Tu m'auras oublié…

Assis seul, dans le noir, il se tenait là. Les minutes s'écoulaient, inexorablement, implacablement. Les yeux brulants d'avoir trop pleuré, il restait là, silencieux. Comme après une mauvaise cuite, il sentit la nausée qui le reprenait. Tout semblait si irréel et pourtant. Dans sa poitrine, son cœur battait tellement fort qu'il en avait mal. Il se sentait vide, sale, seul, inutile. Comment avait-t-il pu en arriver là ? Comment tout ceci avait-t-il pu arriver ?

Il rejouait le fil des événements dans sa tête pour la centième fois, chaque minute, chaque seconde, espérant un enchaînement différent, une issue différente. Mais pourtant, les faits étaient bien là et lui ne l'était plus. Lui… Lui qu'il avait tant chéri, tant désiré, tant aimé. Jamais il n'avait autant voulu mourir qu'à cet instant. Mais ça lui était malheureusement impossible.

Tout son monde s'était écroulé en si peu de temps. Grey, Owen, Toshiko, Steven, Alice et Lui. Il n'osait même plus penser à son nom, il ne s'en donnait plus le droit. A quoi bon l'éternité si c'était pour avoir si mal. Bien sûr il avait souffert, des centaines de fois, fusillé, empoissonné, exterminé, brûlé, suicidé, poignardé… Mais la souffrance physique n'est rien comparée à celle qu'il endurait à cet instant. Il avait déjà aimé, plusieurs fois. Il avait déjà perdu des êtres chers, sa première femme, Estelle, la mère d'Alice. Mais là, les choses étaient totalement différentes. Son âme sœur n'était plus.

Le bouclier que les 4.5.6 avaient déployé autour de la Terre, bloquant toute possibilité de communication avec le reste de l'univers, s'était dissipé après l'annihilation de la menace. Il avait alors pu rentrer en contact avec un vaisseau de l'alliance galactique.

Il avait laissé Gwen avec Rhys. Il savait qu'elle ne pouvait pas être en de meilleures mains. Elle devait prendre soin d'elle, prendre soin du bébé à venir. Elle avait protesté avec véhémence mais elle devait tourner la page. Lui en était incapable. L'indestructible capitaine Jack Harkness n'était plus que l'ombre de lui-même.

Il se leva, pour se rendre dans la salle voisine. Il devait le faire, il ne l'avait pas fait depuis son départ. Il posa sa main tremblante sur le panneau qui se trouvait sur la porte. Il pénétra dans une pièce dont les murs étaient couverts d'écrans divers. En son centre se trouvait une table. Un champ de force rayonnait au-dessus. Et dans ce champ de force…

J – Ianto…

Il était là, étendu, paisible, endormi pour l'éternité. On pouvait croire qu'il allait se réveiller. Jack n'avait pu se résoudre à le laisser. Il avait passé un accord avec ceux qui l'avaient fait monter à leur bord. Grâce au manipulateur de vortex, il avait réussi à téléporter la dépouille de Ianto à bord. Il savait que le vaisseau dans lequel il se trouvait disposait de la technologie nécessaire pour transporter son compagnon sans risque de nuire à son intégrité physique.

Il avait pris le temps de réfléchir pendant les mois qui s'étaient écoulés et il en était arrivé à la conclusion folle et pourtant évidente qu'il devait retrouver le Docteur. Rose l'avait fait revenir à la vie en absorbant le cœur du T.A.R.D.I.S. Pourquoi ne pourrait-il pas en faire de même ? Et quand bien même ça tournerait mal, s'il venait à en mourir lui-même, il pourrait rejoindre son cher amour à jamais. Une seule inconnue demeurait : le Docteur le laisserait-il agir ?

Le dispositif dans le quel se trouvait le jeune gallois le maintenait en suspension dans le temps. Jamais sa mâle beauté ne se flétrirait, pas tant qu'une lueur d'espoir resterait dans le cœur de Jack. Il contrôla les écrans qui se trouvaient de part et d'autre de la table. Aucun signe de décomposition, aucune altération. Il voulait tant le serrer dans ses bras, sentir son odeur encore une fois. Mais ça lui était impossible. S'il venait à briser le champ de force, le temps reprendrait immédiatement son cours. Il se contenta d'approcher la main au plus près, regardant le visage paisible de son amour.

J - Bonne nuit, doux prince. Que des essaims d'anges te bercent de leurs chants…

Shakespeare avait dû aimer comme lui-même aimait à cet instant pour écrire pareille phrase.

Le cœur lourd, la gorge serrée, Jack sortit de la pièce, non sans jeter un dernier regard vers l'homme qu'il aimait. D'une manière où d'une autre, il le retrouverait. Il s'en fit le serment.