Quand la peur devient désir et la douleur, plaisir.
Elle courait éperdument à travers les ténèbres. Elle courait sans même savoir où ses pas la conduisaient, mais peu importait.
Tout était confus dans son esprit, seul son instinct la poussait à continuer sa course folle malgré le vent de glace qui frappait son visage et ses bras nus. Elle n'avait même pas conscience de la plainte lancinante de ses muscles torturés par l'effort.
Elle courait encore et toujours, ne s'éloignant jamais assez. Elle courait comme jamais elle n'avait couru, elle fuyait ce qu'elle avait toujours craint…
Elle fuyait la seule chose qui avait réussit à faire naître en elle un sentiment d'effroi. Bien que l'effroi soit à mille lieux de ce qu'elle éprouvait à cet instant.
Une peur indicible s'était emparée de son corps. Une peur incontrôlable qui avait anéanti sa raison.
L'herbe moelleuse, sous ses fines bottes de cuir, fut bientôt remplacée par un sol rocailleux, sans pour autant la ralentir. C'est à peine si elle perçut le changement, tant son esprit était troublé. Elle ne s'en rendit compte que lorsqu'elle déboucha sur une pente aiguë qui surplombait un océan de terre noire d'où aucune vie ne s'éveillait jamais. Sa vitesse ne lui permit pas de freiner sa descente. Perdant tout contrôle, elle s'écroula sur la roche tranchante et roula sur plusieurs mètres jusqu'au pieds du dôme.
Elle voulut se relever et courir de nouveau, mais son corps s'y refusa. Elle resta donc étendue, les yeux mi-clos, le souffle court, les violents battements de son cœur résonnant dans chaque parcelle de son être, incapable de faire le moindre mouvement.
Puis elle le vit. D'abord une silhouette, à peine une ombre. Elle distingua ensuite son corps frêle, elle reconnut sa démarche gracile et assurée, comme celle d'un félin approchant sa proie mortellement blessée, sans défense, à sa merci.
Sans défense, à sa merci, c'est ce qu'elle était, allongée là, trop épuisée pour s'enfuir, attendant simplement que le premier coup ne s'abatte sur elle. La peur qui l'avait si longtemps poussée à s'échapper laissa place à une incommensurable terreur. Tout son être tremblait, malgré tous les efforts qu'elle faisait pour se contrôler. Elle était bien trop faible, son esprit bien trop malmené, pour qu'elle ait la moindre emprise sur elle-même.
Impuissante, elle regarda le visage de neige de son tortionnaire qui n'était plus qu'à quelques pas à peine. Et malgré l'effroi qu'il lui inspirait, elle ne put s'empêcher d'admirer ses traits séraphiques, sa peau lisse et délicate, ses cheveux d'ébène rappelant les plus obscurs fils de soie…
Il s'arrêta devant elle, l'observant avec douceur. Elle plongea alors son regard dans les deux perles d'onyx aux éclats bleutés, véritables joyaux de nuit soulignés par de longs cils ténébreux.
- Isuzu…dit-il d'une voix plus légère qu'un murmure. Tu m'as beaucoup déçu, tu sais.
Elle commanda à ses jambes de bouger, ses bras de ramper, mais rien n'y fit, sa terreur la paralysait. Posant sur elle des yeux emplis d'une tendre pitié, il poursuivit avec un calme presque surnaturel :
- Tu sais que je déteste faire ça. Alors pourquoi te dresses-tu toujours contre moi ?
Sa voix faible était couverte par le vent. Pourtant chaque son émanant de sa bouche résonnait dans la tête de la jeune femme, comme une litanie macabre.
- Je n'aime pas te faire du mal, Isuzu, mais en tant que chef de notre clan, je ne peux pas tolérer ton attitude, tu comprends ?
En même temps qu'il prononçait ces mots, il s'agenouilla auprès d'elle. Le cœur de la maudite explosaitde terreur, elle ne songeait plus à fuir, elle ne parvenait plus à penser à quoi que se soit, elle ne percevait plus rien du monde qui l'entourait…si ce n'est cette voix douce et pénétrante et ce visage à la monstrueuse beauté penché sur elle.
- Je fais ça pour toi. Je fais ça parce que je t'aime.
Il esquissa un sourire tendre qui ne fit qu'augmenter la frayeur de la femme cheval. Il écarta du bout de ses doigts fins quelques mèches de la longue chevelure corbeau de Rin, qui couvrait son visage d'albâtre tel un voile mortuaire.
- Comme tu es belle, Isuzu, murmura-t-il de sa voix envoûtante.
Il se pencha sur elle, passant une main sous la nuque délicate de la jeune femme, et déposa un baiser charnel et glacé sur ses lèvres douces comme les plumes d'un ange. Pendant qu'il savourait son parfum de Lys, son goût fruité ; il enfonça l'ongle de son pouce dans la fine peaude son cou jusqu'au sang, lui arrachant un gémissement de douleur. Quand la bouche de sa magnifique proie s'entrouvrit, il approfondit le baiser…
Quand la peur devient désir. La douleur, plaisir.
Elle répondit à son baiser, bien que son corps continuait de trembler, hurlant la terreur qui le possédait. Parmi les tremblements d'effroi, naquit un doux frisson qui lui parcourut l'échine tandis que les lèvres d'Akito déserter les siennes pour goûter chaque parcelle de sa gorge offerte.
- Akito…murmura-t-elle avec volupté.
Son esprit se fit de plus en plus brumeux sous les caresses de l'étrange jeune homme. Comment l'être qui lui inspirait tant de répulsion…Ses sensations, ses sentiments se mêlaient, noyant ses réflexions sous un flot d'images indistinctes. Et dans cette mer déchaînée de souvenirs présents et passés, elle ne perçut qu'un seul visage…
Akito
Sentant les larmes brûler ses yeux d'ébène, elle prit alors conscience de l'atroce vérité. Elle l'aimait. Elle aimait cet être ignoble comme on aime une drogue, sachant qu'elle ne fait que nous détruire. Elle se sentait perdre pieds devant cette cruelle dépendance, devant une telle impuissance face à son impitoyable prédateur.
Cessant ses baisers charnels, le chef des Soma saisit la fragile maudite par la nuque, tirant violement sur sa chevelure de velours, pour l'obliger à lui faire face. Il observa avec satisfaction le visage baigné de larmes de la jeune femme et plongea son regard impénétrable dans les deux lunes noires de l'ange meurtri :
- Tu m'en veux ? demanda-t-il de sa voix douce et envoûtante.
Il approcha lentement son visage du sien.
- Tu me détestes ? murmura-t-il, entrouvrant à peine sa bouche glacée.
S'approchant encore, leurs lèvres s'effleurèrent.
- Je te dégoûte ? susurra-t-il, presque imperceptiblement.
Il déposa quelques baisers sur ses joues laiteuses, recueillant les perles d'eau cristallines sur le bout de langue.
- N'oublie pas Isuzu, ajouta-t-il en prenant délicatement le visage de la jeune femme entre ses mains, tu ne peux rien contre moi.
Tu es à moi.
Ce fut les derniers mots qu'elle perçut avant de sombrer dans l'inconscience. Un sourire troublant naquit sur les lèvres pâles du mystérieux jeune homme. Il prit dans ses bras sa proie vaincue, l'emportant à travers la plaine morte et brûlée, avant de disparaître dans les ténèbres de cette nuit sans lune.
