Pairing principal : Stiles Stilinski et Derek Hale
Disclaimer : Aucun des personnages mentionnés ici ne m'appartient, tout revient à Jeff Davis.
Résumé complet :
« C'est une blague, hein ? Vous plaisantez ? »
Cette démonstration de son étonnement parut couper Deaton dans son élan qui, doucement, jeta un regard indulgent à Stiles, patientant visiblement qu'il précise le contenu de sa pensée. Son irritation augmenta d'intensité. Il se leva brusquement et pointa alors un doigt accusateur vers l'homme.
« Vous étiez celui qui disait que ça ne pouvait pas arriver. Vous étiez celui qui assurait que c'était quelque chose d'inimaginable, d'impensable. Vous étiez le premier à certifier que les risques étaient infimes, au point qu'il n'était même pas utile de l'imaginer. On vous a cru. J'ai même accepté de boire votre breuvage répugnant pour être certain d'être à l'abri de tous préjudices et vous nous dites maintenant que les probabilités ont changé ?
- J'ai commis une erreur de jugement, admis Deaton.
- Ouais et une putain d'erreur. »
Alors que Stiles et Derek sont un couple marié, évoluant dans leur résidence, au gré des venues de la meute, Stiles ne peut s'empêcher de douter de ce qui lui arrive, d'imaginer que cette vie pavée de monstruosités qui l'a suivi depuis son entrée au lycée ne peut être terminée. Alors, il apprend à vivre avec ses vieux démons. Il existe aussi cette volonté tenace, de croire en ce bonheur si durement acquis, de ne pas laisser tomber, de ne pas abandonner, parce-qu'il n'est pas seul. Parce-qu'il peut arriver que les choses aillent pour le mieux.
Et parfois, parfois ce n'est pas suffisant.
Notes de l'auteur :
Bonjour :)
Heureuse de vous accueillir ici pour ce qui ne s'avère pas être ma première fanfiction mais bel et bien la première dans le fandom Teen Wolf. L'idée m'est venue une après-midi et j'ai pris beaucoup de plaisir à la développer, bien que le dernier mois d'écriture ait été un peu plus éprouvant.
Je tiens aussi à dire que cette histoire contient un MPREG. Je sais que ça ne plaît pas à tout le monde mais je souhaite préciser qu'il ne s'agit pas d'un sujet que j'ai profondément choisi de mettre en avant mais plutôt les effets psychiques qu'un tel état peut provoquer, aussi bien sur la personne que son entourage ainsi que les relations qui en découlent. En tout cas, je peux comprendre que certaines personnes n'apprécient pas et les préviens de ne pas s'engager dans une lecture qui pourrait ne pas leur être plaisante.
J'espère en tout cas qu'au final, cette histoire vous plaira.
Dans cet univers, les créatures surnaturelles sont connues des êtres humains et vivent parmi eux :)
Bonne lecture :)
As We Know It
1ère partie
« On perd ce qu'on aime. Et comme une fois ne suffit pas, il faut, tout au long de sa vie, le perdre encore et encore. Puisque la répétition est la seule pédagogie qui vaille. Faisant de l'existence comme une longue et terrible propédeutique au néant. »
Le Chat de Schrödinger, Philippe Forest, 2013.
« C'est pas vrai ».
A moitié chaussé, les cheveux hérissés, la chemise pas tout à fait rentrée dans son pantalon, Stiles Stilinski jurait à voix basse alors qu'il cherchait frénétiquement à travers une montagne de papiers froissés, éparpillés sur ce qui semblait avoir été pendant un temps, une table basse. Brutal, il manqua y renverser une tasse de café bouillante avant de la rattraper miraculeusement, poussant un soupir de soulagement. Mais celui-ci fut de courte durée quand il se rendit compte qu'il n'avait toujours pas trouvé ce qui lui manquait tant.
« Non, non, pas aujourd'hui, pas maintenant. »
Il s'approcha du canapé avant d'écarter les coussins, ouvrit les tiroirs du buffet, jetant un coup d'œil sous le meuble de la télé avant de se relever, d'épousseter son jean et de sursauter lorsqu'il vit, adossé au mur du salon, une silhouette dont le sourire sardonique lui fit serrer la mâchoire. Comme réponse, il lui lança son plus beau regard noir et pointa vers lui un doigt accusateur.
« Non, stop, surtout... ne dit rien. Pas. Un. Mot. »
Lui tournant le dos, il se remit à la recherche de son dossier si précieux, priant pour que Louis décide de ne pas venir travailler aujourd'hui bien qu'il sache espérer en cet instant un miracle. Pas qu'il n'appréciait pas l'homme, celui-ci avait fait preuve de plus de patience que n'importe qui lorsqu'il avait été engagé dans sa boîte, il y a trois ans. Après avoir passé son diplôme d'architecte et essuyé des refus dans presque toutes les sociétés où il avait postulé, Stiles s'était demandé s'il s'agissait vraiment de quelque chose fait pour lui, s'il ne s'engageait pas dans un projet trop gros, les vieilles angoisses ne disparaissant jamais. Mais son père l'avait poussé, lui priant de ne pas abandonner et Louis était alors apparu comme un rayon de soleil illuminant la route sinistre qu'avait été celle de l'obtention de son certificat. Après des premiers mois hasardeux à chercher à se faire une place dans une équipe déjà bien soudée, à trouver un rythme dans la rédaction de dossiers d'exécution et d'élaboration de plans, il avait compris que bien-être et partir au boulot pouvait être des conceptions complémentaires.
Mais aujourd'hui était officiellement le jour de son décès car Louis allait définitivement le dépecer et jeter ses restes dans le Pacifique si bien que son père n'aurait même pas de quoi l'enterrer proprement. Il était pourtant sûr d'avoir posé son dossier sur la table hier soir ou peut-être que c'était le bar ? La bibliothèque ? Défaitiste, il émit un soupir résigné et imagina tous les arguments qu'il pourrait essayer de servir à son patron pour éviter sa mise à mort. Ce projet lui avait pris des mois, tous remplis de papiers déchirés, de maux de tête, et de lèvres rongées et n'avait pas connu la douceur d'un lit pendant autant de temps mais il y était arrivé et maintenant, maintenant il allait se faire arracher la tête parce qu'il ne savait pas où est-ce qu'il avait posé un foutu dossier.
Peut-être que Louis le mettrait dehors sans faire d'histoires. Peut-être qu'il réussirait à trouver un nouvel emploi dans la quincaillerie de Leslie. Peut-être que son père ne serait pas trop déçu qu'il ait perdu son tout premier contrat. Oh, son père... Il sentit soudain un vrombissement contre sa jambe gauche et sortit son téléphone de sa poche avant de décrocher, acerbe.
« Allo ?
- Stiles ? Émit une voix excitée à l'autre bout du fil. Qu'est-ce que tu fabriques, je croyais qu'on devait se retrouver ce matin, tu me dois toujours un café ».
Neal. Son cher et tendre Neal. Celui qu'il ne verrait désormais plus. Tout comme le reste de ses collègues d'ailleurs. Devait-il lui annoncer son éminent départ non désiré ou alors essayer de le préserver de la peine que leur séparation lui causerait ?
Il opta pour le déni.
« J'ai pas oublié, mec, assura-t-il, trop rapidement. Je suis dans ma voiture, à cinq minutes du bureau, je peux déjà sentir les émanations de ton esprit vif et ingénieux. Tu es déjà en salle de repos ?
- Ferme-la, tu es encore chez toi, pas vrai ? »
Son silence fut une réponse suffisante.
« A quoi tu joues ? Je te rappelle que la formule qu'a utilisé le patron l'autre jour pour t'expliquer que le retard arrivait à tout le monde s'appelle de la courtoisie et qu'il se changera bientôt en « Voici vos affaires, ne revenez pas lundi matin », si tu ne ramènes pas tes fesses en vitesse.
- Je sais, je... Bon, tant pis, autant que tu le saches histoire que tu puisses assister à mon renvoi spectaculaire, j'ai perdu les plans de Tredson. Oui, je sais ce que tu vas dire, trop dans les vapes Stiles, tu perdras ta tête Stiles, comment as-tu réussi à vivre si longtemps, Stiles ?
- Stiles. Tu as rendu ton dossier à Madray il y quatre jours. Tu as même fait faire à Kamal une copie de la copie que tu as rangé dans ton casier au cas où je cite, «un problème dignes des tragédies shakespeariennes ne te tombe dessus, abattant sur ta misérable existence une pluie diluvienne de désillusions, tout ça accompagné des rugissements lugubres des Chiens de l'Enfer».
Et Stiles... ne broncha pas. Parce que c'était exactement ce qu'il avait dit. Mots pour mots.
« Ok, souffla-t-il, je te dois au moins 10 cafés. Et des bagels. Deux bagels.
- Tu sais comment parler aux hommes, sale enjôleur », et il raccrocha.
Le brun émit un soupir de soulagement. Pas seulement parce qu'il évitait ainsi un sermon épique de la part de son équipe mais parce qu'au fond, il l'aimait ce job. Il aimait son bureau, il aimait les grandes baies vitrées qui permettaient à son corps d'hyperactif de ne pas se sentir emprisonné durant ces longues soirées de recherches ou d'élaboration de maquettes. Il aimait les gens autour de lui, qui formaient cet sorte de groupe hétéroclite sans pour autant manquer d'homogénéité.Et bien qu'il s'en plaignait peut-être parfois plus qu'il ne faudrait, il ne désirait pas en changer. Derek l'observait les bras croisés, la mine froncée et son moment de béatitude s'effondra aussi sec, sachant pertinemment ce que l'homme allait dire sans même qu'il n'ait encore ouvert la bouche.
« Les Chiens de l'Enfer ? Vraiment ?
- Oh, ça suffit, j'étais précautionneux, d'accord ? Et on ne peut pas dire que tu me sois réellement venu en aide, Monsieur mes-Sourcils-sont-en-train-de-te-juger. Tu aurais pu essayer de renifler mes papiers ou au moins faire semblant de participer aux recherches au lieu d'écouter les conversations d'autrui.
- Tu as retrouvé ce que tu cherchais, répondit-il, narquois, une de ses mains venant se poser sur sa taille.
- Oui, heureusement que Neal était là. Je devrais te virer et le prendre à la place.
- Ah oui ? »
Il plongea son visage vers son cou et resta là, content de pouvoir sentir sa peau et Stiles entoura lentement sa nuque de ses bras. C'était étrange, ce sentiment de besoin insatiable de l'autre même après des années de mariage. De ne vouloir être nulle part ailleurs que dans ces bras-là, ce qui conservait quand même un côté effrayant, cette nécessité d'exister aux yeux d'un autre que soi. Mais c'était bien là, ce tambourinement à l'intérieur de sa cage thoracique qui lui rappelait à quel point il s'agissait d'un lien hors de son contrôle, lien qui rendait tout plus grand, plus fort, plus brillant. Jamais il n'aurait cru pouvoir partager ça mais il imaginait que c'était un peu le cas de tout le monde. On n'était pas prêt à ce genre de choses, pas vraiment. Mais surtout, jamais le partager avec quelqu'un comme Derek Hale.
Derek avait déjà eu son lot de malheurs pour au moins mille vies. Tout ce qu'il avait voulu, c'était que ce foutu monde qui avait eu l'air de porter une dent contre lui le laisse enfin tranquille. Alors, il avait tu cette chose qui grossissait en lui et qui menaçait de détruire ce qu'il avait essayé si durement de construire. Il avait souri et entouré son torse de l'étiquette «Ami» parce que s'il pouvait au moins faire partie de son existence, il ne s'en plaindrait pas. Parfois, c'était ça aussi, tenir à quelqu'un. Être prêt à tout, y compris à le laisser s'en aller. Et pourtant, à sa grande surprise, Derek avait balayé ses misérables tentatives d'amitié en admettant avoir des sentiments pour sa personne, tout cela bien sûr, en adoptant une posture presque menaçante la première fois qu'il lui avait proposé de sortir avec lui. Inutile de dire qu'il n'avait pas hésité. Comme quoi, les menaces n'agissaient pas toujours sur lui de manière aussi drastique.
Ils avaient changé, supposa-t-il. Ils n'étaient plus les mêmes jeunes hommes qui avaient dû grandir trop vite, avoir à affronter des dangers trop grands, mentir et blesser les gens qu'ils aimaient à de trop nombreuses reprises dans un espoir acharné de garder tout le monde en vie. S'il était honnête envers lui-même, ce n'était pas les années les plus paisibles de son existence mais quand il y regardait de plus près, quand cela l'avait-t-il été ? Adolescent, il avait parfois l'impression d'être littéralement incapable de dormir parce que les événements terrifiants qui lui arrivaient durant la journée, semblaient également vouloir l'accompagner durant ses rêves, transformant sa vie en une sorte d'état constant d'éveil, trop apeuré pour ne serais-ce qu'imaginer se reposer. Peur de recevoir un coup de fil en pleine nuit lui annonçant que Scott avait finalement été vaincu par une meute adverse. D'entendre le cri strident de Lydia, sombre et annonciateur de mort. De recevoir un coup de fil du bureau du Shérif, lui annonçant qu'il y avait eu un incident...
Mais il semblerait que les choses avaient évolué. Scott lui avait dit un jour : « C'est maintenant, Stiles, on y est ». Et il saisissait ces mots, désormais. Il comprenait que peu importait la façon dont il tenterait de leur échapper, il ne représentait qu'un maillon dans l'engrenage qui avait pris forme au fil du temps. Ils étaient un tout, un ensemble indivisible, une famille et Stiles n'avait plus aussi peur, à présent. Il avait des personnes sur qui compter et le fait de simplement pouvoir délaisser un peu de son fardeau, avoir une oreille attentive était au-delà de ce qu'il avait espéré et désiré après le décès de sa mère. Il ne représentait plus tout ce qu'avait son père et cette seule pensée avait joué énormément à supprimer une partie de sa culpabilité à l'idée d'un jour devoir le quitter trop tôt, de partir avant lui. Ce n'était plus juste un Eux mais un Nous qu'il bénissait d'avoir un peu plus, chaque jour. Parce-que c'était la réalité, il n'était plus seul.
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« Ok les gars, j'ai besoin d'une distraction ».
Stiles tourna un peu brusquement sur lui-même, faisant par là-même tomber le malheureux stylo qu'il avait réussi à faire tenir entre son nez et sa lèvre supérieure, se rattrapant de peu à la table de son bureau alors que les roues de sa chaise avaient décidé de partir faire un rodéo. Kamal, fidèle à lui-même ne bougea pas d'un iota, à tel point qu'il aurait pu douter de son audition s'il n'avait pas déclaré :
« Ta dernière distraction ne date pas de plus d'une matinée, tu ne crois pas que tu pourrais te brider ne serais-ce que quelques minutes ?
- Et laissez toutes ces femelles à l'agonie ?, s'alarma faussement Neal, assis nonchalamment, les yeux fixés sur la machine à café. Tu n'y penses pas, mon grand.
- Effectivement, où avais-je la tête. »
Le truc, avec Neal, c'était qu'il avait une tendance au flirt outrageuse pour un être humain banal. Et ce, même sans nécessairement vouloir rentrer accompagné le soir. Il avait bien fallut trois semaines à Stiles pour s'acclimater à cette drôle de facette, sans craindre de voir surgir soudainement un loup, enragé de sentir constamment l'odeur d'un autre sur son compagnon, débarquer chez le blond et lui flanquer la raclée de sa vie. Il s'y était fait à la longue, s'inquiétait même lorsque le jeune homme ne cherchait pas à draguer les nouvelles stagiaires, son air séducteur que son ami indien qualifiait de benêt, scotché sur le visage. Ce dernier était plus réservé, ce qui ne témoignait en aucun cas d'un manque d'assurance puisqu'il n'hésitait pas à remettre à sa place tout être responsable de l'avoir irrité. En clair, il formait une belle bande.
« On n'est pas tous caser ou marier. Dans ce monde, il y a aussi les mecs sains d'esprit, astreint à aucune responsabilité si ce n'est celle de s'occuper de soi, libre de voguer là où le Train de l'Amour les emportera. Demande à Stiles, je suis persuadé qu'il commence à remettre en question certains choix de sa vie. »
Stiles fit semblant d'y réfléchir un moment, ne prêtant pas attention à la remarque estomaquée de Kamal « Il a vraiment dit Train de l'Amour ? » et pensa à la liberté de pouvoir rencontrer n'importe qui, de ne pas avoir d'obligations en rentrant chez lui, d'être capable de passer des soirées interminables aux bars, toujours entouré d'une personne différente. Puis, il songea à la chaleur de son lit occupé par l'homme qui partageait sa vie, aux sourires dont il avait droit à chaque fois qu'il rentrait du travail comme s'il était voulu à cet endroit précis, et pour toujours. Aux après-midi allongés sur le sofa, à végéter devant la télé. Aux dîners de famille, bruyants et familiers. Tendres.
Bien sûr qu'il n'échangerait jamais rien.
« Hmm, non, tout bien réfléchi, ta vie est merdique. »
Kamal laissa un sourire parcourir ses lèvres et Neal lui envoya joyeusement son plus beau majeur.
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Derek longea le sentier qui rendait à la résidence Hale et gara sa Camaro près de la porte du garage, derrière laquelle son père et son oncle, installés sur des vieilles caisses, étaient en train de monter les dernières planches pour l'abri de jardin. Il prit son temps pour sortir de la voiture, profitant de l'air ambiant si familier qui lui rappelait nostalgiquement ses souvenirs d'enfance, les bruits de pas de sa mère à l'intérieur de la bâtisse, la voix de sa sœur qui lui parvenait depuis la cuisine, des rires d'enfants et leurs cavalcades joueuses près de la vieille cabane et cette odeur, celle qui lui procurait un sentiment de réconfort et de sécurité, une odeur qu'il avait, au long des années, associée avec Stiles mais qui prenait sa source à cet endroit, le sentiment d'être à la maison.
Il sortit le bouquet de fleur qu'il avait placé à l'arrière, et s'avança pour aller saluer les deux hommes. Son père fut le premier à lui sourire avant de l'attirer dans une étreinte rugueuse et musquée.
« Ta mère va être contente. Elle a laissé de côté un peu de son gratin spécial pour Stiles et toi. »
Peter ne lui laissa pas le temps d'acquiescer, lui lançant une tape sur l'épaule afin d'attirer son attention.
« Tiens, mon neveu préféré. Quand te décideras-tu à rendre une visite à ton vieil oncle ? Enrichir les liens familiaux avec une bonne partie de pêche. Je tiens d'ailleurs à dire que je suis vexé quant à l'invitation à boire mon fameux thé dont tu n'as jamais daigné apporter de réponse.
- Peter, tu ne sais pas pêcher. Et ton thé est horrible.
- Mon thé est fantastique, gamin, s'entêta-t-il, comme si l'aveuglement grotesque de Derek l'empêchait de constater son talent en matières de mélange d'herbes aromatiques. En parlant de gamin, où est donc l'élu de ton cœur ? Encore en train de se fourrer dans les ennuis ? Glissa-t-il malicieusement, ne réussissant que partiellement à cacher son affection pour Stiles qu'il aimait particulièrement agacer.
- Contrairement à ce que tu t'imagines, certaines personnes ont un emploi et l'exercent à plein temps. »
Il plaça une main sur son cœur, feignant d'être offensé avant de récupérer sa bière posée sur l'étagère à outils. Après leur avoir fait un dernier signe, Derek se rendit à l'intérieur de la maison et fut accueilli par une Talia Hale plus rayonnante que jamais et il se sentit un instant coupable, se demandant si sa famille n'exagérait finalement pas tant que ça en disant qu'il ne passait pas assez souvent leur rendre visite. Il chassa ce sentiment et la prit dans ses bras, lui offrant le bouquet qu'elle emporta avec un sourire empli de gratitude. Laura arriva à son tour et l'enveloppa dans une étreinte sauvage avant de l'attraper par les épaules et de l'observer longuement, un air canaille sur le visage et il plissa les yeux, suspicieux.
« Derrie.
- Quoi ? Son ton était brusque mais il n'avait pas relevé le surnom donc il ne s'en voudrait pas.
- Cora a un petit-ami. »
Et Derek savait ce que cela voulait dire : observation, investigation et pénétration. L'OIP. Ou la mission sensée être classée secret défense, dont le but était de garantir que la personne choisie par l'un d'entre eux soit digne de confiance et ne les fasse pas souffrir. Autrement dit, il s'agissait pour sa sœur aînée d'un moyen pour assouvir sa curiosité maladive et d'interférer légitimement dans ses histoires amoureuses, interventions qui l'avaient toujours au final placé dans des situations embarrassantes, particulièrement avec Stiles et... non, surtout avec lui, en fait. Il se frotta l'arrête du nez, soupirant face à la ténacité féminine qui circulait dans le sang Hale et dont Laura semblait avoir hérité et déclara :
« Laura, tu es mariée et mère de deux enfants. Tu ne penses pas avoir d'autres préoccupations plus importantes que fourrer ton nez dans la vie de Cora ? »
Il n'aurait pas dû se sentir surpris quand elle lui lança un regard équivoque, comme si ce qu'il venait de dire n'avait objectivement pas de sens. Il s'empêcha à la dernière seconde de lever les yeux au ciel.
« Mais enfin, de quoi tu parles ? C'est au contraire l'occasion idéale pour essayer de découvrir qui est ce Roméo caché que Cora essaye coûte que coûte de m'empêcher de rencontrer, elle ne me dit jamais rien.
- Et ça t'étonnes ? » Il demanda, les sourcils haussés.
Pour réponse, elle le bouscula, faussement outragée et il plaça un bras sur ses épaules, satisfait. Pour être franc, le fait qu'elle s'immisce de cette manière dans leurs vies ne le dérangeait pas autant qu'il voulait bien le faire croire. En tout cas, plus autant qu'avant. Il n'allait pas mentir en disant qu'ils n'avaient pas connu des moments difficiles. Entre une Laura trop envahissante, une Cora remontée contre le monde entier et lui, enfermé dans sa propre colère, les choses avaient parfois pu sembler incontrôlables, au point qu'il pouvait passer des journées entières, seul dans sa chambre, assit sur son lit, se demandant ce qu'il devait faire pour obtenir une vie normale, banale, loin des tragédies familiales, loin des sermons de sa mère et de sa volonté de ne pas révéler sa vraie nature à qui que ce soit, parce que là dehors, Derek, se cache la vraie noirceur. De garder la tête froide, rester maître de lui, contrôle, contrôle, contrôle.
Alors, c'était peut-être pour ça que ça avait été si facile de s'éloigner, d'oublier qu'il faisait parti d'une meute et de découvrir, partager avec d'autres personnes que son entourage. De tomber aussi aisément dans les griffes d'une Kate Argent extatique et de ses mots évoquant liberté, affranchissement, indépendance. Plus que de l'amour, c'était ce sentiment de ne plus devoir obéir à aucune règle qui l'avait poussé à accepter cette relation alors que ni l'âge, ni la rapidité avec laquelle elle l'avait désiré ne lui avaient fait rebroussé chemin. Alors, bien sûr, quand la vérité avait éclaté, car elle le faisait toujours, ce n'était pas seulement son existence mais celles de ceux à qui il tenait le plus qui avait été mises en danger. Parce qu'il ne pouvait pas faire ou vouloir quelque chose sans que tout s'éparpille autour de lui.
Talia n'avait pas eu la réaction qu'il avait escompté lorsque, quelques heures après l'incendie, elle avait appris pourquoi et comment une jeune chasseuse avait presque réussi à assassiner toute sa meute. Il n'y avait pas eu de hurlements, ni de regard rougeâtre empli de dégoût et de déception, simplement les bras d'une mère entourant les épaules de son fils, rassuré qu'il aille bien. Pour être honnête, elle n'avait pas eu besoin de lui jeter ce genre de sentiment à la figure qu'il n'avait lui-même cessé de se répéter, encore et encore, avec un peu moins de force aujourd'hui, parce qu'aussi étonnant soit-il, personne n'éprouvait d'animosité à son égard. Il s'agissait sans doute du pire, qu'il soit parvenu à s'en sortir sans que personne ne lui en tienne un tant soit peu rigueur. Alors, il n'en parlait pas, avait arrêté de présenter ses excuses à toute occasion et se contentait de prendre ce que la vie voulait bien lui offrir même si ce n'était pas toujours simple. Même si parfois, se détester semblait beaucoup plus simple.
En rentrant chez lui après avoir passé le reste de l'après-midi chez ses parents, il fut surpris de ne pas entendre de bruit, ayant aperçu la Jeep de Stiles garée dans l'allée. Il ouvrit la porte, déposa ses clés sur la console et accrocha sa veste sur le porte-manteau avant de s'arrêter dans le salon, combattant un sourire amusé de gagner ses lèvres. Stiles était allongé sur le canapé, habillé seulement d'un tee-shirt en coton trop large, d'un caleçon et d'une paire de chaussettes épaisses, la tête savamment appuyée sur l'accoudoir alors que l'une des ses jambes traînait sur le sol et que l'autre était entortillée dans un plaid, la bouche entre-ouverte, laissant échapper un léger ronflement. La télé était allumée et une assiette recouverte de papier aluminium, posée sur la table à manger, attendant qu'il rentre pour la réchauffer.
Il déposa son sac sur le sol et avança doucement vers l'endormi, se penchant vers lui et caressant sa joue de son nez, respirant son odeur à plein poumons et obtenant en réponse un marmonnement étouffé alors que les paupières de Stiles papillonnèrent difficilement avant qu'une seule de ses paupières ne parvienne à rester ouverte. Il fronça ses sourcils et fit mine d'être embêté que Derek l'ait réveillé alors qu'une de ses mains vint attraper le bas de sa chemise.
« Salut. » Derek souffla tout près de son oreille et resta là, contenté.
Stiles ne répondit pas mais se rapprocha encore un peu, près de son cou et se rendormit aussi rapidement, son corps chaud tout contre celui du brun. Il sourit cette fois, admettant que ses erreurs passées ne s'effaceraient jamais mais qu'il avait trouvé un autre chez lui et que même s'il avait toujours du mal à se pardonner, quelqu'un serait là pour le faire à sa place, pour le relever quoiqu'il arrive.
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« Arrête de gigoter, tu es très bien , souffla Derek sembla-t-il pour la centième fois alors que Stiles, debout à ses côtés, réajustait le col de sa veste.
- J'ai l'air idiot. C'est Scott bon sang, pas le président, marmonna-t-il, le regard sombre, s'empêchant de retourner à la voiture.
- Tu es très bien , il lui prit la main et lui lança cette fois un regard appuyé et tendre. Stiles cligna des yeux, rougissant à peine.
- Tais-toi et appuie sur cette foutue sonnette. »
Il le fit et ils n'attendirent pas plus de dix secondes avant de voir un Scott au sourire éclatant les saluer, un torchon vaguement posé sur son épaule.
« Eh, vous êtes l... Mais qu'est -ce que c'est que ça ? Articula-t-il brutalement et Stiles tenta de mettre ça sur le compte de son incapacité totale à garder ne serais-ce qu'une parcelle de sentiments pour lui, encore moins quand il s'agissait de surprise.
- Content de te voir aussi », bougonna Stiles avant de lui fourrer la bouteille de vin qu'il tenait dans les bras.
Il se rendit dans la cuisine et salua Allison qui, les mains plongées dans de l'eau savonneuse, lançait des regards furtifs au plat chauffant dans le four.
« Bonsoir, elle lui planta un baiser sur la joue avant de lui lancer un sourire empli de fossettes. Tu es très élégant. »
Il n'eut pas le temps de la remercier qu'une petite tornade brune vint se cogner contre ses jambes alors qu'il dut se rattraper à la table, manquant perdre l'équilibre.
« Stiles ! Stiles ! Il sourit alors qu'il baissait les yeux et rencontrait ceux marrons d'une fillette pas plus haute que son genou.
- Sloan, s'il te plaît, soupira Allison.
- Eh, ma grande. Stiles la prit dans ses bras en la faisant virevolter avant de faire semblant de paraître étonné. Mais dis-moi, j'ai l'impression qu'il manque quelque chose. »
La petite fille gloussa avant de hocher vivement la tête, faisant voler ses boucles brunes et d'ouvrir la bouche, désignant un trou de son doigt.
« Je l'ai perdu hier soir, toute seule, papa ne l'a même pas arraché. Et j'ai reçu de l'argent parce que maman a dit que la petite souris passerait. Et j'ai eu deux bons points, elle montra deux doigts avec sa main, à l'école et papa m'a offert une glace. »
Stiles, attendrit, prit soin de lever haut les sourcils pour lui montrer à quel point il était impressionné et fier. Avouons-le, il n'avait pas vraiment besoin de se forcer pour cette partie. Sloan était sans doute la petite fille la plus maligne et inventive qu'il avait rencontré, curieuse de tout et marquée d'un enthousiaste olympien, si bien qu'un petit rien pouvait prendre des allures de découverte mondiale. Alors, il se jugeait excusable s'il ne parvenait à retenir un air béat à chaque fois qu'elle se trouvait dans une pièce.
« Est-ce qu'on pourra retourner voir les étoiles, hein, dit ? On pourra ?
- Mais je n'attends que ça demoiselle, quand seriez-vous libre pour une nouvelle exploration de l'univers ? »
Elle se tourna vers sa mère, surexcitée à l'idée de retourner au Planétarium et celle-ci lui lança un petit sourire, amusée malgré elle.
« On verra ça plus tard, il est temps d'aller dormir, jeune fille. »
Les sourcils de cette dernière se froncèrent mais elle n'objecta pas, embrassa Stiles avant de sauter hors de ses bras et d'enlacer sa maman. Elle courut ensuite rejoindre les deux autres hommes qui discutaient encore dans le salon, contant probablement à nouveau l'exploit qu'avait été la perte de sa première dent. Il entendit le rire de Derek et se dit qu'il n'était finalement pas le seul à craquer pour cette bouille d'ange. Il se tourna vers Allison, occupée à surveiller deux casseroles comme si elles risquaient à tout moment de lui faire l'affront de se mettre à bouillir subitement.
« Besoin d'un coup de main ?
- Oh, oui, tu pourrais poser ce plat sur la table, s'il te plaît ? Erica et Boyd ne devraient plus tarder, maintenant. »
Il semblerait que le couple n'attendait que cette invitation pour faire son entrée car bientôt, la voix familière d'Erica arriva jusqu'à eux. La soirée passa agréablement et Stiles dut avouer qu'il se sentait plutôt réjoui d'être réunis ensemble autour d'un bon repas. Leurs vies ne ressemblaient plus vraiment à ce qu'elles étaient lorsqu'il était adolescent, chacun avait désormais un domicile, un foyer bien à eux, et dont il fallait s'occuper, des enfants à élever, un emploi à exercer et les occasions de se retrouver devenaient plus rares, en témoignait l'incapacité de Lydia, Jackson et Isaac à se trouver parmi eux, ce soir-là. Bien sûr, il y avait le téléphone, les e-mails mais rien ne pouvait remplacer le rire tonitruant et sans retenu de Scott ou le ton supérieur d'Erica racontant à quel point son job d'avocat était fait pour elle.
« C'est le troisième cas qu'elle remporte depuis qu'elle a été affecté dans les nouveaux services, près du centre ville, renseigna Boyd, un sourire fier collé aux lèvres.
- Impressionnant. Et combien de pauvres jeunes hommes as-tu dépecé au tribunal sur le chemin de la réussite ?
- Aucun, M. McCall. Je suis un être perspicace et très bien intentionnée.
- Perspicace, d'accord. Bien intentionnée ? »
Elle lui lança un sourire sardonique et il eut un instant pitié pour ses collègues de travail. Allison lui demanda alors si elle avait déjà d'autres dossiers à traiter et il se surprit à replonger à nouveau dans ses pensées. Il se souvenait de l'époque où Allison et elle ne pouvait pas se supporter, se lançant des regards meurtriers à chaque fois que l'une se trouvait sur le passage de l'autre. Il se souvenait à quel point Boyd, ce garçon robuste et imposant, qui avait peu d'amis, ne parlait presque jamais, si ce n'était pour demander un cours auquel il n'avait pas pu assister, veillant sur sa jeune sœur à l'hôpital. Et il se souvenait de Derek, de ce jeune homme rongé par une colère sombre, autoritaire, et comment il avait eu tant de mal à faire confiance. N'étais-ce pas effrayant de voir à quel point les choses s'étaient transformées ?
Et si tout était agencé de cette manière pour finalement mieux se désintégrer autour d'eux ? Peut-être qu'ils n'étaient pas sensés se sentir aussi bien, aussi serein. Ou alors si, ils le pouvaient parce qu'il n'y avait rien de mal à vouloir ce genre de vie. Il était fatigué de toujours devoir chercher une explication, de ne pas pouvoir se contenter de ça, sans se soucier de ce qui pourrait arriver. Un léger coup sur le bras lui fit tourner la tête et il rencontra l'air soucieux de Scott.
« Tu vas bien ? Tu es super calme, ce soir.
- Ouais, je... je pensais à des choses. Je vais bien. »
Scott laissa son regard peser sur lui plus longtemps que nécessaire et il ajouta, soupirant :
« On est bien, pas vrai, on est vraiment bien ? Et le fait que tout soit si calme, j'ai peur que... Je veux juste que rien ne bouge, tu comprends ? On a vécu assez de drames comme ça. »
Scott s'arrêta un instant dans son essuyage, les yeux perdus dans le vide avant qu'il ne relève la tête et place son bras autour des épaules de son ami.
« Je sais. On est différent, aujourd'hui. On est des grandes personnes et on est heureux, Stiles. J'ai ressenti ça quand Allison a accepté de m'épouser. Et quand j'ai tenu ma fille dans mes bras... c'était comme si tout ce bonheur allait éclater à l'intérieur de ma poitrine parce que je n'avais pas assez de place pour le contenir.
- Oh, je suis au courant », siffla Stiles, souriant au souvenir de la vision d'un Scott pleurant à chaudes larmes, Sloan blotti et disparaissant presque dans ses bras comme s'il voulait la protéger contre la Terre entière.
Il rit et se pencha pour déposer les assiettes propres sur la table de la cuisine.
« Mais tu sais ce qui est bien aussi ? C'est que j'avais déjà ressenti ce bonheur auparavant. Quand on a remporté le championnat en Terminal. Quand j'ai compris qu'être un loup ne me condamnait pas à être un monstre pour autant. Quand un petit garçon aux cheveux en pétard et à la dent cassée m'a promis de rester mon meilleur ami, pour la vie, quoiqu'il arrive. »
Stiles l'observa attentivement, cette fois, conscient de ce qu'il allait lui dire.
« Ne regarde pas le passé comme une tare à étouffer, c'est aussi ce qui nous a rapproché. Ce n'était pas juste mauvais ou meilleur, simplement différent. Et ce n'est pas grave d'avoir peur, tu sais.
- Merci, Scotty. »
Ce dernier lui lança une dernière tape amicale avant de repartir s'occuper de ses invités. Stiles soupira mais un sourire attendri étira ses lèvres. Son ami, naïf, rêveur, trop gentil pour son bien, lui avait permis de se rappeler de quelque chose d'important, que la peur n'était pas à bannir mais simplement à contrôler, à surmonter, il pourrait s'y faire. Le truc, c'était que pour arrêter de s'en faire, il devait au moins mettre son cerveau en veille pour un temps, ne pas réfléchir, ne pas penser et ça, pour un Stiles Stilinski, c'était comme demander à un être de ne pas respirer. Autrement dit, une torture.
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Passant une main lasse sur sa nuque engourdie, Derek tenta de garder les yeux ouverts devant le poste informatique et la tâche que représentait la rédaction du compte-rendu de sa mission extérieure. La semaine n'avait pas été simple, ils avaient été submergés de dossiers à remplir, on avait doublé ses heures de garde de manière exceptionnelle, par manque d'effectifs et il ne comptait plus le nombre de coups de fil qu'il avait reçus et qui l'avaient parfois obligé à se déplacer pour finalement apprendre que le conflit entre voisins qui paraissait si féroce, était réglé après quelques tapes sur l'épaule et une assiette de côte de bœuf. Il n'avait tué personne et s'était retiré en laissant tout de même des regards furieux à la petite assemblée, une victoire en somme. Ses muscles étaient tendus à cause de ce manque de sommeil abrupte et il se savait plus irritable que d'habitude.
Il n'avait pas à se plaindre. Il aimait son job. Il avait appris à aimer travailler avec ses collègues et surtout, avec son beau-père qui jouait occasionnellement le rôle de patron. Mais, le problème, c'est que Derek aimait sa solitude, son calme reposant ce qui était pratiquement impossible à obtenir dans un cadre grondant de monde, des officiers de police courant dans tous les sens, le centre d'appels placé à l'autre bout de l'endroit où se trouvait son bureau mais que sa faculté auditive ne lui permettait pas d'ignorer. Il avait les nerfs à vif, n'avait pas eu le temps d'attraper un déjeuner et était effrayé à l'idée que ses yeux adoptent de manière frénétique une lueur bleutée. Il avait pourtant généralement un contrôle satisfaisant de son Autre mais, aujourd'hui, il regrettait de ne pas avoir accepté le café que sa collègue Oléana lui avait proposé.
Il soupira et tenta de se concentrer à nouveau sur l'écran en faisant abstraction des légers picotements qui commençaient à naître sous ses paupières. Depuis combien de temps s'abrutissait-il devant la même page ? Il n'avait même pas eu conscience de lire le même paragraphe depuis bientôt une demi-heure et redoubla d'intensité dans le pianotement de son clavier. Le temps passa plus rapidement cette fois, il imprima son dossier qu'il inséra dans une pochette, et entreprit de remplir la paperasse qui s'était entassée et qu'il n'avait pas eu le temps d'entamer, grimaçant devant la pile instable qui l'impressionnait. Avec un peu de chance, il finirait avant qu'il ne fasse trop nuit et peut être que Parrish accepterait de partager avec lui la boîte de beignets qu'il avait vu posé sur son bureau... Il entendit alors un raclement de gorge et sursauta sur son fauteuil, comme prit en flagrant délit. Le Shérif se tenait à l'embrasure, les bras croisés contre son torse.
« Rentre chez toi. »
Il resta un instant sans bouger, pas vraiment certain de savoir quoi faire. Il jeta un nouveau coup d'œil à l'homme debout en face de lui.
« Quoi ? J'ai presque fini, il me reste juste à...
- Derek, ce n'est pas une punition, je n'ai plus besoin de toi aujourd'hui. Rentre à la maison. »
Avec un dernier hochement de tête, John quitta la pièce et Derek, trop heureux pour insister et ne pas profiter de la magnanimité de son employeur, s'empara de ses clés et prit la route vers son domicile. Stiles était debout dans la cuisine en train de préparer à manger, habillé simplement, la tête au-dessus d'une casserole frémissante. Lorsqu'il le sentit arriver, il ne put empêcher malgré lui, l'expression d'apaisement qui traversa un instant son regard et que Derek percevait à chaque fois qu'il rentrait de son bureau. Expression que Stiles avait certainement déjà expérimenté des centaines de fois avec son propre père, effrayé à l'idée de recevoir le coup de fil tant redouté. Ils en avaient parlé, plusieurs fois et bien qu'il lui assurait savoir parfaitement dans quoi il s'était engagé, Derek ne pouvait s'empêcher de se sentir préoccupé.
« Eh », souffla Stiles, essuyant ses mains sur un vieux torchon.
Il s'avança vers lui avant de se stopper et de poser ses bras sur ses épaules, l'observant minutieusement.
« Tu vas bien ? »
Il répondit en entourant sa taille de ses bras pour un rapide baiser qui laissa un air ravi sur le visage du plus jeune. Il était toujours exténué et n'avait qu'une envie, s'effondrer sur ses draps et y rester jusqu'à ce que la Terre explose. Mais, Stiles lui avait fait à dîner et il n'allait certainement pas manquer une occasion de passer du temps avec lui.
« Je vais bien.
- Et le boulot ?
- Bien. Je suis content d'être rentré. »
Stiles lui envoya un sourire canaille et l'invita à s'installer à table. La majeure partie de la conversation était tenu par ce dernier, avec cette lueur qui rendait tous ses gestes et tous ses mots si vivants qu'il se surprenait à avoir passer des moments entiers à simplement l'étudier, regarder la façon dont ses membres occupaient l'espace, dont son corps semblait vibrer en permanence, sans réussir à rester immobile. Il sentit alors ses traits s'adoucir parce que même avec le temps, il ne changeait pas. Ça avait quelque chose de rassurant, au fond et une boule vint se loger dans sa gorge qu'il ne parvint pas à faire descendre, bien qu'il essaya plusieurs fois.
Il ne se rendit donc pas vraiment compte ou en tout cas, pas aussi rapidement qu'il aurait dû, que le débit de parole avait cessé et que Stiles se dandinait désormais sur sa chaise, mal à l'aise. Il déposa alors ses couverts sur la table, s'essuya lentement les lèvres avec sa serviette en papier et se pencha en arrière sur son siège.
« Parle.
- Tu veux que je te resserve un peu ? C'est de la crème allégée, l'ignora-t-il en s'emparant de son plat, vif. Quoi, tu ne peux pas m'en vouloir de me préoccuper de ta santé même si tu n'en a clairement pas besoin. Les crises cardiaques sont prises bien trop souvent à la légère et...
- Stiles.
- D'accord, d'accord, je vais le dire, il suffit juste que les mots sortent de ma bouche, ça ne devrait pas être si compliqué, hein ? Ricana-t-il nerveusement. »
Derek lui adressa un regard, loin d'être impressionné et le jeune homme soupira fatalement, les yeux rivés sur la nappe.
« J'aicassétonmugpréféré », la phrase avait été à moitié camouflée par la rapidité avec laquelle il l'avait dite et par le verre d'eau qu'il s'était empressé d'avaler mais il l'entendit parfaitement.
Ses sourcils se haussèrent de manière presque automatique alors qu'il ne s'attendait pas à recevoir ce genre de réponse. D'humeur joueuse, il croisa les bras sur son torse et observa avec amusement Stiles mordre sa joue, les doigts fébriles. Il patienta encore le temps que le garçon lui promette de lui acheter cinq nouvelles tasses, avant de laisser apparaître un sourire marqué par des canines blanches et Stiles parut soulagé bien que partiellement indigné. Comprenant qu'il s'était moqué de son inquiétude, il se leva, faussement boudeur et commença à débarrasser avec l'aide d'un Derek diverti. Il prit ensuite soin de ne pas dire un mot durant le reste de la soirée, l'air buté, appuyé sur le canapé devant le poste de télé, zappant nonchalamment, et changeant de chaînes sans même se préoccuper des programmes, simplement pour montrer son mécontentement et Derek pinça les lèvres pour ne pas rire.
Ils restèrent ainsi le reste de la soirée, profitant simplement de la présence de l'autre. Stiles posa ses chevilles sur les genoux de Derek qui les massa distraitement et observa l'homme avec qui il avait accepté de s'installer, il y avait désormais trois ans de cela. Trois ans de cohabitation, et dix ans depuis qu'ils se connaissaient. Cela ne l'empêchait pas pour autant de le scruter sans embarras, fasciné par ses traits, sa mâchoire serrée, ses larges épaules, ses bras parcourus de muscles dont il avait récemment fini de comparer aux siens devant l'insistance de Derek de le voir arrêter de se fustiger, ses yeux dont il avait passé tant de temps à en soulever les couleurs, qui réussissaient à transmettre des émotions et à le mettre dans des états sans même qu'il ne prononce de mots.
Non, Derek n'était pas un homme à mots. Et, contrairement à ce qu'il savait que la grande majorité de leur entourage pensait, il ne lui était pas non plus facile de s'exprimer sur ce qu'il ressentait, particulièrement lorsqu'il s'agissait d'avouer des sentiments. Peut-être étais-ce à cause de l'obsession développée autour de Lydia durant le début de son adolescence, où tous les moyens étaient utilisés pour prouver à tous que la jeune fille et lui étaient faits pour être ensemble. Ce souvenir le fit sourire : ils avaient tellement changé. Il était proche d'elle aujourd'hui, d'une manière qu'il n'aurait jamais cru possible mais qui le satisfaisait plus qu'une aventure amoureuse, parce que Lydia n'était plus cette image idolâtrée qui l'avait suivi tant de temps et auquel il s' était accroché au final par habitude et par peur de voir leur lien devenir superficiel.
A l'inverse, désormais, il la connaissait par cœur et ce qu'il ressentait pour elle était devenu plus fort bien que très différent. Lydia n'était plus ce rêve idéal d'adolescent dont la maturité lui faisait défaut. Elle était cette fille brillante, tenace, farouche qui était prête à tout pour sauver ses amis et dont il savait qu'il serait toujours présent pour lui venir en aide. Et étrangement, il se sentait bien plus proche de la rouquine maintenant qu'il ne ressentait plus rien pour elle. Mais avec Derek... avec Derek, les choses avaient été plus compliquées et il avait refusé très longtemps d'imaginer quelque chose entre eux, mise à part cet espèce de pseudo mépris-mais-utile-dans-certaines-occasions développé alors qu'il peinait encore à trouver sa place dans la meute, évoluant tout de même dans une certaine affection dans laquelle il s'était englué paresseusement avant que Scott et Lydia ne le confronte à « ton aveuglement obstiné, Stiles » et que Derek entreprenne un premier pas, difficile, vers lui.
Installé dans leur lit, Stiles se rapprocha de Derek, encore plongé dans des pensées amères, oubliant de se plaindre de la capacité du loup à se transformer en véritable chauffage humain alors qu'il grelottait sous les draps. Derek avait le menton posé sur son crâne et caressait ses cheveux de ses lèvres, déposant furtivement des baisers sur le sommet de son crâne, ses doigts dessinant des arabesques dans le haut de son dos et le brun se sentit soudainement détendu. Il ne tarderait certainement pas à s'endormir, enveloppé comme il était dans une étreinte dont la douceur pouvait se rapprocher à celle d'un bain chaud et mousseux. Il avait eu quelques difficultés à trouver le sommeil durant les dernières semaines, en raison des horaires imposés par son bureau depuis peu et qui le forçait de plus en plus à travailler de nuit.
Il ne s'en plaignait pas, lui qui préférait travailler à des heures indues, se surprenant à être encore assis devant son ordinateur dans les alentours des trois heures du matin, ne pensant à aller se coucher que sous les appels insistants de Derek. Le problème était que ce train de vie était extrêmement compliqué à associer à celui d'une autre personne et en particulier, à celui d'un officier de police. Pour y remédier, il tentait tant que possible de dormir lors des prises de postes du brun mais n'était pas ignorant quand à ce que ce dernier pensait de ses aventures nocturnes mais il se rassurait : ça ne durerait pas éternellement alors, jusque-là, ils tiendraient.
Derek était toujours accroché à son torse mais bientôt, la chaleur émanant de leur deux corps le força à sortir les bras de l'étreinte qu'exerçait son compagnon, arguant qu'il finirait étouffer autrement. Il sentit l'autre renifler.
« Ça ne risque pas. Tu dors la bouche ouverte.
- Bien sûr que non. »
N'obtenant aucune réponse et désirant faire admettre à Derek que ses propos étaient dénués de vérité, Stiles se souleva sur un coude, le regard obstiné.
« Bien sûr que non, je ne dors pas la bouche ouverte, Derek. »
Celui-ci lui lança un sourire de connivence qu'il traduit facilement par un « c'est de la naïveté ou de l'obstination ? » et il le frappa sur l'épaule avant de se poser sur le dos, le regard rivé au plafond et à la peinture scintillante qu'il avait supplié Derek de poser afin d'avoir l'impression de regarder un mur d'étoiles. Il sentit alors un mouvement furtif au-dessus de son corps et baissa les yeux pour remarquer que Derek avait vraisemblablement placé une enveloppe sur sa poitrine. Il chercha à croiser les yeux du loup mais celui-ci les gardaient fermement fixés sur la lampe de chevet, méticuleux d'en observer la couleur, visiblement. Il demanda, agité :
« Qu'est-ce que c'est ? »
Derek haussa les épaules, comme s'il n'avait véritablement aucune idée de ce que contenait l'objet et que Stiles posait en réalité une question stupide. Peu importe, il détacha les bords de la lettre et en sortit deux billets qu'il reconnut aisément, son sourire se muant en quelque chose de plus sincère. Derek l'observait attentivement cette fois, l'expression tendue remplacée par un air tendre qui donna envie à Stiles de lui dérober un baiser.
« Path of Glory. Ils le passent vendredi, souffla Derek comme un secret. J'ai pensé que ce serait une bonne idée d'y aller. »
Stiles ne put que partager son opinion et de sentir une bouffée d'émotion venir se loger dans son ventre. Ils avaient vu le film de Stanley Kubrick lors de leur premier rendez-vous officiel alors que le comté de Beacon Hills avait organisé une projection plein air. Il avait donc une signification particulière car marquait le avant Derek et Stiles et le après Derek&Stiles. Le fait qu'il y ait pensé remplaçait tous les « je t'aime » hurlé à la face du monde. Il songea, le connaissant, à l'embarras certain que cette invitation touchante avait dû lui coûter et ne put pourtant s'empêcher de le taquiner.
« C'est un rencard ? Il ne manqua pas le roulement des yeux de Derek dont les coins de ses lèvres s'étaient soulevés furtivement. Parce que si c'est un rencard, il faut que tu saches que mes attentes au niveau de l'après-soirée seront très différentes. »
Derek se pencha vers lui et posa un baiser sur sa joue avant de lui chuchoter à l'oreille :
« C'en est un. »
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« Non. »
Surpris, John se demanda un instant ce qui avait pu traverser l'esprit de son fils pour qu'il ressente le besoin d'exprimer un quelconque mécontentement alors qu'aucun d'eux n'avaient prononcé la moindre parole et ce, depuis le moment où ils s'étaient installés à la table du dinner, Lou, venant tout juste de leur apporter la carte des menus. Il releva posément son regard bleu vers les yeux brillants de détermination d'un Stiles visiblement à l'affût, replongea quelques secondes sur la liste des plats qu'il tenait encore entre les mains avant d'abandonner et de déclarer, soupirant :
« Je n'ai pas encore choisi, Stiles.
- Non.
- Écoute, cette histoire commence à prendre des proportions extraordinaires. Je vais bien, vraiment. Alors, tu peux arrêter, maintenant. Tu n'es pas obligé de contraindre ce pauvre garçon pour qu'il enregistre mes faits et gestes quotidiens au boulot. Ni de te sentir forcer de surveiller mon alimentation. D'accord ? Il tendit la main pour recouvrir celle de Stiles, arborant un air aimant. Je sais que tu veux prendre soin de moi mais j'ai passé des années à suivre le même régime alimentaire et n'ai pas eu le moindre souci de santé à ce sujet. Tout va bien, fils. »
Sans un mot, Stiles pointa fermement du doigt l'intitulé qu'il prévoyait assurément de faire commander à son père. John blêmit.
« Je te montre mon affection et tu me pointes une assiette de salade ?
- Tu sous-estimes mon affection envers toi. Et, j'ai des espions partout, sache-le. Pas juste Derek. »
Le père ne cacha pas sa grimace et le sourire de Stiles s'élargit, les coudes adossés contre la table, sa tête reposant entre les paumes de ses mains, et les sourcils tressautant énergiquement. Il flânait. John abandonna une nouvelle fois la partie, consentant à devoir se passer de viande encore un peu plus longtemps, abandon qu'il sentit s'abattre sur lui telle une sentence, prenant tout de même le soin de s'en plaindre à tout le restaurant, semblait-il.
« Lou, s'adressa-t-il à la serveuse qui travaillait ici depuis une bonne dizaine d'années maintenant et qui laissait toujours un supplément de ketchup avec ses curly fries, laisse-moi te donner un excellent conseil. Si jamais tu tiens à ta liberté, éloigne-toi de tes enfants le plus vite possible. Parce qu'un beau jour, sans que tu ne t'en rendes compte, tu te retrouves avec gamin bien trop intelligent pour ton propre bien, qui se mettra à décider de la façon dont tu dois t'habiller et ce qui doit venir remplir ton estomac. »
Il lança pourtant un regard si fier et doux à Stiles que le garçon ne prit pas un instant en compte les dernières paroles du Shérif. Lou gloussa, à moitié cachée derrière son carnet de notes.
« Je trouve ça plutôt adorable qu'il essaye de prendre aussi bien soin de vous. »
Stiles leva les poings en l'air, un cri victorieux au bord des lèvres alors que John plongea le visage dans ses mains, se sentant affreusement trahi.
« Adorable. Elle a dit adorable. »
Ils déjeunèrent calmement, John terminant son assiette sans plus rechigner, et Stiles accepta de bonne grâce qu'il emporte un muffin aux myrtilles et il reçut un sourire blanc en retour. Peu importait que son père continuait de cacher des paquets de biscuits derrière les boîtes de céréales ou qu'il rentre du travail en passant par le premier fastfood pour engloutir un burger comme seul repas, Stiles ne se lasserait jamais de le sermonner sur ses habitudes alimentaires, ne cesserait pas de chercher des recettes de boissons diététiques qu'il lui emmènerait durant ces longues après-midi où il ne perdait pas une seconde pour s'hydrater. Son père pouvait s'entêter à lui ressasser les mêmes choses autant qu'il le souhaitait, qu'il était celui qui devait s'occuper de Stiles, ce dernier n'arrêterait pas de s'inquiéter pour lui.
Le laisser seul n'avait d'ailleurs pas été un choix des plus aisés et Stiles s'était senti coupable de l'abandonner, particulièrement pour aller vivre avec quelqu'un d'autre. Pendant longtemps, ils n'avaient été que tous les deux et partir, sans que ce soit pour se rendre à l'université, de manière définitive, lui donnait l'impression qu'ils se débarrassait de lui, en quelque sorte. Ah, cela avait au demeurant été la cause de la dispute la plus carabinée qu'il ait eu avec Derek, jusqu'à présent. Leurs capacités à communiquer avaient mené Derek à penser que Stiles refusait de vivre avec lui par peur de s'engager dans une relation trop sérieuse et Stiles avait fini par lui avouer qu'il était terrifié à l'idée de laisser son père.
Il avait fallut une longue discussion entre lui et le Shérif et une série d'étreintes étouffantes pour que son père réussisse à le convaincre de déguerpir. En attendant, les vieilles angoisses ne disparaissaient pas alors, il se contentait de taquiner, d'afficher un air amusé, en essayant de faire disparaître cette culpabilité qui menaçait parfois de l'écraser. Stoppant sa voiture devant le bureau de son père, il le déposa et qui, après un signe de la main et un dernier avertissement de Stiles de se tenir à carreaux, sortit de l'habitacle et se prépara à aller occuper son poste pour la journée. Stiles, quant à lui, remarquant qu'il avait encore du temps devant lui, s'éloigna du centre-ville pour se diriger vers le cimetière. Il n'y resta pas longtemps, n'ayant pas prévu de s'y arrêter, n'avait même pas de fleur pour déposer sur la tombe de sa mère alors s'excusa à voix haute pour son manque de déférence mais remarqua le petit pot de narcisses posés sur le sol. Il sourit en imaginant son père à sa place, quelques jours plus tôt.
Il dépoussiéra la pierre de brindilles d'herbe, lança une dernière parole à Claudia Stilinski, laissant le silence l'entourer un moment comme signe de réponse et tourna les talons, le cœur dans l'estomac. Il n'alluma pas la radio, une fois au volant de sa Jeep, un peu morose et accéléra, autant que le permettait la signalisation vers sa prochaine destination. Une fois arrivé à bon port, il toqua à la porte qui s'ouvrit peu de temps après, difficilement, comme retenue dans son élan. Il baissa le regard et croisa ceux d'une Sloan dont les yeux ronds de surprise le firent éclater de rire. Elle s'échappa aussi vite qu'elle était arrivée, ses mèches brunes fouettant l'air alors qu'elle disparaissait déjà à l'intérieur, laissant la porte grande ouverte, sa voix excitée chantant dans la pièce :
« Maman, vite, vite, maman, Stiles est là ! Il est là ! »
Allison apparut dans une jolie robe bleue, le sourire aux lèvres et les fossettes d'occasion. Après une bise sur la joue, elle l'invita à entrer. Il refusa poliment le verre d'eau qu'elle lui proposa et resta près de la porte, les yeux glissant parfois vers le haut des escaliers, l'endroit où avait disparu Sloan, il y avait à peine deux minutes.
« Je suis contente de te voir. Si tu pouvais imaginer le nombre de fois où elle te mentionne. J'espère que tu as conscience d'être une source d'admiration.
- C'est une charge que j'ai pieusement accepté de porter.
- Très noble, attends-toi à passer plus de temps ici. Tu as posé des jours de congé ?
- Yep, le reste de la semaine, pour pouvoir rester un peu à la maison. Traîner un peu, voir Derek, on se croise plus qu'on ne se fréquente, ces temps-ci. Ça me manque. Et toi, que vas-tu faire de cette grande journée rien que pour toi ?
- Sûrement faire quelques courses, tu es déjà au courant de la quantité astronomique que peut ingérer Scott en quelques jours et si je ne veux pas que mon mari ne meurt de faim, il va bien falloir que je remplisse le frigo. J'aimerais aussi pouvoir passer à la librairie, acheter ce livre qui me plaît. Merci de faire ça pour elle.
- Tu plaisantes, argua-t-il en se grattant l'arrière de la nuque de manière machinale, je place mes intérêts en premier lieu, dans cette affaire. Tu m'offres une excuse de plus pour m'y rendre.
- Je suis prête. » Sloan avait enfilé un K-way vert pomme assorti à ses bottes rose à pois blanc et avait endossé un sac en peluche presque plus gros qu'elle. L'air fier qui accompagnait son sourire espiègle certainement accentué par le fait qu'elle avait choisi elle-même ses vêtements rendit impossible à sa mère de la faire monter se changer. Stiles, lui, était totalement fan.
« C'est parti. Je te la ramène d'ici la fin de l'après-midi.
- Amusez-vous.
- On y compte bien », musa Stiles, tendant sa main à la petite brune qui s'en saisit vigoureusement.
La débarrassant de son manteau avant de monter dans la voiture ainsi que de son sac à dos, il lui demanda ce qu'elle avait bien pu y mettre pour qu'il ait cette taille.
« J'ai pris mes livres sur les planètes et mon goûter, puis chuchota à son oreille, lorsqu'il entreprit de lui attacher sa ceinture, comme un secret, je t'ai aussi pris un pain au chocolat. »
Il posa un baiser sur son front et démarra. Le musée était, sans surprise, vide de monde, l'astronomie attirant visiblement peu de personnes dans les alentours, ce qui ne les empêcha pas de s'arrêter à chaque stand, de demander trois fois au guide de leur refaire la visite qui, s'il était impatient, ne le montra pas et ajouta même différentes anecdotes à chaque passage. Ils se rendirent dans la salle des Planètes, s'immobilisèrent devant une miniature de la fusée Saturne V, une maquette géante du Soleil, ainsi que d'un modèle du Big Bang, impressionnant par sa diversité de couleurs.
Sloan lui ressemblait énormément, parlant sans cesse, gigotant dans tous les sens, posant des questions sans pouvoir réprimer sa curiosité et il s'enquit de répondre avec soin à chacune d'elles. Il l'emmena ensuite vers un espace café où il commanda un jus d'orange et un thé et ils engloutirent comme promis leur pâtisserie.
« Tu n'as pas de frère et sœur, Stiles ?
- Non, ma belle, il n'y a que moi. Mais tu sais, ton père est comme un frère, il fait parti de la famille, comme toi. »
Elle battit l'air de ses jambes, hocha de la tête pour acquiescer ses dires mais ne dit rien de plus. Il porta alors sa tasse fumante vers ses lèvres et haussa les sourcils vers elle.
« Tu aimerais en avoir ? »
Elle regarda au-dessus de son épaule durant quelques secondes, réfléchissant à sa demande puis hocha timidement de la tête comme si l'avouer était quelque chose de mal. Il lui lança un sourire qui se voulait rassurant et se baissa vers les bras qu'il avait croisé sur la table.
« Ton papa et moi avons fait les pires bêtises qui soient quand on avait ton âge, je l'entraînais dans les pires combines, ta grand-mère nous disputait sans arrêt. Et tu veux que je t'avoue un secret ? Se faire crier dessus à deux, c'est mieux. »
Elle gloussa derrière son verre qui paraissait gigantesque à côté de son visage rond. Il pensa à la ramener chez elle mais lui proposa à la place de faire une balade dans le parc situé derrière le Planétarium et elle lui lança un joli sourire qu'il lui rendit, enchanté. Il n'avait rien d'extraordinaire, en soit. Pelouse verte coupée convenablement. Tourniquet multicolore. Portique avec balançoire, anneaux et toboggans. Un espace plutôt grand et fleuri comprenant une prairie en pente douce. Pourtant, voir la petite gambader dans l'herbe, cueillir des fleurs sauvages et les lui tendre comme s'il s'agissait du plus beau bouquet le rempli d'un bien-être exaltant, s'infiltrant lentement dans ses veines et lui rappela sa propre jeunesse, l'odeur des madeleines de sa mère sortant du four, ses courses à vélo où il rentrait constamment blessé aux genoux.
« Tu devrais en faire un autre pour ta maman, ça lui ferait vraiment plaisir. »
Il dut tout de même se résoudre raisonnablement à la ramener, se rendant directement au cabinet de Scott, l'ayant déjà convenu avec Allison un peu plus tôt. Celui-ci était assis au comptoir, croulant sous les papiers, des ridules jouant sur son front et lui donnant un air sérieux qui avait toujours amusé Stiles. La sonnerie au dessus de la porte le fit lever les yeux vers eux et un sourire immense vint automatiquement se dessiner sur ses lèvres. Sa fille se précipita dans ses bras et il resta un moment à la cajoler affectueusement avant qu'elle ne se mette à gigoter pour s'en dégager et s'enfuit immédiatement vers l'arrière boutique, attirée par la levée d'aboiements curieux et Scott, secouant la tête, s'en offusqua un bref instant.
« J'étais son héros, il n'y a encore pas si longtemps que ça.
- T'en fais pas, va, tu redeviendras bien vite son meilleur ami si tu réussi à convaincre Allison de lui laisser adopter ce chien qu'elle veut tant. »
Soupirant, il parut un instant dépassé face au souvenir de cette scène particulière.
« M'en parle pas, elle m'a fait la tête pendant toute une soirée parce que je n'ai pas « refusé aussi vite qu'il le fallait » la première fois qu'elle a fait mention d'un animal de compagnie. »
Après être rester discuter une bonne heure avec son ami, Stiles reprit la route, secouant vaguement la main lorsque Scott le remercia une nouvelle fois d'avoir accompagné Sloan, regrettant de ne pas avoir été présent pour partager cette journée avec eux. Sans surprise, la maison était vide et il décida de ne pas s'en scandaliser, Derek n'était, après tout, pas le seul à exercer un boulot prenant. Ravalant sa déception, il décida de s'occuper l'esprit en rangeant le chaos monstrueux qu'il avait déployé rien que dans le séjour et s'amusa à penser que Derek devait grimacer tous les jours face à son caractère désordonné, lui qui aimait tant que tout soit rangé à une place bien déterminée.
Ça n'était bien sûr, pas le seul point sur lequel leurs comportements divergeaient mais ça avait quelque chose de sécurisant et d'excitant, le fait que, malgré leurs différences, ils réussissaient à s'ouvrir à l'autre et à ne pas en attendre davantage que ce qu'ils pouvaient déjà mutuellement se donner. Que tout n'était pas prédéterminé, que Stiles ne se ferait pas rejeté pour ce qu'il était. « Le mariage, lui avait dit son père, c'est un peu essayer de nager à contre-courant. Mais tant que tu ne t'arrêtes pas, tant que tu continues à te battre, alors il y a toujours une chance pour que tu finisses par arriver sur l'autre rive. » Derek était son défi, son océan à parcourir et, bien que cela ait paru insurmontable au début de leur relation, quand il était encore plus facile pour eux de se lancer des piques et voir qui aurait le plus mal, son choix lui paraissait des plus logiques aujourd'hui. Ça en valait la peine.
Le poste de radio crachant sa musique alors qu'il reprenait à tue-tête les titres qui passèrent, ignorant le plus souvent la majorité des paroles, il ne perçut pas tout de suite l'arrivée de son compagnon qui lui lança un léger mouvement courroucé, diverti par le sursaut qu'avait engendré sa venue.
« Eh !
- Eh, le salua à son tour Derek, observant les alentours, les sourcils haussés. Du rangement ?
- On peut dire ça. Les traces de son passage étaient encore bien visibles, cependant.
- Et cette visite ?
- Top, répondit Stiles en rangeant les derniers livres dans la bibliothèque, cette gamine est super.
- Oui, elle l'est. »
Il attendit que Derek est posé son sac, mit sa boîte hermétique dans l'évier, boîte qu'il avait préalablement rempli des restes de la veille, se lava les mains et alla s'asseoir sur le canapé, un bras levé vers Stiles en signe d'invitation. Ce dernier n'hésita pas avant de le rejoindre, se rapprochant de lui et de sa chaleur, d'humeur câline. Il posa ensuite sa tête sur son épaule et sa main sur son torse, montant et descendant au fil de sa respiration. De son autre main, il s'empara de celle de Derek et joua avec ses doigts, les pliant lentement, selon son gré.
« Tu m'as manqué, aujourd'hui. »
Derek raffermit son étreinte et l'embrassa sur le sommet du crâne.
« Toi aussi. »
Il lui raconta ensuite sa journée au poste, comment ses collègues s'étaient moqués de lui parce qu'il ne sortait jamais boire un verre à la fin de leur journée, que Mme Hipkins avait, du haut de ses 73 ans, encore une fois, flirter outrageusement avec lui, proférant qu'un mariage n'était qu'en réalité, une signature sur un bout de papier avec un clin d'œil suggestif qui avait fait le Shérif mourir de rire. Stiles lui demanda alors s'il devait se sentir menacé et Derek laissa planer un doute contrefait, arguant que se muffins étaient à damner un saint. Stiles se pencha et l'embrassa sur le coin des lèvres, décidant qu'il devrait alors améliorer ses talents culinaires et Derek tenta d'approfondir leur baiser quand Stiles sauta soudainement du sofa.
Il augmenta le son de la radio et se mit à danser, sa voix fausse résonnant dans toute la pièce, avançant dangereusement vers Derek qui se cacha le visage avec ses mains. Hors de question.
« Allez, je sais que tu adores cette chanson. »
Derek détestait cette chanson, en réalité. Alors, il fit abstraction des gestes désespérés que Stiles tendait vers lui, de son déhanché ridicule, de ses supplications qui le poussait à se dandiner de manière grotesque, de ses lèvres qui formaient un sourire narquois, de ses jolis yeux qui pétillaient de malice, de ses mains qui agrippaient du vide, impatientes. Il ne céderait pas.
« Stiles. »
Stiles fit mine de ne pas entendre, trop englouti par le son de la musique, par la concentration qu'il mettait dans ses pas de danse et surtout, par la détermination qu'il possédait à ne pas laisser sa maladresse légendaire prendre le dessus. Ses mains se posèrent sur ses avant-bras et tirèrent, bien qu'il n'avait aucune chance de lever le loup si celui-ci avait décidé de rester campé sur son canapé. L'entêtement eut raison de lui et il continua à le presser à se mettre debout.
« Stiles. »
Faire abstraction des yeux, faire abstraction des yeux et... Trop tard. Soupirant résigné, il rejoignit Stiles qui lança un cri exagérément aiguë, une posture de vainqueur. Ses efforts furent d'ailleurs récompensés lorsque, ralentissant leur cadence, Stiles se rapprocha de lui, entoura sa nuque de ses bras et lui chuchota un « merci » à l'oreille, les joues rouges. Alors Derek le fit basculer en arrière dans un semblant de danse professionnelle, le faisant tourner sur lui-même. Ses éclats de rire lui donnèrent envie de danser jusqu'à ce que ses jambes le lâchent, tant il ne voulait pas qu'ils disparaissent. Alors tant pis s'ils avaient l'air ridicules ou risibles, car tout cela paraissait dérisoire. Stiles était heureux alors le reste ne comptait pas.
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Stiles se réveilla, seul dans le lit, la place qu'occupait Derek encore tiède, le coin de la bouche pâteuse de salive séchée et les membres engourdis. Lorsqu'il tenta de se lever, sa tête lui tourna si fort qu'il manqua se cogner contre sa table de chevet, se rattrapant de justesse à sa couette. Il profita de plusieurs minutes pour reprendre sa respiration qu'il trouva saccadée, essuya d'un revers de main son front moite de sueur et papillonna des yeux, surpris de constater un voile opaque lui troubler la vue. Prenant de lentes inspirations, il attendit que son tournis passe, comptant sur ses doigts à chaque fois que sa poitrine expirait l'air de ses poumons. Quand il fut certain que ses jambes ne tremblaient plus sous son poids et que sa vision était suffisamment bonne pour qu'il ne risque pas de se cogner un orteil sur le coin d'une commode, il entreprit de se rendre dans la salle de bain.
Face au miroir, le spectacle qui l'attendit le fit grimacer, ses yeux étaient gonflés de fatigue alors qu'il savait avoir dormi plus que son compte, cette nuit, une énorme marque d'oreiller lui mangeait la moitié gauche du visage, les grains de beauté qui parsemaient sa figure ressortaient davantage sur sa peau particulièrement pâle et il se sentait par-dessus tout nauséeux, comme si son oreille interne ne coordonnait plus son sens de l'équilibre, annihilant tout ajustement de la posture de son corps, raison pour laquelle il n'avait pas ressenti de douleur, encore allongé, emmitouflé dans les draps. Allumant la lumière au-dessus du lavabo, tout dansa autour de lui et il se savait au bord de l'évanouissement. Pressant les lèvres pour ne pas gémir et attirer un Derek affolé, il s'assit sur le bord de la baignoire et ferma les yeux.
Un peu calmé, il passa très lentement, un filet d'eau froide sur sa nuque, se brossa les dents et remarqua que le goût mentholé calma quelque peu les spasmes de son estomac. Précautionneux, il prit une douche rapide, effrayé à l'idée de tomber sur le revêtement sol, et s'aida du mur, les mains posées à plat sur le carrelage glacé. Cela lui fit certainement du bien car une fois essuyé et habillé, sa sensation de vertige avait disparu et ce fut d'un pas plus assuré qu'il se dirigea vers les escaliers, et pénétra dans la cuisine, les cheveux encore mouillés, dégoulinants le long de son dos. Derek était placé au-dessus d'une poêle, son contenu lui étant dissimulé par la musculature de ce premier qui se retourna pour lui baiser le front avant de se baisser vers lui, une ride soucieuse lui barrant le front.
La tentative de ne pas l'alarmer s'avéra vaine quand il prit plus vigoureusement son visage entre ses mains, celles-ci s'étant plaquées autour de ses joues. Stiles s'obligea à ne pas rouler des yeux.
« Qu'est-ce qui se passe ? Tu as mal ? »
Se redressant sur ses pieds pour pouvoir planter un baiser sur ses lèvres, Stiles secoua la tête, parvenant à afficher un petit sourire fatigué.
« Un peu étourdi en me réveillant. Mais, je vais bien, promis. »
Cette déclaration ne réussit pas à effacer complètement les traces d'inquiétude qui marquait les traits du brun et il accompagna Stiles – qui cette fois leva les yeux au ciel – jusqu'à une chaise avant de retourner vers sa cuisine. Stiles se mit à tapoter distraitement sur la table, observant les déplacements du loup et réfléchissant à ce qu'il pourrait faire aujourd'hui, tous les deux. Pourtant, quelque chose attira son attention et il s'immobilisa.
« Ton père a appelé ce matin, je crois qu'il voulait passer mais tu dormais encore, il a essayé d'avoir... »
Le reste des mots n'atteignirent pas la conscience de Stiles qui avait stoppé net tout geste, la gorge nouée, les narines dilatées, le regard rivé vers la casserole, dont le contenu frémissant lui était désormais parfaitement visible et le cœur tambourinant dans sa poitrine comme s'il cherchait à s'en échapper. Ce fut sans doute ça et le fait qu'il ait arrêté ses petits coups répétés qui alertèrent Derek, lequel se retourna vers lui, les bras tendus comme s'il s'apprêtait à le rattraper d'une chute. Il devait avoir une tête effroyable.
« Stiles ? »
Il ne sut pas vraiment si ce fut la vue des œufs brouillés qui le poussèrent à agir ou alors l'odeur, dont il n'avait pourtant pas vraiment prêté attention en descendant les marches et qu'il ne pouvait désormais plus du tout faire disparaître, le submergeant à tel point qu'il eut l'impression de se noyer. Vif, il se précipita vers la poubelle et vomit pendant ce qui lui sembla être une éternité. Son estomac était comme prit d'un feu ardent, sensible et douloureux et des larmes apparurent aux coins de ses yeux. Il avait du mal à respirer, toussait alors que les nausées ne s'estompaient pas et que ses mains, agrippées au bord de la table, tremblaient. La seule chose qui lui permettait de conserver un pied dans la réalité était les pas frénétiques de Derek, dans son dos. Aussi pitoyable que ce fut, il tenta une nouvelle fois de l'apaiser.
« Ça va, je... » un hoquet lui échappa à nouveau et il sentit la bile lui monter à la gorge, celle-ci commençant déjà à le brûler comme de l'acide.
Jamais il ne s'était trouvé aussi malade face à l'odeur d'un aliment mais tout était possible, visiblement. Scott se sentait toujours mal à l'approche d'une assiette de crustacés alors... Peut-être qu'y penser n'était pas la meilleure solution. Sa tête tambourinait dans un cliquetis régulier et acéré, envoyant à chaque battement une décharge lancinante qui descendait tout le long de sa colonne vertébrale. Il n'avait toujours pas ouvert les yeux, de peur qu'un autre élément du décor ne le replonge dans un épisode gastrique. Le soulagement finit par se manifester lorsque que Derek plaça une serviette humide sur son front et ne trace des cercles aériens en dessous de son t-shirt alors qu'il prélevait sa peine, abandonnant une sensation de flottement.
« Je t'emmène à l'hôpital.
- Quoi, Stiles tenta de se surélever mais affaibli, dut compter sur Derek pour l'empêcher de s'écraser sur le sol, ce qui rendit le reste de sa phrase encore plus pathétique, je.. non, je vais bien...
- Pas de discussion, Stiles. On y va.
- D'accord. »
Le trajet en voiture se passa rapidement, l'état de Stiles étant comparable à celui de semi-conscience et il fut reconnaissant de la fraîcheur qui l'accueillit quand il posa sa tête contre la vitre, laissant échapper une plainte inarticulée qui ne fit rien si ce n'était amener Derek à violer quelques restrictions de vitesse, le regard rivé sur la route. Une fois arrivés et après avoir inscrit son nom à l'accueil, Stiles et Derek s'installèrent sur les sièges en plastique de la salle d'attente, bondée en cette fin de matinée. Désormais soulagé, Stiles se trouva dans l'incapacité de rester immobile, cherchant désespérément de quoi s'occuper l'esprit, délaissant le mordillement de ses lèvres asséchées par peur de déclencher un saignement, sachant pertinemment que l'intoxication alimentaire porterait le poids de diagnostic.
Ce n'était pas sa première fois, certes peut-être pas aussi intense mais elle ne valait certainement pas un détour houleux à l'hôpital. Les infirmières, malgré la foule qui s'agitait, impatiente et irritée, s'approchèrent de chaque patient, leur assurant que les médecins se chargeraient bientôt de leur cas, proposant des gobelets d'eau aux enfants assis sur une table devant un amoncellement de petites constructions en bois. Un jeune homme assis près de la fontaine avait le nez dans un tel état que sa compagne s'était déjà lever deux fois pour récupérer un excédent de serviette à lui faire porter au visage, le liquide rouge ayant taché une bonne partie de son pull en laine.
La grognement sourd qu'émit Derek finit par attirer son attention et il frémit. Ses phalanges étaient rendues blanches par la force avec laquelle il les serraient, plaquées contre ses genoux et son regard assombrit par une certaine animosité ne quittait pas l'extrémité du couloir, là où se trouvait l'une des salles d'auscultation. Horrifié, Stiles sut que ses griffes ne tarderaient pas à venir se planter à l'intérieur de sa peau, garantie de sa domination sur sa part lycanthrope et qu'il n'avait eu de cesse de détester, l'assimilant à un exercice de torture. Il prit alors le poing entre ses deux paumes et déplia les doigts rugueux avant de les enlacer entre les siens, soufflant lorsqu'il n'obtint aucune résistance.
« Arrête, calme-toi, chuchota-t-il, se calant sur son épaule et percevant clairement la tension de ses muscles. »
S'il ne desserra pas les mâchoires ni ne quitta l'endroit des yeux, ses mains parurent retrouver un semblant de circulation sanguine.
« Tu es là depuis trop longtemps. Qu'est-ce qu'ils attendent, exactement ? »
- Cette femme était là avant nous, Derek. Tu as vu l'état de son mari ? On aurait dit qu'il s'est engagé à tester la solidité d'un mur de briques. Elle a dû l'aider à marcher tout le long du couloir. Je ne fais pas le poids contre une attaque murale. »
Il ne réussit pas à dérider Derek, lequel se renfrogna sinon plus contre son siège et Stiles soupira avant d'exercer une nouvelle pression sur sa main pour essayer de l'inciter à se détendre et lui faire comprendre que tout irait bien. Les nausées ainsi que le mal de tête avaient disparu et il ne sentait plus qu'un léger picotement au bout de ses articulations. Peut-être qu'il réussirait à convaincre Derek qu'il pouvait rentrer et lorsqu'il croisa son regard après lui avoir fait part de son idée, il trouva que sa chaise était en fait plutôt confortable. Ils patientèrent encore quarante-cinq minutes, laissant largement le temps à Stiles d'aller soulager son envie pressante avant que l'infirmière ne leur fasse signe de l'arrivée de leur tour.
« Bonjour, Dr Singfried, salua le médecin en jetant un œil à sa fiche de renseignement, et en leur lançant un sourire blanc, M. Hale, installez-vous, je vous en prie.
- Merci. »
Plaçant ses bras sur le bureau lui faisant face, il donna un regard amusé à la nervosité de Stiles et à l'attitude visiblement peu amène de Derek qui n'avait pas sortit un mot.
« Alors, qu'est-ce que je peux faire pour vous ? »
Après avoir expliqué ce qui les amenaient ici, l'homme s'engagea à lui poser des questions, prit quelques notes sur ce qui ressemblait à une feuille d'ordonnance avant de se lever et d'appeler un interne.
« Très bien, je vais vous laisser avec Sébastien qui est là et nous allons procéder à quelques tests et voir si tout va bien, c'est d'accord ? Je serais à côté si vous avez un souci ou une peur subite des aiguilles. »
Stiles hocha la tête et consentit à suivre le jeune homme alors que Derek fronça ses sourcils en sa direction. Stiles ralentit le pas, laissant l'interne les dépasser pour souffler près de l'autre :
« Qu'est-ce qu'il y a, encore ?
- Est-ce que tu as vu la tête de ce gars ? Il continua lorsque Stiles haussa les épaules. Il est beaucoup trop souriant pour un médecin. Je n'aime pas ça.
- Oh, c'est étonnant, peut-être bien qu'il aime son travail. Tu devrais prévenir tes collègues et commencer à enquêter, c'est louche. »
Lorsque la dernière prise de sang fut terminée et qu'ils purent rentrer chez eux avec l'invitation de revenir le lendemain matin pour recevoir les résultats, Derek décida de passer à l'épicerie acheter des aliments qu'il jugeait propice à une fragilité intestinale, refusant catégoriquement que Stiles l'accompagne, en lui exhortant de se remettre au lit. Feignant d'obéir, il attrapa aussi vite que Derek disparut son ordinateur et débuta un nouveau dossier qui menaçait de lui prendre plusieurs mois mais dont il était particulièrement fier et excité de commencer. Il avait fallut qu'il reste plusieurs heures supplémentaires à cravacher sur ses dessins, taper de nouveaux comptes-rendus, négocier avec les entrepreneurs et partenaires commerciaux mais Louis avait cru en lui et avait accepté de lui confier son premier vrai chantier, celui qu'il pourrait totalement considéré comme sien.
Et ce n'était certainement pas un minable mal d'estomac qui allait tout mettre à l'eau, il avait souffert pour saisir cette opportunité. Le stress qu'il avait ressenti au départ et dont il redoutait le retour, une fois que tout serait terminé, s'était transformé en une sorte d'euphorie, qui rendait tout lumineux et envisageable, comme si la roue de la fortune avait engagé un tour en sa faveur et il ne souhaitait pas que ce sentiment ne s'évanouisse. Mais bientôt, Derek rentra, prit sans un mot l'ordinateur qu'il ferma dans un claquement sec, le déposa sur le bureau et le recouvrit avec la couverture jusqu'au menton.
« Dors, je viendrai t'apporter ton déjeuner dans vingt minutes. Et pas de soda, aujourd'hui, Stiles. De l'eau. »
Stiles considéra un instant ce qu'était la réelle punition : être malade ou... Derek ?
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« S'il te plaît, dépêche-toi, on est déjà presque en retard.
- Eh, humain, ici, ok ? Pas de rapidité surnaturelle, ni de supers réflexes. En plus, tu n'as strictement aucun droit de te plaindre. Ce n'est pas comme si me dépêcher rendrait les choses plus simples étant donné que 80% des chances dans une situation pareille se termineraient avec moi, couché au sol dans une position improbable, après m'être pris les pieds quelque part. Profite, tu as un mari prévoyant.
- Roublard, c'est différent.
- Et tu m'aimes quand même, c'est incroyable, hein ? »
Leur entrée à l'hôpital se passa de manière tout à fait dissemblable à celle de la vieille puisqu'il furent invités à se rendre directement dans le bureau du Dr Singfried qui les accueillit beaucoup plus calmement. Ses doigts étaient entortillés autour d'un stylo, exprimant une certaine nervosité et il lançait à chacun un regard agité, ne s'attardant jamais trop longtemps sur l'un d'entre eux et Stiles déglutit : il connaissait trop bien cette expression. Alors il ferma lentement les yeux, prit une profonde inspiration, s'accrocha à la pensée que Derek était auprès de lui et qu'il serait là pour le soutenir si jamais la nouvelle que le médecin s'apprêtait à lui annoncer ne le détruisait pour de bon. Car il le savait, aucune bonne chose ne sortirait de cette entrevue.
Avec un raclement de gorge, le Dr Singfried les invita à s'asseoir et Stiles, ne pouvant pas décemment supporter l'étouffement qu'il sentait poindre dans sa poitrine, ne put s'empêcher d'articuler, couvrant le silence par une intervention sans fondement.
« J'imagine que ce n'est pas une intoxication alimentaire », ricana-t-il gauchement.
Il avait voulu détendre l'atmosphère mais n'obtint qu'un simple haussement de sourcils ce qui lui donna soudainement envie de foutre son poing dans la figure du médecin qui hésitait à prendre la parole, comme s'il se préparait à lancer une sentence de mort. La respiration de Stiles se faisait plus rapide à mesure que les secondes passaient et que des scénarios, tous plus effroyables, traversaient son esprit et qu'il se demandait s'il n'allait pas ressortir avec un pied à moitié dans la tombe. Il dut remarquer son air pâle car il consentit enfin à abréger ses souffrances.
« Je vais être honnête. Comme je ne sais pas du tout si vous vous y prépariez, je préfère vous annoncez la nouvelle de manière ouverte. »
L'hyperventilation. Stiles avait lu quelque chose là-dessus.
« Vous attendez un enfant, Stiles. »
Qu... ? L'expression qui traversa le visage de Stiles aurait pu être comique si la situation n'était pas aussi invraisemblable. Il lui fallut quelque temps pour que les rouages de son cerveau ne se remettent en place et qu'il puisse attribuer un sens aux paroles qui venaient d'être prononcées. Ouvrant la bouche avant de la refermer presque aussitôt, il battit des paupières et patienta, laissant son rythme cardiaque adopter un tempo correct. Il pouvait le faire, il pouvait affronter... La peur, cette amie avoisinante et vicieuse, s'insinua alors en lui comme un poison traversant ses veines, abandonnant derrière elle un frisson glacé et malsain. Il sentit malgré lui ses membres trembler.
« Attendez, qu'est-ce que ça veut dire, c'est une expression pour le cancer ? J'ai un cancer, c'est ça ? »
Comme le médecin ne répondit pas, il se retourna alors vers Derek, les yeux levés vers lui dans une vaine recherche de réconfort, lequel avait perdu son apparente hostilité et observa l'homme avec un calme qu'il avait appris à ne pas apprécier, posant une main lourde sur son épaule.
« Je suppose que vous êtes le gène lycanthrope ?
- Je le suis.
- Très bien, souffla-t-il en retirant ses lunettes. Il faut que vous compreniez que ce genre de procédure n'est pas courante mais nous faisons des progrès quotidiens en matière de grossesse masculine. Je vais vous laisser le nom d'un spécialiste et nous pourrions déjà organiser un rendez-vous pour la semaine prochaine... »
Stiles n'écoutait plus. Il avait l'impression d'avoir le souffle coupé, comme la fois où il avait voulu récupérer la vieux cerf-volant du fils du voisin qui s'était emmêlé dans les branches de l'érable, planté dans leur jardin, malgré l'interdiction formelle de Derek de s'approcher de près ou de loin d'une échelle et que, davantage par fierté mal placée, que par réelle conviction d'arriver à saisir la structure, il avait grimpé sans se soucier de la fragilité des branches les plus hautes qui avait finit par céder sous son poids et il était tombé douloureusement sur le dos. Sa chute n'avait pas été longue mais avait suffi pour expulser tout l'air qu'il avait emmagasiné dans ses poumons, le laissant immobile et sans voix dans l'herbe mouillée.
Inutile de préciser que Derek lui avait servi le pire sermon que l'histoire ait connu, une fois qu'il fut installé dans un lit, le dos malmené et la respiration sifflante. Il n'avait eu l'impression de pouvoir inhaler de l'air correctement que quelques semaines plus tard, après avoir dû subir des douleurs à chaque fois que sa poitrine se gonflait. Aujourd'hui, alors qu'il était assis sur sa chaise, Stiles eut la sensation qu'on avait extirpé de force tout l'air qu'il avait stocké jusque là, perdu dans une réalité qu'il ne saisissait pas, troublé par la conversation qui se déroulait sans lui entre les deux hommes, comme si ce dont ils étaient en train de discuter avait un sens et que celui-ci n'arrivait pas à faire jour dans l'esprit de Stiles. Nauséeux à nouveau, il se leva si brusquement que sa chaise se renversa, ouvrit la porte comme si sa vie dépendait du temps qu'il passerait dans cet hôpital et s'enfuit.
Il passa devant l'accueil, ignorant les regards surpris que lui lancèrent les patients agglutinés dans la salle d'attente devant son attitude, ne prit pas la peine de s'arrêter près de leur voiture et pénétra directement dans le parking, accélérant alors qu'il n'avait aucune idée de l'endroit vers lequel il se dirigeait mais sachant qu'il devait s'en aller.
« Stiles ! Stiles ! »
Un bras vint le tirer fermement en arrière et bientôt, les mains de Derek se retrouvèrent sur son visage, essuyant des larmes qu'il n'avait pas eu conscience de verser et calant son visage au creux de son épaule, le blottissant dans une étreinte qui le rassura instantanément, diffusant une chaleur qu'il n'avait pas eu conscience de convoiter. Mais ce sentiment d'angoisse réapparut lorsque Derek ne dit pas un mot mais le serra plus fort et Stiles eut besoin de savoir qu'il n'avait pas rêver, qu'ils étaient sur la même longueur d'onde tous les deux.
« Tu avais raison, ce gars est un détraqué. On ira dans une autre clinique, voir un autre médecin compétent, cette fois. On fera des tests, des tests qui prouveront que tout ceci n'était qu'un ramassis d'idioties et on en rigolera. Je le raconterai à mon père et il se moquera de moi pour n'avoir ne serais-ce qu'imaginer que... que... »
Derek l'étouffait presque à présent mais il ne pouvait plus parler de toute façon, sous peine de lâcher un rire hystérique ou de se prendre la tête entre les mains, en espérant se réveiller d'un rêve étrange, celui dans lequel il ressortait toujours groggy et sonné, encore à moitié plongé dans le sommeil, le cou engourdi, prenant plusieurs secondes pour se rendre compte que ce n'était que ça, un putain de rêve.
Un peu plus tard, assis sur le carrelage de la salle de bain, Stiles tenait la petite boîte en carton tellement fort que sa main tremblait, fumant de rage face à la petite barre qui se dessinait sur l'écran, le narguant devant sa bêtise, alors qu'il essayait de comprendre ce qui avait pu mal tourner. Parce que recroqueviller dans son coin, après être rentré de son rendez-vous désastreux, il ne pouvait maintenant que penser, se rendre compte de la profondeur de la situation boueuse dans laquelle il semblait plongé, l'absorbant pareille à des sables mouvants et bientôt, il sentit ce poids à l'intérieur de lui, qui rendait tout plus épais et obscur et ne laissait transparaître qu'une chose : le ressentiment qui rongeait ses entrailles et abandonnait un arrière goût amer au fond de sa gorge.
« Menteur », siffla-t-il en balançant le dix-neuvième test de grossesse à la poubelle et en en déballant un nouveau.
Parce qu'il avait besoin d'être sûr. Parce qu'une décision devait être prise et qu'il n'avait pas besoin qu'un stupide diagnostic vienne déclencher un chaos enragé, excité à l'idée de pouvoir semer sur son passage, ravage et destructions. Il avait pris du temps pour construire cette vie dans laquelle il s'épanouissait. La meute avait pris du temps à se construire en tant que réel dynamique. Il avait pris du temps à se fondre dans son nouveau boulot, à délaisser et compter sur les autres et ne pas bûcher à s'en rendre malade, persuadé de pouvoir s'en sortir seul. Derek et lui avait pris du temps à se façonner un foyer, à apprendre à vivre ensemble, à ne pas laisser leur orgueil prendre le dessus, même s'il s'agissait là d'une tâche compliquée, semblable à un combat quotidien et sans répit. Mais comment était-il sensé lutter contre ça ?
La peur de tout perdre, de voir tout ce à quoi il tenait lui être arraché laissait en lui un sentiment de panique presque suffocant. De quelle manière pouvait-il prendre une décision au juste, comment devait-il réagir ? Rien n'avait de sens. Il eut soudainement envie de rigoler, nerveusement alors que son monde venait de s'écrouler autour de lui. Peut-être que s'il fermait les yeux... peut-être que s'il le souhaitait très fort, tout disparaîtrait. Il se réveillerait dans son lit, insouciant du tremblement qui venait de bouleverser sa routine si, si plaisante et familière.
Un frappement sourd porté sur la porte le fit lever les yeux vers un Derek à l'air absent et hésitant.
« Est-ce que ça va ? » Son ton vulnérable et peu habituel le poussa à ne pas retourner cette colère injustement contre lui, et s'il ne pouvait pas lui mentir, il tenta alors d'être le plus honnête possible. Se mettant sur ses pieds, il referma la porte du placard.
« Ça ira. »
En jetant un œil au test toujours entre ses mains, il savait que sa décision était prise, celle qu'il savait juste car elle avait pour but premier de conserver ce bonheur d'un effondrement précoce. Il n'avait plus qu'à faire en sorte que tout aille dans ce sens.
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Les bras croisés sur son torse, Stiles fusillait Alan Deaton du regard qui, assit à son bureau, ne semblait pas prendre conscience de la fébrilité du jeune homme, qui se tenait aux bras de sa chaise pour ne pas se jeter sur le vétérinaire et enrayer cette passivité qu'il affichait en toute occasion, sans chercher nullement à paraître contrit ou fautif. Il n'essayait même pas de croiser son regard, préférant assommer Derek d'histoires lupines et autres mythes grotesques, discutant de différentes composantes à coordonner, aménager, planifier, à propos d'une situation sur laquelle il n'avait strictement aucun droit. Et ce fut certainement ça, le fait qu'il ne prenne pas la peine de l'intégrer, prenant comme argent comptant le fait que Stiles approuverait sans un mot, persuadé qu'il était de connaître les sentiments de l'humain. Il n'en était rien.
« C'est une blague, hein ? Vous plaisantez ? »
Cette démonstration de son étonnement parut couper Deaton dans son élan qui, doucement, jeta un regard indulgent à Stiles, patientant visiblement qu'il précise le contenu de sa pensée. Son irritation augmenta d'intensité. Il se leva brusquement et pointa alors un doigt accusateur vers l'homme.
« Vous étiez celui qui disait que ça ne pouvait pas arriver. Vous étiez celui qui assurait que c'était quelque chose d'inimaginable, d'impensable. Vous étiez le premier à certifier que les risques étaient infimes, au point qu'il n'était même pas utile de l'imaginer. On vous a cru. J'ai même accepté de boire votre breuvage répugnant pour être certain d'être à l'abri de tous préjudices et vous nous dites maintenant que les probabilités ont changé ?
- J'ai commis une erreur de jugement.
- Ouais et une putain d'erreur. »
Il sentit le regard de Derek lui brûler la nuque mais il ne releva pas. Il avait conscience d'être à fleur de peau mais la problème était trop grave pour être pris à la légère. Il avait besoin de savoir comment et pourquoi. Comment ça avait pu arriver. Pourquoi est-ce qu'ils n'avaient pu l'empêcher ?
« J'ai pris contact avec des amis très bien formés pour ce genre de grossesse et j'ai pu moi-même assisté à une opération, et me documenter sur le sujet. Je suppose que vous êtes déjà suivis par un praticien mais je pourrais...
- Non, non, sans façon, vous nous avez poussé dans ce guêpier, on saura s'en sortir sans votre aide. »
Il ne sut si l'homme se sentit soudainement l'âme d'un repentant ou s'il faisait tout simplement fit du taux d'acidité qui transparaissait dans sa voix, mais il n'objecta pas, préférant ne pas envenimer les choses.
S'attendant à un peu de soutien, Stiles fronça les sourcils face à l'air peu amène qui traversa subtilement les traits de Derek. Il secoua négligemment les épaules, l'invitant à s'exprimer. Derek hésitait, bataillant pour ne pas laisser échapper de mauvaises paroles, trop facilement détournées de leur sens et risquant par là-même, de transformer la situation en bataille des personnalités.
« Je pense... je pense que nous devrions prendre le temps d'en discuter avec Alan. » Il rajouta lorsqu'il aperçut les yeux de Stiles s'arrondirent, signe indéniable qu'il se sentait trahi, « quoi que tu penses, ce n'est pas de sa faute, Stiles. Il a en plus déjà eu à faire à ce genre de cas, son aide pourrait être précieuse et je sais que ma mère en a déjà été témoin, c'est moins rare que ce que l'on pense. J'ai un cousin éloigné qui a mis au monde des jumeaux, il doit y avoir six ou sept ans. »
La grimace que Stiles afficha l'arrêta avant qu'il ne comprenne ce qui l'avait causé et qu'il ne se pince l'arête du nez, comme déjà exaspéré à l'idée de la réaction que ça allait générer.
« Attends, attends, tu as appelé ta mère ? Tu as appelé ta mère, Derek ?
- Oui, Stiles, je l'ai appelé. Et sincèrement, je ne comprends pas ce que tu y vois de si surprenant, c'est ma mère.
- Bon Dieu, Derek, c'est ta mère. Toute la meute doit déjà être au courant.
- Je suis désolé que ça te pose un problème, vraiment. J'avais juste... besoin d'en parler à quelqu'un. Tu n'es pas le seul à être dépassé par tout ça. Tu n'as pas eu envie d'aller le voir ? Il devrait être... »
Cette fois, Stiles vit rouge.
« Pas question. Personne ne dira rien à mon père, c'est compris ?
- Pourquoi ? Insista-t-il alors que Stiles était persuadé qu'il allait laisser tomber le sujet. Il n'avait pas besoin de parler de ça. Tout ce qu'il voulait, c'était retourner chez lui et effacer cette satanée journée.
- Parce que.
- Pourquoi pas, tu ne crois pas qu'il aimerait savoir, Stiles ?
- Parce que je ne veux pas lui faire de la peine quand il saura que je m'en suis débarrassé ! »
Il ferma les yeux, serrant les dents alors que les mots lui avaient échappé sans qu'il n'ait aucun contrôle dessus. Voilà exactement pourquoi il avait voulu éviter cette conversation, pour ne pas devoir affronter le regard hanté que Derek lui envoya et encore moins l'air surpris puis compatissant que Deaton pensa souhaitable d'arborer. Lui aussi avait compris le fond du problème, du réel problème. Pas seulement celui qui les pousserait à adopter un changement de leur mode de vie. Pas seulement celui qui les amènerait à avoir une réunion de famille dans des conditions un peu particulières. Non, il s'agissait de la véritable affaire, celle qui se plaçait à l'origine de leur situation et qui rendait sa résolution si difficile. Alors quand Derek bégaya presque sa phrase, il déglutit mollement, conscient de la tempête qui n'allait pas tarder à les emporter dans un déchaînement de rafales éprouvantes et meurtrières.
« Tu... quoi ?
- Je n'en veux pas. Il affirma fermement, résolu à ce que ce constat s'imprègne définitivement dans les esprits de chacun. Mais perdit un peu de son aplomb quand Derek parut encore plus échauffé, ses sourcils froncés et la mine grave.
- S'il te plaît, ne m'envoie pas ce regard. Tu le savais, tu le savais que je ne voulais pas d'enfants. Tu le savais quand tu as dit je le veux devant le maire. Ne me blâme pas pour ça.
- Et donc, tu as choisi de prendre cette décision tout seul, sans m'en parler ?
- Parler de quoi ? C'est mon corps, Derek et j'ai décidé qu'aucun être n'en sortirait. Je ne crois pas que cela fasse de moi un monstre pour autant.
- Peut-être du fait que je suis ton mari, Stiles. Et que...
- Et quoi ? S'avança Stiles qui avait peur de connaître la suite de cette pensée, trop abasourdi de comprendre ce qui s'y cachait derrière. Est-ce que tu crois que le fait qu'on soit marié te donne une prérogative sur l'utilisation de mon ventre ? »
Le regard de Derek s'assombrit et Stiles se demanda alors s'il n'était pas aller trop loin.
« Ce n'est pas ce que j'ai dit. »
Cela eut le don de lui faire perdre un peu de sa verve alors qu'il comprenait qu'il avait blessé le jeune homme. Il savait que ce n'était pas ce qu'il était en train d'insinuer, que Derek ne l'obligerait jamais à faire quelque chose qu'il ne voulait pas. Il ne pouvait cependant s'empêcher de se sentir acculé, retenu par le choix de satisfaire ou de démolir. Cette perception d'être partagé entre deux décisions laissait un sentiment terrible, celui de se sentir coincé dans une impasse, dans l'impossibilité absolue de rejoindre son souhait, obliger de rester planté là, à les observer se faire du mal mutuellement. Il savait que Derek le méritait, qu'il méritait d'être totalement heureux, d'avoir tout ce qu'il désirait dans cette vie qui ne l'avait pas ménagé. Il méritait d'être père, d'avoir des jeunes enfants autour de lui qui l'appelleraient papa, de les sentir dans ses bras. Des enfants qui le couvriraient d'amour et d'admiration car Derek était un homme bien.
Malheureusement, Stiles était incapable de lui procurer ce dont il rêvait secrètement et qu'il avait bien conscience de briser, particulièrement en sachant désormais qu'il y avait une possibilité pour qu'il... Enfin, qu'il lui offre ce qu'il espérait. Une pointe de culpabilité, vicieuse et moralisatrice vint se loger dans un coin de sa tête et Stiles sut qu'il devrait probablement vivre avec elle, l'assumer sans d'autres choix et se rendre compte chaque jour, le reste de sa vie, qu'il ne méritait pas l'homme avec qui il vivait. Mais il ne pouvait pas faire ça. Pas pour lui ni pour l'enfant à naître. Il devait penser à ça s'il voulait pouvoir soutenir à nouveau le regard du brun sans se sentir fléchir face à une vague de remords trop colossale. Même si ça signifiait devoir le perdre en cours de route. Il ne serait pas celui qui détruirait la vie d'un enfant innocent. Alors, il lança une dernière fois un regard à l'homme devant lui, adoptant une expression impénétrable avant de déclarer, un peu faiblement :
« Je ne veux pas d'enfant et tu le savais. »
Les choses se dégradèrent dans les jours qui suivirent. Ayant chacun repris leur boulots respectifs, Stiles et lui ne s'adressaient la parole qu'en de rares occasions. La maison était inhabituellement silencieuse, comme si chacun d'eux était trop apeuré pour ne serais-ce qu'élever la voix. Ils ne se voyaient que pour aller dormir, quand Stiles ne rentrait pas à des heures tardives et où il découvrait Derek déjà endormi sous les draps, qui se levait ensuite très tôt le matin pour reprendre son poste pendant que Stiles continuait sa nuit de sommeil. Il mentirait s'il disait que cette situation lui convenait mais depuis la discussion au cabinet du vétérinaire, il ne savait comment approcher l'homme sans avoir peur de dire les mauvais mots et d'aggraver les choses sans le vouloir. Mais tout semblait lui échapper, comme passant à travers ses doigts alors qu'il tentait d'attraper de la fumée.
Alors, il l'évitait, ne cherchait pas nécessairement sa présence quand celle-ci venait à manquer. Il avait parfois l'impression d'être revenu des années en arrière, quand chaque pas mené vers Derek paressait gigantesque et menaçait à tout instant de le faire se fracasser contre un mur. Ils n'étaient pourtant plus des enfants mais se trouvaient de la même manière dans l'incapacité d'exprimer leurs sentiments bien que partageant la vie de l'un et de l'autre. Son effacement dut se faire remarquer au bureau car Neal ne cessa de lui demander ce qui ne tournait pas rond chez lui après qu'il ait renversé trois tasses de café à la suite, officieusement mis en panne l'imprimante de service et échangé à plusieurs reprises les plans qu'il devait terminer avec ceux d'autres dossiers. Il n'avait même pas répondu à l'invitation de Kamal pour son anniversaire, échouant simplement le cadeau sur ses genoux et prétextant un rendez-vous avec son mari qui lui valut des regards en coin de ses deux amis. Si seulement.
Il n'avait prévenu personne, pas même son père et il repensa aux paroles de Derek et se sentit lamentable. Il s'en était pris à lui pour s'être entretenu avec sa mère alors que lui-même n'avait envie que d'une seule chose, trouver le réconfort d'un père qu'il savait là pour lui, en cas de besoin. Mais il était effrayé à l'idée de lui expliquer pourquoi ça n'allait pas, bien qu'il sache que son père ne le jugerait jamais pour un choix qui était le sien. Il ne supporterait pas de voir la déception dans ses yeux, de désappointer, de ne pas répondre aux attentes d'une nouvelle personne, encore une fois. Alors, à chaque fois qu'il était sur le point de tout lui raconter, ses pensées finissaient par le trahir au point qu'il reposait systématiquement le téléphone et s'en allait trouver une autre occupation qui ne le ferait pas penser à son père, ou à Scott.
Les repas aussi étaient embarrassants et Stiles se surprenait à ne pas lever les yeux au ciel face aux banalités qu'ils étaient capables de proférer, laissant planer le véritable sujet sans jamais l'évoquer, pas une fois. Stiles ne savait pas comment interpréter cette sorte de mur qui se façonnait de secondes en secondes, aménageant un fossé qu'il n'était pas sûr de pouvoir franchir. Ironiquement, Derek ne semblait pas en colère. Il n'avait émis aucun reproche, ni cherché à voir davantage d'explications et s'intégrait dans une nouvelle routine qui donna à Stiles l'envie de s'arracher quelques cheveux au passage car s'il y avait une chose dont il pouvait se vanter après toutes ces années, c'était de connaître le loup et d'identifier la contrariété quand elle se tenait bien réelle devant lui.
Mais il ne savait pas si Derek était blessé qu'il ne lui ai rien dit ou alors... s'il avait espéré que Stiles change d'avis au sujet de l'enfant, ce qui rendait encore plus difficile toute tentative de communiquer. Celui-ci avait également un don pour se murer dans le silence lorsque les choses le dépassait ou qu'il souhaitait par-dessus tout soustraire à la vue de tous une émotion qu'il jugeait comme ne lui appartenant qu'à lui seul. Perdu dans une sorte de bulle, dont les contours étaient presque indestructibles. Stiles avait d'ailleurs mis un point d'honneur a tenté de les abattre pièce par pièce. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, il n'avait pas la force de se battre. Il se gratta l'arrière de la nuque, songeur.
« J'ai appelé le centre d'IVG tout à l'heure. Sa voix avait pris quelques hauteurs sur la fin mais Derek n'avait pas paru surpris qu'il prenne la parole alors qu'ils baignaient dans un silence presque total depuis presque une heure. Pour le rendez-vous.. tu... tu seras là ? » Une fois dit, il se sentit particulièrement stupide, comme ne méritant pas de le demander.
Mais encore une fois, Derek le surprit quand, après avoir avalé son verre d'eau, il le détailla, dérouté par cette question qui éveillait tant de doutes chez le jeune homme et qui allait apparemment de soi pour lui.
« Je serais là. Bien sûr que je serais là, rajouta-t-il et Stiles ne sut pas vraiment s'il l'avait fait pour d'autres raison que de le rassurer.
- Oh. Bien. D'accord. »
Il voulut se frapper le front face à sa manie de déblatérer inutilement, comme si la situation n'était pas assez gênante mais ne put quand même s'empêcher de ressentir une pointe de réconfort. Derek l'accompagnerait, le soutiendrait dans son choix, même un qu'il désapprouvait et il considéra le silence autrement, concédant de laisser à Derek le temps qu'il fallait pour digérer la nouvelle. Tout irait bientôt mieux, il n'avait qu'à laisser sa place au temps. Il formerait bientôt à nouveau une famille, cette période difficile ne durerait que l'intervalle menant à l'intervention. Jusque là, il n'avait qu'à... prendre sur lui comme lui le faisait pour supporter sa décision, pas vrai ? Ça fonctionnait de cette manière, on faisait des concessions pour l'autre, pour avancer et pour apprendre à se construire. Il suffisait d'être patient et inutile de dire que Stiles n'en était pas véritablement pourvu.
Pour tenter de se changer les idées face à l'angoisse que provoquait l'approche de la date fatidique, Stiles finit curieusement par calmer son agitation en fourrant toutes ses idées dans un coin de sa tête, qu'il décida de n'ouvrir que lorsqu'il serait couché et qu'il serait alors libre de se torturer sans personne pour le couler derrière des inquiétudes et il se concentra sur son boulot, au point que ses amis soupçonnèrent un début de bipolarité, lui qui avait si mal commencé la semaine. Mais, il les ignora également – se trouvant d'ailleurs une aptitude étonnante dans le domaine – et vécut durant plusieurs jours de café et d'études de terrain. Il avoua que se fixer de cette manière sur quelque chose d'aussi objectif le soulagea profondément, trop occuper qu'il était pour penser à ce qu'un retour à la maison signifiait.
Il annula deux déjeuners avec son père, effrayé à l'idée qu'une fois face à lui, il craquerait et lui déballerait tout, préférant alors jouer la carte de la sécurité, non sans souffrir de cette soudaine mise à l'écart. A la place, il se plongea dans son travail et son projet se trouva sans surprise à se concrétiser beaucoup plus rapidement que prévu mais même les félicitations que lui offrit Louis n'eurent pas la saveur qu'il avait imaginé, lui laissant juste une sensation de vide et de profonde déconvenue. Il secoua tout de même la tête après que celui-ci lui ait administré une tape amicale sur l'épaule et retourna s'installer devant son pupitre, achetant au passage un sandwich, seul repas qu'il eut ainsi de la journée et renifla quand il s'aperçut que la batterie de son téléphone l'avait abandonné au cours de la soirée.
Ce soir-là, il rentra particulièrement tard et fut étonné de trouver Derek, assis sur le canapé, la tête entre les mains et s'immobilisa face au regard déchiré et voilé que lui lança l'homme et auquel il se retrouva subitement sans armes. La panique commença alors à s'immiscer en lui comme un poison dans ses veines et son rythme cardiaque s'emballa. A la recherche d'une éventuelle blessure, il fit voler son regard sur le corps de Derek qui parut pourtant ne porter aucune séquelle et ne sachant que faire, hésitant entre rester sur place ou se jeter vers lui et le supplier de lui dire ce qui n'allait pas. Au lieu de ça, il baissa la tête et observa les papiers que Stiles avait en main.
« Tu es rentré. Il est tard et... il s'arrêta un moment pour changer le cours de sa phrase et continua, amorphe : j'ai téléphoné.
- Mon portable s'est éteint, débita Stiles sur le même ton. J'ai oublié de le charger ce matin. »
Il ferma les yeux, soupira et hocha la tête comme pour enregistrer cette information et invita Stiles à s'installer à ses côtés sur le canapé, débloquant ainsi la posture de paralysie que celui-ci avait adopté depuis qu'il s'était aperçu de l'état du loup. Son visage parut un instant fermé mais Stiles devina cette expression comme celle qui signifiait qu'il luttait pour trouver ses mots aussi, il ne dit rien lui-même, attendant un peu nerveusement que Derek ait refait surface.
« Je suis désolé. Je t'ai fait te sentir coupable et je n'en avais pas le droit. Non, je le sais, ajouta-t-il quand il vit que Stiles s'apprêtait à protester, en pointant son doigt vers sa poitrine. Tu n'es responsable de rien, obligé de rien, Stiles, je veux que tu le saches. Je te demande pardon si tu t'es senti opprimé par ma faute. »
Stiles eut du mal à déglutir après cette tirade et évita le regard de Derek qu'il sentait essayer de deviner ses pensées. Dire qu'il s'attendait à ça serait mentir, persuadé de devoir attendre encore des jours avant qu'il ne s'ouvre, chose qui, en réfléchissant, il n'avait pas fait lui-même, choisissant de reporter la confrontation en espérant ne pas déclencher une catastrophe mais s'en se rendre compte qu'il laissait finalement les choses se détériorées. Derek avait pris sur lui, peiné à l'idée d'être un quelconque poids sur sa conscience alors qu'il avait passé ses journées entières à l'éviter, allant jusqu'à le faire s'inquiéter qu'il ait découcher. Déshérité, il sentit à nouveau cette pointe de culpabilité, qui devenait si familière, venir lui piquer la colonne vertébrale et il eut beaucoup plus de mal à la faire disparaître cette fois.
« On … on n'est pas obligé de prendre une décision aussi rapidement. Derek leva les yeux vers lui, interpellé. Je veux dire... rien ne nous oblige à précipiter les choses, pas vrai. Peut-être qu'on devrait laisser les disputes à demain ?
- D'accord.
- D'accord. »
Et peut-être que demain, il arriverait à se regarder dans une glace sans avoir une intense envie de rendre le contenu de son estomac.
o
Ça lui prit du temps mais il alla finalement rendre visite à son père un dimanche après-midi, nerveux et agité mais se sentant encore plus nauséeux à l'idée de traverser cette épreuve sans lui et le fait de le savoir ignorant commençait doucement à lui ronger la conscience. Il avait besoin de lui et ce, peu importait le dénouement de la situation et continuer à lui cacher des choses transgressait inévitablement la promesse qu'il lui avait faite, alors encore adolescent, de lui révéler tout ce qui ne représentait pas un obstacle à sa vie privée, même s'il s'agissait de loups-garous affamés déambulant dans les rues de Beacon Hills. Alors, il prit sa voiture et se dirigea vers le domicile de son enfance, la gorge un peu nouée, essayant de préparer mentalement un discours convenable mais qui finissait toujours par n'avoir strictement aucun sens.
Le voir ainsi décontracté, les lunettes perchées sur le bout de son nez, son journal roulé à la main et qui posait sur lui un regard étonné de le voir apparaître mais bienheureux fit monter en lui une bouffée de tendresse à l'égard de cet homme qui, durant toute sa vie, lui avait tout donné. Après une étreinte qui dura un peu plus longtemps que nécessaire mais dont il avoua sans gêne en avoir ressenti la nécessité, il s'installa sur le canapé, plus silencieux que jamais ce que ne manqua pas de remarquer le Shérif. Il ne fit pourtant pas mine de lancer un interrogatoire intimidant, se plaça à ses côtés et se contenta de commenter le match qu'il avait jusqu'ici suivit sur la télé de manière approximative non sans garder un œil sur son fils et sur ses gestes qu'il avait appris au long de ses années à traduire et à démêler.
Stiles était en train de rassembler ses idées, rassembler pour lui annoncer quelque chose qu'il savait important et il était inutile pour lui de le brusquer, il lui parlerait quand il serait prêt à le faire. Il ne put s'empêcher pourtant d'attraper les mains du jeune homme qui s'affolaient dans de petits mouvements irréguliers et spasmodiques et de les serrer entre les siennes et Stiles poussa un rapide soupir, éprouvant un certain apaisement. Il n'osa pas se lancer tout de suite, préférant bavarder sur le boulot, ses amis et sa vie un peu désordonnée par les nuits fréquentes qu'il passait au bureau puis finit par arriver sur Derek et se rendit compte que c'était le moment ou jamais de se lancer.
« Il faut que je te dise quelque chose. »
John s'immobilisa sur son siège et tourna son regard clair vers Stiles qui après une dernière inspiration, s'enquit de lui raconter ce que le médecin – ainsi que les multiples tests de grossesse utilisés rageusement – lui avaient révélé. Étonnement, il ne se sentit pas mal à l'aise d'évoquer avec lui, à travers cette nouvelle perspective d'enfant, au bout du compte sa vie sexuelle mais plutôt apeuré à l'idée que son père ne le croit pas et s'imagine qu'il avait finit par perdre l'esprit avec ces histoires de Banshee et autres créatures surnaturelles. Aussi, il ne s'attendit pas à le voir froncer les sourcils en se grattant légèrement la nuque, manie qu'il avait semblait-il adopté, mais ne prit pas la parole pour autant.
« C'est dommage, la télépathie m'aurait vraiment servi en ce moment pour savoir ce que tu penses », plaisanta-t-il, incitant ainsi l'autre à dévoiler ses pensées.
Son père releva les yeux vers lui, semblant réfléchir.
« Comment tu l'as pris ? Est-ce que tu vas bien ? »
Et le souffle que Stiles ne s'était pas rendu compte d'avoir retenu jusque-là, s'échappa hors de lui à une vitesse impressionnante, laissant petit à petit place à une vague de soulagement bien perceptible.
« Je... je crois que je vais bien, avoua-t-il honnêtement. J'ai encore un peu de mal à... il réalisa grossièrement u geste en direction de son ventre avant de se rétracter, Mais je ne suis pas seul, Derek est avec moi et, je pense qu'on peut affronter ça ensemble, qu'on est assez fort pour... »
Il n'eut pas besoin de terminer sa phrase pour que son père comprenne le fond du problème et il lui envoya un sourire fatigué alors que l'autre passa un bras leste autour de ses épaules.
« Écoute, je sais que ce n'est pas une décision évidente à prendre, c'est même... Stiles, j'espère que tu sais que tu ne dois pas être effrayé à l'idée que je te juge ou remette en cause ce qui relève de ton choix mais, je te connais et j'ai peur de comprendre la raison derrière laquelle tu te caches pour avoir recours à cette intervention. Si c'est ce que je crois, saches que tu as tort. »
« J'ai peur, répondit-il, évitant obstinément un sujet un peu trop sensible et préférant ignorer que son père savait. J'ai peur que Derek me déteste, que je n'arrive plus à me supporter après ça. »
- Bien sûr que c'est effrayant, mais pas pour les raisons auxquelles tu penses. Tu n'imagines pas le nombre de fois où le fait de te tenir simplement dans mes bras pouvait me plonger dans des états de panique totale et ce, bien avant que ta mère ne nous quitte. Une légère tension s'installa autour d'eux alors que John évoquait le souvenir d'une Claudia bien trop regrettée pour que son nom ne provoque pas une certaine fixation. Derek ne te détestera jamais, tu entends ? Ce n'est pas quelque chose à prendre à la légère mais je ne veux pas que tu arrêtes ton jugement juste parce que tu penses que tu n'en es pas digne. »
Cette constatation ajouta un poids à sa morosité déjà bien présente. Il commençait à se sentir déraisonné, perdu et il détestait ça. Tout se chamboulait dans sa tête alors qu'il était justement nécessaire qu'il ait les idées claires pour être à même d'agir correctement, en ne blessant personne. N'étais-ce justement pas une preuve irréfutable qu'il n'était pas fait pour ça ? Cet être n'était même pas encore en vie et il était déjà submergé par des questions existentielles qui menaçaient de le rendre dingue. Il n'était pas fait pour ça. Il était trop... lui. Trop bavard. Trop mobile. Trop Stiles. Encore plus déboussolé que lorsqu'il était arrivé, Stiles se renfrogna dans son siège et se mit à se ronger l'ongle du pouce. C'était sans compter sur John et sa capacité effrayante à trouver les mots qu'il fallait pour détendre n'importe quelle situation.
« Sérieusement, qu'est-ce que Derek et toi avez fabriqué pour en arriver là, hein ? »
Oh et voilà ce charmant embarras, revenant en courant s'installer sur ses joues. Il couvrit son visage dans l'épaule du plus grand, secoué par ses rires.
« Oh, papa, pitié. »
A la maison, Derek était en train d'essuyer la vaisselle, en habit de civil, ayant la journée de repos pour vaquer à d'autres occupations que le devoir de s'occuper de ces concitoyens. Stiles s'appuya sur le bar de la cuisine et ils restèrent un moment en silence qui n'était pas totalement oppressant mais plutôt révélateur d'une tension à laquelle ils devaient mettre un terme. Alors ils patientèrent tous les deux que Derek termine son activité, Stiles peu pressé de débuter ce qu'il savait les attendre tout en sachant qu'il s'agissait de quelque chose d'inévitable. Délaissant le nœud qu'il avait dans l'estomac, il se rassura en observant la posture de Derek qui avait l'air ouverte, préparer visiblement à un dialogue et se prenant à espérer que tout ça ne finirait peut-être pas en bain de sang.
« Je pense qu'il faut qu'on parle.
- Ouais, il acquiesça un peu gauchement, tâchant de trouver une dernière once de courage avant de s'installer dans le salon à ses côtés, Ouais, il faut qu'on parle. »
Aucun d'eux ne dit mot, prétextant laissait l'autre commencer plus par nervosité et volonté de concentration qu'autre chose. Mais à un moment, Derek leva un bras vers lui, frôlant de ses doigts son visage comme s'il cherchait d'une certaine manière à l'atteindre. Il ressentit cette caresse comme un geste de détresse.
« Dis-moi ce que tu as dans la tête.
- Je ne peux pas te donner ce que tu veux et... j'ai l'impression.. je sais que tu ne me quitteras pas, d'accord, je te connais mais j'ai peur que dans cinq, dix, quinze ans peut-être, quand tu feras le point de ce qu'est ta vie, tu te dises que ça n'en valait finalement pas la peine. Que je n'en valais finalement pas la peine. Et ce n'est pas grave, tu sais, enfin si, ça l'est mais je comprendrais, je comprendrais si... Il frotta ses paupières, vidé de toute énergie et peinant à trouver ses mots, c'est tellement compliqué. »
Derek était là, à attendre une explication qui lui indiquerait pourquoi Stiles était prêt à jeter par la fenêtre un de ses vœux les plus chers et il était incapable de le regarder en face, incapable de trouver un éclaircissement convenable, se noyant dans son propre esprit.
« Il faut que tu saches que mon choix ne remet absolument pas en question tes capacités, Derek. Je sais que tu serais un père formidable mais je... je ne pense pas être celui qui soit capable de t'accompagner dans cette démarche, tu comprends. Enfin, je suis moi. Et ça, ça c'est un putain de bébé, un être humain, pas quelque chose que je pourrais oublier dans un coin de la maison et récupérer quand il m'en prendra l'envie. »
La poitrine de Derek s'arrêta brusquement de se soulever et il craint d'avoir dit quelque chose qu'il ne fallait pas, s'attendant presque à voir le loup se lever, se précipitant vers la porte qu'il claquerait avec rage, comme désirant s'éloigner le plus rapidement possible de sa personne et de ce qu'il pouvait représenter, écœuré. Alors, il ferma les yeux, fort, serrant ses poings et se demandant pourquoi avait-il fallut qu'il naisse de cette manière, sa nature contrariant toute possibilité de voir un jour cette envie se réaliser. C'était en train de le tuer car à mesure que les jours étaient passés, il s'était rendu compte qu'il en voulait, lui aussi, pas seulement pour Derek, mais pour lui, qu'il serait prêt à donner, à compter les choses différemment, à aimer quelqu'un d'autre... mais il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas, il ne pouvait pas.
« Stiles, cet enfant n'a pas de sens si je ne l'ai pas avec toi. Il faut que tu saches qu'aujourd'hui et maintenant, ce qui compte pour moi, c'est toi. Pas ce bébé. Tu n'en veux pas, on en n'aura pas. Je te mentirais si je te disais que je n'ai jamais fait ce rêve de grande famille avec des enfants courants dans tous les sens, d'avoir quelque chose que je pourrais qualifier comme mien mais tu veux savoir une chose ? Peu importe quel rêve, Stiles, tu y es à chaque fois. Tu es la variable constante de cette grande aventure qu'on a choisi d'emprunter tous les deux. Il prit soudainement fermement sa main et Stiles sentit avant même qu'il n'ouvre une nouvelle fois la bouche que son discours prenait un autre tournant. Alors, ne pense pas à ça une seconde, c'est compris. Ne pense pas à me quitter pour ça. »
Mais malgré des paroles pour le point percutantes, étrangement parlantes pour des mots qui sortaient de la bouche de son compagnon, Stiles ne semblait pas l'entendre, incapable de se sentir rassuré, hanté par des pensées obscures, qu'il tentait d'assembler toutes ensembles comme des pièces provenant de puzzles différents.
« ...C'est mieux comme ça, je dois faire les choses bien, marmonna-t-il davantage pour lui-même car sa voix restait basse et fiévreuse, puis paraissant se rappeler de la présence du brun à côté de lui, il reprit : Est-ce que tu comprends ce que je veux dire ? Tu devrais être le père mais.. pas moi Derek, pas moi. ...et si je le fais pour le bien de ce... de ce bébé, ça ne compte pas, pas vrai ? Même si... même si j'en veux mais que je le fais pour le bien de l'enfant, ça reste une bonne chose ?
- Stiles, je ne comprends pas de quoi est-ce que tu parles. »
Rien d'étonnant. Alors, il annonça la première phrase qui lui vint, totalement inutile et dénué de tout ce qu'il désirait préalablement lui insuffler.
« Je ne saurais pas m'en occuper.
- Stiles, j'ai peur aussi. Je veux pouvoir prendre soin de toi mais j'ai peur de ne pas y arriver, tu n'es pas seul. »
Se pinçant les lèvres, Stiles attendit que la lumière se fasse, ce qui ne tarda pas. Les yeux de Derek s'arrondirent et ses sourcils se froncèrent subitement alors que ses iris brillèrent quelque secondes d'une lueur bleutée et Stiles comprit qu'il était désormais en colère.
« Tu n'es pas effrayé à l'idée d'avoir cet enfant et de changer notre mode de vie, pas vrai ? Tu es effrayé à l'idée d'avoir cet enfant.
- Derek, commença-t-il en espérant ne pas entendre de jugement dans sa voix, je me perds dans certains rayons de supermarché, il m'arrive encore de porter deux chaussettes de couleurs différentes pour aller travailler, je peux manquer deux repas par jour quotidiennement sans ressentir le besoin de changer cette habitude avant que quelqu'un s'en aperçoive. Comment est-ce que je pourrais prendre soin d'un autre ?
- Tu n'es pas moins capable qu'un autre parce que tu es parfois étourdi. Comment penses-tu que Scott puisse élever sa fille ? Est-ce que tu l'as déjà vu au rayon puériculture ? Moi, oui.
- Scott est peut-être naïf et candide mais c'est un loup-garou au cas où tu l'aurais oublié, répondit Stiles qui se sentit frustré à son tour, doter de nouveaux réflexes et d'une super force. Il ne représentera jamais un handicap pour Sloan.
- Un handicap ? Stiles, tu...
- S'il te plaît, tu m'as bien vu, non ? Je considérerais cet enfant comme chanceux s'il réussissait à survivre aux premières années de sa vie à mes côtés. Et tu l'imagines ensuite à l'adolescence, quand il sera assez mature pour se rendre compte que l'un de ses parents n'est qu'un foutu hyperactif qui ne peut pas rester sans bouger plus d'une seconde. Tu y as pensé toi ? Que je puisse lui refiler mon TDAH. Je ne peux pas faire ça. Tu ne sais pas ce qu'on ressent quand a dix ans, ton professeur est obligé d'appeler ta mère pour lui dire qu'elle ne peux pas gérer un élément comme toi dans sa classe, qu'il faut penser aux autres enfants. De devoir prendre des médicaments qui n'ont que peu d'effets en sachant que si tu en prends plus, tu tomberais dans la dépendance et ce serait pire. Je ne sais que trop bien la difficulté de gérer cet état, à ne pas être capable de te concentrer. Je ne veux pas que cet enfant me déteste quand il comprendra que c'est de ma faute.
- Je ne sais vraiment pas pourquoi tu t'obstines à peindre une image de toi aussi dévalorisante, Stiles.
- Parce que c'est la vérité, et tu t'en rendras compte le jour où je l'oublierai dans un restaurant ou sur une aire d'aut...
- Assez, maintenant, je ne peux pas t'écouter raconter des horreurs pareilles, tu m'entends ? Tu ne veux pas d'enfant ? Je le comprends et je l'accepte mais ne me donne pas ce genre d'excuses parce que ça n'est pas la vérité. Tu dit que tu ne pourras pas l'élever, alors c'est tout ce qui compte, hein. Il est donc complètement inutile et hors de propos d'au moins essayer avec ton mari ? Comment je suis sensé prendre le fait que tu n'as visiblement aucune confiance en moi, après toutes ces années ? »
Stiles resta la bouche ouverte, s'en comprendre comment la discussion avait pu en arriver là. Confiance ? Bien sûr qu'il avait confiance en Derek. C'était en lui qu'il ne croyait pas pour gérer ces choses.
- Je n'ai jamais parlé de toi.
- Bien sûr que si. Parce que je suis là quand tu oublies de te nourrir, trop concentré dans ton boulot et tu es celui qui me rappelle de passer chercher du lait quand il en manque. Parce que tu me secoues quand j'éprouve encore du mal à sortir dehors et à me mélanger dans la foule et je t'aide à ne pas courir dans les ennuis, même quand ça te paraît hautement nécessaire.
- Tu suggères donc que je ne doive compter que sur toi dans cette histoire.
- Je te demande de croire en nous. Il passa une main rude dans ses cheveux, et Stiles ne le voyait faire ça que lorsqu'il était sur le point de gronder. Je ne peux pas croire que je sois celui en train de dire ça. Tu es sensé être celui qui croit, en toutes circonstances, même quand celles-ci se trouvent plus proches de zéro que d'une éventuelle victoire. Pourquoi est-ce que ce serait différent, cette fois ? Si c'est parce-que c'est avec moi que tu ne veux pas l'avoir... »
Cette fois, Stiles se précipita vers lui et lui attrapa les mains, ignorant que faire comme geste, que dire pour que le loup comprenne qu'il n'était en rien fautif. Mais plus le temps passait et plus Stiles commençait à saisir ce que Derek tentait d'inclure. Et pour la première fois, il se mit à sa place. Il s'était dérobé sous des principes moraux qu'il jugeait nobles. Mais en réalité, n'avait fait qu'agir pour son propre bien. Parce qu'il n'était qu'un lâche. Il n'avait pas pensé comme il fallait dans cette histoire. Il n'avait fait qu'observer le problème d'un seul angle, obnubilé par ses angoisses. Mais maintenant, il y avait autre chose, une autre voie possible par laquelle il pouvait encore espérer trouver un bonheur rassurant. Peut-être qu'il suffisait qu'il fasse ce pas, qui paraissait si gigantesque à faire mais qui promettait une fin différente.
« Il faut que j'aille faire des courses. On n'a plus de céréales. »
Il tenta d'ignorer le regard peiné qui envahit un instant les pupilles de Derek avant qu'il ne se referme pour de bon, hoche la tête, comprenant que la conversation était terminée et ne se lève sèchement du canapé, probablement pour aller se cloîtrer dans son bureau étant donné qu'il n'entendit qu'une porte claquer. Mais Stiles avait besoin de réfléchir, de tout mettre à plat et pour ça, il était nécessaire qu'il s'éloigne de lui un moment. Alors, il prit ses clés de voiture et s'engouffra dans la fraîcheur de ce début d'après-midi. Il n'avait pas besoin d'aller loin, juste de marcher un peu, descendant la rue, les mains bien enfoncées dans les poches de son sweat, regrettant que dans sa hâte de déguerpir, il n'ait pas penser à attraper une veste plus épaisse. La brise soufflait, accompagnée de quelques gouttes de pluie qui, si peu nombreuses pour qu'il ne se retrouve pas complètement trempé, venaient tout de même s'écraser sur son cou.
Il dépassa l'arrêt de bus et l'épicerie d'Eddy avant de s'installer sur un banc, écoutant les bruits alentours, tentant de mettre un peu d'ordre dans ce que Derek lui avait dit et ce qu'il avait réussi à lui avouer. Il se concentra un instant sur un groupe d'adolescentes qui se précipitèrent sous la devanture d'un étalage de marchandises, gloussant, probablement ravies de pouvoir se retrouver après leur matinée de cours et Stiles se mit à envier cette innocence. A cette époque où il avait foi en tout, préférant presque se mordre la langue plutôt que de répliquer qu'il n'était pas prêt pour partir à l'assaut d'un nouveau défi à mener. Puis, comme soudainement conscient d'un point particulier, il porta son attention sur son ventre qui lui parut si peu familier que la main qu'il plaça par-dessus son vêtement trembla quelque peu avant de finalement reposer dessus, ressentant la légère chaleur qu'il diffusait.
Et puis, aussi simplement qu'il aurait dû le faire depuis plusieurs jours, il se posa la question, sans se cacher derrière des maladies ou un manque de compétences, s'intéressant simplement à ce qu'il voulait réellement. Est-ce qu'au fond de lui, sans penser à ce que dirait son père ou Derek ou n'importe qui d'autres, il désirait avoir un enfant ? Quand la réponse lui apparut, il se prit la tête entre les mains avant de laisser échapper un long soupir de résignation qui s'accompagna d'un hoquet nerveux. Mais au-delà de ça, il ressentit surtout un vrai soulagement, d'avoir pu s'avouer ce dont il avait envie, sans peur que quelqu'un vienne apparaître derrière son dos, lui hurlant qu'il était désaxé, qu'il ferait encore du mal parce que c'était comme ça que fonctionnait les choses. Mais on lui avait ouvert les yeux : Scott lui avait dit que la peur n'était pas un crime, et son père, qu'elle était parfois même bénéfique, tant qu'on apprenait à la surmonter. Et Derek, Derek lui avait montré qu'il n'était tout simplement pas seul. Frissonnant de cette pluie qui commençait à s'intensifier, il se remit à marcher.
Il était tant qu'il rentre à la maison.
Derek ne s'était finalement pas enfermé comme il l'avait d'abord pensé en partant puisqu'il le retrouva dans le salon, occupé à regarder une vielle photo de Stiles et Scott en tenue de Lacrosse, souriant les bras accrochés à l'autre comme des pieuvres. Il se souvenait du jour où elle avait été prise, ça avait été une sacrée journée, un moment où encore une fois, il s'était sentit plus fort.
« Qu'est-ce que c'est que ça Sourwolf, on est nostalgique ? »
Il ne leva pas la tête vers lui, paraissant goûter à nouveau l'image du regard mais le coin de ses lèvres se courbèrent et Stiles eut l'envie de le serrer contre lui. Mais il avait quelque chose à dire avant ça.
« Peut-être, souffla Derek, ignorant de l'expression qui avait traversé le visage du plus jeune. Tu te souviens de cette coupe de cheveux ?
- Plutôt oui, j'ai dû la porter durant la quasi totalité de mon adolescence. J'en sais rien, je crois que je ne supportais pas de les avoir plus longs. »
Parce-qu'il lui rappelait les fois où sa mère y passait ses doigts, lui murmurant des histoires à l'heure du coucher, ou alors quand elle avait simplement l'envie de lui montrer de la tendresse et l'amour profond qu'elle ressentait pour lui. Il ne lui avait donc pas fallut longtemps quand, après son départ et que tout ce qu'il voyait dans le miroir, c'était cette affreuse tignasse brune qu'elle aimait tant et dont le souvenir lui serrait la poitrine, il s'était emparé de la tondeuse de son père et avait ainsi donné naissance à un autre Stiles, différent de celui qui n'avait pas perdu sa mère. Derek sembla comprendre car il ne pressa pas et redéposa le cadre sur son étagère. Il se sentit avancer sans même avoir eu conscience de commander à ses jambes de rompre leur immobilité.
« C'est d'accord. »
Son cœur battait à mille à l'heure et il avait envie de sautiller sur place, contenant à peine son appréhension et, ce fut le meilleur, son début de frénésie.
« C'est d'accord, répéta-t-il sans comprendre et Stiles souhaita le secouer un bon coup. Pour quoi ? »
C'est maintenant.
« Pour le bébé. C'est d'accord... pour tout ça. Il se força à ne pas avoir l'air d'un imbécile. Ce ne fut pas un grand succès. C'est d'accord. »
Il fut un peu surpris de voir la réaction de Derek qui n'était pas du tout celle à laquelle il s'attendait et manqua s'offusquer devant le changement radical de comportement de son interlocuteur. Ses épaules étaient tendues et il put voir l'exact moment où ses muscles se contractèrent et où les deux pans de sa mâchoire ne semblèrent vouloir faire plus qu'un.
« Stiles, ça suffit. Tu ne feras pas ça pour moi, je croyais pourtant qu'on avait été clair à ce sujet.
- Tu n'écoutes pas, ce n'est pas ce que je dis. J'ai dit que c'était d'accord Derek. Tu avais raison et j'étais encore une fois obstiné à ne penser que d'un côté de la balance. Je n'ai vu que les aspects négatifs de tout ça, tout simplement parc que je n'aurais jamais penser qu'on puisse avoir la chance d'en avoir un nous-mêmes. Mais je le veux et je le veux avec toi. Je veux qu'on ait un enfant qui nous ressemble, qui ait tes sourcils broussailleux et qui aime lire sur le canapé, le soir. Un enfant qui soit bon ou alors médiocre en Lacrosse. Qui aime les jeux vidéos et qui nous demande sans cesse de lui acheter la nouvelle console.
- On fera certainement des belles conneries mais ce sera le genre de choses qu'on aimera se raconter toi et moi, dans vingt ans, il se sentit satisfait d'évoquer leur futur parce que c'était exactement là qu'il se voyait finir le reste de sa vie, aux côtés de celui qui paraissait être à court de mot, le scrutant d'un œil profond, comme s'il n'était physiquement capable que de le voir lui. Ça le fit sourire. On fera des erreurs mais on les fera ensemble, pas vrai, alors allons-y. Ayons cet enfant ensemble. »
o
Les semaines suivantes se succédèrent dans une sorte de brouillard épais pour Stiles qui ne comprenait pas comment tout ça avait pu se répandre aussi vite. Par tout ça, il entendait la nouvelle de sa grossesse que Derek et lui avaient d'un commun accord pris la décision de dévoiler au reste de la meute, Stiles peut être un peu moins emballé que son compagnon. Il savait cependant qu'il était plus raisonnable qu'ils l'apprennent de sa bouche plutôt qu'ils paniquent en entendant un second rythme cardiaque, synchrone à celui de Stiles, quand le fœtus sera suffisamment développé pour que celui-ci soit perceptible à leurs oreilles lupines. Ça ne voulait pas pour autant dire qu'il avait hâte de devoir expliquer un phénomène qu'il ne saisissait pas lui-même à des personnes qu'il considérait comme les plus proches de lui.
Ce fut donc à sa plus grande surprise, après qu'il ait subi l'une des conversations les plus embarrassantes qu'il n'ait jamais eu avec Scott « Un bébé ?! Mais, où est-ce qu'il est supposé sortir, Stiles ? », qu'il avait interrompu par un coup de cuillère en bois sur le crâne de celui-ci, les choses retournèrent finalement bien vite à la normale et il se surprit à tomber dans une routine réconfortante. Même Jackson n'avait fait que lever un sourcil songeur lorsqu'il avait passé un appel Skype à Lydia, espérant par-dessus tout que le blond ne serait pas avec elle et qu'il l'avait trouvé là, bien à sa place. Aucune remarque déplacée, pas même un regard en biais, rempli de dégoût ou un roulement de yeux, dépassé. Un simple « en espérant qu'il comprenne de quel côté il soit nécessaire pour lui d'aller récupérer ses gènes, Stilinski » mais ça, ce n'était même pas surprenant.
Combattant un sourire idiot de venir manger ses lèvres, il se promit d'envoyer une boîte de chocolats à son adresse, n'ayant certainement pu supporter un jugement de sa part à un moment pareil. Mais en y réfléchissant bien, il n'aurait pas dû se sentir aussi étonné, le jeune homme étant sans doute celui qui avait le plus évolué entre eux tous. Ce n'était pas tant qu'il était devenu soudainement avenant et incroyablement affable, simplement que Stiles l'apercevait différemment, qu'il ne possédait plus cette hautaineté qui le rendait si peu appréciable mais ayant un nouveau rapport, quelque chose qui s'était apaisé en lui. Stiles ne sut s'il s'agissait de la peur qu'il avait toujours eu en lui, bien qu'il tentait plutôt efficacement de cacher à travers des moqueries et paroles bien souvent blessantes, celle d'être abandonné parce que pas assez bien, et qui avait été atténué par Lydia ou le fait de saisir enfin qu'il appartenait bel et bien à une meute, avec des gens qui tenaient à lui, peu importait le nombre de fois où ses parents lui donnaient l'impression de passer toujours au deuxième plan.
Oh, il continuait à le charrier dès qu'il en avait l'occasion, c'est-à-dire la majorité du temps, mais Stiles avait depuis longtemps classé cette habitude dans la catégorie « Montrer mon affection à travers des boutades » plutôt qu'une réelle tentative de l'humilier. Oui, il éprouvait énormément d'affection pour ses amis. Alors, lorsque Derek avait réussi à lui avouer, après quelques minutes d'interrogatoire forcé, qu'il avait invité sa famille à venir leur rendre une première visite officielle après l'annonce, Stiles n'eut pas le cœur à les priver de ce qu'ils considéraient comme presque vital, après tout, ils avaient toujours fonctionné de cette manière. Il ne s'agissait pas simplement d'une volonté d'envahir leur espace par curiosité mais réellement d'un besoin de se retrouver pour célébrer la venue pas si tardive d'un nouveau membre au sein de leur communauté.
Mais il aurait dû savoir que le soulagement n'était irrévocablement que de courte durée car même s'il pouvait compter sur la maturité et la compréhension de ses amis, il y avait bien une personne qui ferait tout pour démolir sa bonne humeur. Aussi, encore ignorant de sa propre bêtise, il ouvrit la porte après que Derek lui ait affirmé être occupé avec le téléphone et se trouva face à un sourire sardonique qu'il eut l'irrépressible envie d'arracher, arborant une grimace inamicale. Son homologue ne sembla pas peiné par son expression, elle parut même au contraire le réjouir et il tendit le paquet qu'il avait gardé derrière son dos à un Stiles désormais suspicieux, accordant pour l'occasion un air innocent, comme rempli de bonne foi et il sut qu'il aurait dû s'en méfier.
Déchirant le papier cadeau, il en sortit un t-shirt blanc qui n'avait rien de curieux avant qu'il ne le retourne et aperçoive l'inscription « Meilleure Maman de l'année » au dos. Relevant la tête vers l'homme qu'il remercia d'un regard noir et réprobateur, celui-ci se pencha vers lui et chanta presque d'un ton enjôleur :
« J'ai entendu dire que c'était d'occasion. »
Il aurait certainement refermer la porte sur son visage – ou tenter de le faire – si la voix d'une Laura Hale, visiblement excitée et impatiente ne l'avait pas distrait.
« Oh, allez Peter, pousse-toi maintenant, je veux le voir aussi. »
Avant qu'il n'ait pu lui-même se décaler pour les laisser entrer, Laura le coinça dans une étreinte de fer qu'il tâcha de rendre du mieux qu'il put. Il accueillit ensuite les autres un par un et les invita à s'installer dans le salon où Derek les gratifia enfin de sa présence. Celui-ci après avoir salué les Hale, fronça les sourcils face à ce que Stiles tenait dans la main et qu'il n'avait pas eu conscience d'avoir gardé jusque-là et le jeta à sa figure.
« Je déteste ton oncle. Viscéralement. »
L'intéressé ne fit pas mine d'être désolé et s'installa plus confortablement dans le canapé, tirant agacement sur les cheveux d'une Cora qui avait l'air d'être sur le point de lui arracher le bras. Talia s'enquit alors de le questionner sur sa santé et sur son travail, lui demandant des nouvelles de son père, qui n'avait, en l'occurrence, pas pu se déplacer. Il aurait pu se sentir un peu oppressé par tant d'attention soudaine alors que les signes de sa grossesse n'étaient pas encore visibles et qu'il n'était lui-même au courant que depuis quelques semaines mais il y avait autre chose derrière tout ça, une certaine excitation et une affection qu'il sentait évoluer dans toute la pièce. Savoir qu'il pouvait compter sur tant de gens avait bien vite refoulé ce sentiment de peur et de solitude qui l'avait bercé les premiers jours.
Et même si Derek avait tenté de ne pas le laisser paraître, Stiles savait que devoir cacher son contentement avait été dur pour lui, lorsqu'il le regardait sourire vers son père qui le félicitait chaudement, son visage étant libéré des dernières rides de frustration et de résignation qu'il espérait pouvoir dissimuler. Il savait qu'il ne pourrait pas avoir cet enfant s'il ne le désirait pas lui-même mais il pouvait avouer sans honte que de voir son compagnon aussi heureux avait débloqué quelque chose en lui, lui permettant d'observer l'avenir avec un regard plus serein. Leur joie et leur candeur nourrissaient la sienne et il ne pensa plus à la possibilité que son enfant soit malade ou qu'il ne sache pas comment agir dans certaines situations.
Alors quand Laura lui demanda comment il se sentait à propos de ce changement radical, il répondit avec honnêteté qu'il se sentait nerveux mais prêt à un nouveau commencement, à entamer cette étape qui ne ferait que renforcer tout ce qu'il avait construit jusque-là, contrairement à la vision de destruction et de terreur qu'il avait eu en tête auparavant. Pas que la peur est disparue, non, mais elle s'était tarie, n'attendant probablement qu'un pas pour venir à nouveau l'engouffrer dans son étreinte glacée mais Stiles était résolu à ne pas laisser sa paranoïa l'emporter. Parce que ce serait trop facile de s'abandonner à ses vieux démons. Il connaîtrait certainement des difficultés mais il ne baisserait pas les bras. Il n'était pas seul. Il n'était pas seul.
Vint ensuite le rendez-vous avec Deaton que Stiles et non Derek avait pris l'initiative d'agencer, les remords de leur dernière discussion étaient depuis longtemps revenus lui exploser en plein visage et il espérait que l'homme ne lui en tiendrait pas rigueur. Contrairement à ce qu'il avait répliqué, emporté par la colère, ils en avaient besoin, peut-être que plus que n'importe qui, le vétérinaire ayant toujours su répondre à la confiance qu'ils avaient placé en lui.
« Tu devras probablement t'excuser, lui glissa Derek alors qu'ils étaient en route en direction de son cabinet médical.
- Ouais, je sais. »
Derek lui envoya un petit sourire et serra sa main, posée sur sa cuisse. Sans réelle surprise, Deaton les accueillit avec chaleur, sans animosité apparente sur ses traits.
« Écoutez, avant qu'on commence, je voudrais vous présentez mes excuses pour ce que j'ai dit, l'autre jour. J'ai été un véritable abruti et vous ai ciblé comme bouc-émissaire parce que j'avais besoin d'exulter cette panique sur quelqu'un. J'en suis vraiment désolé.
- Aucun mal n'a été retenu de cette entrevue, Stiles, je tiens à te l'assurer. Il est bien normal de se sentir chamboulé par une telle découverte mais je te promets de faire tout le nécessaire pour te venir en aide. Je crois que notre objectif à tous est que cette grossesse se passe du mieux possible. »
Stiles hocha la tête et laissa échapper un souffle rassuré, sentant bientôt le bras de Derek lui entouré la taille. Il les informa tout d'abord de ce à quoi ils devaient exactement s'attendre, leur apprenant des choses dont ils étaient ignorants, leur indiqua la date approximative de la première échographie qu'ils pourraient ensuite aller réaliser à l'hôpital et ensemble, ils déterminèrent ensuite les principaux obstacles qui seraient susceptibles de venir poser un frein à la bonne réussite des neuf mois à venir, essayant de se préparer au maximum à toute éventualité. La grossesse masculine était assurément plus rare mais pas impossible et le fait que le monde dans lequel ils vivaient avait depuis des siècles accepté la cohésion entre créatures surnaturelles et humains n'avait fait que favoriser le phénomène.
Les loups avaient tendance à se rapprocher de personnes selon leurs odeurs et sur ce qu'elles faisaient naître en eux, et moins sur l'identité sexuelle de chacun. Il n'était donc pas si exceptionnel qu'une évolution de la nature ait permis que des gènes mâles puissent également donner la vie au sein d'une meute dont l'un des objectifs premiers était de s'agrandir afin d'être plus forte. Sauf que ce n'était pas sensé arriver pour eux, Derek n'était pas un Alpha, ni le premier né, cette tâche ne lui incombait donc pas. Et pourtant, cela s'était produit. Deaton les mis donc en garde comme le devoir du médecin qu'ils avaient vu avant lui le devait, de leur expliquer que cette grossesse n'était pas sans risque, à la fois pour Stiles et pour l'enfant, notamment au moment de la délivrance mais que s'il se préparait suffisamment à l'avance, les risques s'amenuisaient considérablement.
Stiles considéra un instant cette nouvelle mais sut qu'il ne mettrait pas un terme à cette grossesse parce qu'il risquait de lui arriver quelque chose ce qui eut par contre un peu plus de mal à passer chez Derek. Il tenta de le rassurer : il y avait également des préjudices potentiels pour les femmes, les décès étant étonnamment élevés quand on considérait l'époque dans laquelle ils vivaient et les progrès qui l'accompagnait. Ils ne devaient pas commencer à penser de manière aussi néfaste, cela n'apporterait rien. Ils devaient se concentrer sur les choses à faire. Mais quand Deaton arriva aux précautions à prendre, Stiles ne put empêcher le froncement de sourcils qui les suivit en l'entendant conseiller la mise en place d'un couvre-feu, d'un régime alimentaire spécifique, d'heures de sommeil à prolonger accordées avec des pauses et des siestes d'au moins une demi-heure.
Il manqua contester mais lorsqu'il aperçut la manière dont Derek témoignait de son assentiment en hochant virulemment de la tête à chaque nouvelle charge énoncée par le vétérinaire, il sut qu'il n'obtiendrait rien sur le moment et qu'il aurait besoin de travailler le loup au corps pour espérer obtenir des négociations. Au final, il n'aurait su dire la manière dont il se sentit après être sorti du cabinet, plein de nouvelles images en tête et quelques unes peut-être un peu moins agréables. Le sentiment d'ignorance sur ce qui allait arriver imprégnait encore abondamment leurs pensées bien que chacun tentait d'apporter des réponses là où se développaient les plus grosses incertitudes. Aussi, se promit-il d'au moins essayer de respecter certaines consignes édictées par le vétérinaire – certainement celles qu'il jugerait les moins intrusives – du mieux qu'il pourrait.
Plus tard, dans la soirée, il se rendit comme promis chez Scott pour leur spécial Pizza Time et n'oublia pas de ramener son oreiller sans lequel il ne pouvait fermer l'œil même après tant de temps, projetant probablement de s'écraser sur le sofa, une fois son estomac rempli de délicieuses graisses bonnes à faire monter son cholestérol en flèche. Scott avait déjà programmé la télé, habillé d'un vieux jogging trop serré et un haut de pyjama. Stiles n'avait rien à en redire : il portait son t-shirt préféré des comics. Avachis sur le canapé comme deux vieux garçons, ils n'avaient jamais exempté à la tradition de passer cette soirée privilégiée, même pas qu'en Scott était déchiré entre une Allison débordée, après qu'elle ait repris son emploi suite à la fin de son congé maternité et un bébé quémandant toujours plus d'attention, ni qu'en Stiles peinait à trouver un boulot régulier.
C'était quelque chose dont ils avaient chacun besoin, la promesse de rester ami ne s'étant étonnement jamais brisée même après le passage à des facs différentes, ou à des bouleversements de vie, la notion de meute ayant certainement aidé à ce qu'ils restent aussi soudés, n'imaginant pas une seule seconde que Scott ne fasse un jour plus partie de son existence. Alors quand celui-ci se tourna vers lui avec un sourire en coin, il sut de fait qu'il devrait prendre garde aux prochaines paroles qu'il énoncerait.
« Alors, Derek et toi... vous allez être parents.
- Bonne observation, Scotty, et moi qui pensait que tu n'étais qu'un imbécile, voilà que tu remets toute mes perspectives en doute. »
Scott ne releva pas le sarcasme et joua de ses sourcils en les faisant sauter exagérément avant de lui glisser cette fois-ci un sourire blanc.
« Quoi ?
- Tu sais, le rôle de père, c'est un travail à temps plein. C'est une lutte sans fin pour trouver l'équilibre qui mènera ta progéniture sur la voie de l'excellence. »
Cette phrase eut au moins le don de faire Stiles se soulever de sa position jusque-là si confortable pour le regarder dans les yeux, y trouvant la malice qu'il attendait.
« Oh, est-ce que j'ai bien entendu, tu te la joues paternaliste avec moi, McCall ?
- Tout ce que je dis, c'est que ça doit sûrement te faire tout drôle de voir que je suis en avance considérable par rapport à toi, dans un domaine qui t'es encore complètement étranger, insinua-t-il sur un ton ronflant, ne lui ressemblant pas du tout. Mais dans ma grande mansuétude, j'accepte de te donner quelques petits conseils, ton ignorance étant presque adorable, selon un certain angle.
- Évidemment que tu le ferais, espèce de vantard, t-il en le bousculant par l'épaule. »
Scott enfourna une autre part de pizza, non sans avoir rit de l'attitude de son ami. Stiles, d'un côté, réfléchit à ce qu'il avait accompli lui aussi, pensant à son amour épique avec Allison, ces deux-là ayant semblé être destinés à passer le reste de leur vie ensemble. Il n'avait jamais fait les choses à moitié : était tombé amoureux d'elle de toute son âme, s'était jeté à corps perdu dans ses études, espérant pouvoir succéder à Deaton, étant persuadé qu'il s'agissait du chemin fait pour lui, s'était plié en quatre pour pouvoir être disponible auprès de sa fille quand celle-ci fit son apparition, en plein mois d'octobre. Savoir Scott chef de famille le remplissait d'une fierté qu'il se plaisait à afficher, heureux de voir qu'il avait une vie confortable et paisible, une vie qu'il méritait peut-être plus que n'importe qui, mais là encore, il n'était certainement pas objectif.
« J'étais sérieux, tu es un père génial, Scotty. »
L'autre lui envoya un nouveau sourire, le genre de ceux qui faisait oublier que le monde pouvait parfois être un repaire de brutes et de violence.
« Comme tu le seras. »
Un vrombissement agaçant s'éleva de sous son oreiller et il grogna, baragouina des mots inintelligibles en essayant d'ignorer la gêne, persuadé que Scott ou n'importe qui d'autre mettrait fin à ses souffrances mais le bruit reprit bien vite après s'être arrêté succinctement et il jura sur sa collection de mugs ne plus jamais se goinfrer de cette manière, même si la nourriture lui paraissait sur le coup irrésistible. Tâtonnant à l'aveugle, il dénicha sous la literie un objet qu'il eut d'abord du mal à reconnaître, les pensées encore bien brumeuses, avant de saisir et porter le petit appareil à son oreille, qui rugissait toujours plus décidé.
« 'Lo ?
- Où es-tu ? »
Il eut étrangement beaucoup moins de mal à deviner à qui appartenait cette voix impatiente et ce sentit bien plus réveillé.
« Lydia ? Qu'est-ce que...
- Où. es. tu. Stiles ?
- Je... chez Scott, j'ai dormi chez Scott.
- Je ne vois pas en quoi le fait de dormir chez Scott t'ai empêché de mettre un réveil. Je suis chez toi depuis au moins vingt bonnes minutes, je ne crois donc pas avoir besoin de te demander d'accélérer le mouvement. On a des tas de choses à faire. »
Son téléphone émit un bip, signe qu'elle avait raccroché sans même lui laisser le temps d'émettre la moindre protestation. Il râla, pour la forme et se leva douloureusement du canapé, le trouvant de moins en moins confortable au fil du temps et ne désirant surtout pas penser à l'autre option, celle qui prouvait qu'il se faisait peut-être trop vieux pour ce genre de choses. En se déplaçant, il buta contre le mollet de Scott qui renifla, souleva un bras comme signe de salut et replongea dans un sommeil profond. Stiles l'envia quelques instants avant de penser à la probable remontrance qu'Allison allait lui servir en rentrant et se sentit tout de suite bien mieux. Enfilant rapidement son sweat qu'il avait dû balancer au cours de la nuit par excès de chaleur, il déguerpit aussi vite qu'il put, refermant la porte derrière lui.
Il arriva chez lui, essoufflé, les vêtements froissés et il ne voulait même pas discuter de l'état éventuel de ses cheveux. Lydia était installée sur un fauteuil, le regard rivé vers lui, comme si elle ne comprenait pas pourquoi elle était encore surprise par ce qu'elle voyait et s'enquit de partir à la recherche de Stiles ne savait quoi dans l'immensité que représentait son sac à main. Assimilant ça à une possibilité de prendre congé, il escalada les marches, se brossa les dents, prit une douche (rapide, Lydia allait lui arracher les yeux) et se prépara à la rejoindre. Elle lui embrassa la joue avant de lui lancer un regard plus doux et Stiles sut qu'elle n'était déjà plus en colère. Elle le conduisit en ville, où il s'installèrent dans un café, lui se décidant pour une part de tarte alors que son estomac se plaignait du manque de petit déjeuner et elle se contentant d'un thé noir.
Elle le félicita pour sa grossesse et lui confia sa nostalgie de voir les choses bouger si vite. Sa situation était beaucoup plus compliquée, elle et Jackson menant tous deux des carrières plutôt prenantes, la possibilité pour elle de tomber enceinte, en tout cas dans un avenir proche, ne ferait qu'endommager leurs ambitions professionnelles et altérer leur relation. Elle lui confia qu'il s'agissait quand même de quelque chose qu'ils évoquaient parfois, étant assurée de la volonté de Jackson d'être un jour père, peut-être encore davantage après avoir vécu les angoisses initiées par l'adoption et les questions de son identité qui l'accompagnait. Elle même ne se pensait pas encore prête et Stiles la comprenait parfaitement, elle avait encore le temps et rien ne la pressait, encore moins s'il s'agissait finalement de la rendre malheureuse. Mais ce qu'elle insinua ensuite lui fit manquer d'avaler sa bouchée de travers.
« Oh mon Dieu, Lydia, on ne sait même pas encore le sexe du bébé.
- Bien sûr que nous le savons. Ce sera une jolie petite fille à qui j'apprendrais tout ce qu'il faut savoir de la vie. En particulier, comment profiter de la faiblesse de ses deux pères pour obtenir tout ce qu'elle veut. »
- Je n'en attendais pas moins de toi, qui pourrait apprendre à cet enfant l'art et la manière de manipuler les esprits mieux que le reine elle-même.
- Tes flatteries ne te mèneront nulle part, je la ferais vous menez par le bout du nez, c'est une promesse. »
Stiles secoua la tête et termina sa bouteille d'eau avant de l'accompagner chez le fleuriste, là où elle avait commandé une composition pour un brunch organisé par sa mère et dont Stiles avait totalement oublié l'invitation, à la fin de la semaine avant de passer chez cette dernière qui les accueillit avec toute la classe qui lui était coutumière. Elle souhaitait y emmener Jackson, Nathalie l'appréciant énormément, peut-être car elle le connaissait depuis plusieurs années mais regrettant amèrement qu'ils ne soient pas mariés ce que Lydia n'avait de cesse d'ignorer d'un geste manuel, assurant que rien ne les obligeait à déclarer leur amour sur papier ce qui avait fait rire Stiles, mais celui-ci n'était pas disponible. Il savait pourtant que même sans personne à son bras, Lydia serait sans aucun doute la plus somptueuse de tous les invités.
Arrivé chez lui, il se rendit dans sa chambre pour récupérer son chargeur et s'arrêta un instant devant le miroir, le regard attiré vers son ventre. Il n'avait jamais vraiment pris le temps de s'observer correctement depuis sa première visite à la clinique et le fait de pouvoir apercevoir ce début de rondeur qui pointait sous son pull, logiquement perceptible après les deux mois de grossesse qui s'étaient écoulés, le rendit un peu frustré, ne pouvant s'empêcher d'avoir l'impression de voir sa masculinité lui être en quelque sorte retiré et se sentit immédiatement honteux d'y songer de cette manière. Ce n'était pas tant qu'il avait peur des conséquences à long terme sur son apparence mais plutôt qu'il se sentait... étrange, comme dépossédé de son propre corps. Ce n'était pas familier, ni même réconfortant et donc, laissait un sentiment mitigé quant à ce bouleversement hormonal qui s'agitait sous son regard.
Et il se posa alors des questions. Il se demanda ce que dirait ses collègues de travail une fois que son apparence ne laisserait plus place à aucun doute et qu'il serait dans l'obligation de les prévenir. Le jugerait-il, agissant avec lui différemment ? Et Derek, au final, ne serait-il pas un peu dégoûté et chamboulé de vivre avec lui à travers cette transformation ? Il le savait enthousiaste mais il ne l'avait connu qu'en lui, qu'en Stiles. Comment réagirait-il lorsqu'il verrait l'homme qu'il avait épousé se changer en autre chose ? Cette inquiétude ne faisait que croître avec le temps. Pourtant, quand il pensait au terme de cette étape, à ce qui arriverait à la fin, il ne ressentait au final qu'une sorte d'excitation à l'idée de pouvoir découvrir l'enfant, ce que Derek et lui auraient créé et de le découvrir avec ses yeux, de pouvoir toucher, sentir, comme attiré par une chose qu'il ne parvenait même pas à retranscrire dans la réalité.
« Eh, la voix de Derek le sortit de ses pensées et il se retourna pour lui lancer un petit sourire.
- Eh, Nathalie nous a invité à un brunch dimanche.
- Je suis au courant. Depuis le mois dernier, quand Lydia nous a apporté les invitations et que tu as assuré ne jamais refusé de nourriture gratuite. »
Il renifla, prétextant ne pas être vexé que le loup n'ait pas oublié mais que ça lui était complètement sorti de la tête et brancha son téléphone à la prise près de son bureau. Il l'entendit rire mais laissa, obstiné comme il l'était, au moins une bonne minute s'écouler avant de lui faire face. Il ignora son sursaut quand il vit que Derek s'était approché sans même qu'il ne l'entende faire un bruit.
« Ça te dirait d'aller faire un tour ?
- J'aimerais bien. »
Il sut où Derek les emmenait avant même d'entrer dans la voiture et sentit le sourire qui orna ses lèvres. Il était certain que Talia l'avait poussé à entreprendre cette sortie mais le voir se dépatouiller pour essayer de paraître le plus naturel possible, l'imaginer dans un cadre complètement différent, où il se sentirait probablement mal à l'aise, lui donna envie de le taquiner encore plus. Alors il s'installa confortablement, laissant le silence se poser sans ressentir le besoin urgent de le briser. Une fois la voiture garée devant le magasin, Stiles s'empressa d'aller chercher un caddie, soudainement empressé de rentrer et Derek sourit, levant les yeux au ciel, exaspéré face à son excitation. Ce n'était pas particulièrement bondé et ils eurent tout le loisir de déambuler à leur guise dans les rayons. Derek regardait autour de lui, ayant l'air étrangement plus petit et Stiles le tira un peu par le bras pour l'obliger à presser le pas.
La première chose qui attira son attention fut les commodes à langer. Il en pointa une du doigt à Derek qui s'approcha pour mieux l'observer et Stiles releva qu'elle possédait une partie amovible et une table à langer pliante pour les plus petits espaces. Il imagina alors où ils pourraient la disposer, ne regrettant pas que Derek ait fini par le convaincre d'acheter une maison peut-être un peu plus grande que nécessaire pour une vie à deux. Ils s'étaient décidés d'un commun accord à aménager le vieil atelier de Stiles, celui où il passait des heures entières à gribouiller des croquis dans l'objectif de terminer son book, pouvant passer des journées sans voir personne. Stiles ne s'y rendait que peu de fois à présent, trop occupé par les vrais travaux qu'il avait à réaliser et n'y allait maintenant plus que lorsqu'il n'avait pas eu l'occasion de terminer ses esquisses au bureau.
Ils se séparèrent un moment, Stiles pensant pendant une seconde grotesque que Derek s'était enfui devant l'amoncellement de type de couches qui possédaient une spécialité à elles seules et s'intéressa à des petits pots de conservation et à un doseur de lait quand son regard fut attiré par une jeune femme souriante, assise sur un petit pouf en cuir, le ventre si rond qu'il donnait l'impression d'être sur le point d'éclater. Son visage était rouge comme si elle venait de faire une course depuis le bas du parking, ses deux mains posées à plat sur ses rondeurs, l'air joyeux devant un set de petits bavoirs en coton. Stiles se demanda alors s'il ressemblerait à ça, pas tant sur la métamorphose physique mais s'il serait soudainement aussi facile aux gens de lire son bonheur sur son visage.
Il se baissa pour ramasser une peluche qu'il avait renversé en se penchant pour observer la future maman et sentit une onde de chaleur flotter dans son bas ventre et se dit que ce bonheur était même déjà probablement visible, s'impatientant avec tendresse devant la petite semaine qu'il restait encore avant qu'ils puissent connaître le sexe de l'enfant, s'imaginant chaque jour, avec un peu plus de clarté, auprès d'un petit être dont qu'il aurait la responsabilité de prendre soin. Responsabilité qui, si elle l'effrayait, engendrait également un sentiment d'empressement et de découverte de ce monde qui lui était encore si étranger.
Une secousse sur son épaule le fit sursauter avant qu'il ne découvre Derek, arborant un petit sourire timide. Stiles ne put s'empêcher de sourire à son tour, sourire qui dégringola bientôt lorsqu'il s'apprêta à l'interroger sur les raisons de son absence. L'homme tenait dans ses mains une énorme poussette d'une couleur atroce et indéfinissable qui donnait l'impression de pouvoir se refermer en un claquement sec sur ce qu'ils auraient le malheur de mettre à l'intérieur et il grimaça sans aucune subtilité. Où est-ce que Derek était parti dénicher cette chose ? Pensant momentanément à une blague, il fut vite épouvanté quand celui-ci prit la parole, semblant avoir bien réfléchi avant de prendre sa décision.
« Je l'aime bien. Elle offre de bonnes conditions de sommeil et privilégie la position allongée.
- Redépose-la. »
Il tenta de se concentrer à nouveau sur les draps qu'il avait devant lui mais Derek continuait de jeter des coups d'œils à l'instrument de torture et Stiles se sentit obligé de préciser par peur de retrouver cette chose chez lui.
« Elle est horrible, on ne promènera pas notre enfant dans ce truc, Derek. »
Une vingtaine de minutes plus tard, une employée vint les accoster au rayon hygiène et sanitaire, vraisemblablement alertée par leurs mines déconfites face à la diversité de produits et s'engagea à leur venir en aide bien que son discours à lui seul aurait pu les faire fuir. Elle tâcha tout de même de leur expliquer soigneusement ce qu'il devait avoir concernant les soins du bébé : couches, coton, liniment oléo-calcaire, lait de toilette avec éventuellement une eau thermale, un savon liquide surgras et l'adorable couleur verte qu'arbora un instant la peau de Derek lui fit apprécier cette journée encore davantage. Elle ne dura pas longtemps, remplacée par une teinte de détermination que Stiles affectionna particulièrement.
Il ne doutait pas des capacités du brun, celui-ci ayant eu l'occasion de s'occuper d'une sœur plus jeune et de prendre exemple sur une plus âgée. Il n'était pas effrayé à l'idée de se salir les mains, peut-être un peu nerveux à l'idée de s'occuper à nouveau d'un être spécialement fragile et Stiles concéda une nouvelle fois à se frapper la tête mentalement, songeant à la stupidité dont il avait fait preuve en envisageant qu'il était seul dans toute cette histoire.
« Et celle-ci, qu'est-ce que tu en dis ? Elle a l'air plutôt grande et maniable, il y a assez de places pour y déposer du matériel et le système de poignées est réalisée avec un renforcement de coussinets pour éviter les rougeurs et les plaies. »
Il avait à la main deux notices différentes qu'il était allé récupérer à l'accueil et ses sourcils avaient adopté leur position fétiche, dans un froncement de concentration, comme s'il cherchait à détecter une faille, une précision qui n'aurait pas été mentionnée. L'entendre se focaliser sur ce genre de petits détails en s'investissant de cette manière donna envie à Stiles de se jeter à son cou et de refermer ses bras autour de lui. Au lieu de ça, il s'avança et déposa un baiser sur sa joue.
« Elle a l'air parfaite. »
Ils rentrèrent les bras chargés et le coffre peinant presque à se fermer alors même qu'il n'avait que le tiers de ce qu'ils prévoyaient d'acheter avant la fin de ces neuf mois. Mais il préférait jouer la carte de la sécurité et voir petit, avancer pas à pas sans se presser. Ils déjeunèrent devant la télé, Stiles s'étant réservé une assiette bien copieuse, le ventre criant famine et la tête un peu étourdie. Il but beaucoup et resta assis sur le canapé aux côtés de Derek jusqu'à ce qu'il soit l'heure pour lui d'aller travailler. Ce dernier lui proposa de l'accompagner mais Stiles refusa d'un signe de tête, arguant qu'il n'avait pas encore atteint la taille d'une baleine et qu'il était entièrement capable de se débrouiller, lui volant un rapide baiser avant de s'échapper.
Derek le regarda partir, un peu inquiet mais prêt à lui laisser encore un peu de liberté avant de passer aux choses sérieuses. Deaton avait été clair : pas de surmenage et Stiles était effectivement en pleine capacité d'effectuer son job, il n'en restait pas moins que celui-ci avait tendance à oublier la limite entre le raisonnable et le travail jusqu'à épuisement. Il ne voulait pas paraître trop collant ou moralisateur, de peur que Stiles ne prenne ses remarques pour un manque de confiance ou une dénonciation d'un comportement désinvolte. Il voulait tellement que les choses se passent bien, que Stiles ne regrette pas son choix d'être avec lui que tout lui semblait désormais se tenir en obstacle devant Stiles et la vie qui grandissait en lui. Lorsque la sonnette de l'entrée retentit, il ne fut pas surprit de capter l'odeur musquée de son père qu'il découvrit ensuite derrière la porte, l'air remuant, la tête tournant de tous les côtés.
« Eh, papa.
- Bonjour, mon grand, le salua-t-il. Bonjour, Stiles, il ajouta, haussant la voix exagérément et Derek secoua la tête, retenant un rire.
- Il est parti. Tu peux entrer.
- Oh, génial. »
Ils se dirigèrent tous deux vers le sous-sol que Derek avait aménagé il y a trois ans pour le transformer en sorte de studio, qui était pour le moment constitué d'une salle qui servait davantage de dressing et de salle de sport aménagé plutôt qu'un réel espace de vie. Derek se rapprocha de l'épaisse bâche en plastique qui était posée au sol dans un coin et la souleva, commençant à déplacer les planches de bois qui se trouvaient juste en-dessous. Déposant sa veste sur une chaise, près de la fenêtre, Grégory releva ses manches et s'enquit de donner un coup de mains à son fils, déverrouillant la boîte à outils que Derek prenait toujours le soin de fermer à clé et attrapa ce qui l'intéressa avant de s'agenouiller par terre et de tracer des traits sur les planches, à l'endroit exacte où il devrait les découper.
Derek avait en effet décidé de respecter la tradition familiale et de confectionner lui-même le berceau avec son père. Il savait qu'il faisait plaisir à ses parents en partageant ce moment avec eux et il souhaitait plus que tout voir la tête que ferait Stiles lorsqu'il lui avouerait la surprise qu'il tentait autant que possible de soustraire à sa vue. Stiles, curieux par nature, n'aurait pas fini de le questionner s'il le voyait si souvent disparaître de manière soudaine et volontairement désintéressé, au point qu'il mettrait en œuvre des stratagèmes plus ou moins subtils pour obtenir ce qu'il désirait, à savoir : la possibilité d'assouvir son intérêt. Et Derek ne doutait pas une seule seconde qu'il y parviendrait, il préférait donc mettre toutes les chances de son côté et ne s'attelait à sa tâche que lorsque l'individu concerné était absent.
Ils ne cessèrent pas avant que le soleil ne commence à décliner à travers la vitre, assombrissant la pièce de couleurs orangés. Protégeant à nouveau leur travail avant de refermer la porte derrière eux, Derek ne put empêcher l'expression satisfaite qui orna son visage et que son père eut le temps de voir, lui assénant une tape affectueuse sur la nuque, abandonnant un moment son odeur sur sa peau. Ils restèrent à discuter dans le salon, jusqu'à ce qu'il fasse complètement nuit et Derek le pria de rester dîner avec lui, Greg lui comptant l'excitation qu'il ressentait à l'idée d'avoir de nouveaux petits-enfants. Derek lui raconta à son tour comment cette situation lui comblait mais en même temps, lui faisait constamment se demander s'il s'agissait réellement de la volonté de Stiles et pas d'un final renoncement, après s'être laissé convaincre que ça pouvait marcher. Il voulait que cela vienne de lui, il en avait besoin. Comment pourrait-il se supporter s'il apprenait qu'il avait poussé son compagnon à le faire ?
Son père s'approcha, abandonnant l'assiette qu'il était en train de nettoyer, écoutant patiemment et Derek ne se rendit même pas compte qu'il avait aussi facilement réussi à ouvrir les vannes de ce que Stiles s'amusait à appeler son « complexe affectif ». Mais Greg avait toujours été d'une oreille attentive, se faufilant agilement parmi les loups et les supportant, les valorisant lorsqu'ils étaient en proie à des démons intérieurs, considérant leur nature comme une richesse et jamais comme une malédiction. Il était persuadé que c'était cette nature tranquille et farouchement protectrice qui avait tant attiré sa mère, lui permettant de calmer les ardeurs que son caractère avait tendance à extrapoler. Ils étaient complémentaires, la raison pour laquelle leur meute n'avait jamais fléchi aux attaques et menaces que nombre de gens avaient laissé planer autour d'eux.
Bientôt, le son d'une clé insérée dans la serrure de la porte d'entrée les fit lever les yeux et découvrir un Stiles au teint pâle mais à l'air alerte et ils partagèrent un sourire complice. Ce dernier les salua, refusant l'assiette que Derek lui proposa, assurant avoir avalé deux sandwichs avant de rentrer. Une fois qu'ils finirent d'accompagner Greg à la porte, Stiles se jeta presque sur le sofa, prononçant un gémissement plaintif, les yeux à demi clos.
« Pourquoi tu ne t'es pas assis depuis ton arrivée ?
- Je ne voulais pas paraître grossier devant ton père. J'ai l'impression de m'être fait écrabouillé par un troupeau de buffles et mes pieds sont en feu alors que j'ai passé la majorité de ma journée assis, tu y crois toi ? »
Il termina plus pour lui-même et posa ses jambes le long du canapé. Derek vint s'asseoir en soulevant ses pieds qu'il posa sur ses genoux et qu'il commença à masser, un soupir de bien-être s'échappant des lèvres du plus jeune.
« Oh, pitié ne t'arrête jamais. »
Le brun laissa échapper un petit rire et fit ce qu'on lui demanda. Sentir Stiles se détendre sous ses attentions l'encouragea à s'appliquer, se retenant à ne pas retirer la douleur comme il avait appris à le faire depuis qu'il était gamin, sachant pertinemment qu'il s'insurgerait et s'éloignerait aussitôt de lui alors il pinça les lèvres, magnanime. Il s'était longtemps demandé pourquoi celui-ci refusait constamment qu'on lui retire une douleur qui pour des loups, ne représentait presque rien, si ce n'était cette sensation d'étourdissement qui s'intensifiait à mesure que les minutes s'écoulait avant d'apprendre à connaître Stiles, à identifier cette volonté tenace et féroce de ne pas vouloir se décharger sur autrui, moralement et encore moins physiquement, prêt à accepter sa propre souffrance, y compris lorsqu'elle s'avérait aux bords de l'insoutenable, préférant s'enfoncer dans son obstination.
Plus que le contrarier dans son envie d'effacer à jamais toute trace de peine sur son visage, cette détermination avait fait naître de l'admiration chez Derek qui voyait aussi en cela une force, quelque chose qui promettait de ne pas renoncer et de continuer quoi qu'il en coûte. Et dans un monde où ils n'étaient à l'abri de rien, cet avantage avait eu tendance à le rassurer. Lorsqu'il leva les yeux vers lui, il rencontra un petit sourire, Stiles sachant probablement ce à quoi il avait pensé. Il aimerait que celui-ci s'ouvre davantage et n'essaye pas de lui faire oublier ce qu'il souhaitait initialement par le biais d'un verbiage incompréhensible et précipité auquel il avait le secret et dont il s'employait sans modération. Stiles leva alors un sourcil en signe d'interrogation et Derek se mit à lui caresser la cheville, la bouche sèche.
« Je ne veux pas que tu me tiennes à l'écart de tes pensées ou de ce que tu ressens.
- Ça a l'air sérieux, commenta-t-il, se redressant sur ses jambes et venant s'accoler au plus âgé.
- Ça l'est. Je veux que tu te sentes bien. Ici. Je veux que tu te sentes libre de te sentir mal. Je ne te jugerais certainement pas sur ce cas. »
Stiles garda le regard fixe pendant quelques secondes avant qu'un sourire en coin ne vienne cette fois ajouter une pointe d'espièglerie et il agrippa tendrement les cheveux courts du loup, lui caressant la nuque.
« Eh, bien, tu en utilises des mots aujourd'hui, Sourwolf. Tente ta chance et commence la rédaction d'un bouquin. »
Derek grogna mais laissa l'expression de joie pure étreindre son visage, resserrant la prise qu'il avait autour de sa taille, le basculant sur le canapé et plaquant des baisers le long de son cou et sur sa mâchoire, le rire de Stiles illuminant la pièce avec force.
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Derek éteignit rapidement l'ordinateur, assemblant ses fiches avec brusquerie avant de ranger son badge et de vider sa tasse de café froid dans l'évier de la salle commune. Il n'avait même pas eu le temps de se changer ou de repasser chez lui essayer de rassembler quelques affaires mais tout ça devrait attendre désormais. Il était déjà quinze heures et il n'avait absolument aucune idée de l'endroit où il avait déposé ses clés, traversant les allées entre son bureau et l'accueil dans des mouvements secs et hostiles à toute personne ayant un instant le désir de débuter une conversation avec lui. Peu importe, il penserait à être amical une autre fois, là, tout de suite, il avait besoin de mettre la main sur son stupide trousseau, d'attraper sa veste et de filer le plus vite possible.
« Tu vas te faire allumer. »
N'ayant pas besoin de se retourner pour reconnaître l'identité de son interlocuteur, il saisit son téléphone qu'il fourra dans sa poche, passant devant Oléana en évitant de la bousculer dans sa course.
« Je sais. Pointe ma fiche pour moi.
- Compte sur moi. »
Son cœur tambourinait dans sa poitrine de manière désordonnée et il envisagea un moment d'abandonner sa voiture, le moteur encore chaud avant de se morigéner, comprenant bien que son comportement irait à l'encontre de ce qu'il prônait tous les jours et s'engagea dans le parking, manquant buter sauvagement dans le véhicule garé en face et s'en voulant à peine. Il passa devant le standard dans un coup de vent, escaladant les marches sans avoir peur une fois de manquer une marche, moins par confiance en ses réflexes que par volition d'arriver enfin à l'endroit qu'il désirait. Il n'avait pas besoin de lire les numéros inscrit sur les portes qu'il dépassait pour savoir laquelle contenait ce qu'il cherchait, son odorat lui étant parfaitement utile dans cet exercice et il entendit bientôt des voix familières et un rythme cardiaque qu'il connaissait désormais par cœur.
Assénant un bref coup sur la porte afin de signaler sa présence, il entra dans la salle et trois paires de yeux se posèrent de manière synchrones sur sa personne. Un seul l'intéressait cependant et ses sourcils se froncèrent devant la mine de Stiles, ne sachant soudainement que dire devant ses yeux dorés qui ne le quittaient plus. Il avança tout de même, ressentant le besoin de le toucher et soupira lorsque Stiles ne retira pas sa main de la sienne. Au lieu de ça, Stiles la serra avec force, semblant ne pas vouloir qu'il s'éloigne et se frotta l'arrière du crâne avec son autre main, lançant un regard rapide vers son père avant de s'installer plus confortablement sur la table d'examen, les lèvres pincées.
« T'es en retard.
- Désolé. John. » Celui-ci le salua d'un hochement de tête, visiblement aussi anxieux que lui et il tenta de respirer aussi profondément que possible, déglutissant avec peine.
Le Dr Singfried, qu'il n'appréciait toujours pas spécialement, entra dans la pièce, une tablette au bras et arborant un sourire qu'il qualifia d'idiot. Il affirma sa joie de voir que Derek avait pu faire le déplacement avant de s'installer près du poste placé à la droite de Stiles et de commencer à préparer son matériel. La tension dans la pièce parut augmenter encore davantage et Derek se figea bientôt dans une posture paraissant presque insensible, ce qui serait risible étant donné qu'il ne s'était probablement jamais senti aussi fébrile et nerveux, ses sensations formant une sorte d'imbroglio qui le laissait un peu embrouillé. Il n'avait même pas pensé à lui acheter de quoi s'hydrater si jamais il se sentait...
« Détendez-vous un peu. C'est une échographie, je ne vais pas exploser. Le seul élément de surprise ici est le sexe de cet enfant et encore, je vous rappelle que les possibilités ne sont pas infini alors arrêtez d'angoisser, vous me donnez le tournis à vous agiter et personne n'a envie de me voir retapisser cette pièce, croyez-moi. »
Les deux hommes échangèrent un regard et durent apercevoir la panique dans le yeux de l'autre puisqu'ils hochèrent la tête, tentant de paraître serein, échouant pitoyablement si l'on en croyait le soupir exaspéré que Stiles émit.
« Très bien, déclara le médecin qui agrippait une sonde dans sa main gantée, on se détend et on respire bien. »
Il déposa le gel sur la peau visible de Stiles qui l'avait découverte de son t-shirt et un frisson lui échappa avant qu'il ne reprenne une attitude stable, suivant l'avis de celui-ci. John s'approcha encore davantage et garda une main solide sur l'épaule de son fils, accordant un soutien rassurant s'il en ressentait le besoin. L'homme, dont le visage était tourné vers Stiles paraissait émotionné, se remémorant peut-être lui-même à ce moment, lorsque sa femme avait effectué son premier examen, apprenant qu'elle accoucherait d'un bébé en bonne santé. Il n'avait pas hésité quand Stiles lui avait demandé s'il apprécierait de participer à cette première rencontre, car s'il avait été inquiet au sujet de ce que cette grossesse signifiait pour lui, il ne pouvait dissimuler son enchantement de pouvoir bientôt se dire grand-père, agrandissant cette famille qui avait pendant longtemps été composé de deux membres.
Les minutes s'écoulèrent, le praticien, qui déplaçait lentement la sonde sur l'abdomen ne prononçait pas un mot, le regard fixé sur l'écran et l'air sérieux que Derek découvrit pour la première fois sur son visage habituellement joviale et contenté. Il ne sut dire s'il était soulagé qu'il s'applique autant à ne laisser échapper aucun détail ou si ce silence devait faire naître chez lui un début d'inquiétude. Il s'interdit de paniquer trop tôt, sachant pertinemment qu'il avait tendance plus que de façon invariable à dramatiser et à imaginer les pires scénarios et surtout, parce qu'il ne voulait pas effrayer Stiles qui, s'il n'était pas tranquille à travers la vitesse des battements de son cœur, ne paraissait pas non plus sur le qui-vive, attendant que le verdict soit dévoilé, apportant avec lui un effet de surprise qui pourrait à la fois les détruire ou les combler d'une joie sans nom.
Mais alors qu'il sentit ses yeux s'assécher par la force qu'il mettait à ne pas les fermer et découvrir une expression d'horreur et de compassion sur le visage du médecin, celui-ci poussa un petit rire confiant et se tourna vers eux, la lueur d'enjouement de nouveau apparente.
« J'ai la joie de vous annoncer que vous portez un bébé en excellente santé, Stiles. »
Le terme de soulagement n'était sans doute pas assez fort pour décrire ce qu'il avait ressenti et qui engloba soudainement la pièce d'une vague sucrée et réconfortante. Il fut d'ailleurs un peu surpris face à la violence avec laquelle durant ces quelques minutes qui avaient paru une éternité l'avaient fait passé par une série d'états, détériorant presque sa capacité à respirer correctement tant l'étau qui enserrait sa gorge était menaçant. La main qui entourait celle de Stiles parut s'engourdir et il ressentit le besoin de coller ses lèvres aux siennes, même un bref instant et même si deux hommes étaient là pour assister au spectacle, dont un qui aurait certainement désirer éviter ce genre de vision.
« Est-ce que vous désirez connaître le sexe ? », interrogea-t-il en souriant, appréciant visiblement d'avoir la chance de pouvoir annoncer la bonne nouvelle à ces couples qui se succédaient, ne se lassant pas de voir les expressions d'extase sur chacun.
Stiles, qui était encore trop confus pour émettre une parole concrète, se tourna vers Derek, sachant déjà ce qu'il s'apprêtait à répondre. Ils en avaient discuté et se sentaient tous les deux incapables d'attendre plus longtemps et lorsque Derek hocha la tête pour lui confirmer leur assentiment, il posa des yeux impatients sur le médecin qui répondit d'une voix douce et flegmatique. A partir de là, les choses se voilèrent autour de Stiles qui resta abasourdi, prenant le temps d'assimiler ces informations, de comprendre que l'enfant qu'il attendait n'avait rien à craindre et qu'il pouvait se détendre partiellement, ayant conscience que tout pourrait finalement bien se passer, les difficultés qu'il avait de se détacher de la culpabilité liée à cette grossesse semblant peu à peu s'éloigner.
« C'est un garçon. »
L'idée prit doucement racine dans ses pensées. C'était différent, basé sur un autre plan : il ne s'agissait pas du fœtus à la forme approximative qui avait orienté son opinion, quand il avait découvert que tous ses tests s'avéraient positifs. Il ne s'agissait pas non plus de cet être incorporel dont il s'était posé des questions sans vraiment savoir comment mettre de mots sur ce qu'il se passait à l'intérieur de lui, perdu et frustré. Ce n'était plus un bébé imaginaire, celui qu'il avait commencé à développer et à faire figurer dans son esprit. Cette fois, c'était réel. Cette fois, c'était quelque chose de concret, d'ancrer dans la réalité, quelque chose qui prouvait qu'il avait tort de ne pas se sentir capable d'être épanoui dans un bonheur qui ne méritait pas d'être écrasé ou menacé par ses propres incertitudes.
Il était prêt à sortir une blague pour essayer d'effacer l'embarras que son silence avait laissé planer, alors qu'il avait lui-même demandé aux deux autres de contrôler leur stress mais il ne le fit pas. Au lieu de ça, il sentit la main rugueuse de son père essuyer les larmes qui s'étaient écoulées et qu'il n'avait pas senti, trop occupé à observer le moniteur et ce qu'il pouvait y distinguer malgré les perturbations dans la transmission d'ondes, mouillant son visage mais ne retirant en rien sa joie, bercer par les paroles simples et presque enfantines chuchotées à son oreille alors que son père le tenait dans ses bras mais qui ne faisaient qu'accentuer cette réalité, celle vers laquelle il tendait désormais les bras, envieux et attisé par cette perspective nouvelle.
« Tu vas avoir un petit garçon, Stiles. Tu vas être papa. »
Enfilant sa troisième chemise, Stiles grimaça lorsqu'il ne parvint pas à boutonner l'avant dernier bouton sans que celle-ci ne se soulève de manière grotesque. Soufflant, il la balança à côtés des deux autres et observa son armoire d'un air désespéré, cherchant vainement à trouver quelque chose qui ne le rendrait pas ridicule, et peinant à accomplir sa tâche. Il n'était pas habituellement touché par ce que les gens pouvaient penser de son apparence ou des vêtements qu'il lui arrivait de porter, préférant nettement se sentir à l'aise dans ses chaussures mais aujourd'hui était différent. Ce n'était pas simplement le jugement de sa personne qu'il redoutait mais de ce qui l'accompagnait. C'était la première fois qu'il sortait depuis que les rondeurs de son abdomen ne laissaient présager aucun doute de ce qui l'habitait, sauf à son travail mais il s'arrangeait toujours pour les camoufler à travers des sweat-shirts trop larges, qui remplissaient sa commode.
Il ne pourrait pas cacher sa situation ce matin et le fait de savoir que des regards ne cesseraient de glisser sur lui toute la matinée le rendait un peu désappointé. Il imaginait déjà les interrogations, les questionnements, les réactions de surprise, de compréhension et finalement de dégoût. Il n'éprouvait pas de remords à l'idée d'avoir un enfant, encore moins depuis qu'il avait pu le voir de ses yeux mais ne pouvait s'empêcher de se sentir changé, un peu honteux de ne pas être épanoui et illuminé, comme ce que racontait tout le monde et tout le temps. Il regrettait de ne pas avoir la même peau éclatante qu'Allison au moment de son quatrième mois de grossesse ou le sourire qui traversait la moitié du visage de Laura quand elle avait appris qu'elle attendait des jumeaux.
Il lui fallait peut-être un peu de temps pour s'y faire, pour accepter que son corps allait effectivement se transformer mais que ça ne changerait pas pour autant ce qu'il était, un ami, un mari et bientôt, un père. Il devrait probablement en parler avec Deaton, ce dernier lui ayant annoncé qu'il passerait sans doute par différentes phases et qu'il était important pour lui de communiquer, indiquer quand quelque chose n'allait pas ou lui semblait trop intense, trop pesant à supporter aussi rapidement. Le problème était qu'il avait l'impression de s'en faire pour rien et n'avait pas besoin d'aller se plaindre pour un bref sentiment de mélancolie qui, il espérait, s'en irait avec le temps. Mais il avait fait une promesse, celle de ne pas laisser la situation s'envenimer à nouveau et de parler, exprimer ce qu'il avait sur le cœur, et aussi complexe que cela pouvait paraître, il s'y tiendrait.
Derek arriva dans la chambre après s'être habillé dans la salle de bain et Stiles retint un soupir d'agacement, en jaugeant le loup, comme toujours impeccablement présenté, sa barbe qui rendait Stiles complètement dément et échauffé, taillée avec soin, ses yeux pâles scannant la pièce avant de se poser sur lui et son torse nu.
« Tu devrais mettre quelque chose de plus sophistiqué qu'une chemise à carreaux pour cette fois, Lydia nous tuerait autrement.
- Ce n'est pas vraiment mon problème, je ne serais pas celui qui arrivera aux côtés d'une espèce de baleine engoncée dans des fringues trop petits. Non, je serais l'autre. Celui qui a réussi à mettre la main sur le beau spécimen que tout Beacon Hills a déjà imaginé dans ses bras. »
Le rire qui s'empara de Derek le surprit un peu, comme si l'imbécile n'avait pas conscience de ce à quoi il ressemblait et enfonça à nouveau la tête à l'intérieur de son placard, priant pour qu'un miracle se produise et qu'il trouve un vêtement adapté pour l'occasion. Il finit par opter pour un pull en coton et un gilet, n'ayant pas la force de s'engager dans davantage d'efforts alors qu'il avait même accepter de ne pas porter de jean mais un réel pantalon. Il n'était qu'humain, après tout. Il eut un peu de mal à fermer le dernier dudit pantalon, malgré qu'il soit d'ordinaire trop ample pour être porté ce qui lui fit grincer des dents mais il ne se découragea pas et parvint même à utiliser une ceinture, qu'il attacha au dernier trou, certes. Lorsqu'il eut terminé, il compris qu'il avait fait le bon choix puisqu'il n'entendit aucune réprimande, simplement la main de Derek qui s'empara de son poignet pour le tourner vers lui et lui adresser un coup d'œil appréciateur.
« Si tu t'apprêtes à être ce gars, je serais celui qui est accompagné du mignon fils du Shérif, tu sais, celui qui a refusé les invitations d'au moins cinq étudiants, qui d'après les dire d'Allison, valaient le détour.
- Je suis mignon ? Stiles ignora sa remarque et préféra se concentrer sur l'élément qui l'intéressait.
- Je n'ai pas dit ça. »
Il déposa ses lèvres sur sa tempe, glissant une main sur sa peau arrondit et adopta un sourire un peu facile, l'air ailleurs qui fit Stiles se moquer de son manque de transparence, lui qui aimait porter son masque d'indifférence et de maîtrise de lui-même. Il agissait différemment pourtant, laissant sa satisfaction se lire sur ses traits, le nez enfoui au creux de son épaule et ses yeux d'un bleu surnaturel trahissant une émotion nouvelle. Alors Stiles le laissa faire, lui accordant ce moment pour laisser complètement le loup prendre le dessus, abandonner sa marque, l'entendant émettre un grognement dans son oreille qui le fit frissonner, se calant plus contre lui. Derek n'avait laissé échapper aucun signe que le nouvel état de Stiles le rebutait et qu'il n'éprouvait plus autant de désir envers lui qu'avant mais il appréciait toujours d'avoir quelques preuves à sa disposition.
Mais ce n'était pas vraiment le moment alors il se détacha de lui un peu à contre cœur et il échangèrent un baiser chaste mais qui envoya à Stiles tout un tas de petites étincelles dans son bas ventre. Ils quittèrent la maison après ça, Stiles prenant le soin de vider sa vessie de manière prévisionnelle, refermant la porte derrière eux et s'installant dans la voiture, le bouquet que le plus jeune tenait dans les mains prenant presque la place de l'habitacle. Sans surprise, le pavillon des Martin était noir de monde, des voitures toutes plus tape à l'œil les unes que les autres formant une queue devant l'entrée et Stiles remercia Derek de ne pas l'avoir laissé amener sa Jeep, aussi tendre soient les sentiments qu'il avait envers elle.
Ils réussirent à croiser Scott, lequel semblait vouloir s'échapper de cette foule presque suffocante et qui après les avoir aperçu, leur lança un sourire de soulagement, faisant voler ses bras dans des gestes aériens pour enfermer Stiles dans une étreinte chaude et boisée. Il laissa ses yeux se poser sur la silhouette arrondie de son ami et lui offrit un sourire plus intime, visiblement heureux pour lui et Derek. Il lui confia qu'Allison avait disparu dès qu'ils avaient atteint la porte et qu'il ignorait l'identité de la majorité des personnes réunis ici, ignorant même où Lydia se trouvait. Celle-ci fit une apparition remarquée quelques minutes plus tard, sa robe longue et évasée ayant sans aucun doute été choisi pour attirer tous les regards et Stiles sentit une pointe d'affection pointer le bout de son nez, en s'apercevant que certaines choses ne changeraient jamais.
Elle vint claquer deux bises sur les joues de chacun d'eux avant d'aller rejoindre sa mère qui lui faisait signe depuis la terrasse, certainement impatiente de la présenter à quelqu'un. Stiles, Scott et Derek s'installèrent alors à une table un peu en marge, et ne perdirent pas de temps pour aller découvrir le buffet. Curieusement, celui-ci n'était pas vraiment occupé, les adultes préférant discuter autour de coupes de champagne et se promener dans l'immense jardin qui offrait une vue sans pareille. Stiles dut l'avouer, la nourriture était vraiment excellente, et il songerait à demander à Nathalie les coordonnées de son traiteur. Personne n'avait encore fait de remarques sur son état et il préférait s'en contenter pour le moment.
Il n'avait pas eu à se plaindre de l'entrée dans son deuxième trimestre, les nausées matinales s'étant peu à peu estompées, ne laissant finalement qu'une envie de dévorer pour quatre et une répulsion soudaine pour certains aliments qu'il avait jusque-là, apprécié. Derek l'encourageait dans ses fringales également nocturnes, bien qu'il soit souvent celui qui ait le devoir de descendre les escaliers pour aller lui concocter quelque chose à se mettre sous la dent, mais n'émettait aucune plainte, certainement trop heureux de pouvoir s'occuper de lui sans que Stiles ne l'envoie balader. Scott néanmoins, examina son assiette avec des gros yeux, signe alarmant si l'on considérait la nourriture que lui-même engloutissait et Stiles se contenta de planter le manche de sa fourchette entre ses côtes, ignorant le regard courroucé que lui envoya une vieille dame, attablée plus loin et lui glissa que le jour où il cohabiterait durant neuf mois avec un être humain, il aurait le droit de paraître étonné.
Allison finit par les rejoindre, s'extasiant devant la grandeur du lieu, oubliant presque de s'alimenter. Après quoi, elle et Scott s'enfuirent vers la piste de danse aménagée pour l'occasion et semblèrent ensuite oublier tout ce qui se trouvait autour d'eux, perdus dans les yeux de l'autre. Stiles les observa en souriant, amusé par l'évidente maladresse de Scott qui tentait de calquer ses pas sur ceux d'une Allison aux yeux pétillants, ignorant visiblement tout de l'allure ridicule que son cher et tendre arborait. Une caresse sur le bras coupa son intérêt et il aperçut Derek tendre une main vers lui, le regard plongé vers l'orchestre. Le brun, joueur, épousa une mine faussement secouée, les mains posées sur la poitrine dans une vaine tentative de paraître étonné.
« Quoi ? Tu veux vraiment prendre le risque de détruire ta réputation en t'affichant avec moi ?
- Je prends le risque.
- Et tu affirmes ne pas aimer vivre dangereusement. »
Ils rejoignirent leurs deux amis et restèrent coller l'un à l'autre durant le reste de la matinée, les regards de certains curieux se faisant cette fois clairement sentir mais Stiles ne s'en préoccupa pas, trop absorbé à identifier et inscrire dans sa mémoire les traits de l'homme qui le tenait dans ses bras et qui avait cet air si doux qu'il lui était difficile de le quitter des yeux, n'ayant envie de se trouver nulle part ailleurs, conscient de la chance qu'il avait et conscient qu'il avait certainement l'air aussi ridicule que Scott et Allison dont il s'était moqué précédemment mais n'y prêtant pas attention. La main de Derek dans son dos était chaude et forte, semblant ne jamais vouloir le lâcher, prêt à le rattraper à tout instant.
Mais bientôt, ses pieds commencèrent à l'élancer et il retourna s'asseoir, un peu étourdi. Derek lui apporta un verre d'eau qu'il but d'une traite et il lui sourit, témoignant de sa reconnaissance. Ses joues étaient rouges et son souffle, un peu plus rapide et Derek lui envoya un regard inquiet qu'il essaya de rassurer en secouant la tête. Il souffla près de son oreille, étouffé par le son de la musique.
« Je suppose que nous avons accompli notre devoir de présence, tu ne crois pas. On rentre à la maison ? »
Ils prirent le temps de saluer leurs hôtes qui s'étonnèrent de les voir disparaître si tôt avant que Lydia ne lui lance un air compatissant, le remercia une nouvelle fois pour les fleurs et lui promette de lui rendre visite dans la semaine. Scott et Allison s'apprêtèrent également à partir, ce premier devant ouvrir le cabinet pendant l'absence de Deaton et elle devant récupérer Sloan chez la baby-sitter. Le retour se fit dans le plus grand calme, Stiles ne s'apercevant même pas qu'il tombait furtivement dans le sommeil, la tête appuyée contre la vitre entre-ouverte. Derek et lui passèrent le reste de la journée à parler peinture et décoration de chambre, se plaisant à s'enfoncer un peu plus dans cette réalité qui devenait toujours plus proche.
Deux mois et demi plus tard après cette date, Stiles se réveilla seul dans son lit, Derek étant déjà parti pour effectuer son service et il retrouva son père avec qui il fit les courses, prenant garde à vérifier que son alimentation ne se dégradait pas, remplissant son caddie de produits frais et d'un minimum de viande rouge que le Shérif considéra comme un exercice de torture. Après l'avoir déposé chez lui, il retourna à la maison, avala une salade et décida de se détendre devant la télé. Les programmes défilaient devant lui, hésitant sur quoi choisir avant d'opter pour un film qu'il devait à l'origine voir au cinéma avec Scott il y a plusieurs mois. Quand il fut terminé, il éteint le poste, monta dans sa chambre pour récupérer un objet qu'il avait laissé dans le tiroir de sa table de nuit et descendit.
Il s'installa à nouveau sur le canapé, le dos mal positionné mais dans une posture qu'il jugeait confortable, son ventre lui servant de table pour déposer son ouvrage, réellement fasciné par ce qu'il était en train de faire, les heures ayant défilé sans qu'il ne les voit passer. Alors quand Derek apparu soudainement, il manqua se piquer avec les aiguilles qu'il tenait en main et s'empressa de les placer derrière l'oreiller sur lequel il était savamment appuyé, le regard horrifié et la bouche ouverte, n'ayant eu aucune idée que le loup se trouvait actuellement dans la maison.
« Qu'est-ce que... comment... où est-ce que tu étais ?
- Au sous-sol. Je... je vérifiais l'état de la plomberie. J'ai décelé une fuite qui ne semblait pas trop avancée alors je pensais pouvoir m'en occuper moi-même. Son ton était évasif, comme s'il n'était pas à l'aise de lui avouer avoir trafiqué dans des tuyaux que Stiles n'oserait pas même approcher.
- Une fuite ? Tu l'as réparé ? Et.. est-ce que c'est des copeaux de bois que tu as sur ta veste ?
- Hein ? N... non, je, oui, j'ai dû faire quelques travaux. Mais, c'est réparé, pas d'inquiétudes.
- D'accord...
- Et toi, tu n'es pas avec ton père ?
- Ça y est, j'ai rempli son frigo d'aliments sains et diététiques et je suis certain qu'il me remercie en ce moment de lui avoir épargné de le faire seul. Ou peut-être pas, réfléchit-il, mais il n'a pas besoin d'être consentant pour que je prenne soin de sa santé. »
Derek hocha la tête à sa déclaration avant de froncer les sourcils et de poser une question qui fit Stiles se redresser sur le canapé, alerte.
« Qu'est-ce que tu caches derrière toi ?
- Rien. Je ne cache rien. Je lisais un peu en t'attendant, persuadé que tu étais encore au bureau. Mais c'est bien. Que tu sois là, je veux dire. Tu n'as pas faim. Parce que moi je meurs de faim. Tu voudrais bien me préparer quelque chose, n'importe quoi, ce qui irait le plus vite à faire cuire. Je ne suis pas difficile ce soir. C'est nouveau ce pantalon ? Scott est allé faire les boutiques le week-end dernier, tu le savais ? Un changement de garde-robe qu'il a dit. »
Sans un mot, Derek se pencha et souleva Stiles, assez pour pouvoir attraper ce qu'il tentait de cacher à sa vue, ignorant totalement les gestes désespérés du plus jeune pour l'empêcher de s'approcher, manquant par là même lui crever un œil. Lorsqu'il eut la main sur ce qu'il désirait, Stiles se figea, attendant les moqueries, railleries et autres joyeusetés, se préparant déjà à répondre aux boutades que le loup lui lancerait, espérant pouvoir se cacher dans un trou et ne plus en sortir mais celui-ci l'étonna en pointant simplement la pelote de laine qui était désormais emmêlée, après que les deux hommes se soient débattus pour l'obtenir, Stiles n'ayant aucune chance.
« Tu tricotes ? »
Stiles pensa d'abord à mentir, à essayer de réfuter par n'importe quel moyen, que non, ce n'était pas ce qu'il croyait avant de baisser les bras et d'avouer à voix basse ce qu'il fabriquait depuis plus de trois semaines maintenant.
« Lydia m'a conseillé un bouquin de tricot et... je trouvais ça ridicule au début, et puis, j'ai vu ce superbe plaid et j'ai eu envie de... ok à quel moment comptes-tu te moquer, histoire qu'on en finisse ? Tu peux, je t'y autorises, juste ce soir, après je risque d'essayer de te frapper. »
L'autre ignora sa question pour en poser une nouvelle.
« Pour qui est-ce que tu fais ce plaid ? »
Il n'y avait aucun signe de moquerie das son regard mais plutôt une certaine déférence face à laquelle il ne savait pas vraiment comment réagir.
« Pour lui. Je le fais pour lui. Ça me plaît le fait de savoir qu'il peut avoir quelque chose de moi et qui ne vient pas forcément d'une grande surface. C'est le cadeau que je lui fais. »
Les joues de Stiles étaient cramoisies et il baissa les yeux sur ses doigts qu'ils tordaient sous la gêne et les bras de Derek vinrent lentement l'entourer, comme s'il avait peur que Stiles ne s'enfuit sous la tentative d'approche.
« J'ai envie de t'épouser. Encore. Ce qui est un peu ridicule. »
Stiles rit dans son épaule et Derek se leva, affirmant qu'il devrait se mettre à la confection de l'en-cas de Stiles s'il ne voulait pas qu'il se transforme en bête vengeresse, ce que Stiles approuva férocement. Il déposa son travail sur la table basse, tachant de remettre en ordres les fils épais et les aiguilles sans se piquer où que ce soit et s'appuya de nouveau sur le dossier de son siège, contenté par la réaction de Derek. Mais alors qu'il fermait les yeux, une douleur soudaine le frappa au ventre et il fut si surpris que son souffle se coupa brièvement. Ce n'était pas douloureux, juste surprenant et il craint avoir une nouvelle vague de nausées incontrôlables. La sensation revint, plus accentuée mais localisée à un endroit particulier si bien que Stiles abandonna la thèse maux d'estomac.
Lorsque la lumière se fit et qu'il comprit ce dont il s'agissait, il resta un moment interdit, comme apeuré à l'idée de faire un mauvais pas. Lentement, il releva le tissu de son pull et sourit un peu stupidement. Il pouvait apercevoir une légère bosse sur son côté droit qui disparu bien vite avant de revenir un peu plus bas, vers son nombril. Contrôlant sa voix du mieux qu'il put, il appela Derek encore dans sa cuisine qui vint avec deux moitiés de sandwich posées sur une assiette et un verre d'eau. Stiles lui demanda alors de lui tendre la main, ce que le loup fit, après avoir arqué un sourcil, perplexe, main qu'il déposa sur son ventre. Quelques minutes défilèrent sans que rien ne se passe et que Derek occupa en lançant des regards brefs à l'humain qui restait concentré, un petit sourire aux coins des lèvres.
C'est alors qu'il réapparut, ce petit coup dont on aurait pu penser qu'il serait faible et hésitant alors qu'il était au contraire concis et concret, solide, comme si leur garçon tentait de faire des étirements à l'intérieur de sa poche, probablement éveillé après quelques heures à se laisser bercer par les mouvements de son père. Les yeux de Derek eurent une drôle de réaction, s'écarquillant comiquement, et il posa ses deux mains à plat, celles-ci recouvrant la majorité de son ventre rond. L'expression qu'il arborait était tellement pure et inhabituelle que les yeux de Stiles s'embuèrent un petit peu, refusant tout de même de rendre ce moment plus niais en versant quelques larmes.
« Est-ce que ça va ? »
Derek s'agenouilla près du canapé et posa juste sa tête sur son estomac, fermant les paupières, l'air ailleurs, un endroit calme qui adoucissait son expression, un endroit dont il espérait qu'il resterait toujours. Il ne le serrait pas aussi fort qu'il le pourrait mais sa prise était ferme, n'aspirant pas à bouger d'un centimètre. Il devait trouver ça étrange, sa capacité lupine lui permettant d'entendre le moindre son, la moindre perturbation, mais c'était également la première fois qu'il se trouvait en réelle communication avec cet enfant qu'ils attendaient avec plus que d'impatience. Ce n'était plus simplement le voir mais aussi l'entendre, aspect d'autant plus important pour Derek, qui fonctionnait beaucoup plus avec ses sens.
Il pensa à combien Derek serait le père parfait. A quel point il aimerait son fils, qu'il l'aiderait, le soutiendrait, peu importe sa forme, peu importe qu'il soit loup ou humain. Il pensa à la façon dont il le regardait souvent, à court de mots mais jamais d'action, parvenant à faire comprendre ce qu'il désirait et ce qu'il aimait par d'autres manières que la parole et imagina tout cet amour qu'il avait encore à offrir et à partager. Il pensa à son aptitude à prendre soin des autres, à s'inquiéter et à chérir. Oui, il serait parfait.
« Eh, je pourrais avoir mon sandwich ? »
Un grognement succinct lui répondit et il ne s'en offusqua pas, plongeant ses doigts dans la chevelure dense et sombre de l'aîné. Il n'avait pas si faim, de toute façon.
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Les rayons du soleil filtraient par la fenêtre de la cuisine, réchauffant les bras nus de Stiles qui ne portait qu'un t-shirt, occupé à assaisonné une salade de pâtes, levant régulièrement les yeux vers la vitre pour observer les invités qui étaient installés dans le jardin, son père débout devant le barbecue, discutant avec Grégory et Boyd, tous trois bières à la main. Lydia, Erica et Allison étaient assises sur la véranda, se couvrant du soleil alors que la petite Sloan dessinait des figures chimériques sur la peau de sa mère avec son doigt, assise sur ses genoux, marmonnant des paroles inaudibles, perdu dans son imaginaire. Scott et Talia étaient avec Stiles, l'aidant à ramener les plats sur la table, alors que la brun lui racontait des blagues qui manquèrent faire Stiles se cogner contre un placard, tant le rire l'avait surpris, tentant de reprendre son équilibre avec un ballon en guise d'estomac.
Il n'avait plus peur de montrer son ventre désormais, le jour où il avait finalement ressenti les premiers mouvements de son bébé ayant été comme une sorte de déclencheur, échangeant cette gêne des nouvelles rondeurs en une tendresse encore plus puissante, alors qu'il ne cessait de passer ses doigts sur la peau tendue tel un gardien possessif. Talia le prit sur le fait et lui décocha un sourire blanc face auquel il s'empourpra mais répondit par la même expression. Il savait qu'elle était au courant qu'il avait d'abord envisager d'avorter et s'était senti un peu mal à l'aise devant une réaction qu'il savait parfaitement qu'elle aurait désapprouvé bien qu'elle ne lui ait jamais proférer de reproches. Au fil des semaines, elle s'était réellement avérée utile, supportant son fils et Stiles, assurant de les aider lorsque l'enfant serait né, tentant de leur apporter des conseils en tâchant de ne pas trop intervenir dans leur vie privée, ce qui était impossible pour quelqu'un comme elle.
Mais Stiles comprenait et ne lui en tenait pas rigueur. Elle était à la tête d'une meute importante, reconnue et il était évident qu'il ne serait pas facile pour elle d'être totalement exclue de la vie de son seul garçon, encore plus maintenant qu'il s'apprêtait à être père. Des voix familières éructèrent dans la pièce alors que la porte d'entrée s'ouvrait sur les seuls invités encore manquant, Jordan Parrish portant une petite Inès dans ses bras alors que les jumeaux Jay et Ana couraient déjà dans la maison à la recherche d'une occupation. Ils firent quand même l'effort de saluer Stiles et leur grand-mère avant de s'enfuir dans le jardin. Jordan arriva à son tour, offrit une poignée de main à Stiles, bientôt remplacé par la figure d'une jolie brune en robe longue.
« Salut Stiles, Laura l'embrassa sur la joue avant de s'agenouiller, et salut mon magnifique futur neveu. Tu es tellement attendu, tu sais, tes parents deviennent complètement désespérés à l'idée de devoir encore attendre si longtemps pour pouvoir te tenir dans leurs bras. »
Le jeune homme sourit devant son petit babillage non sans toutefois réfuter aucune de ses paroles. Elles étaient complètement fondées.
« Je suis heureux de voir que vous vous entendez déjà bien mais tu vas devoir m'excuser, il faut que j'aille aux toilettes avant de redécorer la cuisine de mon père. »
Elle rit avant de se décaler pour le laisser passer, s'approchant de sa mère qui avait suivi leur échange avec amusement. Une fois libéré, l'humain croisa Cora et Isaac, assis dans le canapé du salon, discutant à voix basses, leurs deux corps irrévocablement proches. Ces deux-là ne pouvaient pas être plus transparents, se tournant autour certainement depuis leur rencontre, sans qu'aucun n'ose faire le premier pas. Le fait qu'Isaac ait besoin de changer constamment d'endroits pour exercer son métier n'arrangeant rien. Les parents de Cora avaient tenté de lui parler une fois, pour savoir ce qu'il en était mais elle s'était mis dans une telle colère que personne n'avait essayé de renouveler l'expérience. Alors l'ensemble de la famille patientait sagement, laissant les deux adorables ignorants jusqu'à ce qu'ils se décident enfin à ouvrir grand leurs yeux.
Alors qu'il consentit à leur accorder leur intimité, une vision d'horreur le fit littéralement bondir en avant, les bras déjà prêts à former un barrage, le menton levé. Peter était dans sa cuisine avec sa sœur, observant les alentours, curieux de ce qui s'y préparait, le regard alerte, un que Stiles ne connaissait que trop bien et qui prédisait son envie de concocter lui-même quelque chose, persuadé de manière illusoire qu'il était doté d'un don extraordinaire pour la cuisine, souhaitant à toute occasion faire preuve de ses talents y compris – et surtout – quand ceux-ci n'étaient pas désirés. Cherchant à endiguer toute catastrophe et à préserver sa maison d'enfance, Stiles entra en action.
« Pas question. Tu ne t'approches pas de ma cuisine. Tu n'es pas autorisé d'y marcher, d'y jeter un coup d'œil, n'y même d'y respirer, pas à moins de neuf mètres. »
Peter le lorgna pendant quelques secondes avant que son air embêté ne se transforme en un sourire en coin alors que ses bras étaient croisés sur son torse.
« Tu es énorme. Comment est-ce que tu fais pour te mettre debout ? Est-ce que Derek doit t'aider à te lever ? Tu n'as pas mal ?
- Pas le moins du monde. Je suis en pleine forme, répondit-il, par fierté mal placée, certes, mais il était hors de question qu'il passe pour une mauviette.
- Hmm, tu sembles en être persuadé, renifla-t-il, joueur. Je ne peux en dire autant, cependant. Tu es vraiment certain de ne pas avoir avaler un gosse, ce matin ? J'ai l'impression qu'il ne manquerait pas grand chose pour que tu t'affales sous ton propre poids. »
Il n'y avait plus aucun doute, maintenant. Stiles allait lui découper la gorge.
« Ne t'imagine pas que ça, il désigna son ventre, m'empêcherait de te tordre le cou. Ou de te rouler dessus, dit-il avec sérieux. Lentement. Encore et encore.
- Ok, on arrête là, vous deux », intervient un Derek amusé, entourant ses bras autour de son humain avant de le diriger dehors avec les autres, l'éloignant de l'autre loup alors que Cora et Isaac, tous deux hilares, se tenaient près du bar.
Peter lui envoya un clin d'œil auquel Stiles répondit en pointant deux doigts de ses yeux à son corps, signifiant clairement qu'il le gardait en mémoire. Aussi, il s'installa près d'Erica, souriant à Sloan qui tendit une main hésitante vers lui, fascinée par son embonpoint. Il la laissa faire, diverti par ses caresses enfantines, n'osant pas appuyé trop fortement de peur de lui faire mal. Il s'amusa un moment avec elle, décorant ses cheveux de petites fleurs qu'il parvint à nouer en couronne et à enfiler juste derrière ses oreilles et elle se tourna vers sa mère, ravie, annonçant qu'elle était désormais une princesse. Derek arriva ensuite avec un petit tabouret sur lequel il put poser ses pieds douloureux, devinant ses pensées alors même qu'il n'avait rien dit. Stiles souffla vers lui, reconnaissant.
« Je jures que tu n'es pas le pire mari qui soit sur cette Terre et je te pardonne de ne pas m'avoir acheté des chips au bacon.
- Il était quatre heures du matin. Je crois avoir droit à un veto.
- Pas vraiment mon grand, lui indiqua Talia, Inès dans les bras, visiblement peu convaincue d'aller rejoindre les autres sous cette chaleur. Je suis désolée mais c'est le moins que tu puisses faire.
- Tu devrais davantage écouter ta mère, elle est sage et expérimentée.
- Je vois. »
Stiles l'embrassa tout de même rapidement, conscient d'être chanceux et enserra ses doigts des siens. Il croisa le regard de son père au loin qui avait l'air réjoui de voir sa maison aussi pleine, d'entendre des voix d'enfants, ceux d'Erica et Boyd accompagnant ceux de Laura et Jordan, jouant dans l'herbe innocemment, n'ayant pas du tout conscience de ce qu'ils éveillaient en ce lieu, celui qui n'avait vu vivre pendant si longtemps que deux personnes, attachées l'une à l'autre aussi profondément qu'étaient plantées dans le sol, les racines d'un arbre. La maison revivait, respirait de nouveau et Stiles prit un instant pour réfléchir, admettre que ça lui arrivait à lui aussi, pensant à quel point sa mère lui manquait, à quel point il aurait aimé qu'elle soit avec lui, qu'il puisse partager son bonheur avec elle.
Serrant le pendentif qu'il avait autour du cou et qu'il gardait toujours sous ses cols, il se dit qu'elle l'accompagnerait, comme toujours depuis qu'elle était parti. Qu'il suffirait qu'il ferme les yeux et l'imagine poser sa main sur son épaule pour qu'il puisse sentir à nouveau sa chaleur ou au moins avoir l'impression d'être toujours connecté à elle, d'une certaine façon. Quand son père annonça que la viande était prête, le reste de la meute vint s'installer à table et Stiles se sentit alors automatiquement entouré et soutenu. Derek et lui auraient toujours quelqu'un vers qui se tourner.
S'éloignant un moment, il prit le temps d'observer Deaton et Jackson, absorbé dans ce qui semblait être la discussion du siècle. Ce dernier arborait son air sûr de lui et Stiles pouvait aisément deviner qu'il pensait dominer la conversation alors que rien n'était plus faux quand il s'agissait de Deaton, celui-ci parvenant sans aucune difficulté à retourner les situations à son avantage. Le vétérinaire était réservé, préférant regarder et analyser plutôt que de prendre part et le voir agir aussi librement et faire quelque chose d'aussi simple que rire, bien que calmement, lui donna l'impression d'avoir réussi quelque chose.
Il dut cependant attiré le regard du loup qui, sans se départir de son expression narquoise et supérieure, l'interrogea sur sa posture, acceptant de bonne foi que Stiles lui serve son repas, chose qu'il semblait attendre, poster comme il était. Stiles le toisa, conscient de rentrer dans son jeu, ignorant la voix de la maturité qui tentait de le mener sur le chemin de la raison.
« Une fois que j'aurais vidé ma vessie, je viendrais te régler ton compte, Whittemore.
- Pourquoi tant d'agressivité, Stiles ? Ce sont les hormones qui te travaillent, tu as besoin de relâcher ta frustration sur quelqu'un ? »
Le rire de Peter résonna dans le salon même quand Stiles lui envoya un gobelet en plastique à la figure. Ou au moins tenta, pas facile quand votre adversaire avait des sens décuplés. Il retrouva plus tard son père dans la cuisine, occupé à nettoyer un bac de fer, ses épaules relâchées, la tension apparente dont il semblait toujours devoir porter le poids, son titre de Shérif n'aidant pas, complètement disparue. Il était serein et Stiles s'approcha de lui, silencieux.
« Tout va bien, mon grand ?
- Je vais bien. Je veux que tu saches... je veux que tu saches que je te suis reconnaissant pour tout ce que tu as fait pour moi. Je sais que ça n'a pas dû être simple d'élever un enfant tout seul, encore moins quelqu'un comme moi et j'espère que tu sais que tu es un père génial. Je ne serais pas où j'en suis aujourd'hui, sans toi, papa. »
John laissa couler sa vaisselle, la bouche entrouverte avant que Stiles ne sente bien vite une paire de bras, familière et rassurante et il fondit dans l'étreinte, ne se sentant pas honteux ou trop vieux de quémander un câlin et d'avoir la sensation d'être minuscule, coincé contre le torse de son père. Celui-ci posa un baiser sur sa tempe, murmurant des mots réconfortants, que Stiles était la chose la plus importante qui lui soit arrivée dans la vie, qu'il ne pouvait imaginer à quel point il l'avait rendu meilleur. Qu'il était fier de lui. Et bien qu'il n'ait jamais hésité à le lui dire, l'entendre aujourd'hui fit Stiles se rendre compte qu'il en avait particulièrement besoin. Que quoi qu'il fasse, personne ne remplacerait cette place qu'occupait l'homme dans sa vie et qu'il aurait ce besoin constant de le savoir fier et rempli d'aucun regrets.
Scott et lui finirent ensemble sur le canapé, discutant de la surprise que le premier organisait pour Allison, un voyage en Europe de quelques jours, alors qu'ils n'avaient pas pu se retrouver en tête en tête depuis la naissance de leur fille. Il ne savait pas vraiment comment il allait s'arranger pour pouvoir poser ses journées mais avait déjà commencé à mettre l'argent de côté, secrètement. Stiles le rassura, Deaton acceptant certainement volontiers de le laisser aller roucouler tant qu'il promettait de reprendre son travail sérieusement dès son retour. Il espérait toutefois des photos et des appels, car même s'ils se voyaient moins, il n'avait pas l'habitude de voir son meilleur ami s'éloigner autant, ce qu'il avoua et Scott émit un son émerveillé, prenant son ami dans ses bras, lui promettant de ne jamais le quitter et Stiles tenta de s'éloigner de lui brusquement, sans succès.
Derek les rejoignit, accompagné de Jay qui ne le lâchait jamais d'une semelle. Le garçon s'était épris du loup, une sorte de fascination enfantine où il comparait son image à celle des figurines de super-héros avec lesquelles il s'amusait tant. Derek aimait rire de cette situation, assurant que ce n'était que temporaire et qu'il le trouverait bien vite ennuyeux à mourir quand cette phase lui passerait. En attendant, Stiles pouvait bien voir comment il appréciait d'être le centre d'attention de ce gamin aux yeux bruns, ne perdant pas une occasion pour le faire monter sur un vélo, lui promettant qu'il serait bientôt capable de le faire sans les petites roues. Et Jay buvait littéralement ses paroles, des étoiles pétillants sous ses paupières.
Est-ce que Stiles saurait faire naître ce genre de réactions chez son fils ? Est-ce qu'il aurait l'occasion de voir un tel émerveillement lui faire face, de découvrir qu'il était important, aimé et respecté ? Faire l'objet d'une attention pareille était un peu effrayant mais quand il voyait Sloan regarder son père, quand il la voyait se jeter dans ses bras, lui sourire comme s'il était la chose la plus essentielle dans sa vie de petite fille, il ne pouvait s'empêcher de désirer la même chose pour lui. Il se leva cependant quand il sentit une nouvelle piqûre lui stimuler le bas ventre.
« Où est-ce que tu vas ? » L'interrogea Scott, à moitié allongé, tâchant d'apaiser son estomac sans faire de mouvements brusques, de peur de régurgiter toute cette délicieuse nourriture qu'il avait avalé.
- A ton avis ? Il faut que j'aille faire pipi. »
Plus tard, allongé dans son lit, poussé par le picotement qui lui brûlait les pupilles, Stiles posa le livre qu'il était en train de lire sur sa table de nuit et éteignit la lumière de sa lampe de chevet avant de s'allonger sur le côté, Derek venant aussitôt se placer derrière lui, ses mains chaudes placées sur son estomac et sa joue posée sur celle de Stiles, sa barbe frottant contre sa peau imberbe. Ce dernier lui donna un léger coup de coude mais l'autre ne bougea pas, s'enfouit davantage dans le creux de ses épaules et Stiles pouffa, s'enterrant dans les couvertures et réajustant son oreiller, un peu gêné par les bras du loup qu'il caressa inconsciemment, celui-ci produisant une sorte de ronronnement grave mais feutré.
« Tu deviens fétichiste, se moqua Stiles qui ne contestait cependant pas la chaleur qui traversait son corps, serré de cette manière.
- Mmh », il considéra ça comme sa seule réponse, l'autre ayant déjà fermé les paupières, visiblement prêt à tomber dans les bras de Morphée.
Bien qu'épuisé, Stiles ne parvenait pas à stopper son cerveau de bouillonner autant, ressentant le besoin de cogiter, nourrit par une excitation presque infantile. Les yeux fixés vers la fenêtre, il réfléchit et réfléchit encore, désormais aveuglé par une vision qui ne quittait pas son esprit et à laquelle il se posait une diversité d'interrogations, le cheminant de ses idées menant à une question qui en menait à une autre et il se sentit frustré de ne pas pouvoir obtenir de réponse maintenant. Tout de suite. Il comprit qu'il tapotait le matelas dans un rythme incessant lorsque l'une des mains de Derek attrapa la sienne et l'emprisonna dans son poing. Il aurait aimé pouvoir le laisser dormir, vraiment, mais encore une fois, c'était plus fort que lui et il s'entendit demander sans même donner l'ordre à son cerveau de former le moindre mots.
« Tu penses qu'il nous ressemblera beaucoup ? Qu'il aura tes yeux ou tes sourcils si expressifs ? Il ajouta, taquin. J'aimerais qu'il les ait. Ce serait tellement drôle de comparer vos expressions respectives.
- Je ne sais pas. Je n'arrive même pas à me le représenter, c'est déroutant d'y penser et en même temps, nécessaire, comme si son image ne peut s'empêcher d'apparaître, le rendant à la fois si familier et si...
- Nouveau ?
- Mmh. »
Stiles pensa à cela quelques instants, à ce qu'il avait tenté d'exprimer. N'étais-ce pas ce qui l'avait apeuré au départ ? C'était là, cette chose qui les ferait passer d'un nouveau cap, qui les rendrait différents, qui les ferait grandir, qui leur apporterait un nouveau membre à aimer et choyer. Ce n'était pas quelque chose de gratuit et d'anodin. C'était une purée de claque cuisante et électrique, révélatrice de méfiances mal placées. C'était prendre un bol d'air après avoir passé une éternité sous l'eau, persuadé d'avoir lâché son dernier souffle. Il n'était plus nécessaire de se cacher ou de prétendre ne pas voir la vérité telle qu'elle était. Parce que la nouveauté n'était plus effrayante, aujourd'hui. Elle avait quelque chose d'attractif et d'aguicheur.
Fronçant les sourcils, il se tourna vers lui pour voir que l'autre s'était déjà endormi, sa poitrine venant gentiment cogner son dos à chacune des ces respirations. Ses cheveux noirs partaient dans tous les sens, ceux-ci habituellement coiffé proprement et Stiles sourit devant cet air adorable, dénué de nervosité ou de frustration qu'une journée de boulot ou de vie trop bousculée pouvait apporter. Cette expression qu'il voyait de plus en plus s'afficher sur son visage et qui le faisait se détendre, se sentir fondre dans une routine qu'il souhaiterait voir se prolonger jusqu'à la fin de ses jours, aussi démesuré et pléthorique que cela pouvait paraître. Parce que c'était la réalité, celle-là même qu'il lui soufflait qu'il serait prêt à faire n'importe quoi pour l'homme allonger à ses côtés.
Suffoquant, Stiles se réveilla en sursaut, le front moite et le t-shirt trempé, si bien qu'il cru être encore dans les bras de Derek alors qu'un bref regard sur sa droite lui fit comprendre que le brun s'était envolé depuis un moment. Sa place était froide et la veste qu'il avait déposé sur la chaise de bureau la veille avait disparu. Déglutissant, Stiles ne parvenait pas à se remémorer son rêve mais comprit que ce fut la douleur dans son bas ventre qui l'avait fait sortir de son sommeil agité. Au fil des secondes, ses pensées devinrent plus claires et il grimaça devant ce que Deaton avait prévu et qu'il avait préféré mettre de côté et qui lui faisait chaque fois le même effet, comme une piqûre de rappel. Il savait qu'il ne pouvait pas y avoir que des jours agréables, dénués de toute douleur, le vétérinaire et le médecin qui le suivait l'avaient prévenu.
Il le savait. Il ne put s'empêcher de grommeler, râlant que le loup n'était jamais là quand il avait besoin d'être réconforté de donner la vie à un être humain et pour cela, de devoir passer par tout un tas de souffrances diverses et variées. Dans un effort qui lui parut gargantuesque, il se mit sur ses pieds, regrettant déjà la douceur des draps et s'enquit d'aller nourrir le démon qui était visiblement réveillé et s'agitait de manière chaotique. Caressant son estomac, il baragouina des paroles apaisantes, lui promettant une assiette enrichi en matières grasses et en sucres lents. N'ayant pas l'envie d'aller récupérer ses chaussons dont il n'avait aucune idée de l'endroit où ils se trouvaient, il descendit et arriva sur le sol glacé de la cuisine, la bouche pâteuse, un peu étourdi par la douleur latente qui vibrait à l'intérieur de lui.
Il ouvrit le frigo, à la recherche de quoi garantir un repas qui ferait au moins grincer des dents Derek avant de se mettre au fourneau lorsque son téléphone portable sonna. Lorsqu'il aperçut l'émetteur, une ride se dessina sur son front. Quand il décrocha, il n'eut même pas le temps de lui annoncer qu'il comprenait lui manquer mais que cela ne changeait pas le fait qu'il avait posé son congé paternité et donc ne comptait pas avoir de nouvelles de son boulot avant au moins – jamais serait trop fort – un moment, Neal le coupa en lui assurant s'être bien occupé durant son absence, ne faisant évidemment pas du tout référence à des dossiers et qu'il avait l'intention de venir le voir le week-end prochain. Il accepta, à la seule condition qu'il ne ramène pas de nouvelles conquêtes chez lui et Neal rit avant de le lui promettre solennellement.
Sortant une boîte d'œufs, qu'il prenait désormais presque chaque matin, il ouvrit un placard, en sortit un bol transparent et posa la poêle sur la plaque de cuisson qu'il n'alluma pas, ayant oublié de récupérer la brique de jus de pomme dans le réfrigérateur. Alors qu'il passa près de la cafetière, une décharge soudaine et lancinante traversa son corps, le paralysant sur place après qu'un sursaut ne l'ait fait bondir sous la surprise de l'assaut, le portable qu'il tenait toujours dans la main vola et s'écrasa contre le mur dans un bruit métallique. N'osant pas bouger les premières secondes, encore un peu sous le choc, Stiles prit une inspiration, se rendant compte qu'il avait retenu sa respiration jusque-là et lâcha un rire nerveux, se moquant de la réaction disproportionnée qu'il avait eu.
Il imagina les r ailleries d'un Scott ou d'un Jackson qui l'auraient vu frissonner comme une bête effrayée, s'ajoutant ainsi à la liste qui regroupait toutes les fois où il s'était comporté de manière ridicule devant public. Inutile de préciser que cette liste était d'une longueur qu'il n'était pas possible de mesurer et qui avait commencé sans doute dès le jour où il avait appris à marcher. Mais, il avait été surpris car ça avait été différent, le prenant complètement au dépourvu. Ce n'était plus cette gêne lourde dont il s'était accoutumé mais une autre, plus brève, mécanique, comme un coup d'éclair qui circulait dans ses veines et réveillait alors tous ses nerfs, les laissant à vifs. Il avait l'impression d'être soudainement hypersensible.
Ramassant les pièces de son téléphone maintenant inutilisable, il déposa les restes sur la table et reprit ses activités, une lenteur lisible sur ses gestes. Il n'arrivait pas à effacer complètement l'angoisse qu'il avait ressenti face à cette douleur auquel il s'était retrouvé sans armes même s'il essaya de contrer les idées qui lui venaient en force, hésitant entre appeler Derek et aller chercher un antalgique. Il se frappa mentalement : il n'allait pas aller pleurer pour un mal d'estomac. Deaton avait dit que ça arriverait. Il lui suffisait de carrer les épaules et... une nouvelle crampe, plus intense que la précédente le fit se recroqueviller sur lui-même et il ne sut comment il fit pour rester debout cette fois, la souffrance l'aveuglant presque et il sentit ses yeux s'humidifier.
Se rattrapant au bords de la table, les mains crispées dans une étreinte de fer et les jointures blanches, ses poumons ne parvenaient pas à se remplir d'air et il commença à hyperventiler, la poitrine s'élevant dans des mouvements saccadés, ses lèvres désormais sèches et la vision rendue un peu floue. Il essaya d'organiser ses pensées, de ne pas céder à la panique, de réfléchir, réfléchir... trouver un moyen de se calmer car sa crispation ne ferait qu'empirer la peine et de retrouver un souffle. De compter, lentement, de manière mesurée, de ne pas pleurer, de ne surtout pas... pleurer comme un enfant et de se secouer, qu'il n'arriverait à rien en haletant comme un forcené et qu'il était nécessaire de se concentrer.
Mais alors qu'il allait fermer les yeux pour tâcher d'évacuer un nouvel élan de contraction musculaire, quelque chose attira son regard encore mi-clos, le laissant littéralement sans voix, hanté. Parce qu'à travers cette panique et ces tremblements démesurés, il n'avait pas prêté attention à ce qui se passait en bas. Il n'avait même pas senti. C'était drôle comment dans des moments pareils, la panique pouvait parfois disparaître sauvagement, s'effaçant aussi facilement qu'elle était apparue, ne laissant place qu'à une terreur, doucereuse, langoureuse mais papelarde, hypocrite, patientant sagement pour l'enrouler de ses longs bras épineux et ne révélant qu'une constatation glaciale et hostile.
Encore une fois, il n'avait pas vu, pas fait attention, pas regardé mais maintenant, ses yeux ne pouvaient se détacher de ses jambes, maigres et pâles, dégoulinantes en raison de sillons de liquide rougeâtre, pareils à des coulées de lave qui dévalaient le long de son corps, formant à ses pieds une immense flaque sombre et brillante. Il ne tremblait plus, respirant lentement et sans difficultés, comme amorphe, vidé de toute substance, comprenant que son cerveau était en train d'entreprendre une lutte acharnée. Car il s'agissait d'assimiler rapidement une situation qui était si horrible que l'esprit ne pouvait s'empêcher de trouver une issue de secours, un endroit où se réfugier pour comprendre ce qui pouvait se passer, pour accepter ce qui était en train d'arriver.
Il passa lestement une main sur l'intérieur de sa cuisse, la relevant ensuite à hauteur de son visage et ses yeux s'écarquillèrent devant ce membre qu'il connaissait par cœur et qui lui semblait si étranger, cette main qui s'agitait dans son existence quotidienne et qui était recouverte de ce sang tiède, poisseux, rouge, une couleur qui l'effrayait tant il l'apercevait partout et il pensa vomir sur le sol face à cette odeur forte et répulsive qui lui rongeait les entrailles. Mais il ne pouvait pas. Il n'avait pas le droit. Ça ne concernait pas que lui désormais. Il ne s'agissait plus de chercher un moyen de renverser une situation compliquée. Ni de tenter d'améliorer les choses en espérant que tout irait bien à la fin. Il s'agissait là d'un instinct féroce de protection, quoi qu'il en coûte. Marcher, attraper, prévenir. Il se répétait.
Alors, pareil à un pantin auquel on aurait prématurément coupé les fils, il posa un pied en avant, marquant le sol d'une empreinte sanglante, l'autre main toujours accrochée à la table pour éviter la chute rapide et fatale qui s'ensuivrait. Il ne pouvait laisser aucun élément obscurcir son jugement, ni apporter une brève déconcentration à sa démarche, c'était vital. Il ne pensait pas à lui, en était incapable, une seule pensée traversant ainsi son crâne comme une sonde chirurgicale : le sauver lui. Parce qu'il n'avait personne d'autre sur qui compter, à présent. Parce que Stiles était le seul à pouvoir le rassurer, le conforter et lui permettre de voir le jour. Il n'était pas dupe, il n'avait pas besoin de baisser les yeux une seconde fois pour s'apercevoir de la quantité astronomique de sang qu'il avait perdu en un temps si réduit. Mais il y arriverait. Car il n'avait tout simplement pas le choix.
Fixant le téléphone fixe posé sur son socle sur le haut du bar, il continua son chemin à travers la cuisine jusqu'à l'entrée du salon, s'agrippant fermement à chaque prise qu'il pouvait atteindre, la volonté indestructible de parvenir à son objectif. Il était absent, comme déshumanisé, fonctionnant tel un automate. Marcher, attraper, prévenir. La douleur le transperçait de toute part, pulsant comme un tambour, régulière, synchrone, redoutable alors qu'il n'avait qu'une envie, s'effondrer sur le parterre humide et attendre. Mais il ne s'arrêta pas, se rapprochant toujours plus près, toujours plus loin, la gorge serrée, les larmes dévalant sur ses joues sans aucune barrière, les lèvres closes.
Ses cils étaient entremêlés, ses doigts crispés, ses jambes butaient l'une contre l'autre, comme s'il marchait depuis des heures. Sa gorge aussi lui faisait mal, le cri silencieux qu'il avait émit lui brûlant la trachée, rendant chaque souffle comparable à un contact au fer blanc. Son short lui collait à la peau et il eut envie de l'arracher, de s'éloigner de cette moiteur répugnante, de hurler, de frapper, d'accuser mais il n'en avait pas la force. Et il était absolument hors de question qu'il gaspille ses dernières sources d'énergie à se demander pourquoi. Pourquoi moi ? Il était plus fort que ça, il devait l'être. Son cœur battait tellement vite à l'intérieur de sa cage thoracique, comme s'il s'apprêtait à exploser, se répandant en petits morceaux dans la pièce.
Marcher, attraper, prévenir.
Tout ce qu'il avait à faire, c'était rester éveillé. Tout ce qu'il avait à faire, c'était attraper le téléphone, et appeler quelqu'un, prévenir. Tout ce qu'il avait à faire, c'était préserver une vie, il n'en fallait qu'une seule. Celle qui comptait. Celle qu'il était nécessaire de sauver. Arrivé près du bar, il laissa ses yeux s'agiter un moment, n'apercevant pas de prise sur laquelle s'appuyer. Alors, lentement, lentement, très lentement, il détordit ses doigts de son trophée et tendit la main couverte de sang vers l'appareil qui clignotait, la batterie pleine. Il y était arrivé. Il avait réussi. Se penchant tranquillement, le bout de son majeur frôlant le petit écran, il déplaça inconsciemment une de ses chevilles vers la droite qui, suavement, rendit son équilibre fragile et aussi simple que cela, aussi stupidement que cela paraissait, il glissa sur la mare de sang et le haut de sa tête vint heurter brutalement la face du comptoir dans un son mat.
Il ne pria pas. Ne supplia pas tous les saints de garder son enfant en vie en jurant, suppliant, bégayant de le prendre à sa place, qu'il se rendait volontiers si on laissait son bébé survivre. Couché au sol, le nez dégoulinant, seulement capable de lutter pour que ses globes oculaires ne partent pas vers l'arrière, il se tourna vers la fenêtre qui était entrouverte, le rideau flottant légèrement au grès de la brise, aérienne et frivole, le soleil filtrant contre la vitre et d'où il distinguait les petites particules de poussières se mouvant à travers les rayons, sages. Dehors, il entendit une voiture klaxonner. Une sonnerie de vélo. Un chien aboyer depuis un jardin. Le bruit d'un arrosage automatique.
Sottement, il se souvint d'une comptine qu'il avait appris à l'école et que petit, il n'avait eu de cesse de réciter, partout, dans la maison, dans le bain, dans sa chambre, rendant son père presque fou à force de l'entendre si souvent. Elle n'était pas longue, n'avait d'ailleurs presque aucun sens, en tout cas dans son esprit infantile, décrivant les déplacements d'une petite roue dévalant le long d'une colline et il ne sut pas bien pourquoi, ce fut cette image qui s'inscrit à cet instant dans son esprit. Elle n'était pas brouillée ou abstraite, mais compacte, vivante au point qu'il pouvait presque se sentir la toucher. Peut-être parce-qu'il avait perdu toute lucidité, en fin de compte. Peut-être parce-qu'il n'avait plus rien d'autre à faire.
Comme la petite roue. Qui tournait, tournait, tournait et tournait encore.
:)
