Titre : Les valeurs de Matches Malone
Auteur : Mokoshna
Fandom : Batman
Crédits : Batman est la création de Bob Kane et la propriété de DC Comics (sans parler des dizaines d'auteurs qui ont participé au mythe).
Avertissements : UA
Blabla de l'auteur : Matches Malone existe dans les comics de Batman et a fait une très brève apparition dans la série animée des années 90, même si vous n'avez pas besoin de le connaître pour cette histoire. Je n'ai jamais lu les comics en question, je ne fais que réinterpréter le personnage.
L'univers utilisé ici est à mi-chemin entre celui du dessin animé des années 90 et les films de Nolan. Batman poursuit sa course contre le crime, seul. Il n'a pas de Robin ou de Batgirl sur qui compter, même si je considère qu'il a déjà rencontré une grosse partie des vilains qui l'entourent.
Prologue :
Matches Malone
Tout avait commencé dans une ruelle crasseuse, au milieu des râles des sans-abris mourant de froid et des odeurs de pourriture. Pas l'endroit idéal pour se faire une idée du monde en général, mais pour ce qui est de Gotham, on n'était pas très loin de la vérité. Il n'y avait qu'à rajouter un couple d'innocents crevant dans le caniveau et l'illusion serait parfaite.
Matches Malone releva le col de son manteau, rajusta sa cravate bon marché. Il puait le sang et le tabac. À ses pied reposait un cadavre déjà froid : œuvre d'autres que lui qui étaient arrivés trop tôt pour qu'il puisse intervenir. C'était dommage pour le type, mais c'était la vie. Quand on évoluait dans les bas-fonds de Gotham, il fallait s'y attendre. On avait plus de chances de finir la gueule ouverte dans un coin merdique que de s'éteindre tranquillement dans son lit, entouré de sa gentille famille.
— Sale nuit pour les petits criminels comme nous, hein l'ami ?
Le cadavre ne lui répondit pas, évidemment. En signe de respect, Matches jeta près de lui l'allumette qu'il mâchonnait et s'éloigna à pas pressés. Il avait déjà appelé les flics ; d'ici un quart d'heure, le quartier grouillerait de fouineurs. Où devait-il aller, déjà ? Il lui semblait qu'un de ses indics lui avait donné rendez-vous quelque part entre la cinquième et la sixième rue...
— Eh, Malone, qu'est-ce tu fous, racaille ?
La voix grêle qui l'avait interpelé appartenait à un homme d'une quarantaine d'années, le regard torve, une cicatrice sur la joue droite. Matches ne se souvenait pas de lui avoir jamais parlé mais il connaissait son nom.
— Bercham ?
— T'es à la bourre ! Où c'que tu vas comme ça, hein ? Tu sais ben qu'on doit aller voir le Scarface !
— En quel honneur ? grommela Matches en frottant ses mains l'une contre l'autre pour se réchauffer. Je bosse pas avec les lunatiques, moi.
Fichu temps. Il avait envie de se craquer une allumette pour se réchauffer, mais ce n'était pas assez, ça ne serait jamais assez. Non, ce dont il avait besoin, c'était d'une bonne planque équipée d'un système de chauffage, dans le genre motel pas cher ou baraque empruntée le temps des fêtes, quand les proprios étaient aux Bahamas. Suffisait de débrancher le système de sécurité et de garder profil bas jusqu'au retour de la gentille famille, pas de quoi fouetter un chat. Et c'était bien mieux que de jeter l'argent par les fenêtres. Rapidement, il calcula ce qu'il avait dans ses poches, sans que Bercham le voie. Un billet de cinq, quelques quarters. Il irait pas loin avec ça. Peut-être était-il temps de revoir ses principes en ce qui concernait le choix de ses employeurs.
Bercham, lui, fit une belle grimace qui le rendit encore plus laid.
— À d'autres ! On a déjà pas assez pour se payer une dose par les temps qui courent, on va pas refuser un peu d'argent de poche, pas vrai ? Même si le boss en question est un psycho d'Arkham.
— C'est les pires, acquiesça Matches, rassuré de voir que son discours n'avait pas rebuté Bercham. Soit on finit en tôle dans le meilleur des cas, soit on y laisse notre peau, souvent par la main du boss en question. T'es sûr que tu veux pas plutôt essayer du côté de Thorne ?
Le regard que lui lança Bercham en disait long sur ce qu'il pensait.
— Il est au plus bas depuis que l'Batman l'a coffré le mois dernier. M'est avis que ses avocats arriveront pas à le tirer de sa merde la prochaine fois.
— Batman est l'ennemi de Scarface aussi. C'est l'ennemi de tous les criminels.
Bercham haussa les épaules.
— P'têt ben, mais Scarface est le plus régulier de tous, en tout cas parmi les big boss de Gotham. Et il rapporte un max. Y'a qu'à voir comment vivent Mugsy et Rhino depuis le casse de la Flanders.
Matches se pourlécha les lèvres. Pour sûr, il en avait entendu parler, du casse de la Flanders, comme tous ceux du milieu d'ailleurs. Le plan avait été simple : Scarface et sa bande avaient attaqué durant le rush de 18h30, quand les braves gens de Gotham sortaient tous de leur petit boulot régulier pour faire un saut à la banque, assez crevés et énervés pour réagir au quart de poil. Ça avait pas manqué : la bombe planquée sur place par Rhino avait explosé, créant la panique parmi les employés et les clients. Ajouté à cela les fumigènes que Mugsy avait jeté dans la foule, et tout avait fini en un bordel pas possible. Même l'arrivée de la police n'avait pas suffi à calmer tout ce petit monde avant une bonne demi-heure. Le temps qu'on pense à vérifier les coffres, il était déjà trop tard : Scarface et ses gars avaient déjà récupéré le magot.
— Bizarre que le Bat soit pas intervenu, quand même, grommela Matches.
— C'est pas plus mal. L'est p'têt en vacances, hein. J'ai entendu dire par Griffith qu'on l'avait pas aperçu depuis son fiasco avec le Joker. Tu sais, avec la fille de Gordon.
— Ah, ouais, celle-là.
Difficile de pas s'en souvenir, de cette affaire. Le Joker, le pire des ennemis de Batman, avait eu la mauvaise idée d'enlever la fille du Commissaire Gordon en personne pour donner l'exemple, ou quelle que soit l'idée tordue de ce malade. La gamine avait été sauvée par Batman mais en était sortie traumatisée, d'après ce qu'avait entendu Matches. Pauvre fille. Matches n'était pas un tendre (il aurait cassé la gueule de quiconque aurait sous-entendu le contraire !) mais s'en prendre à une fillette de douze ans, c'était pas régulier, même pour un type comme lui. Il était quand même assez charitable pour la buter proprement au lieu de jouer avec comme l'avait fait le Joker (non pas qu'il ait été là pour le voir, mais il circulait pas mal de sales rumeurs sur ce que ce malade avait fait subir à cette gamine).
— Alors, t'es partant ou pas ? demanda Bercham, impatient. J'ai pas de temps à perdre si tu veux pas ! C'est maintenant ou jamais. Scarface n'aime pas qu'on l'fasse attendre.
Matches haussa les épaules.
— Pourquoi pas ? On verra bien. Au pire, on s'paie trois mois de tôle aux frais de l'État.
Le rire rocailleux de Bercham déchira la nuit. Matches frissonna, mais ce n'était certainement pas à cause du froid.
o-o-o
Arnold Wesker, appelé aussi le Ventriloque par ceux qui connaissaient son C.V., était un gars tellement banal qu'on arrivait à peine à le remarquer, même quand il présidait une table de criminels endurcis jusqu'à la moelle. C'était cocasse, de le voir enfoncé dans un siège trop grand pour lui, les yeux écarquillés, la bouche coincée en une grimace qui évoquait plus la peur que l'assurance. À côté de lui, la marionnette qui abritait la personnalité de Scarface faisait de grands gestes équivoques pour indiquer à ses hommes ce qui leur arriverait si jamais ils avaient la mauvaise idée de le doubler en cours de route, lui Scarface, la terreur du nord de Gotham. Matches ne savait pas s'il avait envie de rire ou de partir en hurlant. C'était un peu trop... taré, comme contexte.
— Et n'oubliez pas, c'est moi le cerveau, ok ! hurla Scarface en agitant sa main en bois. Vous êtes rien sans moi, bande de nases, vous m'entendez ? Rien !
— Ouais, M. Scarface, fit Mugsy, docile. C'est vous le boss, boss.
Scarface eut un rictus satisfait. D'un geste du bras, il indiqua que la réunion était finie. Il était temps de se mettre au travail. Bercham et Matches quittèrent la planque temporaire de leur nouveau boss à pieds, sans se presser car le rendez-vous n'était que dans quatre heures.
— Espérons qu'on tombera pas sur d'autres tarés dans son genre, fit Bercham une fois qu'ils furent hors de portée des oreilles de Wesker ou de Scarface. On a déjà assez à faire avec un boss du crime.
— Ça t'es déjà arrivé d'en voir deux à la fois, toi ? demanda Matches, impressionné.
— Une fois. Je faisais pas le fier, crois-moi. C'était pendant l'incident de la baie, tu sais, quand le Joker, le Pingouin et l'Homme-Mystère ont voulu se mettre dessus pour savoir qui serait l'ultra-boss de Gotham. C'était pas joli-joli, crois-moi. J'étais dans le camp du Pingouin, mais c'était pas plus mal qu'un autre, parce qu'à la fin, c'est quand même le Batman qui l'a emporté.
Matches ricana.
— Tu veux dire qu'on va se faire coincer par le Batman, c'est ça ?
— P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non, fit Bercham, fataliste. On peut jamais savoir à l'avance, avec ce boulot. Si on peut appeler ça comme ça. Y'a des fois on en réchappe, des fois pas. Le tout, c'est de pas choisir de camp pour de bon, tu vois ? Comme ça, si y'en a un qui attire l'attention de la chauve-souris, t'es plus là quand y décide d'intervenir pour de bon.
Matches hocha la tête. Il savait pas pourquoi, mais Bercham l'avait à la bonne, au point de le prendre sous son aile le temps du casse. C'était pas plus mal : Matches avait beau ne pas être un novice dans le milieu, pour ce qui était des méta-humains qui sévissaient dans Gotham, il était pas vraiment sûr. Il avait jamais travaillé que pour des vrais humains, sans pouvoir et sans grain en trop ou en moins dans la caboche. Ça faisait bizarre de se dire qu'il suivait les ordres d'une marionnette actionnée par monsieur tout-le-monde et non pas ceux d'un parrain de la pègre, mais enfin, les affaires n'étaient plus trop ce qu'elles étaient pour le crime traditionnel depuis que tous ces cinglés déguisés étaient sortis de nulle part...
— Pour sûr, c'est une drôle d'époque qu'on vit, grommela Bercham dans sa barbe. Y'a des clowns, des marionnettes, des gars habillés en point d'interrogation ou en pingouin ou en chat, et une chauve-souris qui leur course après. Sale époque. J'aimais mieux quand on avait juste des dealers et des assassins à flingues. C'était plus régulier, tu trouves pas ?
— Ouais.
Matches n'avait rien à ajouter. Bercham lui emboîta le pas, et ensemble, ils se dirigèrent vers Rogers Yacht Basin pour voler le bateau que Scarface avait réclamé. Ce serait facile : un cargo gigantesque venait de débarquer et dans l'effervescence du déchargement, personne verrait si un minuscule bateau de plaisance disparaissait, surtout si c'était celui d'un riche parti on ne sait où... ce qui ne manquait pas à Gotham, il fallait l'avouer. Le fait qu'un cargo aussi gros se retrouve dans le port réservé aux bateaux de plaisance étonnait bien un peu les deux compères, mais c'était le quartier des riches et des excentriques, là où on était sûr de trouver quelque chose de pas courant. Comme une maison qui explose parce que son propriétaire y a mis le feu ou les façades entières d'un quartier repeintes en rose bonbon en l'espace d'une nuit.
La cible fut vite repérée, par Matches qui plus est : une petite beauté bleue nommée « La Belle Aventure », au fuselage aussi délicat que la silhouette d'une belle femme. Les papiers à bord leur apprirent qu'elle était la propriété de Bruce Wayne, autrement dit le Prince de Gotham. Le gars était plein aux as, un bateau de plus ou de moins ne lui manquerait pas.
— Pour not' bon prince, s'écria Matches quand il eut découvert la réserve d'alcool. Y se refuse rien, le Wayne, dis donc !
Il rit à gorge déployée, s'enfila une bonne rasade de whisky à cinq cent dollars la bouteille. Bercham l'arrêta d'un geste alors qu'il s'apprêtait à la vider.
— T'avises pas de te bourrer trop la gueule, on a du boulot. Si Scarface a pas ce qu'y veut quand y veut, y te fera la peau, crois-moi. Lâche ça. Tu pourras toujours fêter ça après.
Matches grommela de mécontentement mais obéit. C'était son premier gros coup avec un méta-humain ; pas la peine de se foirer dès le début. Il reposa la bouteille, la mort dans l'âme.
— C'est que partie remise, ma jolie.
Il essuya les dernières gouttes de whisky qui s'étaient logées dans sa moustache, défit les amarres avec Bercham. Personne ne fit attention à eux si ce n'est un clochard à moitié ivre (qu'est-ce qu'y foutait là, le bougre ? se demanda Matches) qui se fit un plaisir de boire à leur santé après qu'il eut récupéré l'une des bouteilles de Wayne.
— T'es dingue, protesta Bercham. Gâcher du bon alcool comme ça. Et puis, s'y cause, hein ?
— Eh, ça va, personne le croira vu son état. Et l'pauv' vieux crèvera sans doute de faim ou de froid dans les jours qui viennent, vu le temps. Au moins, il aura bu de la bonne gnôle avant de passer l'arme à gauche.
Bercham continua de grommeler, mais sans plus. Matches s'en foutait bien, de son opinion. Il était peut-être une raclure dans son genre mais un peu de charité chrétienne, ça pouvait pas faire de mal si l'au-delà existait réellement, et en plus, si tout se passait bien, il avait encore une bonne vingtaine de bouteilles du même acabit à sa disposition. Merde, si tout se passait bien, il pourrait même se les payer, ces bouteilles !
— Bon, assez causé, dit Bercham. Faut qu'on se grouille ou on sera à la bourre. Tu sais manœuvrer cette chose, t'es sûr ?
— Aucun problème, siffla Matches. J'ai appris à l'armée. C'est pas plus dur que de piloter un tank, crois-moi.
— Ouais, ouais. T'avises pas de foirer, hein.
— T'inquiète.
Les clés n'étaient pas là, bien entendu, mais ce n'était pas important. C'était le petit talent de Matches : si on lui laissait le temps, il pouvait pirater n'importe quoi, que ce soit un vélo muni d'un antivol ou un ordinateur de la C.I.A. Le tout, c'était de savoir si ça en valait la peine.
— Elle démarre au quart de tour, cette cocotte, fit-il une fois qu'il eut réussi. Eh, y'a déjà le plein. Pratique. Fais-moi penser à envoyer une carte de vœux à M. Wayne.
— T'es taré, commenta Bercham. Partons d'ici, ton pote le poivrot me fout les jetons.
Le clochard s'était mis à chanter une balade particulièrement obscène sur les mœurs sexuelles du Joker, un succès qui avait fait le tour des bars mal famés jusqu'à ce que les hommes dudit Joker fassent taire les chanteurs à coups de gaz hilarant. À ce jour, personne n'avait osé ne serait-ce que humer le refrain entre les dents, alors le chanter tout haut...
— Pour sûr, il tiendra pas la journée, le pauvre diable.
Matches haussa les épaules. Il avait déjà fait sa B.A. du jour en fournissant sa dose d'alcool à ce pitre ; il n'allait pas non plus lui sauver la mise face au Joker ! Sans un mot, il pilota la bête jusqu'au lieu de rendez-vous tandis que Bercham surveillait la baie. La température avait encore baissé, mais heureusement, pas assez pour qu'il y ait de la glace à la surface. Ce qui était d'ailleurs extrêmement rare dans les eaux de Gotham, quand on y pensait : elles étaient si polluées qu'il fallait bien un niveau polaire pour que le givre s'installe. Ou l'aide de ce monstre congelé de Freeze, au choix.
— Bizarre, fit Bercham en scrutant le port. Personne a rien dit.
— Bah, on a fait ça bien, c'est tout.
— Ouais, mais t'as vu la gueule du bateau ? Ça devrait attirer l'attention, un yacht qui se balade en plein hiver avec deux pauvres types aux commandes.
Matches ricana.
— C'est le bateau de Wayne. Ce gars est tellement excentrique, ça doit étonner personne.
— C'est vrai qu'il a mis le feu à sa baraque... M'enfin, ça va faire trois ans...
— C'est pas un méta, des fois, hein ? Il a l'air assez taré pour.
Bercham secoua la tête.
— Nan, l'est juste gâté pourri. Un gosse de riche, ouais. Arrête de causer et concentre-toi sur la route.
Deux heures plus tard, ils arrivaient près d'une aire vide, en plein centre de Miller Harbor. Pas un chat en vue. Bercham était carrément nerveux.
— On est trop à découvert. Qu'est-ce qu'y foutent ? C'est l'heure.
À peine eut-il dit cela qu'ils entendirent un bruit de course-poursuite, des crissements de pneus frénétiques suivis de coups de feu. Au loin, les sirènes de la police hurlaient à s'en déchirer les tympans. Fidèle à son planning, Rhino arriva au volant d'un camion vert fonçant à toute allure. Il s'arrêta pile devant le bateau et alla ouvrir les portes à l'arrière, aidé de Mugsy. Matches put voir que le camion était plein à craquer de lingots d'or.
— Faut se grouiller, cracha Scarface en descendant. Déchargez-moi ça !
Ni une ni deux, on se mit à la tâche. Il fallut moins de deux minutes pour changer les lingots d'emplacement, moins de trente secondes pour couler le camion dans les eaux troubles. La bande monta à bord et ils filèrent. Ils étaient sept au total : le même nombre qu'au départ, ce qui était exceptionnel. La police arrivait.
— En avant, et nous paume pas, le nouveau !
Matches fit vrombir le moteur. C'était vraiment un beau bateau, construit pour la vitesse aussi bien que le confort. Bruce Wayne ne lésinait pas sur les moyens, c'était le moins qu'on puisse dire. En moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire, ils furent hors de portée des flics. La police maritime serait sans doute avertie, mais Scarface avait tout prévu : il les guida jusqu'à une cachette située plein nord, dans un coin si délabré que même les rats n'en connaissaient pas l'emplacement, et les fit décharger encore une fois. Il y avait déjà trois véhicules sur place : un pour Scarface et ses deux sbires les plus proches, et les deux autres pour le reste des hommes. Qu'ils se débrouillent pour se partager entre eux leur (modeste) part du butin, Scarface serait loin.
L'un dans l'autre, ce fut une bonne soirée. Matches eut la plus petite part parce qu'il était encore un bleu, mais ça représentait quand même un gros lingot pour lui, au moins quinze mille dollars, vingt s'il pouvait négocier. Assez pour tenir trois mois au moins, s'il se montrait raisonnable.
— À la revoyure, les nases ! leur lança Scarface avant de disparaître dans un crissement de roues.
— C'est ça, fit Karl, un des autres. Bon débarras !
Matches empocha son lingot, puis hésita. C'était pas mal, mais pas assez. Il lui fallait plus s'il voulait passer correctement l'hiver. Il se tourna vers Bercham et, tout sourires, lui tendit la main. Bercham la serra avec une pointe d'hésitation.
— Tu fais quoi, maintenant ? fit Matches.
Tout ce qu'il espérait, c'était que Bercham le mette sur un autre coup aussi juteux. Peut-être un casse du même style, ou une demande de rançon... N'importe quoi qui pourrait rapporter gros. Il se sentait prêt à tout.
— Moi ? fit Bercham, étonné. Je vais voir les putes. J'ai pas tiré mon coup depuis cette poupée dans le parking, y'a j'sais plus combien de temps. J'te jure, les nanas de nos jours, elles portent tous des flingues ou des bombes d'auto-défense sur elle. À croire qu'elles veulent pas de l'attention d'un beau gars comme moi !
Il éclata d'un rire gras qui fit à peine ciller Matches. Personnellement, il trouvait plus bandant que la fille soit gratuite et consentante mais si ça suffisait au plaisir de Bercham, hein, qui était-il pour le lui dire ? Et puis il avait encore besoin de lui. Il décida d'y aller franco.
— T'as pas un autre plan, genre comme ce soir ? J'me ferais bien un extra.
— Quoi, t'as pas assez ?
— Nan. J'ai besoin d'un bon plan retraite. Tu peux m'aider ?
— Oublie ça, lança Long, un asiatique dont l'oreille droite était plus courte que l'autre. Te frotte pas trop aux méta-humains, ça vaut mieux pour toi. Perso, une fois tous les trois mois, c'est déjà trop.
— J'ai besoin de fric, ok ? insista Matches. Les humains, ça paie pas assez avec notre C.V.
— P'têt ben, dit Bercham, mais ça t'attire aussi moins d'ennuis. Crois-moi sur parole, trouve-toi un patron dans la pègre si tu veux percer, et fais pas chier.
— C'est pas ce que tu disais tout à l'heure.
Bercham lui lança un regard exaspéré.
— J'parlais de free-lancers comme moi. On a un contrat une fois de temps en temps, assez pour s'en mettre plein les poches pour un moment, et on arrête jusqu'à la prochaine fois. On va certainement pas rechercher un autre méta une fois qu'on en a quitté un.
— P'têt ben qu'y faut que j'me trouve un méta régulier, alors, fit Matches, têtu. Un qui me respecte, tu vois.
— Ça existe pas, grommela Long.
Pour sa part, Bercham l'observa longtemps, assez pour que les autres se tirent et les laissent seuls au milieu des décombres. Il ne s'arrêta que lorsque les sirènes de la police se firent entendre.
— C'est ta vie, hein ! J'ai entendu dire que le Joker recrute, en ce moment. Il est connu pour buter ses hommes à vue s'ils lui plaisent pas mais si tu réussis à survivre, t'as assez pour te rouler dans un harem de putes jusqu'à la fin de tes jours. Enfin, c'est ce qu'on dit.
Matches y réfléchit un court instant. Le Joker. Bon plan. Risqué, mais s'il avait réussi à travailler pour une marionnette, alors un clown, c'était pas si différent. C'était l'ennemi juré du Batman, mais au moins sa réputation n'était pas surfaite.
— Ouais, faut voir.
Ils s'enfuirent chacun de leur côté avant de se faire surprendre par les autorités.
o-o-o
Le quartier était mort de chez mort. Pas une baraque qui en avait réchappé ; à croire qu'il y avait eu une guerre atomique. Bercham avait dit à Matches de chercher un bâtiment susceptible d'attirer l'attention d'un clown, comme un ancien cirque ou une boutique de farces et attrapes. Matches avait bien travaillé : à force de demander à droite et à gauche, il avait réussi à localiser le Joker quelque part au Sud de Gotham, dans Paris Island. Il y avait un ancien théâtre de marionnettes, ce que Matches trouvait assez ironique au vu de son précédent boss.
— Y'a quelqu'un ? fit-il en passant l'entrée en ruines.
Le théâtre s'appelait autrefois « Le nid de Polichinelle », si on en croyait le panneau à moitié effacé qui ornait la façade. Une forte odeur de bois pourri flottait dans l'air. Le hall était glacial ; Matches se ratatina sous son manteau mais continua d'avancer. Ses pas résonnaient dans l'obscurité, il laissait des empreintes bien apparentes dans la poussière...
— M. Joker ? Je sais que vous êtes là. Je veux simplement vous parler.
Matches s'aventura dans la salle de spectacle. Plus il avançait et plus il se disait qu'il avait vraiment eu une sale idée. Même si le Joker était là comme il le pensait, il fallait vraiment avoir un grain pour vivre dans un endroit aussi sinistre (et sinistré). Le bois craquait de partout, le vent qui s'engouffrait par les trous dans les murs faisait penser à des cris d'agonie et la saleté vous prenait à la gorge. Matches s'arrêta au milieu de l'allée principale. Sur scène, le lourd rideau rouge menaçait de tomber à chaque souffle de vent. Les sièges faisaient penser à des silhouettes d'enfants déformés.
Matches sentit un mouvement dans son dos. Puis une voix, aussi horrible que le pire de ses cauchemars, se fit entendre, suivi d'un caquètement obscène qui pouvait aussi bien être un rire qu'un sanglot.
— Eh bien, eh bien, eh bien, qu'avons-nous là ? Un oiseau égaré. Un insecte qui se promène. Ou est-ce un poisson hors de l'eau ?
Matches ne fit pas attention aux mots, simplement à l'intonation. Le type qui avait parlé avait des envies de meurtre, ça se sentait. Ou il voulait lui faire un câlin, il n'était pas sûr. C'était... bizarre.
Il pensa enfin à se retourner pour voir qui lui causait. À cause du manque de lumière, il ne vit d'abord qu'une silhouette vague, perchée sur l'un des sièges encore à peu près intact. La lune se leva à cet instant. L'homme (était-ce bien cela ?) en profita pour se mettre en pleine lumière.
Matches poussa un cri, trébucha dans la poussière.
La créature qui était apparue devant lui n'avait d'humain que la forme. Des yeux injectés de sang, des cheveux verts ébouriffés, un costume violet et vert à la fois de très mauvais goût et élégant, des chaussures cirées mais pleines de crasse, et, en-dessous d'un maquillage prétentieux et sale, un sourire pas entièrement naturel : le Joker était arrivé.
Et il se dirigeait droit sur Matches Malone.
À suivre...
