Heya !
Cela devait être au départ un OS, mais par manque de temps, seule la première partie a pour l'instant été écrite. Les deux autres suivront bientôt (relativement, période de concours actuellement).
Je le dédicace dans tous les cas à ma bien-aimée Illheart car cette histoire est un cadeau pour son anniversaire. Cœur sur toi petit poisson !
Autre dédicace à L.S. cette fois-ci, sans qui l'idée de l'OS n'aurait pas vu le jour.
Sur ce, bonne lecture.
Ici, le monde est paisible.
Partie I
Ici, le monde est paisible.
Si tu avais entendu ces mots dans d'autres circonstances, tu aurais probablement ri aux éclats avant de frapper la personne qui osait prétendre cela devant toi. Le monde, paisible ? On devait se moquer de toi. Tu n'y croyais pas une seule seconde. Ton univers n'était que désolation et désespoir. Certains partaient en quête de l'immortalité, toi tu te demandais si tu allais survivre jusqu'au lendemain. Chaque jour représentait à tes yeux une torture supplémentaire que tu t'efforçais d'endurer. Tu voulais crier que tu étais vivant. Tu refusais de mourir pour emmerder ceux qui ne désiraient que ta disparition. À leurs yeux, l'erreur que tu étais devait simplement se volatiliser. Même si c'était la dernière chose que tu devais faire avant de crever dans un caniveau, tu tenais à leur dire « Merde ! » de tout ton être.
Pourtant, tu n'en as rien fait.
Tu avais scruté cette main tendue qui t'était offerte, éberlué que quelqu'un te vînt en aide. Ces mots changèrent ta vie. Ce simple fait qui te semblait tiré de quelque roman s'avérait véridique dans ton cas. Cette seule phrase te permit de quitter la misère qui jonchait chacun de tes pas. Une salvation. Tu pus enfin avancer, découvrir de nouveaux horizons. Abandonner ce désespoir et cette honte qui t'habitaient continuellement.
Tu ne remercieras jamais assez cette personne. Tout ce que tu peux faire pour elle te paraît bien fade en contrepartie de ce qu'elle t'a apporté.
Ici, le monde est paisible.
Tu ne regretteras jamais d'avoir entendu des mots, d'avoir serré cette main tendue pour te relever.
Oui, le monde est paisible ici.
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La pluie s'abat sauvagement sur les pavés. Elle les heurte avec violence, l'eau inonde les caniveaux, recouvre les rues. La tempête fait rage, le vent balaie tout sur son passage. Des restes de journaux s'échouent sur le sol après s'être envolés quelques mètres, et les pages s'étiolent, se déchirent. L'orage gronde, le tonnerre retentit, assourdissant. L'éclair fend aussitôt le ciel, illuminant un bref instant les nuages noirs et bas. L'obscurité règne, malgré qu'il fasse encore jour. Personne ne met le nez dehors. Personne n'est assez fou pour ça.
Tu dévales les escaliers du perron, poussé par une forte main rêche. Le sol glisse, tu trébuches, tu t'étales sur les marches pour atterrir tête la première sur le trottoir. Tu es trempé en à peine quelques secondes. Tu grelottes déjà. La pluie est gelée. L'automne est déjà là.
— Tu n'es qu'un échec ! Qu'est-ce qui ne va pas chez toi !
Tes larmes se mêlent à l'eau qui ruisselle sur ton visage, invisibles. Tu trembles de froid alors que tu regardes ton père, désespéré. Les traits tirés par la rage, la haine, le dégoût, il se tient sur le seuil de votre maison. Ton ancienne maison. Il te crie dessus avec une profonde rancœur. Sa voix transcrit toute l'aversion qu'il éprouve pour toi.
— Tu n'es qu'un moins que rien ! Tu es incapable de faire quelque chose correctement !
Tu hoquètes. Tes pleurs sont étouffés par la violence des bourrasques qui te ballottent. Tu es incapable de répliquer. Les mots te manquent. Tu ne penses à rien. Seul un profond désarroi t'envahit, mêlé au désespoir.
— J'aurais aimé que tu ne sois jamais né !
La porte claque avec force derrière ton père. Tu te retrouves seul. Désœuvré. À la rue, sans aucun abri. Le couvre-feu est dans un quart d'heure à peine, et tu n'as nulle part où aller. Il l'a fait exprès, tu le sais. Il veut ta mort. Il veut que tu disparaisses, que ton existence soit réduite à néant.
Avec difficulté, tu te relèves. Tu refuses de mourir. Tu refuses de te plier aux exigences de celui qui a été ton père. Alors tu ne peux pas rester là. Malgré tes sanglots, tu t'aventures dans cette ville qui te semble déserte. Les volets des maisons se ferment à ton passage. Il n'y a qu'un paria pour traîner dehors à cette heure-là et par un tel temps de chien.
Personne ne t'aidera. Tu ne te fais pas d'illusion. Tu es seul dans ta misère.
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Tu as finalement trouvé refuge dans une vieille remise désaffectée dont tu as brisé la serrure malmenée par les années. C'était ta seule solution pour ne pas te faire prendre par la milice. Violer le couvre-feu est passible de mort. Tu ne peux l'accepter.
Tu ris amèrement devant cette ironie. Tu enfreins la loi pour te protéger d'autres lois. Tu viens de mettre le doigt dans un engrenage qui t'entraînera jusqu'à la fin de tes jours. Tu en as parfaitement conscience, mais tu n'as pas d'autres choix. Tu y es contraint si tu tiens à survivre. Cependant, tu n'imagines pas encore à quel point tu te hasardes sur un terrain glissant dont tu ignores tout.
Tu n'arrives pas à dormir. Le tonnerre gronde toujours autant. Le vent s'infiltre à travers la porte dans la remise. Les couinements des rats ne te rassurent pas et te stressent plus qu'autre chose. Une puanteur immonde t'assaille le nez. Tu soupçonnes un cadavre de rongeur d'en être la cause. Tu as envie de vomir. Tes larmes ne te lâchent pas. Elles continuent de couler le long de tes joues, se mêlant à l'eau qui goutte de tes cheveux. Tu grelottes de froid. Tu éternues. Tu vas finir par attraper la mort.
Pourtant, tu relativises. Tu as échappé à la milice qui t'aurait probablement fusillé pour violation du couvre-feu. Tu as un toit pour t'abriter. Ta situation pourrait être pire. Tu aurais pu te faire prendre, comme le désirait ton géniteur. Tu aurais pu rester à la rue par cette pluie torrentielle. Tu as su échapper à tout cela. Même si ta situation t'est défavorable au plus haut point, tu peux sûrement parvenir à t'en sortir. Tu as toujours été débrouillard, alors tu sauras bien trouver une solution. Tu l'espères ardemment. Tu t'y rattaches alors que l'inconnu et l'incertitude t'entourent. Tu ne renonceras pas à la vie. Tu ne leur feras pas ce plaisir. Tu rêves de crier au monde que tu es vivant, même si tu n'es qu'un paria.
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Tu coures dans les rues détrempées pour échapper à la milice qui te pourchasse. Pour te nourrir, tu n'as eu d'autre choix que de voler sur les étals du marché. Tu refuses de te laisser mourir de faim, alors tu enfreins de nouveau la loi. Malgré les réticences que tu as éprouvées au départ, il ne t'a pas fallu bien longtemps pour te décider à passer à l'acte. Ce ne sont pas quelques pommes et un bout de pain qui causeront un sérieux préjudice au marchand. Lui au moins n'a pas à vivre dehors en se demandant ce qu'il mangera aujourd'hui. Il est épargné de toutes ces déconvenues, car tu respectes ton éthique. Tu ne voles pas les nécessiteux. Tu t'assures de délester les riches de leur trop plein de nourriture.
Tu voles les vivres dont tu as besoin, jour après jour. Tu changes souvent de quartier pour ne pas te faire repérer trop rapidement par la milice. Tu préfères conserver ton anonymat pour pouvoir circuler encore librement dans les rues. Tu essaies de rester un inconnu, le fantôme de cette ville.
Les semaines s'enchaînent, tu y parviens plutôt bien. Même si tu dérobes la nourriture aux personnes aisées, tu n'es pas non plus un justicier. Tu ne récupères que ce dont tu as besoin, jamais d'argent pour ne pas trop attirer l'attention, tu ne redistribues rien. Dans la rue, chacun doit se débrouiller par ses propres moyens. L'entraide n'existe pas, au même titre que la solidarité.
Parfois tu connais quelques difficultés à échapper aux soldats qui t'aperçoivent au moment où tu commets ton méfait, mais tu réussis toujours à t'en sortir. Tu es plus agile, plus mobile. Souvent tu les entraînes vers un cul-de-sac dont tu t'échappes en grimpant aux murs pour passer de l'autre côté.
Courir sur les toits est devenue une seconde nature alors que les mois défilent. La milice ignore les voies d'accès. Elle échoue à te suivre, la course-poursuite s'arrête alors rapidement. À force, tu commences à connaître la ville sur le bout des doigts. Tu sais quelles ruelles prendre pour t'esquiver et disparaître, lesquelles tu dois éviter.
Pourtant, tout n'est pas rose. Les blessures s'amoncèlent sur ton corps sans que tu puisses les soigner. Tu n'es pas le seul paria qui essaie de survivre. Parfois te fais-tu chasser de l'abri que tu t'es dégotté pour la nuit. Certains t'agressent pour te voler la nourriture que tu es parvenu à récupérer. Certains s'acharnent parfois sur toi pour se défouler. Tu t'es déjà retrouvé alité pendant plusieurs jours, incapable de bouger à cause des nombreux coups.
Tu guéris mal. Tu n'as rien pour te soigner, et les herbes médicinales sont hors de portée pour tes compétences de voleur. De toute façon, tu n'y connais rien, tu ne saurais pas t'en servir. Alors tu endures la douleur. Tu espères que tes blessures ne s'infectent pas. Tu attends que ça passe.
Tu ne manges pas à ta faim. Tu maigris à vue d'œil. Tu ignores combien de temps tu pourras tenir ainsi. Quand tes forces te quitteront-elles ? Cette question te hante. Si tu perds ton agilité, tu es foutu. Tu le sais très bien. Tu essaies de repousser l'échéance fatidique, mais tu ignores si tes actions sont efficaces. Tu es dans l'expectative. L'angoisse se niche en ton sein.
Tu es seul, et ce depuis des mois. Personne ne te vient en aide. Tu es abandonné à ton propre sort. Tu as beau rester dans ton coin sans rien demander à personne, sans causer de torts, certains parias continuent de s'en prendre à toi. Tu essuies les coups sans pouvoir résister.
Survivre est difficile. Compliqué. Même toi tu ignores comment tu fais réellement pour t'en sortir jour après jour. Tu espères seulement rester en vie jusqu'au lendemain. Tu refuses toujours de mourir. Tu ne veux pas faire ce plaisir à ton paternel, même si tu ne l'as plus revu depuis ce jour où il t'a renié. Cette détermination guide tes pas, te permet de tenir.
Trop préoccupé sur ton sort, à échapper à la milice qui essaie de mettre le grappin sur le voleur que tu es, tu n'as jamais aperçu cet homme qui t'observe au loin, l'œil collé à sa lorgnette.
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Les coups pleuvent sur ton corps déjà meurtri. Le sang s'accumule dans ta bouche alors que ta tête s'enfonce dans la boue. La douleur se propage dans chacun de tes membres. Tu ne bouges pas. Tu te contentes d'endurer. Tu ne fais pas attention aux insultes proférées à ton égard. Cela ne peut pas être pire que de se faire renier par son propre père. Tu ne t'en préoccupes pas. Tu en as l'habitude désormais.
Après un dernier coup dans ton ventre, les autres parias s'éloignent en ricanant. Ils te laissent là, sur ce terrain vague après t'avoir dépouillé de toutes tes possessions. Tu n'as plus rien pour la nuit. Pas de vivres, pas d'eau, pas même un abri. À l'horizon, le soleil décline, la nuit tombe. Le couvre-feu sonnera bientôt. Tu dois bouger si tu ne veux pas être fusillé. Ton corps refuse de t'obéir, mais tu dois le plier à ta volonté. Tu ne veux pas mourir.
Tu essaies de te redresser. Chaque mouvement te fait souffrir atrocement. Tu sens le sang qui coule le long de ta peau, se mêlant à la boue. Tu tousses, tu as l'impression de t'arracher les poumons. Tu as envie de rester là, immobile, même si cela te conduirait vers une mort certaine. Te lever est au-dessus de tes forces.
Il commence à pleuvoir. Rapidement, tu es détrempé. Tes vêtements te collent, le sang se dilue, la boue disparaît. Tes cheveux se plaquent contre ton visage. L'eau est gelée, tu grelottes déjà de froid. Tu vas attraper la mort si tu restes là.
Alors tu te lèves. Tu emmerdes la douleur qui te transperce de part en part, qui te donne envie de crier à en perdre la voix. Tu titubes, ton équilibre vacille, mais tu restes debout sur tes jambes. Tu avances, pas après pas. Tu te moques d'aller aussi lentement qu'une limace, tu veux juste marcher, trouver un abri avant le couvre-feu. Vivre. Survivre. C'est tout ce qui t'importe. Sauver ta peau.
Ce n'est pas la première fois de toute façon. Tu as déjà subi les coups. Plusieurs fois. Tu n'as jamais la force de te défendre. Tu ne fais pas le poids. Ils t'attaquent toujours en groupe, parfois armés de barre de fer. Tu ne peux rien faire contre ce que tu appelles la meute. Seul, tu n'as aucune chance. Tu ne peux qu'endurer si tu tiens à la vie. Tu ne résistes pas. Un coup mal placé pourrait t'envoyer ad patres avant que tu n'aies le temps de t'opposer.
Lentement, difficilement, tu parviens à quitter le terrain vague pour rejoindre les habitations de la ville. Tu t'appuies contre un mur pour faciliter un tant soit peu ta marche. La pluie ne t'aide en rien. Tu glisses. Tu voudrais seulement t'effondrer et dormir. Abandonner.
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La pluie heurte les carreaux du hangar où tu as trouvé refuge. L'angoisse te ronge de l'intérieur, accompagnant la douleur qui se loge dans ton corps. Tu es immobile, allongé à même le sol froid, parmi la poussière et la paille. Tu es chez un habitant. Encore une fois, tu violes la loi. Tu n'as aucun droit de te trouver là. Tu comptes sur le mauvais temps pour que personne ne jette un œil pour vérifier. Tu ne dormiras pas afin de t'éclipser dès la fin du couvre-feu. Tu ne peux pas rester là. C'est trop dangereux.
Ton ventre grogne. Tu trembles. Tes yeux s'humidifient. Tu souffres. Tu agonises. Peut-être est-ce la fin ? Tu n'en sais rien. Tu ignores si tu vas réussir à t'en sortir. Il te faudra plusieurs jours avant de récupérer une mobilité de mouvement correcte, c'est-à-dire autant de temps sans manger. Sans agilité, tu ne peux voler les marchands. Tu es condamné à mourir lentement de faim.
Tu soupires longuement. Attendre. C'est tout ce que tu peux faire désormais, et espérer. Espérer que personne ne découvre ta cachette précaire. Espérer ne croiser aucun autre paria. Espérer survivre un jour de plus. Tu n'es capable de rien d'autre.
Tu roules lentement sur le côté, ignorant la douleur que cela engendre, comme si cela pouvait suffire à chasser les souvenirs de ton père. Tu l'entends encore alors qu'il t'a jeté sur ce perron. Il t'insulte, te renie. Tu fermes brièvement les yeux. Tu ne veux pas te rappeler. Tu veux oublier. Passer à autre chose.
Lorsque tu les rouvres, tu restes immobile un instant. Ton regard est captivé. Tu te demandes si tu n'hallucines pas. Tu fais fi de ta souffrance pour te rapprocher de l'objet de ton soudain intérêt. Tu balaies du revers de la main la poussière et les restes de paille qui recouvrent le sol.
Tu découvres une trappe sculptée. Un œil en relief se détache, fait de traits précis, réguliers, courbes. C'est la première fois que tu vois pareille chose. Tu t'interroges. Tu trouves cela étrange. Pourquoi sculpter un œil dans un hangar ? Tu observes tout autour de toi, mais le reste te semble parfaitement normal. Tu as découvert une « anomalie » dans ce lieu que tu pensais pourtant banal.
Tu soulèves la trappe, désireux d'en apprendre davantage. Ou plutôt, tu essaies. Elle est scellée. Il t'est impossible de l'ouvrir. Tu soupires longuement, t'allonges sur le dos. Ta vie n'est que déception. Rien ne va jamais dans ton sens, même des choses aussi futiles dont ne dépend pas ta survie.
T'es-tu douté à cet instant que cet « œil » affecterait ta vie dans une ampleur inimaginable ?
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Quelques semaines se sont écoulées. Tu as retrouvé un semblant de mobilité, et tu as repris tes exactions. Tu continues de dérober des vivres aux marchands afin de survivre jusqu'au lendemain. Tu évites les parias de la meute. Tu esquives la milice qui souhaite arrêter le voleur que tu es. Tu poursuis ta vie, aussi répétitive et miséreuse soit-elle.
Tu as oublié cette histoire de trappe sculptée. Tu ne t'intéresses plus à cet œil. Ce n'est pas cela qui remplira ton estomac le soir ou qui te permettra de guérir plus rapidement. Tu te concentres sur l'essentiel, sans quoi tu ne tiendras pas bien longtemps. La moindre imprudence dans cette ville peut te condamner.
Tu as déjà songé à quitter cette cité. Partir loin, tenter ta chance ailleurs. Cependant, la dure réalité te rattrape bien vite. Tu te trouves dans l'arrière-pays désert et poussiéreux. Sans le sou, fuir t'est impossible. Personne n'acceptera de prendre en stop un paria comme toi. Tu es condamné à rester dans cette ville sinistre de Villeneuve-des-Corbeaux. Tu es né et tu mourras ici. Aucune échappatoire ne se présente à toi.
Tu dois composer avec les innombrables règles qui forment la loi, celles qui restreignent la vie de chaque habitant. L'une d'elles impose le couvre-feu, tandis qu'une autre interdit de s'en prendre aux corbeaux qui se pavanent sur les toits des maisons avant de s'envoler le soir vers l'arbre Jamaisplus. Si plus jeune tu as accepté ces règles sans discuter, maintenant tu ne les comprends plus. Elles te paraissent étrangères, incongrues. De toute façon, tu as cessé de les appliquer afin de survivre.
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Tu souffres, ta respiration se fait sifflante. Tu continues de courir, même si tes jambes protestent contre ce traitement. Ton corps t'implore de t'arrêter, mais tu ne peux pas. Si tu t'arrêtes, seule la mort t'attend au bout du chemin. La milice est à tes trousses. Tu peines à la semer. Tes anciennes blessures affectent ta mobilité. Les toits te sont inaccessibles, et il en va de même pour la clef de ta liberté.
Tu refuses cependant que les soldats te mettent la main dessus. Tu veux vivre, quitte à transgresser la loi. Tu refuses de succomber auquel ton géniteur t'a condamné. Après la nuit vient nécessairement le soleil. Malgré ta misère, tu as conservé un brin d'optimisme qui t'offre un léger espoir.
Tu as souvent entendu dire que l'espoir permet de survivre. Tu ricanes toujours à cette idée que tu considères erronée. L'espoir ne nourrit pas, pas plus qu'il ne soigne. Il permet seulement de trouver la force de se lever le matin, de se traîner jusqu'à un abri la nuit pour respecter le couvre-feu. À lui seul, il n'apporte pas la vie.
Pourtant, c'est avec espoir que tu te réfugies dans ce cirque avec précipitation. Le Caligari Carnival. Tu ignores où tu as mis les pieds – tu n'es jamais allé au cirque de toute ton existence – mais tu te fonds dans la foule. Avec discrétion, tu t'éclipses. Puis, sans attirer les regards, tu disparais dans une tente à l'écart afin de reprendre ton souffle. Là, tu penses pouvoir être tranquille un moment avant de repartir.
— Bienvenue, bienvenue aux Caligari Carnival !
Tu sursautes et te retournes brusquement. Tu n'as pas entendu cette femme arriver derrière toi. À aucun moment tu n'as songé que quelqu'un puisse déjà se trouver dans cette tente.
Son accent sonne étrange à ton oreille, tu es mal à l'aise. Cette femme aux longs cheveux frisés te fixe d'un œil inquisiteur. Ses lèvres esquissent un léger sourire satisfait alors qu'elle continue de t'observer. Tu n'as qu'une envie : fuir.
Elle te retient cependant par le poignet avant même que tu ais eu le temps de bouger.
— Madame Lulu t'attendait.
Tu la dévisages, perplexe, et tu aperçois alors la boule de cristal au fond de la tente, derrière un rideau de perles. De tous les membres du cirque, il a fallu que tu tombes sur la diseuse de bonnes aventures.
Tu n'as jamais cru à la voyance que tu qualifies de pacotille. Voir l'avenir est impossible. Si cela était réellement possible, plus personne ne vivrait à la rue. Tout le monde ferait les bons choix afin de mener la meilleure existence possible.
— … Il faut que j'y aille.
Ta propre voix te semble étrangère. Cela fait longtemps que tu vis seul, sans personne à qui parler. Mais malgré ta demande, la voyante ne te lâche pas. Elle te regarde droit dans les yeux.
— Dans un monde gouverné par la corruption et l'arrogance, on peut avoir du mal à rester fidèle à ses convictions.
Tu clignes des yeux à plusieurs reprises, surpris. Tu ne sais pas quoi lui répondre. Tu la dévisages alors qu'elle attend une réponse de ta part. Tu hésites, tu cherches tes mots.
— Jacquelyn Scieszka ?
C'est tout ce que tu as trouvé à dire. Le nom de la personne à l'origine de cette phrase. Madame Lulu te lâche le poignet. Elle te sourit aimablement, te fait signe de la suivre dans l'arrière de la tente.
Tu hésites, encore. Dois-tu la suivre ? Tu n'es qu'un paria. Personne ne te parle habituellement, hormis pour t'insulter vertement. Le sait-elle seulement ? Tu doutes qu'elle l'ignore. Si elle tient ce poste de diseuse de bonnes aventures, alors elle doit savoir observer un minimum. À partir d'un regard, tu la devines capable de déduire l'identité d'une personne, peut-être même ce qui l'amène ici.
Tu finis par faire fi de ta méfiance et tu la rejoins. Quand tu franchis le rideau de perles, cette impression de ne pas pouvoir faire demi-tour t'envahit. Tu te sens soudainement coincé, piégé, même si rien ne se produit.
Madame Lulu s'est installée à la table où se trouve sa boule de cristal. Elle te fait signe de t'installer en face d'elle, mais ton attention est captivée par la toile de la tente. Tu retrouves ce même œil que sur la trappe sculptée. Ta main reste figée sur le dossier de la chaise. Toute cette histoire ne te dit rien qui vaille. Ton envie de fuir te reprend. Tu refuses de rester là. Tu retournes à la prudence.
Cependant, au moment où tu t'apprêtes à partir en courant, tu entends le hurlement d'un loup. Tu t'immobilises aussitôt. Tu t'interroges. Le cirque abrite-il des loups ? Tu n'en sais rien. Tout cela t'effraie. Tu souhaites pouvoir retourner à ta routine.
Tu observes Madame Lulu qui reste impassible, comme si elle n'a rien entendu.
— Qu'est-ce c'était ?
— Rien.
Sa réponse te déstabilise. N'a-t-elle réellement rien entendu ?
— S'il n'y a rien, alors quel était ce bruit ?
Il ne peut pas y avoir « rien ». Tu n'y crois pas. Alors tu insistes. Tu fixes le visage de Madame Lulu en quête d'une réponse. Son sourire s'élargit soudain.
— Oh Jyabura, tu es là ? Parfait ! Nous avons un volontaire.
Tu fais volte-face. Tu as à peine le temps d'apercevoir l'homme derrière toi que tu perds connaissance.
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On ignore encore l'identité du personnage principal, et c'est voulu ! Il faudra attendre la deuxième partie pour en savoir davantage.
Cette première partie est également bourrée de références, à commencer par le titre, mais encore faut-il les connaître. Un grand merci à L.S.
Madame Lulu est un OC appartenant à L.S.
Les prochaines parties (en toute logique, deux parties) arriveront j'espère prochainement, mais rien n'est sûr du fait des concours prochains. Elle finira cependant par arriver tôt ou tard !
La review est l'alimentation principale des auteurs, alors n'hésitez pas à en poster une !
See ya !
