il se trouvait et avec qui voulait bien le lui donner, que ce fût une femme ou un homme. Quant à Yoshiki, il trouvait pendant un court moment, l'illusion d'être un peu moins seul dans l'étreinte

hide revint avec un trousseau de clefs dans la main et eut un sourire en voyant Yoshiki à moitié nu et prêt pour lui. Lentement il s'approcha en descendant sa propre braguette. Yoshiki l'invita du regard, se mit à genoux sur le canapé, face au dossier et se laissa faire…

Toshi émit un long bâillement et passa la main dans ses cheveux noirs qu'il n'avait pas pris le temps de bien coiffer. Il était cinq heures et demie du matin et bien qu'il eût l'habitude de toujours se rendre à son cabinet à cette heure-là, son rythme de travail commençait sérieusement à l'épuiser. A croire que tout Tokyo avait décidé d'être malade à cette même foutue période de grippe ! Les clients s'amoncelaient dans sa salle d'attente jusqu'à des heures impossibles et sa conscience professionnelle était trop forte pour qu'il se permette de les renvoyer pour rentrer chez lui. Mais si cela continuait ainsi, c'était le médecin lui-même qui allait tomber malade d'épuisement !

Je me demande si cela ne vaut pas mieux tout de même que de rentrer à la maison…, pensa-t-il avec une contraction amère sur son visage aux traits bienveillants.

Kaori l'avait encore disputé lorsqu'il était rentré hier soir. Elle n'aimait plus Tokyo, elle voulait s'installer dans le sud, elle voulait un appartement plus grand, elle accusait Toshi ne plus s'occuper d'elle du tout…comme si c'était possible avec les horaires de fou qu'il avait ! Mais elle lui reprochait même d'avoir trop de clients !

Toshi soupira. Kaori n'était plus la même. Cinq ans qu'ils étaient mariés mais la situation se dégradait de plus en plus depuis un an et Toshi savait que leurs difficultés pour avoir un enfant y était en bonne part. Kaori, qui avait toujours rêvé d'en avoir un, supportait de moins en moins la peur de ne jamais pouvoir fonder une famille. Pour sa part, ce que Toshi craignait le plus, c'était de découvrir que c'était lui le stérile. Et de jour en jour, l'absence de ce lien unique qu'aurait été un enfant, les faisaient s'enfoncer de plus en plus vers l'amertume et la séparation. Toshi n'aimait pas se plaindre. Il avait vu suffisamment de gens misérables dans sa vie pour savoir faire la part des choses. Mais à bien y réfléchir : que valait sa vie telle qu'elle était ? Son métier, il l'avait choisi depuis tout enfant. C'était une vraie vocation mais malheureusement, les choses n'avaient pas tourné comme il l'avait espéré et à présent, il se posait beaucoup de questions. Son mariage avait suivi la même dérive…

Toshi, plongé dans ses soucis, fut pour le moins surpris lorsqu'il rentra brusquement dans une personne qui arrivait en sens inverse. Sous le choc, il lâcha sa mallette qui s'ouvrit sur le trottoir en répandant son contenu : stéthoscope, dispositif à prendre la tension, bouteilles de désinfectant etc.

- Oh je suis désolé ! s'empressa-t-il de dire en remettant précipitamment de l'ordre dans sa mallette. J'étais distrait…

Seul un léger gémissement lui répondit qui le décida à jeter un œil sur celui qu'il avait bousculé : un jeune homme aux cheveux courts et blonds, habillé très classe mais qui restait couché sur le bitume de façon inquiétante. Toshi se pencha sur lui et tourna son visage pour le voir :

- Vous n'allez pas bien ? Que se passe-t-il ?

A la forte odeur d'alcool et de tabac qui émanait du jeune homme, Toshi comprit très vite qu'il sortait d'une soirée bien arrosée et qu'il était ivre. Mais il semblait également très fatigué à en croire ses cernes et sa quasi somnolence.

- Vous pouvez vous lever ?

- J'sais pas…, marmonna faiblement l'inconnu. J'ai mal au ventre…J'ai envie de vomir…

Toshi l'aurait bien amené dans son cabinet mais malheureusement, ce dernier était encore un peu loin et il doutait que ce pauvre homme soit capable de marcher jusque-là.

- Voulez-vous que j'appelle une ambulance ? proposa-t-il avec sollicitude.

- Non…mon…mon appartement est juste deux rues plus loin. Vous pourriez juste…m'aider à rentrer chez moi ?

- D'accord venez…

Avec une vigueur surprenante pour un homme qui n'était pas particulièrement costaud, Toshi releva Yoshiki passa un bras autour de ses épaules, son bras à lui autour de sa taille et le guida jusqu'à son lieu de travail en jetant régulièrement un coup d'œil au jeune homme conscient mais qui marchait les yeux fermés, son visage contracté douloureusement.

Heureusement, ils arrivèrent assez vite à destination. Sur le palier de son appartement, l'inconnu se redressa, sortit ses clefs de sa poche et ouvrit la porte. Mais à peine était-il entré qu'il se plia en deux en gémissant :

- Excusez-moi…salle de bain…

Toshi, un peu inquiet, le regarda disparaître dans une autre pièce. Il ne le suivit pas mais resta sur ses gardes. L'inconnu était visiblement victime d'une énorme gueule de bois mais cela pouvait être quelque chose de plus grave. En attendant qu'il revienne, il jeta un œil aux alentours. L'appartement était petit, sobre et il donnait réellement l'impression que son propriétaire n'était pas souvent chez lui tellement c'était rangé. Pas de photos, pas de vêtements qui traînaient…Les seuls objets significatifs étaient une guitare et un synthétiseur. A part cela, Toshi aurait eu bien du mal à se faire une idée de la personnalité de celui qu'il venait d'aider.

Ce dernier revint justement en se tenant au linteau de la porte séparant le salon du couloir.

- Je…Je crois que vous pouvez y aller. Merci de m'avoir aidé mais je crois que vous ne pouvez rien faire de plus. Je vais aller me coucher…

Toshi se tourna vers lui et l'observa attentivement. L'inconnu était blanc comme un linge et semblait assez faible. Il fit quelques pas vers lui avec un doux sourire :

- Comment vous appelez-vous ?

- Yoshiki.

- Yoshiki…Je suis médecin et je pense que je ne devrais pas partir avant de vous avoir examiné. Vous paraissez avoir bien besoin de soins.

- C'est juste…que j'ai trop bu hier soir…

- Je m'en doutais. Mais venez, vous allez vous coucher pendant que je ferai quelques vérifications. Je ne peux pas vous laisser dans cet état-là si je peux faire quelque chose pour vous.

Yoshiki obtempéra et se dirigea vers sa chambre. Après qu'il eût quitté hide, il s'était rendu compte que son état était pire qu'il ne l'avait pensé. Ses pensées étaient floues, il avait les jambes molles, une nausée persistante et surtout, il y avait cette espèce de douleur aigue dans le ventre qui ne semblait pas vouloir partir. C'était très probablement une conséquence des vomissements à répétitions qu'il s'infligeait tous les soirs pour se débarrasser de la quantité d'alcool qu'il devait boire avec les clientes. Mais il n'avait pas du tout envie de parler de ce détail avec ce type qu'il ne connaissait pas, médecin ou pas. Il avait déjà du mal à évoquer ce métier peu reluisant qu'il exerçait tous les soirs…

Il retira sa veste, sa chemise, ses chaussettes et s'allongea sur son lit. Le médecin s'assit à côté de lui avec sa mallette ouverte sur les genoux. Yoshiki ne dit rien pendant qu'il posait son stéthoscope sur la poitrine et se contenta de l'observer. Cet homme devait avoir le même âge que lui. Il avait des cheveux noirs et soyeux, une mâchoire carrée et il émanait de lui quelque chose de rassurant et de doux. Il avait tout à fait la tête de quelqu'un incapable de faire du mal à une mouche. Une vraie tête de médecin en fait, qui consacre sa vie à prendre soin des autres. Un très léger sourire restait accroché à ses lèvres pendant qu'il examinait Yoshiki et ce dernier nota également qu'il avait une voix très douce :

- Je vais prendre votre tension…

Ses gestes étaient délicats lorsqu'il lui attacha le brassard gonflable avant d'actionner la pompe :

- Hmmm…vous êtes en hypotension. L'alcool sûrement. Et la fatigue…Vous devez impérativement vous reposer et arrêter de boire.

Il faudrait carrément que j'arrête mon boulot quoi…pensa Yoshiki qui retint un soupir d'impuissance et fit une signe de tête pour lui faire croire qu'il allait suivre ses conseils.

- Vous avez des médicaments ici ? Contre les maux de ventre, les maux de tête…

- Oui…dit Yoshiki. Disons que… c'est pas vraiment la première fois que je bois trop.

- Bon d'accord. Le meilleur traitement qui soit pour vous c'est un bon sommeil, une nourriture saine et un arrêt total de l'alcool. Faites attention car à la longue, vous pourriez développer des maladies bien plus graves.

Yoshiki, qui sentait de plus en plus la fatigue l'enfoncer dans son matelas, répondit par un faible signe de tête. Soudain, il sentit une main fraîche se poser délicatement sur son front et quand il ouvrit les yeux, il vit le visage de Toshi penché sur lui. Quelque chose dans son cœur tressaillit. Il n'aurait pas su mettre des mots précis sur ce qu'il ressentait mais cet homme dégageait quelque chose de tellement pur qu'on aurait dit que rien ne le rendait plus heureux que de se retrouver au chevet d'un inconnu pour le soigner.

- Vous avez de la fièvre…Attendez, je vais vous chercher quelque chose. Où rangez-vous vos médicaments ?

- Dans…le premier tiroir du meuble de la cuisine.

Toshi lui sourit et sortit pour aller chercher ce qu'il fallait, laissant Yoshiki encore confus de l'impression qu'il lui avait faite. Ses patients devaient l'adorer ce médecin. Certes, il ne faisait que son travail mais Yoshiki n'avait pas l'habitude qu'on s'occupe de lui et cela le remplissait d'un mélange de malaise et d'émotions.

Il se sentit presque heureux lorsque Toshi revint avec un verre d'eau où se diluait un cachet de Paracétamol qu'il lui tendit :

- Buvez ça…

Yoshiki se redressa, prit le verre et le but à petites gorgées car il n'avait jamais aimé le goût de ce cachet. Toshi, qui s'était rassis sur le lit, lui demanda :

- Vous vivez tout seul ?

Yoshiki acquiesça.

- Que faites-vous dans la vie ?

Yoshiki prit le parti de détourner un peu la vérité :

- Je…Je travaille de nuit dans un bar.

- Oh…je vous ai conseillé d'arrêter l'alcool mais ce ne sera pas facile si vous êtes sans cesse soumis à la tentation. Si vous voulez, je peux vous prescrire des traitements qui diminueront votre envie de consommer. Mais je ne vous cache pas que c'est votre volonté qui devra fournir la majeure partie du travail.

Yoshki s'écria un peu brusquement :

- Non ! J'y arriverai…Vous avez l'air de croire que je suis alcoolique mais c'est faux ! Je bois parfois parce que je suis…entre amis mais pour être franc, je commence à être dégoûté ! Je peux arrêter tout ça sans avoir à passer chez les Alcooliques Anonymes !

Toshi l'observa avec une légère surprise puis baissa un peu la tête :

- Je suis désolé, je ne voulais pas vous vexer.

Une atmosphère un peu gênée s'installa parce que Yoshiki s'en voulait d'avoir fait penser à Toshi qu'il était en colère. Le médecin se leva :

- Je vais vous laisser, je dois me rendre à mon travail. Appelez-moi si vous avez besoin de moi ou passez me voir.

- Oui…j'vous dois combien ?

Toshi éclata d'un rire chaleureux :

- Rien du tout ! Ce n'est pas comme si vous étiez venu me voir en consultation. Je vous ai rencontré par hasard, vous ne m'avez rien demandé. Mais je n'allais quand même pas vous laisser par terre. Mes compétences de médecin ne s'arrêtent pas à la fermeture de mon cabinet !

Pour la première fois depuis ce qui lui semblait une éternité, Yoshiki parvint à sourire et tendit le bras pour lire le nom inscrit sur la carte :

- Docteur Deyama…

Toshi acquiesça :

- Mais vous pouvez m'appeler Toshi !

Yoshiki leva la tête pour le regarder dans les yeux :

- Merci pour tout…

Toshi lui sourit et dit :

- Allez, je vais vous laisser dormir. Prenez soin de vous…

- Oui…A bientôt peut-être.

Yoshiki eut tout juste le temps de voir Toshi sortir et d'entendre sa porte d'entrée claquer. Puis il sombra dans un profond sommeil.

Yoshiki n'alla pas travailler ce soir-là car son immense fatigue était toujours présente comme s'il s'était vidé de toutes ses réserves d'énergie. Il ne fit que dormir et avaler des médicaments. Sa nausée persistante lui coupait toute envie de manger et il passa une très mauvaise nuit. Ce ne fut que le lendemain matin qu'il fut capable de se lever. Il n'avait de toute façon par le choix car il avait un second emploi dans la soirée « piano-bar » qu'un restaurant chic donnait tous les vendredi soirs. Il avait négocié ce jour de congé avec hide pour pouvoir faire quelque chose de plus plaisant au moins une fois par semaine. Yoshiki ne jouait qu'une musique d'ambiance, que peu de gens écoutaient d'une oreille vraiment attentive. Il n'avait pas le droit de jouer ses propres compositions et devait s'en tenir aux partitions qu'on lui fournissait. Mais il ne se plaignait pas car au moins, il pouvait jouer.

Avant de se rendre à son travail, il céda à une habitude prise depuis son arrivée à Tokyo, un an auparavant : il fit un détour pour passer devant un magasin de musique à la vitrine luxueuse dans laquelle étaient exposés des guitares, des basses et des violons de grandes marques. Mais si Yoshiki passait si souvent devant ce magasin, c'était surtout pour un superbe piano transparent qui se trouvait à l'intérieur. Il entra dans le magasin. Il allait bientôt fermer car la nuit approchait mais il y avait encore quelques clients. Le vendeur, qui commençait à bien le connaître à force de le voir, l'accueillit en souriant.

- Bonjour Yoshiki-san ! Comme vous pouvez le voir, il est toujours ici ! On dirait qu'il vous attend.

- Si cela pouvait être vrai…

L'un des plus grands rêves de Yoshiki était de posséder un jour ce piano de concert digne des plus grands. Son prix était à la hauteur de sa qualité d'ailleurs…Pour pouvoir posséder une telle merveille, il faudrait qu'il fasse des économies non seulement pour l'acheter mais également pour déménager dans un appartement plus grand où l'installation d'un instrument aussi volumineux serait possible.

Yoshiki jouait du piano depuis tout petit et poursuivait le rêve de devenir un jour pianiste professionnel. C'était pour cela qu'il était monté à Tokyo mais les choses n'avaient pas tourné comme il l'aurait souhaité. Malgré tout le talent que les gens qui l'avaient entendu lui prêtaient, il n'avait pas encore à se faire remarquer les rares fois où on l'autorisait à jouer dans les bars qui disposaient d'un piano. Yoshiki essayait de s'accrocher. Sa mère, veuve, ne pouvait pas l'aider financièrement. Pour survivre, il avait été obligé de se rabattre sur ce travail pénible d'hôte parce qu'il était de loin celui qui pouvait lui rapporter le meilleur salaire. Il le payait cher mais que n'aurait-il pas été prêt à faire pour essayer de réaliser son rêve ?

Un peu triste, il passa délicatement ses doigts sur le clavier rutilant de l'instrument sous les yeux du vendeur qui l'avait vu faire trop de fois pour ne pas savoir qu'il mourait d'envie de s'asseoir et de jouer. Il l'avait déjà laissé faire. Cela ne le dérangeait ni lui, ni les clients qui, au contraire, avait tendance à se figer pour l'écouter.

- Vous pouvez si vous voulez…

Yoshiki leva la tête, hésitant à comprendre :

- Quoi ?

- Vous pouvez jouer. Je viens de le faire accorder alors je voudrais voir ce que ça donne lorsque quelqu'un de talent l'utilise.

- Merci…, dit Yoshiki avait un faible sourire.

Il s'assit sur le tabouret avec la timidité d'un enfant qui reçoit un cadeau tellement gros qu'il n'y croit pas et posa ses mains sur le clavier pour entamer son morceau préféré, le thème principal du Lac des Cygnes.

Comme à chaque fois qu'il jouait, le temps sembla se suspendre dans la boutique. Les rares clients matinaux se rapprochèrent avec curiosité et fascination de ce pianiste qui jouait un morceau légendaire avec l'émotion et la virtuosité des plus grands. Le vendeur, plus habitué qu'eux à entendre jouer Yoshiki, n'en était pas moins subjugué. C'en était presque du gâchis qu'un talent pareil ne puisse pas disposer d'un piano chez lui. Si cela n'avait dépendu que de lui, il lui aurait offert l'instrument sur lequel il jouait en cet instant. Mais il n'était pas le patron…

Yoshiki termina son morceau comme on sort d'une transe et parut surpris lorsque des applaudissements retentirent autour de lui. Rougissant, il se leva et salua timidement l'assistance. Le vendeur vint vers lui et tapota le piano comme s'il s'agissait d'un cheval :

-C'était magnifique ! L'accordeur a bien fait son boulot ! plaisanta-t-il.

Yoshiki se mit à rire et dit :

- Merci de m'avoir laissé jouer. Je n'abuse pas plus, il faut que j'y aille.

- Au plaisir Yoshiki ! Vous ne me dérangez pas du tout !

Yoshiki quitta le magasin, le cœur plus léger d'avoir joué et plus déterminé que jamais à pouvoir s'offrir ce piano un jour. Le médecin de la veille lui avait dit d'arrêter de boire mais comment pouvait-il éviter de le faire durant les soirées infernales qu'il passait au club ? Il ne pouvait pas envisager de changer de métier. Tout ce qu'il savait faire de ses dix doigts, c'était jouer du piano. Il n'était pas allé au bout de sa scolarité, n'avait aucune compétence en rien en dehors de la musique. Il ne pouvait prétendre qu'à des emplois subalternes et sous-payés qui auraient rendu sa condition pire qu'elle ne l'était déjà. Son travail d'hôte lui rongeait la santé…mais au moins, il était bien payé. Il fallait qu'il continue jusqu'à ce qu'il réussisse à percer dans la musique. S'il ne se pouvait pas se faire remarquer par un professionnel, son objectif était de passer le concours du conservatoire de Tokyo, un examen extrêmement exigeant qu'il n'avait pas d'espoir de réussir en continuant de s'entraîner sur le mauvais synthétiseur qu'il avait chez lui. Il lui fallait ce piano haut de gamme sur lequel il s'entraînerait jusqu'à l'épuisement pour éblouir le jury le jour du concours d'entrée. L'épreuve consistait à jouer un morceau imposé qui changeait tous les ans. Mais peu importait car Mozart, Bach, Lully, Schumann étaient ses compagnons depuis son enfance. Après être entré dans cette école, il travaillerait dur pour être diplômé et il intégrerait l'un des plus grands orchestres du monde. Ou- s'il avait de la chance- ses compositions finiraient par le faire reconnaître comme un grand pianiste classique et il ferait des tournées dans le monde entier.

C'était le genre de rêve que Yoshiki ressassait lorsque son moral était au plus bas. Et il y pensait encore tandis qu'il marchait en direction de l'endroit où il allait devoir jouer pendant une bonne partie de la nuit. Il craignait de ne pas pouvoir jouer aussi bien que d'habitude tellement il se sentait encore fatigué et barbouillé. Il avait à peine mangé, ne pouvant même pas supporter l'odeur de la cuisine. Comment allait-il faire dans un restaurant ?

L'endroit, décoré à la façon d'un restaurant de standing occidental, accueillait déjà hommes d'affaires et jeunes femmes rutilantes de bijoux. Yoshiki ressentait toujours profondément le contraste qu'il y avait entre ce milieux bourgeois et propre sur lui et celui, plus sombre, plus désespéré qu'il fréquentait dans le club d'hôte. Il ne se sentait réellement à sa place ni dans l'un ni dans l'autre mais au moins ici, il ne serait pas obligé de boire et, à défaut d'avoir affaire à des amateurs de musique, il aurait au moins la paix derrière son piano.