Chapter 1: Time after Time
Disclaimer : Rien ne m'appartient, merci.
Notes : Faire danser Stevie, ça m'obsédait. Manquait que la chanson, et figurez-vous que Star Trek n'a de cesse de faire mon bonheur : Brent Spiner - Data, pour les intimes - a enregistré une compilation de chansons populaires d'avant-guerre. J'ai utilisé Time after Time, exécutée pour la toute première fois par Frank Sinatra dans "It happened in Brooklyn" et promis, je n'ai vu ça qu'après avoir choisi la chanson.
Bonne lecture !
Oh, Steve adorait la musique. Du reste, le bonhomme avait le cœur nostalgique.
Il y avait cet album, là, une compilation ? Quelque chose à voir avec des yeux jaunes ; mais Rogers en était fou, dingue, carrément amoureux. De la pop music de l'époque, d'avant-la-guerre, presque antédiluvienne. Bof, Stark pouvait bien se moquer, ça dépotait.
Souvent, le crépuscule dévorait l'après-midi, le bleu se mêlait à l'orange melon et au rose, puis le ciel pastel colorait les murs impersonnels de son chez-lui au QG, sur un air tendrement mélancolique. Personne ne se plaignait. Au contraire : dès lors que Carolina in the Morning se faisait entendre, Natasha fredonnait dans les couloirs.
Bucky, à peine arrivé, ne manquait jamais d'occuper son salon, pour écouter avec lui. Les vieux clusters résonnaient à ses oreilles comme autant de souvenirs inatteignables, tranchant gentiment dans sa chair à vif – tempo adagio – mais le genou de Stevie, cognant parfois contre le sien, l'apaisait ensuite.
Plus tard, et le vent au dehors était froid, James demanda :
« Tu… Ne sais toujours pas danser, pas vrai ? »
Le Capitaine ne s'attendait pas vraiment à la question, sortie de nulle part ; ça le fit sourire, terriblement, quoique sur sa langue, beaucoup d'amer.
« Non, pas encore. »
Debout, et les cheveux en vrac, James s'approcha du canapé. Rogers souriait, parce que l'hésitation de Bucky l'avait trahi – sa mémoire n'était pas fiable, l'ex-Soldat de l'Hiver n'était jamais bien sûr du passé – mais il y avait autre chose, dans le fond des yeux de Steve, outremer, comme la mer, mais noir, noir, trop noir.
Des ténèbres.
Barnes se remémora peut-être un prénom. Peut-être pas.
En revanche, il se souvenait des funérailles du mois dernier.
Des lèvres, pleines et rouges sang… Stevie savait le calmer, alors Buck, une fois, juste une fois, voulut l'exorciser.
« Tu danserais avec moi ? »
Son grand pote lui tendait sa main cybernétique alors Steve chercha dans son regard triste-gris une trace de délire, ou de sincérité. Les deux s'emmêlaient probablement, mais la musique changea.
« Hé, te moque pas, Buck. »
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Steven Grant Rogers n'avait jamais vu ce crétin si sérieux.
« Tu t'en rappelles ? Comment danser, je veux dire.
– Non. Pas moi. Mes muscles, sûrement. »
La musique, c'était la faute de la musique. Oh, Steve adorait cette chanson, What good are words I say to you? They can't convey to you what's in my heart…
Les doigts sur sa hanche hésitaient, et lui aussi ; sa main gauche – tremblante – au contact du métal, leurs pantoufles cognaient sans faire exprès, épaule contre épaule, anguleuses. Bucky menait doucement, et Stevie se laissait guider, transi. If you could hear instead, The things I've left unsaid.
Time after time, I tell myself that I'm… So lucky to be loving you.
Et à l'autre bout du monde, il y a si longtemps… Les Commandos Hurlants étaient morts, le Colonel Philips était mort, Howard était mort, Peggy… Peggy.
So lucky to be, The one you run to see; In the evening, when the day is through.
Tout avait changé, même… Non, non. Pas Bucky. Les prunelles couleur d'orage, où valsaient des ombres, des étoiles ; toujours les mêmes, toujours James Buchanan Barnes. Brisé, les morceaux éparpillés, et pourtant le menton pointu de Steven s'alignait encore tout à fait sur la clavicule – désormais – robotique, c'était réconfortant, comme avant.
Durant une seconde, Rogers regretta Brooklyn, son front écrasé contre la peau tiède, crevassée, de son ami d'enfance. Buck sentait la vanille.
« Steve, hé… »
I only know what I know, The passing years will show… You've kept my love so young, so new.
Barnes recula, pour le regarder. Une voix, sucrée, atroce, lui murmurait qu'il aurait dû être plus petit. Malingre. Pourtant, à cet instant, la réalité ne lui paraissait pas si éloignée du souvenir : son ami semblait avoir rapetissé, tourmenté – anéanti – par le poids d'un siècle bientôt. La guerre avait ravagé ses héros, et Steve Rogers, pur comme les anges, était naufragé dans les ténèbres, prisonnier d'un abîme monstrueux. Eternellement balafré par le deuil et… Les regrets.
Ça, James le lisait dans ses yeux, électriques, voilés par une brume noire, et sa mâchoire roide, et sa bouche, pourpre, craquelée, et…
Bucky ne sut pas quoi faire d'autre, Bucky avait oublié.
And time after time, You'll hear me say that I'm…
Juste une caresse, un fantôme nonchalant sur ses lèvres, si bien qu'il ne fut jamais vraiment sûr de l'avoir embrassé, ou non. Et Steve – oh Steve – souriait. Il n'était guère expérimenté en la matière, différenciait mal l'amour, de l'amitié, de la loyauté sur le champ de bataille ; mais ça, il le comprenait. Ça, ça voulait dire : Je suis là, tu n'es plus tout seul contre le monde entier.
So lucky to be loving you.
La musique changea encore, et encore. Leurs deux âmes s'étaient perdues, puis retrouvées. Comme ancrés l'un à l'autre, en orbite, ils dansèrent toute la nuit.
Oh, Steve adorait la musique… Et il adora danser.
