Disclaimer : Tout appartient à Mr. Yoichi Takahashi
Je dois préciser que la fanfiction est en ce moment même en train d'être réécriture, chapitre par chapitre, c'est pourquoi vous risquez de passer d'un chapitre réécrit, à un chapitre ancien... Les changements ont été tels que les anciens ne sont pratiquement plus valables donc mieux vaut s'arrêter aux nouveaux! J'indiquerai également sur le dernier chapitre édité publié qu'il est le dernier. :o)
Je dois également remercier NyuPowa pour toute l'aide qu'elle m'apporte dans ma réécriture! Grâce à elle, les fautes sont sûrement beaucoup moins nombreuses et l'histoire bien plus nette! Merci, merci, merci!!
Et à vous, bonne lecture!!
Chapitre I
Double Identité
« Je est un autre »
Rimbaud
Tous les matins, je me rendais à l'école en vélo. Le bruit de la mécanique usagée faisait fuir les oiseaux sur mon passage. Pour freiner, il me fallait ralentir dix mètres en avance afin de pouvoir arrêter le vélo sans trop user des semelles de mes chaussures de cours. Je ne comptais pas en repayer de nouvelles paires avant l'année d'après, ou au moins, jusqu'en Janvier prochain.
Je suspectais également ma roue arrière de s'être légèrement trouée. Cela faisait plusieurs matins déjà que je devais prendre du temps pour la regonfler. Or, si je ne voulais pas être en retard en cours, je devais à tout prix foncer à l'école.
Je laissais le vélo entamer son ralentissement aux abords du lycée. Cependant au lieu d'avancer directement vers l'entrée principale, je la contournais soigneusement en passant par de petits chemins étroits ce qui m'obligeait à descendre de mon vélo. Une fois au premier croisement, je tournai à gauche et me retrouvai sur une petite place où un unique réverbère se trouvait. La maison dont on pouvait apercevoir le jardin grâce à un portail en bois cassé en son centre gardait ses volets dépeints constamment clos. Sans aucun doute, ce lieu était désert.
J'attachai mon vélo contre le réverbère malgré le peu de chance qu'on me le vole. Premièrement parce qu'il s'agissait d'une antiquité que je n'arrivais pas à repeindre (la peinture se décollait pour une raison inconnue), deuxièmement parce que le siège était vraiment inconfortable et paraissait soudé au reste, qu'il fallait bien revoir les pédales et changer la chaîne ainsi que la mécanique. Enfin, le guidon finissait toujours par se décaler par rapport à la roue avant en roulant. Sans compter qu'il y avait peu de chance pour que quelqu'un ait à passer par ici.
C'était donc l'endroit le plus sûr pour cacher mon vélo. Je n'aurais pas supporté que quelqu'un le découvre et qu'il m'identifie comme son propriétaire.
Parce qu'à cette époque, j'étais devenue la fille la plus populaire du lycée, je devais tout faire pour maintenir mon image au sommet. La falsification de mon identité allait jusqu'à me changer d'appellation. Non seulement personne ne me nommait de mon vrai nom et prénom, Katsuko Mayashima, mais tout le monde me connaissait sous l'identifiant de « Kamya ».
Cela commença quelques années plus tôt. L'argent soigneusement épargné me permit d'entrer dans un collège de renommée. Là-bas, j'y découvris un monde bien différent de celui dans lequel j'avais alors évolué. Je compris très vite son fonctionnement hiérarchique. Au sommet, les populaires régnaient sur le reste.
Contrairement à ce que l'on peut penser, la popularité est un phénomène complexe d'une mini société qui se divise en différentes parties.
Tout d'abord, il y avait les riches. Ceux qui possédaient tout, voulaient tout et pouvaient tout avoir. Les fils de patrons d'entreprises étaient prisés pour le bénéfice qu'on pensait pouvoir leur soutirer. De plus, leur goût à la dépense et à l'ostension guidait la mode que les élèves moyens se contentaient de suivre bêtement de peur d'être écartés et méprisés.
Ensuite, il y a ceux qui devenaient populaire grâce à une capacité particulière comme les sportifs – très appréciés auprès des collégiens et des lycéens. Généralement, ceux-là étaient adorés pour leur charisme, leur « dons ». Ils étaient chouchoutés par les élèves moyens qui espéraient faire partie de leur groupe d'amis, et donc des populaires par substitution.
Et puis, il y a les autres. Les populaires qui avaient trimé pour le devenir. Il était très difficile d'en faire partie. Il fallait avoir du charisme, une confiance absolue en soi, beaucoup de volonté, de patience et une culture très développée. Il était impératif d'être capable de parler de tout, argumenter sur un sujet des plus sérieux et plaisanter – et faire rire – sur n'importe quoi. On devait savoir prendre sur soi. La gentillesse et la tolérance demandaient un entraînement d'acier et un travail régulier. Il n'était pas donné à tout le monde de supporter les sacrifices que cela requéraient. Il fallait pouvoir se montrer bon en tout, que ce soit au niveau intellectuel qu'au niveau psychologique et physique. On devait agir avec tact et précaution et il ne fallait pas être trop ostentatoire comme les premiers ni trop doués comme les seconds. La timidité était également à bannir. Il fallait savoir la montrer. A l'inverse de l'assurance qu'il fallait faire percevoir seulement quand c'était nécessaire et de la bonne matière.
Je faisais partie de ces derniers, de ceux qui se s'étaient battus, adaptés et qui avaient finalement gagné le respect de tous. Ce n'était pas une question d'amitié. Tout était dans l'admiration que l'on nous portait. Je le devinai très tôt et décidai d'agir très vite. Ma détermination et ma volonté avaient toujours été mes points forts. J'étais capable de tout faire tant que j'y mettais toute mon énergie. Et jour après jour, j'assimilais les comportements requis. Je travaillais sur moi-même, me concentrais en cours, faisais de nombreuses heures supplémentaires en dehors. Je commençais par avoir les meilleures notes en mathématiques, de loin la matière la plus redoutée, puis en Japonais et en histoire, je travaillais mon Anglais, me familiarisais avec la physique et la chimie, j'apprenais mes cartes par cœur, et bien d'autres choses… La seule matière qui ne me demandait pas trop de mal fût le sport. Si je n'étais pas excellente, j'aimais beaucoup cette matière et m'y appliquais avec soin et plaisir. Petit à petit, je forçais le respect des élèves et des professeurs. On commença à me demander de l'aide pour les cours, et puis on finissait par me demander des conseils sur divers points, dont certains ne relevaient guère du scolaire. Et puis, il y a eu le moment clef.
Mon collège allait organiser ses premières élections pour le délégué en chef. L'ultime épreuve, la dernière porte vers la popularité s'ouvrait devant moi et je m'y engageai avec force et courage, déjà appuyée par mes camarades de classe. Or, j'avais pourtant des adversaires de taille. Un joueur de tennis et une riche-née. Je me suis battue avec toute la hargne possible. Je sacrifiais mes journées et mes nuits entières à élaborer diverses stratégies efficaces et peu onéreuses. Mes efforts payèrent. Le 17 décembre de cette année-là, on me félicitait d'avoir gagné le gros lot.
J'étais devenue populaire.
Je ne m'arrêtais cependant pas là. Il n'était pas question de laisser ma côte flétrir. Et je savais par avance que la popularité – surtout la mienne – ne laissait aucun répit et menaçait toujours de s'effriter si je ne faisais rien. Je me consacrais à ma tâche de déléguée de façon parfaite, je devançais aussi souvent que possible les professeurs et organisais des événements dans le collège. Je me montrais toujours efficace lors de situation de crises et tentais de trouver les solutions les plus adaptées. Il y eût bien sûr des ratés. Mais je faisais en sorte de me rattraper et de me faire pardonner par l'opinion de l'ensemble des élèves et enseignants. Deux ans se déroulèrent ainsi et je quittais le collège en y laissant planer mon ombre sur les plus jeunes. Lorsque je croisais ceux-ci dans les rues, ils me saluaient toujours et parfois même me demandaient encore des conseils.
Une nouvelle fois, nous avions économisé suffisamment d'argent pour payer mon inscription dans une des meilleures écoles de la capitale. La Tôhô. Je pensais que j'allais devoir recommencer à zéro – ou presque puisque j'étais à présent bien entraînée. Mais, je me trompais. La popularité m'avait suivie, comme celle des sportifs et des riches qui y étaient entrés. Elle s'agrandit d'autant plus que la Tôhô est un gigantesque lycée. Dés ma seconde, je réintégrais le rang des délégués, élue par ma classe. Néanmoins, le délégué en chef, alors nommé « président du conseil » ne se faisait pas élire par les élèves mais par l'ensemble des enseignants.
Être populaire ne signifiait pas seulement entretenir son image. Cela donnait beaucoup d'avantages. J'étais respectée, admirée et bien que mon rôle consistait à aider mes camarades de classe, on faisait tout pour me faciliter la tâche. On écoutait mes recommandations, on m'aidait lorsque j'avais un « problème » (ce qui n'arrivait pas, je faisais en sorte au contraire d'être là pour les résoudre), on me laissait passer plus facilement dans les couloirs, on me saluait, on m'écoutait aussi…
A force de peindre ce tableau, il finissait par se rendre réel, en quelque sorte.
Mon travail consistait également à ce que mon apparence physique suivît. Par chance, la nature me rendit la grâce d'être tout à fait normal, bien que je ne fusse pas certaine qu'il existât réellement une normalité à la beauté. Mais pour l'opinion publique, je faisais partie des personnes aux traits simples et dosés d'une touche de charme. Voilà un côté positif : je n'aurais pas à travailler exclusivement sur ce point-là. J'abordais un style simple et classique, ne me maquillant pas (une dépense superflue !), je me contentais de soigner ma coiffure et mon uniforme. Le reste, tout était une affaire de comportement et de démarche.
- « Salut Kamya-kun ! »
Je répondis sur le même ton au garçon qui m'avait salué et dont je ne connaissais pas le nom et fis de même avec d'autres alors que je passais le portail du lycée.
L'immense façade du bâtiment de la Tôhô me faisait face et devant, la cour était bondée de monde. La cloche n'allait pas tarder à retentir. Je me dépêchai de me faufiler à travers la masse et montai les escaliers jusqu'à atteindre ma classe. Une fois la porte franchis, je prenais moi-même l'initiative de saluer tout le monde et jetant un coup d'œil à ma montre, jugeai qu'il était temps de faire l'appel. Pour cela, je me postai sur l'estrade à côté du bureau et fis face à mes camarades. Ils continuaient de discuter mais répondaient joyeusement lorsqu'ils entendaient leur nom.
- « Kojirô Hyûga ? » Aucun grognement distinctif ne retentit. Je jetai un coup d'œil vers son ami, Ken Wakashimazu.
- « Il est juste en retard » me répondit-il.
J'acquiesçai, écrivis tout de même une croix au crayon et poursuivis. Les retards étaient comptabilisés, tout comme les absences. Néanmoins, j'avais pour politique de ne pas les marquer si l'élève en question arrivait avant que le professeur ne soit installé. Une méthode pour respecter mon rôle de déléguée et de plaire à mes condisciples. Seulement, le professeur d'histoire, Akutsu Juunto arrivait de façon ponctuelle, à l'instant même où la cloche sonnait. Et Kojirô Hyûga ne faisait toujours pas surface.
Je pris mon stylo rouge et repassais les croix des absents quand on frappa à la porte. Et qui vois-je apparaître une fois que Mr Juunto ait ordonné d'entrer ? Le capitaine de l'équipe de football ! Je m'attendais à ce que le professeur le renvoyât pour l'heure, mais il le laissa passer. Evidemment ! Kojirô était le chouchou des enseignants, de toute l'école en fait. Le joueur vedette, fétiche et tout ce que vous souhaitez… Et bien sûr, Mr Juunto ne me donna aucune directive, me laissant dans l'embarras. En temps normal, je devais laisser la croix rouge puisqu'il était arrivé en retard.
En temps normal.
Pour résumer, Kojirô était l'une des rares personnes dont la popularité me surpassait, l'une des seules qui pouvait faire basculer ma chance. Tout le monde l'adorait, le vénérait. Serait-on encore en temps de sacrifices humains et de célébrations divines qu'il en aurait eu le droit et les mérites. Je ne pouvais pas nier qu'il méritait d'être admiré. Il faisait partie d'une nouvelle génération très prometteuse de footballeurs au Japon, pays où le football n'est pas vraiment le sport national. Je l'avais déjà vu jouer plusieurs fois dans des matchs amicaux ou lors de la fête des sports sur le terrain du complexe sportif du lycée. A n'en point douter, malgré sa technique… primaire, dirais-je, il méritait sa place dans l'équipe nationale junior. Je comprenais pourquoi tout le monde attendait tant de lui. Mais bon.
J'étais déléguée et je devais marquer cette croix. Le professeur ne manquerait pas d'apercevoir ma falsification si jamais je ne le faisais pas ! J'attrapai mon stylo rouge, ouvris le carnet d'appel et appliquai la pointe de mon stylo. Un papier rebondit subitement devant mon nez. Levant momentanément la plume de la feuille, je le dépliai et lus. D'une écriture peu soignée, Kojirô me demandait de ne pas noter son retard.
Et merde.
Malgré cela, je dessinai tout de même la croix sur le carnet et le refermai. J'étais embarrassée de la situation inconfortable dont laquelle je me trouvais, mais il me semblait toujours impossible de ne pas obéir à mon rôle. Et je savais parfaitement que Kojirô ne me pardonnerait pas d'avoir agi ainsi. J'attendais ses remontrances avec inquiétude. Sa rancune était tenace et connue de tous.
Tout le monde connaissait les qualificatifs les plus adaptés de Kojirô Hyûga. Orgueilleux, égoïste et sans aucun respect pour autrui. Un véritable asocial-né. Cependant, tout le monde l'aimait quand même. Son titre de joueur vedette lui servait comme mot d'excuse. Ce qui était encore plus frustrant pour quelqu'un comme moi dont l'erreur pouvait être fatale.
- « Kamya-kun, » m'appela Tsuki alors que je sortais de la classe. « On va aller voir l'entraînement de football de ce soir, tu viens avec nous ? »
Je déglutis le plus silencieusement possible. Voilà qui était bien ma veine ! Je n'eus pas le temps d'y répondre car aussitôt un bon nombre de la classe se joint à elle.
Je n'avais plus le choix.
- « D'accord, allons-y ! » déclarai-je avec autant d'enthousiasme que possible. C'est-à-dire pas beaucoup.
Nous traversions la cour de récréation qui joignait directement à gauche de l'entrée le complexe sportif. Le terrain de football se trouvait légèrement à l'écart des autres terrains de basket-ball, de volley-ball et d'athlétisme. Plus loin, il y avait également deux gymnases et une piscine. Appuyés contre les barrières délimitant le coin football, un bon nombre d'élèves de secondes, de premières et même de terminales encourageaient leur joueur préféré. Apparemment, ils avaient organisé un match d'entraînement en scindant l'équipe en deux. Une nouvelle occasion de se rincer les yeux pour certaines…
Je notai que le nom de Kojirô ressortait du reste et le cri strident de certaines filles m'agaçait. Se croyaient-elles dans un mauvais anime ou quoi ? Qui peut bien crier d'une telle façon ? En plus pour un garçon qui ne semblait guère s'intéresser au sexe féminin – du moins, selon les rumeurs, ses aventures ne duraient que quelques jours. Je suppose que c'était ça justement qui leur plaisait le plus. Un défi impossible… Pauvres crétines.
Ils jouèrent pendant dix autres minutes avant que l'entraîneur ne sifflât et n'ordonnât le rassemblement, jetant un regard peu amène sur le public surexcité. Il avait tenté de les renvoyer, mais la force des fans le dépassait.
- « Hey ! Toi ! »
Je tournai la tête vers mon interlocuteur. Mon sang se figea lorsque je vis Kojirô Hyûga s'approcher de moi tout en prenant soin de s'arrêter suffisamment loin. Il me toisait d'un regard mauvais, très significatif.
- « Y a pas de place pour ton genre ici ! » cria-t-il avec véhémence et argumentant d'un rictus de dégoût. - « Déguerpissez les mochetés ! »
La foule paraissait scandalisée. Je me mordis la lèvre inférieure, non pas parce que j'étais scandalisée par ses paroles, mais parce qu'à ce moment-là, la seule chose que j'avais envie de faire, c'était de lui mettre mon poing dans sa grande gueule. Néanmoins Kamya ne ferait pas une chose pareille, je le savais. La hiérarchie des popularités et mon image me l'empêchaient. Je ravalai ma fierté et lui tournai le dos. Il continuait à pester contre le public jusqu'à ce que tout le monde s'en allât en grommelant.
Je marchai d'un pas rapide, malgré tout j'étais en colère. Je ne vis pas Tsuki derrière moi et manquai de m'engouffrer devant elle dans la rue étroite menant à mon vélo si elle ne m'avait pas appelé. Je respirai un bon coup, tentai de me calmer et me tournai vers elle en souriant, l'air de rien – ou presque.
- « Où comptais-tu aller ? » demanda-t-elle en se penchant curieuse pour regarder dans la ruelle.
- « Nulle part » m'empressai-je de répondre un peu trop sèchement avant de reprendre d'une voix plus calme. « Si tu ne m'avais pas ramené sur terre, je crois bien que je me serais perdue ! »
Tsuki resta dubitative pendant un instant mais finit par hocher la tête.
- « Tu veux qu'on rentre ensemble ? » proposa-t-elle.
- « Je t'accompagne chez toi ? » lui demandai-je en feintant une sorte de synchronisation, comme si je souhaitais lui demander la même chose en même temps qu'elle.
Mon expérience dans la matière me permit de paraître tout à fait naturelle devant Tsuki. C'était devenu une réelle habitude.
Une fois encore, Tsuki acquiesça et nous avancions alors ensemble. En chemin, Tsuki commenta la réaction de Kojirô.
- « Je ne l'avais jamais vu agir comme ça ! » s'écriait-elle. « C'est vraiment pas sympa ! Surtout pour toi… »
Je grimaçai. Voilà ce que tout le monde devait penser. Qu'est-ce que Kamya pouvait-elle avoir fait pour mettre Kojirô Hyûga dans une telle colère ? se demandaient-ils sûrement. Tout comme le fit Tsuki par la suite.
- « Je ne sais pas… » feintai-je avant de paraître songeuse. « C'est peut-être à cause… Non, il ne peut pas m'en vouloir pour ça… »
- « Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? »
Je parus gênée. « Et bien… Tu sais que je dois marquer tous les retards sur le carnet… Même si la cloche a déjà sonné, si on arrive avant le prof, je fais en sorte de ne pas marquer le retard, tu vois ? »
- « Oh… » fit-elle en comprenant. « Et donc ce matin tu as noté l'absence de Hyûga-san ? »
- « Je n'avais pas le choix… Mr Juunto le remarquerait si je n'avais pas marqué son retard… »
- « Je vois… » Tsuki me regarda néanmoins en fronçant les sourcils, comme si elle voulait demander autre chose.
- « Qu'est-ce qu'il y a Tsuki ? » lui demandai-je. « Quelque chose ne va pas ? »
Elle s'empressa de me sourire en secouant la tête. « Si, tout va bien, Kamya-kun… »
Parfois, je ne saisissais pas très bien le comportement de Tsuki. Mais je ne m'en inquiétais pas outre mesure. Comme je le pensais, Tsuki insista pour que je prisse le thé chez elle. Cependant je refusais. Je n'étais pas à l'aise dans son immense salon ancestral et tout simplement beau. Elle vivait dans une immense demeure rebâtie à l'ancienne mode. Son jardin était vraiment magnifique, mais je ne parvenais pas à m'y sentir bien. L'ambiance qui y régnait était étrange. Je devais faire encore plus attention à mes mots et à mon comportement qu'ailleurs.
Je m'empressai de contourner la demeure et de revenir sur mes pas. Quelque dizaine de minutes après, je me trouvai de nouveau face au lycée et m'engouffrai en toute sécurité dans la ruelle pour regagner mon vélo et pédaler à toute vitesse. Je n'habitais pas particulièrement loin de la Tôhô mais cela me demandait pourtant vingt bonnes minutes du fait des petits détours que je m'obligeai à faire. Je passais dans les quartiers moins fréquentés et où le pourcentage de chance pour rencontrer un autre lycéen diminuait en crescendo.
Quand je croisais une large voix rapide à double sens, je bifurquais à droite après l'avoir traversée et atteignis mon quartier. A partir de ce moment-là, j'entrais dans ma véritable peau. Non pas la distinguée Kamya, mais moi-même, déterminée et gardienne de ce territoire. Le quartier entier était sous la protection de mon grand frère et de moi-même. Nous avions la charge de renvoyer tout membre de clans qui osait s'y attarder. Il fallait sécuriser la zone, en échange de quoi, nous avions le droit de rester vivre dans un garage que mon frère a aménagé quand nous sommes arrivés dans la capitale.
Le garage que nous appelions tout de même maison n'était pas très grand – normal pour un garage – mais suffisamment pour posséder deux chambres, une petite salle de bain, un salon et une cuisine. Le tout était très étroit mais nous nous y faisions tant bien que mal. J'entrai à l'intérieur et posai mon vélo au travers du mur entre la porte de la cuisine et celle de la chambre de Yukiko. Le son de la télévision dans le salon me fit comprendre que mon frère était rentré du boulot.
Nous n'avions plus de parent depuis longtemps. Mon père mourut le jour de ma naissance, et ma mère, en mettant au monde mon petit frère (nous n'avons jamais su qui était son vrai père), Shunji. Nous avions néanmoins tous le même nom de famille, Mayashima, celui de Kyoko (ma mère).
- « Tu es rentré tôt aujourd'hui » remarquai-je en pénétrant à l'intérieur du minuscule salon où dans le peu d'espace s'entassait un canapé, une table basse dont un pied menaçait de se casser si la charge était trop lourde, et vieux fauteuil et un petit meuble sur lequel était posée une petite télévision.
Mon frère était avachi sur le canapé, une bière dans une main, la télécommande dans l'autre et ses mèches décolorées pendant sur ses yeux d'un marron clair, alors que les miens et ceux de Shunji étaient très foncés. En me voyant, il me salua d'un large geste de son bras au bout duquel la bière menaçait d'éclabousser le salon.
Le son de la télévision était au minimum, laissant seulement des murmures rompre le silence. Mon frère avait d'étranges habitudes.
- « Salut soeurette. » me répondit-il le regard perçant, un large sourire moqueur sur le visage. « Ma journée s'est terminée plus tôt, ça te dérange ? »
- « Ouais, tu empestes l'alcool, c'est écoeurant. » répliquai-je simplement. « Laisse-moi une place ! » ordonnai-je ensuite en poussant ses grandes jambes. « Alors, que nous vaut l'honneur de ton incroyable présence ? »
- « Lâche-moi avec le boulot ! » gémit-il. Je ne le quittai pas des yeux. « T'es chiante. J'ai fait du bon boulot, mon patron m'a offert le droit de piquer un somme avant d'y retourner. »
- « T'as trouvé un autre job ? » m'étonnai-je. Je ne comptais plus le nombre de travails que mon frère entassait.
- « Ouais » répondit-il en passant une main sur son visage. « On vit pas à trois avec un seul petit salaire. »
- « Je pourrais... » tentai-je avant qu'il ne m'interrompisse on me tapant à l'épaule. « Juste à temps partiel. » insistai-je.
- « Non ! » gronda-t-il sévèrement. « Je me crève pas le cul pour te payer cette foutue école pour que tu abandonnes en chemin ! »
Je levai les yeux, exaspérée. « Qui te parle de laisser tomber ? »
- « Ecoute, si tu veux vraiment m'aider, tu n'as qu'à préparer un bon repas et aller chercher Shun à l'école, OK ? »
Ce n'était pas « OK » du tout mais je n'insistai pas plus. Il était déjà suffisamment sur les nerfs à cause de ses multiples jobs comme ça. Yukiko se leva alors et disparut dans sa chambre tandis que j'allais changer de vêtements et ressortis ensuite. Le collège où Shun était inscrit se trouvait juste à côté de l'immense voix rapide, au tournant qui séparait mon quartier du reste. Ce n'était pas une école aussi réputée que celle où j'étais allée. Le taux de réussite ne s'élevait pas très haut et beaucoup de jeunes abandonnaient avant même d'avoir terminer l'année. Je faisais tout mon possible pour que Shun ne suive pas leur chemin et travaillais toujours avec lui. Je jouais en quelque sorte le rôle d'une mère de substitution. Quand il était plus jeune, je le bordais dans son lit et lui racontais des histoires avant de dormir, maintenant je rencontrais ses enseignants quand il le fallait et réglais ses problèmes administratifs.
Même si l'école ne se trouvait pas dans mon quartier, aucun parent consciencieux ne laissait leur enfant rentrer seul. De même, tant que mes horaires me le permettaient, je venais toujours chercher Shun à la sortie des cours et malgré ses protestations.
- « Shun, je suis là ! » l'appelai-je.
Il quitta ses amis et me rejoignit un sourire timide aux lèvres. Tout de suite, je compris qu'il y avait quelque chose qui clochait. Je le regardai méfiante et m'apprêtai à lui demander ce qui se passait quand il me devança en me prenant la main et en repartant dans la direction de la maison. Je le regardai étonnée. Et dire que c'était lui qui refusait de me prendre la main ! Il m'avait fait tout un plat et le voilà qui me la prend ! Définitivement étrange…
- « Shun » l'interpellai-je. Il ne fit même pas mine de m'entendre. « Tu peux m'expliquer ce qu'il t'arrive ? » demandai-je calmement.
Il ne répondit toujours pas. Je m'arrêtai et le forçai à en faire de même. De là où nous étions, nous ne voyions plus l'école.
- « Y a rien ! » dit-il brusquement en me lâchant la main. Je l'attrapai à l'épaule et le forçai à me faire face. Il détourna les yeux.
- « Avec un tel comportement, tu vas pas me faire gober qu'il ne se passe rien ! » répliquai-je. « Explique-toi ! Allez ! »
Il se tortillait sur place. Je le regardai de plus en plus exaspérée et impatiente.
- « Shun, si tu ne me dis rien dans les cinq secondes qui suivent, je te promets que ta vie à la maison sera tellement insupportable que tu vénéreras l'école pour les années qui viennent ! » le menaçai-je. « Et si ce n'est pas assez, je me comporte en mère louve jusqu'à ton collège ! Et crois-moi, je tiendrai parole. »
Il grimaça, s'imaginant sans difficulté le tableau. Il allait flancher.
- « T'as des problèmes avec des camarades de classe ? » demandai-je.
- « Non ! » répondit-il en me regardant comme si j'avais heurté sa fierté.
Je levai les sourcils. « Alors ? »
De nouveau il détourna les yeux. Je soupirai, perdant patience. « Shun… »
- « D'accord, d'accord ! » Je souriais, victorieuse. « Mais promets-moi de ne pas te mettre en colère… »
Je plissai les yeux. Qu'allait-il encore me dire ? Maintenant Shun sautait d'un pied à l'autre, visiblement mal à l'aise. Ses joues rougirent violemment. Contrairement à Yukiko et moi, Shunji avait le feu aux joues très aisément. Probablement un don de son père biologique. On suspectait d'ailleurs qu'il soit à moitié occidentaux tant il possédait des traits caractéristiques comme les yeux moins tirés et la peau plus claire. Et contrairement à nous, il attrapait des coups de soleil plus facilement et avait récemment eu des poussées d'acné.
- « Bon, voilà… Heu… Et bien… Je… » Ses joues flambèrent encore plus. « J'ai dit que… Et bien… »
- « Tu as dit quoi ? Quoi ? Quoi ? »
- « Quetuétaismapetitecopine. »
Je le regardai hébétée. Pas certaine que ce que je venais d'entendre était réellement ce qu'il venait juste de dire. Une minute passa ainsi en silence avant que mon visage ne se partageât entre la colère, la frustration et une terrible envie d'éclater de rire. Ce qui donnait un rictus visiblement très effrayant.
- « PARDON ! Pardon ! Pardon ! Pardon ! » clamait Shun aussi rouge qu'une pivoine. « Je sais que c'était débile… »
- « Oui, tu peux le dire ! » persiflai-je.
- « Katsu, tu peux m'expliquer pourquoi une tomate est en train de mettre la table à ma place ? » demanda Yukiko en entrant dans la cuisine où je m'attelai à cuisiner ce que nous avions.
Je haussai les épaules. « Depuis quand tu prends ton tour de corvée ? » répliquai-je, un peu sèchement.
- « Que dois-je comprendre par là ? » se crispa-t-il.
Je le regardai avant de soupirer, secouant la tête négativement. J'avais un vrai coup de pompe. - « Rien » lâchai-je. « Ma journée a été longue. »
Je le vis hocher la tête avant de s'approcher de moi. « Alors ? »
- « Il a fait une bêtise et en subit les conséquences » répondis-je. « Et franchement, c'est rien comme punition ! J'aurais du dire un mois au lieu d'une semaine de corvée. »
Il me regarda avec curiosité. Je soupirai une nouvelle fois et lui racontai tout. Yukiko partit dans un fou rire tonitruant. Tout le quartier devait l'avoir entendu.
- « Rien que ça ? » s'esclaffait-il encore en essuyant le bord de ses yeux, un grand sourire aux lèvres. « Allez, y a pas de malaise ! C'est rien comme mensonge ça ! »
- « Peut-être, mais bon, il n'a plus l'âge de ce genre de connerie ! » rétorquai-je.
- « C'est vrai » approuva-t-il retrouvant soudainement son sérieux. « Mais il n'a plus l'âge pour beaucoup de choses, tu le sais Katsu. »
Je me raidis, saisissant parfaitement le sens de ses mots. Pourtant, je ne parvins pas à m'empêcher de lui poser la question.
- « Sincèrement Katsu, tu le sais ! Tu couves trop ton frère. Laisse-le un peu grandir tout seul ! Et tu verras que ce genre de bêtises n'adviendra plus. »
Je ronchonnai mais ne dis rien. Au fond, je savais bien qu'il avait raison.
Une fois la vaisselle faite, la table nettoyée, j'autorisai Shun à aller faire ses devoirs dans notre chambre et se coucher ensuite. De mon côté, je décidai d'accompagner pour un bout de chemin mon frère à son travail. Celui-ci refusait toujours de me dire en quoi il consistait. Quand il jugea que nous avions fait suffisamment de route ensemble, il s'arrêta et me dit de rentrer en me gratifiant d'une de ses fameuses phrases tout à fait exaspérantes.
- « Ecoute, je sais que tu t'inquiètes beaucoup pour moi, mais je veux juste que tu termines tes études et que tu gagnes ta vie ensuite. »
- « Mais qui parle d'abandonner ?! » répliquai-je néanmoins avec un sourire.
Il me gratifia de son sourire en coin et tout en ébouriffant mes cheveux d'un geste paternel, il poursuivit sa route tandis que je tournai les talons pour repartir de mon côté. Quelques mètres plus loin, une surprise m'attendait.
Enfin, une surprise… prévisible.
- « Katsuuuuu ! » La voix de Matsu Oko atteignait ses sommets. Ce gars avait une capacité vocale impressionnante… « Tu m'as manqué, tu sais ? »
Avec lui, se traînait son fidèle ami, Tetsuo Itsumi dont la musculature n'était plus à prouver. Tous deux faisaient parties du gang de Segun, un rapace qui pointait rarement son nez à la surface, préférant se cloîtrer dans ses quartiers plutôt que de régler ses comptes lui-même. Autrefois, il avait des vues sur ce quartier, malheureusement, Yukiko et moi le devancions très largement. Depuis, nous recevions quotidiennement la visite de ses sbires comme guise de ses « salutations honorables ». A force, c'en était devenu presque comique, un véritable défouloir, si vous voulez mon avis. Et ce soir-là, j'appréciai vraiment leur visite.
N'oublions pas qu'il fût un temps, Matsu et moi étions amis d'enfance.
Il fût un temps.
- « Tiens donc, mes compères préférés ! » les saluai-je. « Je pensais que vous seriez venus plus tôt, sincèrement je suis déçue. »
- « Un petit contretemps nous a retardé » répondit Matsu en souriant. « Ce n'était pas très sympa de ta part que de nous avoir faussé compagnie ! »
- « Oh, j'ai fait ça ? » Je plaquai la main sur la bouche avec des airs innocents. « Ah oui ! Mais vous n'aviez pas l'air très en forme. J'avais peur que vous ayez attrapé une mauvaise infection, ou de ce genre. T'avais le teint plutôt… jaunâtre, si tu veux mon avis. »
A l'évocation de leur précédente confrontation contre un autre gang – qui avait eu lieu dans une teinturerie, le visage de Matsu se déforma en un rictus répugnant tandis que Tetsuo, au sang chaud bouillant fit la singulière erreur d'attaquer en premier. Et comme un buffle. Le corps penché en avant, le poing longtemps relevé en arrière, l'éviter fut une chose si aisée que cela sortit tout seul.
- « Olé ! »
Je tendis mon pied et lui fit faire un plongeon des plus comiques.
- « Oh ! Pardon, je t'ai fait mal ? » continuai-je à glapir comme une oie.
- « Très drôle Katsu » commenta Matsu qui se contentait alors d'observer.
- « Ce n'est pas ma faute s'il me tend une perche aussi énorme – Olé ! » fis-je en m'écartant pour éviter une nouvelle charge aussi grotesque que la précédente. « Tu vois ? »
Tetsuo tenta une nouvelle attaque. Malheureusement sa tendance à lancer tout son corps en avant déséquilibrait largement son équilibre. Il fût aisé pour moi d'éviter, d'attraper ses poings de mes mains et en décrivant un large cercle de mes bras tout en me décalant de côté, l'amener au sol sans douceur. Le souffle coupé, il lâcha un grognement m'indiquant qu'il n'allait pas retenter d'autres attaques.
Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai jamais compris pourquoi ils gardaient un tel phénomène dans leur rang. Tetsuo était une masse, certes, mais il ne savait pas se servir convenablement de son corps. Qui plus est, son endurance lui faisait très largement défaut.
Mais ce n'était pas le cas de Matsu qui se révélait un bon combattant, rapide et efficace. Mais trop répétitif. Contrairement au cinéma, les vrais combats sont très rapides. Ce sont les préliminaires qui peuvent durer un peu plus longtemps, et encore ! Ils consistaient à effectuer une série d'attaques basiques de poing ou de pied afin de tester les défenses de son adversaire. Il fallait voir ses mouvements, son point d'équilibre et observer ses yeux. Les mouvements des bras et des jambes pouvaient feinter mais jamais le regard.
J'évitai de justesse un coup porté à la nuque, sa technique favorite et très dangereuse tant il suffisait d'un mauvais geste, d'un instant bref d'hésitation. Il enchaîna immédiatement sur un coup en diagonale dont j'échappai en m'accroupissant. Je sentis néanmoins son pied me frôler le crâne, me procurant de sacrés frissons. Le troisième coup ne me raterait pas, je le savais. Il était hors de question d'essayer de l'éviter alors j'attaquai au même moment où il avançait pour frapper. Je poussai d'un geste vif ses bras en arrière et plaquai mes paumes sur le plus haut point de son crâne que je pouvais prendre et tout en relevant mon genou, appuyai sur sa tête de toutes mes forces tout en repliant mon dos. Je lâchai immédiatement la pression de mes mains et reculai instantanément alors que le corps de Matsu rebondissait en arrière et perdant tout équilibre s'étala à terre. D'abord choqué, il hurla de douleur en prenant son nez dans ses mains.
C'était terminé.
Quelques minutes plus tard, je terminai mes devoirs, me douchai, embrassai le front de mon frère et me glissai sous la couverture. Les yeux clos, un nouveau masque se peignait sur ma peau pour une nuit de rêves et d'illusions où j'étais loin d'imaginer quels changements ma vie déréglée allait connaître.
