TROP
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– Honneur à toi, me dit-il.
Quel idiot. Lui et ses manières avaient parfois le don de m'exaspérer. Un vrai petit aristo ; jamais un cheveu mal placé ni un mot plus haut que l'autre. Je devais souvent résister à l'envie de défaire sa cravate, d'ébouriffer ses cheveux, ou de faire exploser des bouteilles d'encre dans son sac, juste pour semer la pagaille et le bousculer un peu. C'était difficile (et ça l'était d'autant plus depuis qu'il ressemblait plus à un homme qu'à un adolescent), mais j'avais appris à me contrôler, jusque-là. Cette fois, pourtant, je ne pus m'en montrer capable ;
– Mais tu es devant moi, alors vas-y ! Je sais tenir une porte, par Merlin !
L'expression de pur choc qui se dessina sur son visage m'arracha un grognement exaspéré.
– Qu'est-ce que…
Il s'était figé et m'observait comme si la lune venait tout à coup de prendre la forme d'un carré parfait. Je soupirai et pinçai l'arrête de mon nez ;
– Laisse tomber.
– Rose, qu'est-ce qui ne va pas ? J'ai fait quelque chose de mal ? s'enquit-il, l'air réellement intéressé.
– Non ! m'exclamai-je en fermant les yeux. C'est justement ça le problème ! Merlin Malefoy, ça ne t'arrive jamais de vouloir faire quelque chose de fou comme… arriver en cours une seconde après la deuxième cloche, envoyer balader les filles qui pouffent sur ton passage au lieu de leur sourire poliment, ou… ou lever les yeux au ciel une fois dans ta vie ?
Stupéfait, Scorpius prit le temps de bien réfléchir avant de répondre.
– En quoi c'est mal d'être respectueux ?
– Ce n'est pas mal, grommelai-je. C'est juste… Parfois, tu l'es trop.
Nous n'avions pas fait deux mètres depuis le moment fatidique, et il était toujours là, songeur et incapable de bouger, devant l'entrée de la salle commune de Serdaigle.
– Oublie ça, soupirai-je en esquissant un sourire qui se voulait rassurant.
– Non, non ! Je veux savoir ! insista-t-il, l'air innocent, en me regardant droit dans les yeux. Qu'est-ce que… Qu'est-ce que tu verrais différemment ?
Je secouai la tête ; décidément, il ne comprenait rien. Mais je pris mon mal en patience et décidai de lui répondre.
– Ta chemise, par exemple.
– Ma chemise ? Demanda-t-il, ses yeux gris s'écarquillant avec stupeur lorsque je tendis les mains vers son col.
Je retins cependant mon geste et gardai quelques centièmes entre mes mains et le tissu.
– Oui, elle est parfaite. Aucun pli, rien qui va de travers. Toujours bien rentrée dans ton pantalon, comme si un couturier professionnel le faisait pour toi chaque matin. Et y lançait un sort pour ne pas qu'elle bouge de la journée.
Je le vis cligner des yeux, et porter une main hésitante à son col ;
– Tu voudrais que je le desserre ? Demanda-t-il, visiblement incertain.
– Seulement si tu en as envie, m'empressai-je de dire, refusant paradoxalement d'être à l'origine d'un changement qu'il verrait d'un mauvais œil. Mais c'est une solution, oui.
Il sembla hésiter plusieurs secondes avant de détacher le premier bouton de sa chemise d'un mouvement calme et précis.
– Voilà. Et puis tu peux aussi desserrer un peu ta cravate. Le règlement ne t'interdit pas de respirer, tu sais ? ajoutai-je d'une petite voix, sans pouvoir empêcher un léger éclat de rire de sortir de ma bouche.
Il rougit, mais s'exécuta docilement, ce qui me fit lever les yeux au ciel et sourire tout à la fois.
– C'est mieux ? me demanda-t-il, clairement sceptique. Ou il faut que j'enlève un second bouton ?
Cette fois, j'éclatai franchement de rire, et secouai la tête, priant pour que mon embarras ne se lise pas sur mes joues. Qu'il l'ouvre, ce fichu bouton !
– Ce n'est pas la peine, répondis-je cependant, tentant de calmer ma nervosité.
– Quoi d'autre alors ? Demanda-t-il de sa voix toujours aussi calme et polie.
– Euh…, hésitai-je, gênée, tandis que mes yeux vagabondaient sur son apparence stricte. Tes cheveux ?
Ses sourcils se froncèrent avec confusion et je gonflai mes poumons d'une petite dose de culot Weasley avant de lever une main et d'ébouriffer ses cheveux, et de voir ses joues se colorer légèrement lorsque ma main retomba le long de mon corps.
– Ce n'est pas bien, d'être coiffé ? m'interrogea-t-il à nouveau, sans que ses joues ne perdent de couleur, ni que sa voix ne se défasse de sa naïveté.
– Tu vois ! M'exclamai-je à nouveau. Tu te préoccupes trop de ce qui est bien ou pas. C'est comme si tu t'efforçais constamment de faire ce que l'on attend de toi, de ne pas dépasser du cadre dans lequel tu as peint ton reflet. Tu es trop… parfait. Tout le temps. C'est exaspérant ! À côté de toi j'ai l'air de…
– D'une étincelle ? me proposa-t-il, un demi-sourire naissant sur ses lèvres jusque-là immobiles.
Mon regard croisa le sien et je clignai des yeux, les joues en feu ;
– Une… une quoi ? Balbutiai-je.
– Une étincelle, répéta-t-il, visiblement amusé. Une étincelle en train de tenter de faire fondre un gros bloc de glace, apparemment.
Et je le vis, abasourdie, passer une main hésitante dans ses cheveux, afin de les mettre en désordre. Je ne pus m'empêcher de sourire et lorsqu'il tendit une main vers le col de ma chemise pour rajuster la cravate qui pendait jusque-là lamentablement autour de mon cou, mon cœur sembla se précipiter du haut d'une falaise avant de venir s'écraser contre les parois de ma poitrine ;
– Si tu dois déteindre sur moi, il n'y a pas de raison que je ne déteigne pas sur toi, expliqua-t-il, un éclair d'amusement déchirant furtivement son regard.
Je le laissai faire en silence, sans jamais regarder autre chose que son visage éclairé par l'amusement. Le tout en priant Merlin pour que mon cœur cesse de s'affoler ; pourquoi avais-je si chaud ? Il enroula ensuite une de mes boucles autour de son index et un sourire moqueur que je ne lui avais encore jamais vu glissa sur ses lèvres ;
– Pour ça en revanche, je crois qu'il n'y a rien à faire...
– Euh, oui, bon, fis-je maladroitement, avant de lui retirer la boucle des mains pour la replacer parmi les autres. Et puis sinon..., poursuivis-je en détournant le regard, parfaitement consciente de la couleur écarlate que mon visage tout entier avait prise. Sinon, être un gentleman c'est sympa, mais, euh…
– Mais euh quoi, Rose ?
– C'est… juste un peu agaçant…
J'avais bien compris que nous avions échangé de rôle, durant cette conversation, et cela ne me plaisait pas du tout.
– Agaçant ? Répéta-t-il, en reculant d'un pas, ses sourcils se fronçant légèrement au-dessus de ses yeux gris, et je compris que ma remarqua l'avait blessé.
– Un peu, j'ai dit ! ripostai-je puérilement.
Mais Scorpius demeura silencieux et les traits de son visage s'étaient à nouveau tendus. Complètement paniquée, j'ouvris de grands yeux et oubliai ma gêne.
– Non ! Scorpius ! me plaignis-je de son air guindé, avant d'agripper son col d'une main et de passer la seconde dans ses cheveux, puis de la faire glisser sur son visage, jusqu'à sa mâchoire. Fais comme tout à l'heure ! Déstresse !
– Que je…, commença-t-il avant de s'interrompre en secouant légèrement la tête, incrédule. Rose, je suis peut-être trop… je ne suis pas comme toi, d'accord, mais au moins, moi, je t'aime comme tu es, souffla-t-il la mâchoire crispée, les joues parsemées de tâches rouges.
– Mais moi aussi, je t'aime comme tu es ! Seulement, je…
Je m'interrompis, plus choquée encore par mes propres mots que par les siens. Il sembla réaliser en même temps que moi ce qui venait de se produire et aucun de nous ne sembla capable de dire quoi que ce soit pendant plusieurs secondes, jusqu'à ce que mes émotions se manifestent malgré moi ;
– Tu l'as dit en premier ! Me défendis-je, le cœur battant la chamade.
Bizarrement, cela le fit rire. Après tout, je me conduisais comme une enfant, et il ne manquait plus que je lève les bras au-dessus de ma tête pour prouver mon innocence.
– Je suis bien content de l'avoir dit en premier, m'avoua-t-il, embarrassé, mais sans jamais me quitter des yeux.
– Je…, je, balbutiai-je, incapable de raisonner avec cohérence.
– Voilà ce que ça donne, des années d'entraînement à bien parler, se moqua-t-il gentiment. Moi au moins, j'arrive encore à être cohérent.
Je fronçai les sourcils et retins le sourire qui menaçait de traduire la légèreté qui habitait ma poitrine ;
– Finalement, je crois que je préférais encore quand tu étais excessivement poli, grommelai-je.
Il était insupportable, et je n'avais qu'une envie : lui clouer le bec. Je me rendis alors à l'évidence ; il n'y avait qu'une seule et unique manière d'y parvenir, là, maintenant, tout de suite. Je fis volte-face, non sans lui adresser un regard agacé, et m'éloignai à grands pas.
– Rose ! Attends ! Merlin, ce que tu peux être contradictoire ! m'appela-t-il, avant de se mettre à trottiner pour me rattraper. Il faudrait savoir, tu veux que je sois poli ou tu veux que je sois… quoi d'ailleurs ?
Je baissai les yeux, priant pour que cela suffise à dissimuler mon embarras ; la vérité, c'est que je ne savais pas, j'étais perdue et mon cœur battait de manière si désordonnée que je cédais lentement à la panique.
– Je… Je ne sais pas. Enfin, si, je sais, je veux… Je veux que tu sois toi-même, et… Et je veux avoir le droit de… de mettre le bazar dans ta vie, comme…, marmonnai-je sans respirer, ne sachant pas comment il m'était encore possible de le regarder dans les yeux. Comme je viens de le faire avec ta chemise. Par exemple.
Un sourire glissa sur ses lèvres et je vis qu'il se retenait d'éclater de rire, par politesse, sûrement ;
– Rose… Tu mets le bazar dans ma vie. Tous les jours, ajouta-t-il avec douceur.
Ah bon ? pensai-je. J'étais certaine d'avoir une mine ahurie devant son doux sourire espiègle.
– Euh, désolée, furent les mots qui sortirent involontairement de ma bouche.
– Non ! Fit-il, en secouant la tête. Ne t'excuse pas. Le fait que je sois toujours trop… lisse, ne signifie pas que je n'aime pas les couleurs, le bruit et le désordre que toi tu m'apportes.
– Mais tu n'es pas trop lisse ! J'étais énervée quand j'ai dit ça. Tu es…
Mes yeux tombèrent de quelques centimètres, et ma main trouva d'elle-même le chemin jusqu'à son bras, où le tissu de sa chemise d'un blanc impeccable ne portait pas une seule froissure.
– Bon, peut-être un peu, admis-je en esquissant un sourire penaud, mais ce n'est pas… je ne le déteste pas, terminai-je en haussant les épaules avant de relever mon visage vers le sien.
Il m'observa quelques secondes, le visage indéchiffrable, puis se pencha brusquement vers moi pour déposer ses lèvres au coin de ma bouche. Il recula ensuite d'un pas mais encadra mon visage avec ses mains, son regard planté dans le mien.
– Un gentleman aurait demandé ton autorisation, me dit-il alors dans un souffle, les oreilles plus rouges que jamais.
J'enfouis ma tête dans sa chemise avec embarras et ne pus retenir un éclat de rire. Je sentis ses doigts, auparavant sur mes joues, poursuivre leur chemin dans mes cheveux, avant que ses bras ne m'emprisonnent entièrement.
– En revanche, reprit-il de sa voix toujours aussi mesurée, je vais être forcé de te demander la permission de m'accompagner pour la prochaine sortie à Pré-au-Lard.
Rougissant (encore) de plaisir, mais toujours emmitouflée dans son étreinte, je bafouillai :
– Ce n'est pas comme si on n'y allait pas déjà ensemble à chaque fois. Bon, d'accord, il y a toujours Albus, mais c'est un détail.
Je l'entendis pouffer et une de ses mains vint s'enrouler dans mes cheveux ;
– Rose, souffla-t-il d'une voix mi-amsuée, mi-exaspérée, c'est oui, ou c'est non ?
Instinctivement, je hochai la tête, fermant les yeux sous l'effet apaisant de sa main.
– C'est oui.
N/A
Bonsoir à toutes et à tous !
Nous fêtons aujourd'hui l'anniversaire de Marie Lapiz et de tous ses effets secondaires. C'est pourquoi nous avons écrit cette petite drabble, et ainsi commencé un petit recueil (que de choses "petites", pour un hommage à une grande auteure).
Toutes les drabbles de ce recueil seront écrites comme celle d'aujourd'hui, à savoir sous les mêmes contraintes qu'un cadavre exquis. Chacune notre tour, sans au préalable discuter ensemble des personnages impliqués ni de ce qui leur adviendrait, nous avons écrit une phrase (parfois deux), jusqu'à tomber d'accord quand la fin ressemblait à une fin. Ce challenge nous a énormément plu, et on espère qu'il vous plaira aussi !
En ce qui concerne notre nouveau projet... Il est encore à l'état de projet, et il avance très très lentement. Mais nous n'abandonnerons pas !
À très bientôt pour une nouvelle drabble !
Del(&)Plume
