Note de l'auteur : Bonjour ! Cela fait maintenant très longtemps que je n'ai rien écrit ici, mais j'ai été prise il y a peu d'une sorte de pulsion de publication, et c'est la fantastique série Sherlock qui en fait les frais (Certes, pour un AU, mais tout de même). Ça me fait très bizarre de reprendre, je dois dire !
J'ai commencé cette fiction il y a un petit moment, et je me décide ENFIN à en publier le début. J'en ai eu l'idée alors que je jouais tranquillement à The Legend of Zelda : Majora's Mask, mais que je vous rassure, il n'y a absolument aucun besoin de connaître le jeu pour comprendre ma fiction. Seule sa si particulière ambiance m'a inspirée. Je me suis également basée sur la nouvelle "Le rituel des Musgrave", entre autres.
Disclaimer : Bien entendu, rien n'est à moi !
Bonne lecture !
Au moment d'écrire le point final, la pointe du stylo perça le papier.
John Watson détestait cela. Cela lui arrivait régulièrement : lorsqu'il rédigeait une expression écrite, ou lorsqu'il voulait coûte que coûte terminer un contrôle bien que le délai fût dépassé, la feuille se retrouvait systématiquement perforée par l'impatience d'en finir et par la frustration de rendre un travail de sagouin — c'était le mot de la maîtresse, pas le sien : elle avait un goût pour les élèves soigneux et l'humiliation publique. Et, par là même, il détestait se rendre compte que tous les efforts qu'il fournissait pour être plus méticuleux s'avéraient désespérément inutiles. Un point final était le meilleur et le seul moyen de boucler efficacement la boucle ; rater quelque chose d'aussi simple que ça n'était pas seulement ridicule, mais provoquait chez le jeune garçon une désagréable impression d'inachevé et, par conséquent, de complète vanité.
Et quand il s'agissait d'un travail qu'il répugnait à effectuer (mais dont l'importance n'était pas en reste), l'impression n'était plus désagréable, mais insupportable. Celui-ci était en l'occurrence pire que tous les autres : sa psychologue le lui avait imposé. Dès qu'elle lui en avait parlé, il avait réprimé une furieuse envie de lui rire au nez. Écrire ses sentiments. Écrire tous les détails de cette expérience traumatisante pour le gamin qu'il était. Dans un cahier, un bête cahier qu'elle lui avait donné presque de force. Sa mère s'était extasiée en affirmant que c'était une très bonne idée.
Une très bonne idée, oui. L'exercice était maintenant achevé, le point final troué, et John toujours dans le même état d'apathie. Ni mieux, ni pire qu'avant. Quel temps perdu ! John referma le stylo, le posa sur ce qui était maintenant son pseudo-journal de confessions et se coucha sur le lit d'appoint, regardant d'un air absent les planches de bois qui composaient le toit. Ayant compris l'occasionnel désir de solitude de l'enfant, son père avait eu la gentillesse d'aménager pour lui la vieille cabane à outils qui gisait oubliée dans un coin du jardin. Un grand classique, mais qui était devenu son sanctuaire : il s'était familiarisé avec les murs de bois vermoulu à la peinture écaillée, cette odeur de poussière, les pelles et les râteaux entassés aux côtés d'une tondeuse qui avait dû faire plusieurs guerres et le claquement répété de la branche de chêne qui venait cogner la petite fenêtre, fêlée et presque opaque tant elle était sale, au-dessus du lit. Par chance, la clé de la cabane n'avait pas été perdue malgré les années et lui octroyait un confinement absolu dans son nouveau havre de paix (si l'on occultait les coups insistants contre la porte quand sa mère refusait de comprendre les mots « Laissez-moi tranquille », pourtant affichés bien en évidence comme un sens interdit peint sur la porte de la chambre d'un adolescent en crise).
Sa mère, sa psychologue, son enseignante... Il vouait à toutes ces personnes une haine irrationnelle selon elles, parfaitement à propos selon lui. L'aide pompeuse qu'elles estimaient lui apporter ne faisait pas d'elles des saintes contrairement à ce que leurs imaginations orgueilleuses leur faisaient croire, simplement des êtres bouffies de narcissisme, pas plus honorables que des nouveaux riches se gargarisant à outrance d'un don faramineux fait à une quelconque œuvre de bienfaisance. Ces phrases censées l'apaiser couchées éternellement sur papier, formulées maladroitement et sans doute pleines de fautes d'orthographe n'étaient rien de plus qu'une démonstration de son mal-être — et avait-il réellement besoin de le prouver ? La bonne blague. La seule personne qui était capable de le sortir de ce maelström d'émotions disparates et inénarrables, qui pouvait réellement lui prendre la main et non pas simplement l'effleurer, cette personne si unique n'avait, ironiquement, plus le droit de le voir. Aux yeux de tous, c'était elle la responsable, et, par un accord tacite, tous s'employaient à la blâmer. Mais ces idiots oubliaient que dans l'histoire, ils étaient deux. Puisque l'un n'aurait jamais agi sans l'autre, n'en accuser qu'un seul revenait à être aussi absurde que de vouloir séparer l'endroit et l'envers d'une feuille.
Des tremblements vinrent secouer sa main gauche, et il ne sut pas si c'était le résultat de son intense activité d'écriture ou un autre effet secondaire de sa réminiscence forcée. Rien ne pouvait le distraire de ce souvenir de terreur qu'il trouverait certainement risible s'il venait à relire son cahier. C'était d'ailleurs précisément la raison pour laquelle il avait refusé d'en parler à n'importe lequel de ses camarades de classe comme l'avait suggéré la maîtresse — d'après elle, parler adoucit les mœurs. Tout dépend de l'identité de l'interlocuteur, et puisque le seul qui méritait ce titre avait été mis en quarantaine... John avait bien tenté de le lui expliquer, mais elle lui avait lancé un tel regard qu'il n'avait pas insisté. Elle non plus d'ailleurs. Alléluia.
Ses yeux se fermèrent lentement. Quand ils se rouvrirent, ils s'étaient légèrement humidifiés. Sa vue se troubla au point qu'il ne distinguait même plus les rainures dans les planches de bois. Mettant cela sur le compte de la fatigue, il se tourna sur le côté et se rendit compte qu'il avait cette fois le cahier dans son champ de vision. Trop paresseux pour le bouger ou pour bouger lui-même de nouveau, il songea que, même sans voir le cahier, son maudit contenu le hanterait encore, et encore, et encore.
Mais jusqu'à quand ?
Jusqu'à ce qu'il se décide à briser les interdits pour venir le voir ?
Ça ne devrait pas prendre tant de temps, dans ce cas. Une des choses qu'il avait apprises le plus rapidement à son sujet était qu'il aimait jouer avec le feu. Surtout quand le jeu en valait la chandelle.
Mais lui, John ? En valait-il la chandelle ?
Évidemment. Sinon, rien de tout cela ne serait arrivé.
Sans doute.
Sans doute. Quel beau mensonge. Le doute était tout ce qu'il lui restait à présent, avec son panel d'interrogations : allait-t-il venir, ce grand échalas aussi cynique que bizarre qui l'avait entraîné dans cette monstrueuse et fascinante aventure ? Allait-il venir, et feindre l'ignorance en s'asseyant sur le lit avant de débiter des piques acérées sur les décérébrés de leur classe — ses mots à lui — et écouter John rire à ses sarcasmes ? Ou devinerait-il que John faisait semblant de rire pour cacher son malaise et se décideraient-ils enfin à discuter sérieusement de cette affaire qui les avait réunis ?
Et la lune resterait-elle indéfiniment dans le ciel...?
D'accord. Là, il était grand temps qu'il vienne.
Penser à la lune était devenu chez John un très mauvais signe. Car il était à présent obligé de se raconter entièrement l'histoire une énième fois afin de se persuader qu'elle n'était que balivernes. Piètre façon de se rassurer, et peu efficace. Mais puisqu'il était désespérément seul, il ne voyait aucune autre porte de sortie.
Son corps se crispa et ses doigts s'agrippèrent violemment à ses tempes. Il ferma les yeux de toutes ses forces pour empêcher les larmes et sa fierté de couler.
Mais rien ne put empêcher les souvenirs de défiler en cascade.
Combien de fois devrait-il revoir cette horreur ?
XXXXXXXXXX
Le voyage en train avait été interminable, et avait été suivi par plus d'une heure d'autocar depuis la gare d'arrivée. Sa sieste dans le compartiment ayant été interrompue, John l'avait reprise une fois assis dans le second véhicule, imperturbable. Mais difficile de rester dans les bras de Morphée quand une voix stridente vous hurle dans l'oreille sans aucune manière :
« Oh ! Debout, Watson ! On est arrivés ! »
John se risqua à ouvrir un œil... pour se retrouver nez-à-nez avec un rouquin au visage constellé de taches de rousseurs qu'il connaissait bien puisque c'était celui de Wilson, l'éternel perturbateur de la classe, agaçant et turbulent. Il se leva et se rendit compte que l'autocar était vide de toute âme. Il n'eut pas le temps de regarder par la fenêtre pour faire un premier état des lieux puisqu'il fut tiré vers la sortie par la poigne moite de Wilson.
« On vous attend ! » sermonna impatiemment la maîtresse quand ils sautèrent la dernière marche.
« Rejoignez les autres, et dans le calme, ajouta-t-elle en attardant son regard sur Wilson. Nos bagages seront pris en charge plus tard.
– Obéissez, leur souffla la mère accompagnatrice, elle n'est pas d'humeur. »
John suivit le rang, mais son esprit se mit immédiatement à vagabonder : ce décor n'était pas réellement ce qu'il attendait d'une sortie de classe. A vrai dire, il ne savait même pas à quoi s'attendre. La maîtresse avait donné tous les détails de l'expédition alors qu'il était en train de rêvasser sur sa chaise, et il avait laissé à ses parents le soin de lire eux-mêmes les fiches d'information qu'on leur avait transmises. Résultat, il était incapable de se souvenir dans quelle région lui et ses camarades se trouvaient actuellement (en supposant qu'ils étaient encore en Angleterre), encore moins du nom de la ville dans laquelle ils allaient séjourner. D'ailleurs, était-ce bien une ville ? De prime abord, la campagne environnante, qui avait beaucoup en commun avec les paysages du Sussex ou du Surrey que John connaissait déjà, donnait à penser le contraire ; mais les interminables murailles de pierre qui se dressaient face au petit groupe et dissimulaient vraisemblablement une activité urbaine tranchaient avec cet univers bucolique. Elles étaient si hautes que la seule chose dont John pouvait certifier l'existence au-delà était un clocher, dont la pointe se dessinait élégamment dans le ciel cotonneux. Bon, c'était effectivement une ville. Ou peut-être plutôt un bourg. Un bourg très bruyant : de la musique en pagaille associée à de multiples éclats de rire produisaient un véritable tintamarre à peine amorti par les murs extérieurs, pourtant bien épais.
L'entrée n'était pas loin : elle constituait en une simple scission de la muraille, ornée d'une petite arche. Seigneur, on était bien loin de la modernité londonienne. John ne serait pas si surpris d'apprendre que le train aurait finalement voyagé dans le passé. Voilà qui constituerait une sortie originale.
« Un peu de silence ! tonna la maîtresse tandis que le rang se garait à côté de l'entrée de façon plus ou moins ordonnée. Notre hôtesse a la gentillesse de venir jusqu'ici pour nous accueillir et nous accompagner, alors je compte sur vous pour être polis et disciplinés. Et la voilà ! Tenez-vous bien ! »
John n'en revint pas. L'enseignante, si sérieuse auparavant, s'était métamorphosée en une jeune femme exaltée et souriante. Elle étreignit un moment l'hôtesse sous les regards à la fois surpris et amusés de ses élèves, puis l'hôtesse s'adressa à eux :
« Seriez-vous moins étonnés si je vous disais que votre maîtresse est une amie de longue date ? »
Elle enchaîna, avec un petit rire dont John apprécia le son :
« Bienvenue à Hurlstone ! Je m'appelle Rachel Howells, mais contentez-vous de m'appeler par mon prénom. Je suis l'une des responsables de l'auberge dans laquelle vous aurez le plaisir, je l'espère, de loger durant votre séjour ici. Avant que je vous laisse entrer pour de bon, je me dois de préciser que notre petite ville vous apparaîtra certainement très différente de cette géante qu'est Londres, mais croyez-moi, si vous tâchez d'ouvrir l'œil et votre esprit, elle vous réservera de multiples surprises... car, je vous le dis, Hurlstone est magique. Réellement magique. »
Les moues dubitatives des enfants ne désarçonnèrent aucunement Rachel qui se contenta de sourire chaleureusement. Hurlstone ? Jamais entendu parler. Elle aime peut-être un peu trop sa ville, pensa John, ou elle aime se mettre en scène. Elle souriait encore plus au moment où le groupe traversait l'arche.
En voyant enfin ce qu'il y avait de l'autre côté, John eut comme un coup au cœur.
La façade vieillotte de la ville dissimulait la concentration de couleurs et d'éclectisme la plus extraordinaire que le jeune garçon eût jamais vue. En son sein, tradition et technologie cohabitaient harmonieusement. Il n'aurait pas eu assez des paires d'yeux de tous ses camarades réunis pour tout voir : sur la place principale où s'étendait en son centre une immense fontaine, des groupes d'individus revêtus de luxueuses étoffes exultaient de joie pour une raison inconnue tandis que d'autres, affublés de masques tous plus beaux et complexes les uns que les autres, se mettaient soudainement à danser sans obéir au rythme de la même musique. Certains suivaient la cadence d'une fanfare équipée d'instruments dont John, pour la plupart, ignorait alors jusqu'à l'existence ; d'autres battaient la mesure d'un groupe de rock en pleine répétition sur une estrade de plein air dont les notes semblaient toujours un peu plus faire éclater des amplificateurs mal réglés. Des hommes à l'apparence de pantins s'exerçaient à diverses figures acrobatiques sur les pavés saupoudrés de confettis multicolores, sous les moqueries de clowns aux mains occupées par des bouquets de ballons de toutes les formes et couleurs imaginables. Les murs des bâtiments pierreux étaient recouverts d'enseignes encore éteintes en raison de l'heure, mais qui devaient offrir à la nuit tombée de fantastiques explosions lumineuses. Des ouvriers s'affairaient à la mise en place d'écrans géants et de plate-formes et communiquaient entre eux par onomatopées entre branchements électriques et coups de marteaux. Des odeurs salées comme sucrées – et un tantinet écœurantes – étaient portées par le vent qui faisait remuer les guirlandes à fanion accrochées un peu partout au-dessus de la ville.
Dans leurs uniformes d'écoliers, les enfants passaient totalement inaperçus. Tous devaient être aussi ébahis que John, car Rachel éclata de rire :
« Vous avez de la chance, mes amours, d'être venus pile au moment de l'organisation de notre carnaval ! La ville n'est pas aussi animée habituellement. Les enfants sont en vacances, alors ils sont intenables ! Et tout ce que vous voyez autour de vous n'est même pas la partie émergée de l'iceberg. Croyez-moi, notre carnaval n'a jamais rien eu à envier à celui de Notting Hill ! Oh, je parle, je parle, mais vous devez être épuisés après un tel voyage... Allons vite à l'auberge. Suivez-moi bien, en ces jours intenses, on se perd comme un rien quand on ne connaît pas la ville.
– Allez, hop ! Tout le monde obéit ! » surenchérit la maîtresse, croyant jouer les indispensables.
John leur emboîta le pas, toujours subjugué. Bien sûr, il avait déjà vu des carnavals dans sa vie. Ils étaient le plus souvent tout à fait magnifiques. Mais celui-ci avait une particularité qu'il n'arrivait pas à saisir. Peut-être parce qu'il avait l'impression de voir déjà se dérouler le carnaval alors que celui-ci n'était encore qu'en préparation, ce qui prouvait à quel point il devait être spectaculaire ? Ou parce qu'il était dans un bourg (il avait adopté ce terme à défaut, car l'endroit était trop petit pour être une ville mais aussi trop grand pour être un village) qu'il ne connaissait pas et qu'on est toujours fasciné par l'inconnu...
Dans le rang, l'excitation était à son comble. Même Wilson ne jouait pas les blasés. L'enseignante s'échinait à rappeler qu'ils n'étaient pas ici uniquement pour s'amuser, que le but de ce voyage était également de s'ouvrir à ce qu'ils ne connaissaient pas et que ce n'était pas une raison pour se croire en vacances, mais ses propos étaient superbement ignorés. En voyant certains élèves brandir des appareils photo, John décida de les imiter et sortit de son sac à dos l'appareil de son père. Il avait dû batailler pour obtenir l'autorisation de l'emporter. Il était si tête-en-l'air... Il riva l'appareil vers la place principale et l'immortalisa.
« La semaine va être longue... » entendit-il marmonner à côté de lui.
John se retourna et vit un garçon aux boucles brunes, assez grand pour son âge, avancer à ses côtés le regard dans le vague. Il reconnut Sherlock Holmes, un nom bizarre pour un être qui l'était encore plus. Il était toujours seul en classe mais ne paraissait pas s'en formaliser, il mettait même un point d'honneur à cultiver cette absence relationnelle. John le connaissait depuis longtemps, mais il ne le connaissait pas : ce n'était ni plus ni moins qu'une conscience de son existence, sans mots échangés ni liens formés, pas même celui faiblard de la simple camaraderie. Les rares fois où il parlait aux autres, il le faisait d'une manière complètement inédite, précieuse et incongrue : John se souvenait encore de la fois où Holmes avait affirmé à un petit nerveux de la bande de Wilson, après une entrevue parents-professeurs, que sa mère avait un amant simplement en ayant observé la façon dont son gilet était boutonné. Personne n'a jamais su si c'était par provocation, par amusement ou juste s'il était trop en-dehors du concept de sociabilité pour se rendre compte de l'impact que pouvaient avoir ses paroles. Sûrement était-il capable de compromettre à lui seul l'intégralité du programme "Social and emotional aspects of learning". Oui, définitivement très étrange.
« Quoi ? » prononça John, déconcerté par ces mots.
Holmes posa son regard translucide sur lui comme s'il venait de s'apercevoir de sa présence.
« Oh, rien. Je me faisais une réflexion à voix haute. »
Inutile d'insister. Il n'aimait pas trop rester seul avec lui. Une minute, se dit John. Seul ? Quand il regarda à nouveau devant lui, il s'aperçut que le groupe avait déjà bien avancé. Même la mère accompagnatrice, qui était censée fermer la marche, ne s'était pas rendue compte de leur retard, trop occupée qu'elle était à séparer deux élèves en pleine dispute. Il lui avait fallu autant de temps pour prendre une simple photo ? Laissant derrière lui Holmes qui ne s'en faisait visiblement pas, il accéléra le pas puis sentit soudain sa prise se desserrer sur son appareil, qu'il n'avait pas eu la présence d'esprit de ranger. Une seconde de réaction lui suffit pour comprendre qu'il venait de se le faire dérober. Il fit volte-face et repéra immédiatement le voleur : un garçon de sa taille qui détalait comme un lapin, bientôt suivi par John qui poussait des cris d'indignation.
La voix de Holmes l'appelait, mais il n'y prêta aucune attention. C'était une catastrophe. Son père l'avait bien prévenu : s'il ne ramenait pas l'appareil en parfait état, il allait se faire tuer ; qu'est-ce que ce sera s'il ne le ramène pas du tout ! Il avait beau être doué en course, garder la crapule dans son champ de vision tout en évitant de rentrer dans les gens relevait de la compétence olympique. Il s'efforça d'ignorer les visages masqués qui riaient sur son passage. Inutile d'espérer une quelconque aide extérieure. Au moment où le chapardeur s'apprêtait à bifurquer vers la droite, il se figea et braqua son regard sur John. Ce fut tout du moins ce que ce dernier supposa : la distance et le loup noir qu'il avait sur les yeux ne lui permettaient pas d'en dire plus. Il fut stupéfait de voir qu'il avait arrêté de courir, mais ne prit pas le temps de se méfier : il piqua un sprint, bien décidé à récupérer son bien. Mais alors que seuls quelques mètres les séparaient, le garçon masqué disparut dans la ruelle. Il le provoquait ! John émit une exclamation de colère et se remit à sa poursuite. Au moins, la ruelle était vide : il avait le gaillard directement dans sa ligne de mire. Mais pas pour longtemps. John s'engagea dans l'allée qu'il venait de prendre, mais il l'avait déjà semé. Heureusement, l'allée ne menait qu'à un seul chemin. Quand il parvint au bout, il comprit réellement ce qu'avait voulu dire Rachel par « Se perdre comme un rien ». Il avait débouché dans une autre rue qui donnait un accès à plusieurs autres voies. Les habitations collées les unes aux autres lui parurent soudain étrangement hautes. Il leva la tête vers le ciel, qui n'était plus qu'une étroite bande bleue entourée de blocs de pierre.
Peu de solutions s'offraient à lui, et il allait devoir vite se décider, car le vaurien courait toujours. Soit il faisait demi-tour et il serait tout aussi perdu, ne sachant pas où était l'auberge et supposant qu'on ne l'avait pas attendu – sans parler de son père qui le lui ferait amèrement regretter à son retour... soit il empruntait une des voies au hasard et, avec un peu de chance, tomberait nez-à-nez avec le gamin. N'importe quoi. Une telle veine n'arrivait jamais.
Il parcourut la rue de long en large, sentant peu à peu la panique lui resserrer la gorge. Il évita de penser au fait qu'il n'était même plus sûr du chemin qu'il avait pris pour arriver jusqu'ici et prononça pour la forme quelques jurons qui auraient fait hurler ses parents. Vraiment, se perdre au milieu de nulle part après s'être bêtement fait voler un objet qui ne lui appartenait pas alors qu'il aurait suffi de le remettre dans son sac, quelle poisse ! Il songea à la perspective de tirer au sort (sans vraiment savoir si c'était pour retrouver l'appareil ou son chemin vers la place principale) quand il sentit une main se poser sur son épaule.
Ce contact lui fit l'effet d'une décharge de quelques milliers de volts et il entendit une voix familière s'excuser aussitôt :
« Désolé, je ne pensais pas te faire si peur. »
Si ce chapitre contient une quelconque coquille (ce qui serait désespérant de ma part étant donné le nombre de fois que je me suis relue), faites-le moi savoir sans ménagement.
N'hésitez pas à me faire part de vos avis, positifs comme négatifs !
