Disclaimer : Fire Emblem et ses personnages ne m'appartiennent pas... dommage.
Prologue
Des cris. Des bruits. Si fort… au milieu de la nuit… pourquoi ? Oh, non ! Pas ça ! Pas ça !
Je sortis en trombe de ma cahute, la main sur le poignard qui ne me quittait plus depuis des mois. Mes pires craintes se confirmèrent.
Nous étions attaqués.
Des gens couraient, hurlaient. Des hommes tentaient de défendre leur femme, leurs enfants. Pauvre et dérisoire défense que ces hommes qui brandissaient héroïquement qui une fourche, qui une serpette, qui un simple bâton. Certains n'avaient que leur corps pour faire barrage à l'ennemi. Moi, il n'y avait personne pour me protéger. Au fond, ça valait peut-être mieux. Je ne me sentirais pas coupable d'avoir causé une mort innocente parmi tant d'autres. Et je n'avais personne à protéger. J'étais une paria. Refoulée par les miens pour avoir refusé de me soumettre à l'époux qu'on m'avait choisi, refoulée pour avoir fait couler son sang et plus encore pour l'avoir égorgé. J'avais échappé au gibet, mais ma vie n'était désormais suspendue qu'à un fil. Personne ne m'adressait plus la parole, personne ne m'aiderait, quand bien même je serais mourante devant leur porte. Je devais me débrouiller pour subsister jusqu'à pouvoir vivre ma vie. Mais je n'aurais jamais l'occasion de découvrir le vaste monde. Parce que j'allais mourir aujourd'hui.
Mais pas sans me battre.
Comme le découvrirent à leurs dépens plusieurs hommes qui me croyaient sans doute une cible facile. Esquiver leurs coups fut pour moi un jeu d'enfant. Ils étaient trop sûrs d'eux, trop lents, trop maladroits pour échapper à mon poignard. Et j'étais trop déterminée pour flancher en les voyant s'effondrer, la gorge coupée. Après tout, j'avais déjà tué de sang-froid. Je pouvais recommencer. Je pouvais étendre autant de corps que nécessaire jusqu'à pouvoir fuir.
Ce qui n'arriverait jamais.
Je manquais d'entraînement, et ils étaient nombreux. Oh, nombreux… si nombreux à avoir attaqué en même temps. Si nombreux à piller, détruire, violer, tuer. Si nombreux. Mais je ne me rendrais pas. Je me battrais. Toujours. Jusqu'à changer le sol en sang s'il le fallait.
Car tel était mon destin.
Les hurlements s'intensifièrent. Tout à coup, place nette fut faite autour de moi. Plus un homme à cinq mètres à la ronde. Par contre, un brusque, violent, étrange courant d'air venant du haut, accompagné d'un bruit non moins étrange, mais plus étouffé. Comme des battements d'ailes. Je levai la tête. Serait-ce… Oui. C'est ça.
Une wyverne.
J'avais déjà entendu des récits sur ces créatures, mais c'était la première et sans doute dernière fois que j'en voyais une de mes propres yeux. Celle-ci était longue d'au moins sept mètres, et avait bien six mètres d'envergure. Un beau spécimen. Si mes souvenirs étaient bons, une wyverne mesurait en moyenne entre quatre et six mètres, pour une envergure d'environ cinq à six mètres. Celle-ci était largement au-dessus de ces chiffres. Ce ne devait donc pas être un simple soldat qui se trouvait dessus, derrière les immenses ailes membraneuses et griffues. Comme en témoignait l'armure noire et assez richement décorée du cavalier, ce devait même être le commandant des forces en présence ici.
Et un autre venait d'atterrir juste à côté.
Ca s'annonçait mal. Les wyvernes étaient réputées pour être excessivement agressives. Comme si une seule n'avait pas suffi, il fallait qu'il y ait un gradé sur son dos, et qu'on multiplie le tout par deux. Conclusion : il fallait que je me dépêche de regarder le ciel si je voulais mémoriser la position du Cygne, de l'Aigle et de Pégase, afin que ces trois êtres de légende me permettent de m'élever sans encombre jusqu'à devenir une étoile parmi toutes les autres.
Seulement voilà.
Je n'avais pas l'intention de mourir ici. Ni maintenant.
Je n'avais pas quinze ans. Trop jeune pour mourir à mon goût. Et surtout pour mourir le nez en l'air à contempler les étoiles. J'avais de la visite. La moindre des politesses était donc d'accueillir mes deux visiteurs comme il se devait.
C'est-à-dire à coups de poignard.
« Tiens, enfin une résistance. Finalement, on va pouvoir s'amuser un peu, Glen. »
C'était le premier, ça. Une voix qui me rappela instantanément quelque chose. Quel drôle de hasard. Par contre, je ne savais pas à quoi la rattacher.
« Il me semble qu'elle n'a rien à voir avec ces brigands, Valter. »
Ca, c'était le second. Une voix qui devait être douce d'ordinaire, mais qui était maintenant chargée d'une haine surprenante. Visiblement, il n'appréciait pas du tout son collègue. Je me demandai vaguement pourquoi, avant de chasser rapidement cette pensée de mon esprit. C'étaient leurs affaires. Ils pouvaient bien s'aimer ou se détester, pour moi ça ne faisait pas de différence. Puisque cet homme à l'armure noire semblait vouloir combattre, il n'y avait pas de questions à se poser, pas de pitié à avoir.
« Ce serait bien la première fois qu'une paysanne saurait se battre. »
« Je ne suis pas… » commençai-je. Je m'attendais à une violente attaque en réponse à ma réplique, et je ne fus pas déçue.
Mais alors si vite ..!
On avait beau vanter la férocité des wyvernes, jamais personne ne m'avait parlé de leur rapidité. Et je comprenais pourquoi : rares étaient ceux qui devaient échapper à une telle charge. Je l'avais à peine vue venir ! Il faut dire aussi que la plupart des incendies s'étaient à présent éteints, ce qui n'améliorait pas la visibilité déjà médiocre. Heureusement, j'avais eu le réflexe de me jeter au sol, ce qui m'avait quand même valu une longue griffure sur le dos. Mais la plaie était très superficielle, et surtout, j'étais encore en vie.
La wyverne décrivit un large arc de cercle et revint à la charge. Là, elle allait très probablement racler le sol de ses pattes pour être sûre que je ne lui échapperais pas une autre fois. Je n'avais donc plus aucun moyen d'esquiver. Conclusion : il me faudrait attaquer. Et bien viser. Je n'aurais pas de seconde chance. Pas de droit à l'erreur. Tuer ou mourir. C'est aussi simple que ça.
Au moment où la créature ouvrait une large gueule pleine de crocs pour m'arracher la tête, je me précipitai sur son antérieur gauche et le saisis à pleines mains. Je m'écartai rapidement pour être hors de portée des coups de dents de la wyverne. Ca, c'était la partie facile de mon plan. La suite allait être plus… risquée.
Je m'agrippai de toutes mes forces à l'aile de la bête, laquelle amorçait à présent une série de loopings destinés à me faire lâcher prise. Je fermai les yeux pour ne pas être tentée de voir le vide, mais c'était encore pire. Je me résolus donc à les ouvrir pour continuer ma manœuvre d'approche, qui consistait à s'accrocher à la première des deux lanières qui maintenaient la selle sur le dos de la monture déchaînée. Je n'avais plus rien à craindre de la wyverne, à présent. Son cou était trop court pour que je me soucie de ses coups de dents, et c'était pareil pour ses pattes. Maintenant, l'ennemi n°1, c'était Valter.
Lequel ne se priva d'ailleurs pas de me faire expressément comprendre qu'il était entièrement d'accord avec ma vision des choses, puisqu'il faillit me couper la tête en deux d'un coup de lance. Et il récidiva presque aussitôt. Deuxième esquive. Il me sembla qu'il avait eu une mèche de cheveux. Troisième attaque. Cette fois, je n'esquivai pas assez vite. Je jetai un bref coup d'œil à la large et profonde entaille que portait à présent mon bras droit. Manque de bol, j'étais gauchère. Je pouvais encore tenir la bande de cuir, mais il faudrait vite que ma main gauche se charge toute seule de m'éviter la chute, et pour ça, il faudrait que je lâche mon poignard. Et il était hors de question que je lâche mon unique chance de survie. Par conséquent, il ne me restait que quelques secondes pour agir. J'évitai miraculeusement le coup suivant, fermai les yeux malgré moi et bondis sur le dos de la wyverne. C'est-à-dire droit sur Valter. Droit vers ma mort, dans un sens.
La wyverne piqua vers le sol au moment précis où je lui tombais dessus. Je ne compris pas pour quelle raison il n'avait pas du tout l'air surpris par mon opération suicide. Je ne compris pas non plus pourquoi il ne m'empêcha même pas de le pousser comme si j'essayais d'enfoncer une porte de fer. En revanche, je compris très bien qu'il m'avait attrapé le bras en tombant, et que ça ne faisait absolument pas partie de mon plan.
Nous basculâmes dans le vide. Alors seulement il me lâcha. J'essayai de m'éloigner de lui, et me rendis compte non sans surprise que j'y parvenais. Mais ça ne serait pas ça qui m'empêcherait de…
« Ah ! » criai-je en heurtant le sol.
Au même instant, je compris la raison du piqué de la wyverne. Si elle n'avait pas fait ça, il y aurait eu des morceaux de membres humains non identifiés éparpillés sur une très large aire. Au lieu de ça, j'écopai juste d'une douleur foudroyante à la jambe gauche. J'avais dû me fracturer la rotule, et peut-être aussi le tibia. Mais c'était supportable. Comparé à ce que j'avais connu étant plus jeune, c'était presque ridicule.
Par contre, une fois redressée, c'était assez peu glorieux. Se tenir courbée sur une seule jambe en se tenant le bras opposé quand votre adversaire se tient aussi bien portant que s'il venait d'arriver par voie de terre alors qu'il a fait la même chute que vous en même temps que vous… Je me consolai en me disant qu'il avait dû subir un entraînement autrement plus rude que le mien, pour ainsi dire inexistant. Oui, c'était déjà un miracle d'avoir survécu en aussi bon état. D'avoir survécu tout court était un miracle. Par contre, l'un comme l'autre risquaient de ne pas durer très longtemps.
« Cette fille ne peut pas être une simple paysanne. »
« Il semblerait. » reconnut Glen, comme à contrecœur.
Je relevai orgueilleusement le menton et répondis, par pur défi :
« Au risque de vous décevoir, je ne suis précisément qu'une simple paysanne. Mais vous, vous n'êtes pas de simples soldats. »
Dans la semi-obscurité, sous le casque noir et doré, je distinguai nettement un sourire peu engageant. Un subtil mélange de sadisme, de perversité et de profond mépris, où il était impossible de savoir ce qui dominait.
« Et cultivée, avec ça. »
La voix, aussi, était à présent composée de ces trois éléments qui semblaient être la base de sa personnalité.
« Non, simplement observatrice. Alors, qui êtes-vous ? La moindre des politesses serait de se présenter. C'est ce qu'on apprend à n'importe quel enfant. »
« Si le combat était une affaire de courtoisie, passe encore, mais ce n'est pas le cas. » marmonna quelqu'un non loin de moi.
Ca, j'avais compris toute seule.
Ce fut à ce moment seulement que je m'aperçus qu'une troupe nombreuse faisait cercle autour de nous. Des fois que ça me prenne de vouloir m'échapper avec une jambe cassée… Même si elle n'avait pas été cassée, je n'aurais jamais pu distancer cette wyverne, de toute façon.
Un mouvement dans l'arrière-plan. Je bandai tous mes muscles encore intacts pour parer une éventuelle attaque, mais c'était juste Glen qui descendait de sa wyverne. Je notai au passage qu'il n'avait pas l'air d'avoir bronché pendant que je me démenais pour sauver ma peau. Bon, d'un autre côté, on ne pouvait pas vraiment lui en vouloir… Après tout, même s'il ne semblait pas porter son collègue dans son cœur, il ne pouvait lui donner aucun ordre : hormis leur couleur — la sienne était d'un rouge bordeaux — , leurs armures étaient absolument identiques, ce qui signifiait normalement qu'il étaient de rang égal.
« Je suis Glen, capitaine dans l'armée de Grado. » déclara-t-il en enlevant son casque. Pour la première fois depuis le début de l'attaque, je me sentis mal au point d'en avoir des étourdissements. Je ne parvins à garder mon équilibre qu'au prix d'un violent effort de volonté.
Comment un homme pouvait-il être aussi… beau ?
Non, rester concentrée. Le physique ne voulait rien dire. Absolument rien. Mon défunt époux aussi était beau, mais c'était une pourriture sans nom. D'ailleurs, c'est pour ça que je l'avais tué. Et ce vertige était dû à la perte de sang. Simplement à la perte de sang.
« Et lui, c'est Valter, également capitaine dans l'armée de Grado. » compléta-t-il en le désignant du pouce lorsqu'il fut clair que le susnommé capitaine ne daignerait pas le faire lui-même.
« Vous pourriez au moins enlever votre casque. » grinça d'ailleurs Glen avec un regard assassin en direction de Valter. L'attitude du premier envers le second confirma ma précédente impression : ces deux-là ne pouvaient pas se sentir. Ils ne coopéraient que par la force des choses.
« Elle ne vivra pas assez longtemps pour en percevoir l'utilité. » répondit d'ailleurs l'homme en noir avec un geste d'agacement.
Je réalisai brutalement que ces deux individus étaient supposés appartenir à l'armée des plus puissants alliés de mon pays. Ce qui voulait dire qu'il était dans mon intérêt de leur expliquer que je n'étais pas de mèche avec les brigands qui nous avaient attaqués.
« Je vois. Je me nomme… » commençai-je avant d'être interrompue par le fauve qui s'abattit sur moi. Je reculai en faisant de mon mieux pour rester debout, mais la lance et son utilisateur ne me laissèrent pas continuer longtemps.
Un coup.
Un seul.
La lance me traversa comme elle aurait traversé du papier.
Je fixai mon assassin un bref instant.
Et ce n'était pas Valter.
C'était Glen.
Ne jamais baisser sa garde.
