Disclaimer: Durarara appartient à Ryōgo Narita.
Attention, ce texte parle de troubles mentaux et de dépression.
Les regrets viennent toujours trop tard
Partie 1
S'il y a bien une chose qui m'amuse plus que tout, c'est quand les autres essayent de me comprendre, de lire en moi. La plupart me pense psychopathe, voire sociopathe, sans même connaitre la différence entre les deux. La vérité est tellement plus simple et complexe à la fois... Je vais vous la montrer et, peut-être, qu'après vous pourrez enfin me comprendre...
Vous connaissez ce phénomène plus que banal, n'est-ce pas ? Vous tenez un verre dans la main et la seconde d'après, sans trop savoir comment, il vous a glissé entre les doigts. Vous aurez beau essayer de recoller les morceaux, le verre ne sera jamais plus le même. Ça n'a strictement aucun intérêt, on est d'accord mais si on transpose ça sur les humains, ça devient tout de suite beaucoup plus intéressant. Je devais avoir quatorze ans quand ça m'est arrivé. J'étais solitaire et déjà un peu bizarre avant mais j'étais tout de même dans la norme. Seulement, sans raison apparente, j'ai fini par me tordre. J'ai glissé et je me suis fracassé au sol. Je n'ai pas réussi à me redresser intact. Comme le verre, je n'ai plus jamais été le même. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Je n'ai subi aucun traumatisme, j'ai eu des parents normaux, peut-être trop absents mais rien de bien grave. Néanmoins, je me suis mis, soudain, à voir le monde de façon différente. Pourquoi est-ce que mon esprit a-t-il commencé à se déformer de la sorte ? J'ai bien quelques pistes de réponse mais je n'ai jamais voulu trop m'y pencher. Je suis lâche, même pour ça. Je mens tellement bien que je n'ai aucun mal à me cacher la vérité. C'est facile, c'est comme un jeu.
Je vis ma vie à cent à l'heure. J'ai tellement de choses à faire, de projets, que vingt-quatre heures, ça ne me semble clairement pas assez pour pouvoir tout faire. Heureusement, je n'ai pas besoin de dormir beaucoup. D'ailleurs, ça m'est déjà arrivé de ne pas me coucher pendant presque trois jours. Quelques fois, c'est comme si je suis pris dans un tourbillon duquel je n'arrive pas à m'extirper. Tout est dans l'excès. Je m'en rends compte parfois par après, mais jamais sur le moment même. Je ne sais pas l'expliquer, mais j'aime être dans cet état-là, rien ne me parait impossible. Je me sens comme un Dieu que rien ne peut arrêter. Cependant, je sais que ce n'est pas normal et que certains de mes excès sont dangereux, mais j'ai besoin de cette adrénaline. Et c'est sans doute pour ça que je me promène actuellement à Ikebukuro alors que je n'ai pas de raison particulière d'être ici, j'espère juste croiser Mikado, Kida ou quelqu'un d'autre...
J'aime les humains, je les aime réellement. J'aime tout d'eux. Et c'est pour ça que je veux les voir dans toutes les situations possibles. Le chaos est tellement amusant. C'est comme de taper un bon coup dans une fourmilière et d'observer les réactions de ces charmantes petites bêtes. Je fais la même chose avec les humains. Je provoque le bazar et je me place en hauteur pour tout voir. C'est une règle importante de mon amour pour les humains : ne pas être trop près, conserver une certaine distance. Je ne veux pas m'attacher mais j'apprécie quand ils me rendent mon affection, ce qui n'arrive pas souvent il faut bien le dire. Je sais être gentil mais c'est un masque que je n'aime pas garder trop longtemps, je préfère me montrer sournois. J'adore voir leur visage se décomposer quand je leur montre ma vraie nature. Me faire passer pour ce que je ne suis pas est d'une facilité déconcertante pour moi et tout le monde tombe à chaque fois dans le panneau. Enfin, presque tout le monde.
Chaque règle a son exception, n'est-ce pas ? La mienne s'appelle Shizu-chan. Il me hait depuis la première fois qu'on s'est rencontré. Pourtant, je n'avais rien fait de mal pour une fois. Je voulais juste faire sa connaissance, tant il m'intriguait. Un humain avec une telle force, il me le fallait absolument à mes côtés. Je me voyais déjà dompter son caractère impétueux, mais je l'ai sous-estimé. Dès qu'il m'a vu, il a vu clair en moi. Il m'a rejeté sans me laisser la moindre chance. Ça m'a agacé tout autant que ça m'a amusé. À chaque fois, je ne peux m'empêcher de le chercher. Le voir exploser est un vrai régal. S'il me hait plus que tout, on peut dire que je le lui rends bien. Je lui ai causé beaucoup d'ennuis, je lui ai fait perdre pas mal de boulot et tout ça, sans l'once d'un remord. Entre nous, ce n'est pas le jeu du chat et de la souris digne d'une rivalité de lycéens. C'est une véritable haine qui nous consume. Plus le temps passe et plus c'est violent. Quand je pense à lui, c'est comme si un feu brûlant s'emparait de tout mon corps. Je voudrais tant pouvoir le détruire. Son existence pollue la mienne. L'un de nous est de trop dans cette ville et c'est clairement lui. J'aurais pu, sans doute, tout arrêter, stopper mes provocations mais je n'ai jamais voulu le faire. Je me sens pris dans un engrenage. J'aime nos courses poursuites et je viens les réclamer à chaque fois que j'ai besoin de ce frisson qui me plait tant. Et pourtant, je suis toujours frustré après. Nos combats ont sans cesse un arrière-goût amer dans ma bouche. Aucun de nous deux n'arrive à ses fins. Je ne sais pas le blesser sérieusement et il ne m'attrape jamais. J'aimerais, rien qu'une fois, que cette routine s'enraye. Je veux que ses pas rattrapent les miens, je veux sentir ses mains sur mon corps. Je suis vraiment curieux de voir ce qu'il me ferait alors. M'achèverait-il d'un coup ou prendrait-il son temps pour bien me faire souffrir ? À moins qu'il ne me surprenne encore une fois. Mais je ne le saurai probablement jamais parce que le laisser m'atteindre serait comme une forme de suicide et je ne suis clairement pas prêt à mourir. Alors pourquoi est-ce que je ne peux pas m'empêcher d'aller vers lui ? Je me pose parfois cette question quand je me sens au plus bas, mais quand je suis bien, elle ne m'effleure même pas l'esprit. C'est normal que je lui fasse face. C'est un monstre, un protozoaire, il n'a pas le droit de mener une vie paisible. Il faut bien que quelqu'un se charge de le remettre à sa place. Et qui mieux que moi peut le faire ? C'est avec plaisir que je m'occupe de cette mission, même si cette brute n'a pas besoin de moi pour se montrer en spectacle.
Néanmoins, ma vie ne tourne pas autour de lui et je ne tiens pas à éviter des distributeurs volants tous les jours. Depuis que j'ai emménagé à Shinjuku, je peux souffler un peu. Je vais toujours à Ikebukuro, bien-sûr, mais pas toutes les semaines. Et je me suis rendu compte que c'était encore plus amusant comme ça. J'aime laisser mijoter Shizu-chan. Je suis sûr qu'il se prend régulièrement la tête avec des questions dont il ne peut avoir la réponse : « pourquoi n'est-il pas encore revenu ? Qu'est-ce qu'il cache ? Est-ce qu'il est derrière ça ? Quand revient-il ? » ... Ah ah, pauvre protozoaire. Lui qui n'aime pas réfléchir, tout ça doit lui donner un sacré mal de crâne.
Je rigole tout seul en pleine rue, me fichant pas mal du regard des autres. La vérité, c'est que j'aime sentir que j'ai du pouvoir sur lui. Il ne fait jamais ce que je veux mais j'arrive à le rendre fou en moins d'une seconde, c'est une bonne compensation. Et puis, il le mérite. Ça m'agace, d'ailleurs, quand on le perçoit comme le gentil de notre rivalité. En quoi débiter des promesses de mort et de souffrance est-il gentil au juste ? Non, Shizu-chan est quelqu'un de très dangereux. Ça m'étonne même qu'il n'ait jamais tué quelqu'un lors d'une de ses nombreuses crises de colère et, à mon avis, il ne doit ça qu'à la chance. Ceci dit, je serais vraiment curieux de voir sa réaction si ça devait arriver. Se suiciderait-il en comprenant enfin qu'il n'est qu'un monstre ? Je pouffe de rire, ce serait amusant !
Tiens, d'ailleurs, quand on parle du loup... Au détour d'une rue, j'aperçois sa chevelure blonde typique. Amusé qu'il ne m'ait pas encore vu, je décide de rester discret et de me « planquer » derrière un mur. Il a l'air occupé, presque absorbé par sa conversation avec Vorona, qui travaille avec lui depuis plusieurs mois. Je l'observe longuement, je l'ai rarement vu comme ça. Il parle calmement, sans s'énerver. Bien que je n'entende pas ce qu'il dit, je vois que son visage est paisible. D'habitude, Shizu-chan finit toujours par péter un câble, pour une raison ou une autre. Mais ici, rien du tout. C'est même pire que ça, on dirait presque qu'elle l'apaise...
Bien-sûr, je connais bien cette Vorona. Dès l'instant où elle est entrée dans la vie de Shizu-chan, je savais tout d'elle et, vraiment, je suis plus qu'étonné de les voir si bien s'entendre. C'est une meurtrière et elle a même essayé de tuer Shizu-chan. Comme elle a lamentablement échoué, elle a voulu le manipuler pour rester proche de lui. Il sait tout ça alors pourquoi n'a-t-elle pas droit aux distributeurs volants elle aussi ? Parce que c'est une femme ? Hmm... ce raisonnement sexiste est bien digne d'un protozoaire dans son genre, mais ça ne change rien au fait qu'il se montre gentil avec elle et que c'est très agaçant. En tout cas, leur conversation a l'air intéressante. Ils ont tous deux un comportement étrange, comme s'ils n'étaient pas tout à fait sûrs d'eux-mêmes. Puis, sans que je ne m'y attende, Shizu-chan se penche et pose un léger baiser sur les lèvres de Vorona. Cette dernière semble un peu confuse mais sourit, contente. Tout le contraire de moi !
Mais qu'est-ce qu'il vient de se passer ? C'est juste... impossible. Ça ne peut pas être vrai. Tout s'embrouille dans ma tête. J'ai de nouveau l'impression d'être pris dans un tourbillon, mais cette fois-ci, ça n'a rien d'agréable. J'ai envie de vomir. Cette image est écoeurante. Et dire qu'ils continuent de se regarder bêtement, comme s'ils ne savaient pas ce qu'ils devaient faire à présent. Ça me rend malade. Un voile de méchanceté s'empare de mon coeur, je dois casser ce moment. Hors de question que je les laisse profiter. Je souris alors avec férocité et je sors de ma « cachette ». Je n'ai plus qu'une idée en tête : leur faire du mal. Je suis de nouveau en roue libre, je sens que plus rien ne peut m'arrêter. J'aime cette sensation de toute puissance. Sûr de moi, je m'avance alors vers eux.
« Shizu-chan ! Quelle surprise ! Tu n'es pas censé travailler ? »
Ma présence fait l'effet d'une douche froide. Ses yeux se remplissent de colère et son visage n'a plus rien de paisible. Mon sourire se fait alors plus mauvais. Ah ah, je préfère vraiment le voir comme ça. Très vite, c'est comme si plus rien ne comptait pour lui, à part moi. Il ne regarde plus Vorona, elle n'existe plus à ses yeux.
« I-za-ya ! Je vais te buter ! »
Sa voix est forte, autoritaire et dominatrice. J'aurais presque envie de m'y soumettre... presque. J'éclate alors de rire tandis qu'il arrache avec fureur le premier panneau qui passe à portée de main. C'est le signal. Je me mets à courir, rapidement suivi par le monstre d'Ikebukuro. Une joie étrange parcourt alors mon corps. Shizu-chan a préféré me suivre plutôt que de rester auprès de Vorona. C'est bien la preuve que ce baiser est juste une vaste blague. De toute façon, un monstre est incapable d'aimer et ne mérite certainement pas d'être aimé en retour !
La course poursuite dure quelques minutes mais, comme d'habitude, j'arrive à le semer. Lorsque je suis sûr qu'il n'est plus à mes trousses, je ralentis l'allure et reprends un pas normal. Ah là là, cette brute n'est quand même pas très endurante...
Décidant que j'en ai assez vu pour aujourd'hui, je retourne chez moi. Je suis frustré. Une fois encore, Shizu-chan s'est montré imprévisible. Pourquoi diable l'a-t-il embrassé ? Elle n'est même pas agréable à vivre, on dirait un robot. Est-il à ce point en manque d'amour ? C'est ridicule. Il est vraiment pathétique. De toute façon, je ne vois pas comment Vorona pourrait arriver à le supporter, surtout après ma petite démonstration. Les crises de colère de Shizu-chan passent toujours avant le reste, en particulier si elles me concernent. La preuve, il n'a pas hésité à la laisser seule après leur baiser pour me courir après. La pauvre...
Je ricane méchamment. Stupide Shizu-chan, à quoi penses-tu donc ? Tu as déjà eu le béguin pour des filles avant ça et, à chaque fois, ça s'est fini de la même façon : ta force monstrueuse les blessait. Pourquoi donc ce serait différent ici ? Tu crois vraiment que tu peux changer ? Si c'est le cas, c'est que tu es alors encore plus bête que ce que je croyais.
Maussade, je finis par arriver chez moi. Rapidement, je monte jusqu'à mon appartement et me mets à l'aise. Je m'assieds ensuite sur mon appuie de fenêtre et regarde les gens qui marchent en bas dans la rue. J'aime faire ça, ça me détend toujours et j'en ai bien besoin aujourd'hui. Mon cerveau est en ébullition. Dieu que je hais Shizu-chan ! Pourquoi n'agit-il jamais comme je le veux ? Je ne peux pas le contrôler et je déteste ça. Il ne cesse de me surprendre, mais aujourd'hui, plus que les autres jours, je m'en serais bien passé. Cette vision, qui reste collée à ma rétine, me dégoûte au plus haut point. Je ne suis pas d'accord. Je refuse qu'ils soient ensemble, je ne laisserai pas Shizu-chan être heureux et encore moins avec cette femme. Mais qu'est-ce que je peux faire ? La tuer ? Non, je ne veux pas me salir les mains pour cette humaine que j'aime malgré tout, comme les autres. Le tuer ? Ça, j'aimerais bien ! Mais je n'ai pas trouvé de solution satisfaisante à ce problème pour l'instant. Alors quoi ? Une partie de moi souhaite ne rien faire. Ce sera un peu frustrant au début, c'est vrai, mais qu'est-ce que je prendrai mon pied en voyant Shizu-chan tout foutre en l'air à lui tout seul ! Parce que c'est, forcément, ce qui va finir par arriver. Il est incapable de construire quelque chose, il finit toujours par tout casser, ce n'est qu'une question de temps. Oui, je pense que c'est ce que je vais faire. Et puis, je suis du genre patient. Ça ne me dérange pas d'attendre un peu, je sais que je serai récompensé. Shizu-chan va m'offrir un beau spectacle, j'ai hâte de voir ça. Et en plus, il ne pourra pas m'accuser, il sera le seul responsable ! Ça promet d'être amusant. Je souris, j'ai hâte de voir ça.
Mais il n'empêche que j'ai du mal à comprendre Vorona. Comment peut-elle être attirée par lui ? À moins qu'elle n'ait pas encore vu son côté monstrueux qu'il tente, vainement, de cacher ? Non, ça m'étonnerait. Il envoie toujours valser deux ou trois personnes en une seule journée. Peut-être qu'elle se croit à part ? Oh oui, je la vois bien penser naïvement qu'il ne la touchera jamais avec violence. Quelle cruche ! Elle va vraiment tomber de haut.
Soupirant, je finis par me détourner de la fenêtre. Ça me lasse, je me sens fatigué pour une fois. Peu importe s'il est encore trop tôt ou non, je me laisse littéralement tomber sur le lit. Je ramène les couvertures sur moi et essaye de penser à autre chose, mais c'est difficile. L'image de leur baiser m'obsède. Je ne sais pas pourquoi il me touche tant mais impossible de m'en défaire. Ce n'est pas la première fois qu'il tente une histoire d'amour pourtant. Alors pourquoi est-ce que cette fois-ci, ça me dérange beaucoup plus ? Je réfléchis. Ça m'agace, je déteste être sans réponse. Qu'est-ce qui est différent ? Et puis, enfin, je comprends. Ses autres histoires n'étaient jamais très sérieuses. Dès le début, je comprenais, sans peine, que ça se finirait rapidement. Mais ici... Vorona n'est pas une femme superficielle et elle connait bien Shizu-chan. Elle ne s'est pas mise avec lui pour frimer ou pour fréquenter un bad-boy. Elle l'a fait en toute connaissance de cause parce qu'elle l'apprécie... A cette pensée, je ne peux m'empêcher d'afficher une grimace de dégoût. C'est vraiment répugnant. On dirait presque un remake de « La Belle et la Bête ». Je rigole longuement. Si c'est le cas, j'espère que ta rose se fanera rapidement, Shizu-chan !
Amusé par cette idée, je finis par fermer les yeux. Et, pour une fois, le sommeil est clément et m'emmène très vite...
Les semaines suivantes passent rapidement. Mes journées sont, comme souvent, bien remplies. Du coup, je n'ai pas eu beaucoup d'opportunités pour aller à Ikebukuro, mais ça ne m'a pas empêché de rester attentif. Seulement, Shizu-chan est très discret sur sa vie privée. Aucune rumeur ne circule, rien à me mettre sous la dent. Sont-ils toujours ensemble ? Je n'ai rien trouvé qui puisse confirmer ou infirmer mes interrogations et je ne vais pas demander au principal intéressé, il ne faut pas exagérer. Heureusement, j'ai enfin une possibilité d'en savoir plus aujourd'hui. J'ai été blessé lors d'une petite altercation de rien du tout. Un type suicidaire, vexé par mes remarques – pourtant pertinentes – sur la mort, a essayé de me planter avec un couteau. Ah, encore une nouvelle réaction ! Personne n'avait essayé ça avant. Bon, c'est peut-être aussi le premier qui avait un couteau sur lui. En tout cas, c'était intéressant, comme toujours, mais, du coup, je me retrouve avec une belle entaille sur le bras droit, ce qui me donne une bonne raison pour aller voir Shinra.
« Ah, c'est toi, m'accueille-t-il d'un air déçu en me voyant sur le seuil de sa porte. Qu'est-ce que tu veux ?
- J'ai besoin d'aide.
- Désolé, je ne suis pas spécialisé dans les maladies mentales.
- Ah ah, hilarant. »
Sans attendre qu'il ne m'invite, je rentre dans l'appartement et retire, sans gêne, mon haut pour lui montrer mon bandage, déjà rougi pour le sang.
« C'est Shizuo ?
- Bien-sûr que non. Cette bête est bien trop lente pour arriver à m'atteindre. »
Je ricane méchamment alors que Shinra m'emmène dans son cabinet. Il retire le pansements et examine ma blessure.
« Ce n'est pas très profond. Quelques points de suture suffiront.
- Parfait. Tu ne me demandes pas ce qui est arrivé ?
- Non, ça ne m'intéresse pas. »
Toujours aussi agréable à ce que je vois... Le silence s'installe alors qu'il me fait une piqure pour endormir mon bras et qu'il prépare son aiguille.
« Au fait, j'ai entendu une drôle de rumeur.
- Ah oui ? demande paresseusement Shinra.
- Oui, il parait que Shizu-chan et Vorona sont ensemble. Mais je ne sais pas si c'est toujours d'actualité.
- Ça l'est. »
La réponse de Shinra fuse, sans la moindre hésitation. Ça me surprend un peu mais je n'en montre rien.
« Tu es bien sûr de toi.
- Il me l'a dit lui-même, répond calmement le médecin tout en commençant à me recoudre. Et puis, il est venu manger ici avec elle l'autre soir. Celty adore ça, elle appelle ça des sorties entre couples.
- Ils en sont déjà là ? C'est pas un peu tôt ?
- Je ne trouve pas. Après trois mois, Celty et moi, on en était bien plus loin. »
Il laisse échapper un rire désagréable, limite pervers, mais je ne lui prête pas attention. Une seule information accapare mon esprit : trois mois. Cela fait trois mois qu'ils sont ensemble. Comment est-ce possible ? Quelque chose n'est pas normal. Shinra ment, c'est la seule explication. S'ils formaient vraiment un couple depuis ce temps, je l'aurais su. Et puis, le baiser que j'ai surpris, il y a quelques semaines de ça, était forcément leur premier, tant il était maladroit et ridicule... Non, j'ai encore un meilleur argument : Vorona n'aurait jamais pu le supporter aussi longtemps, c'est un non-sens total.
« Ils sont très discrets, reprend Shinra comme s'il avait lu dans mes pensées. Shizuo ne veut pas que ça s'ébruite pour l'instant. C'est ce qu'il dit mais si tu veux mon avis, il est plutôt du genre timide et traditionnel.
- Il est surtout du genre monstrueux. »
Ma voix sonne de façon bien plus acerbe que ce que je n'aurais voulu. Ça n'échappe pas à Shinra qui relève les yeux vers moi.
« Tu sais, c'est sa première vraie histoire. C'est normal qu'il veuille prendre ses précautions. Mais tu devrais le voir ! Il ne m'a jamais semblé aussi heureux, lui qui était persuadé que personne ne pourrait jamais l'aimer. »
Il accompagne sa phrase d'un sourire plus qu'horripilant alors qu'un élan de haine parcourt tout mon corps en entendant ces mots. Alors quoi, il est attiré par elle juste parce qu'elle lui a fait une déclaration d'amour ? Il ne l'aime pas pour de vrai ! Ses sentiments ne sont pas réels. Et ça me rassure étrangement... parce que si c'est le cas, alors ça veut dire que ce n'est effectivement qu'une question de temps pour qu'ils se séparent. Oui, bientôt, Shizu-chan sera aussi seul qu'auparavant. Aussi seul que moi.
« C'est vrai que c'est un miracle qu'une femme ait accepté de sortir avec lui. Il devrait s'en montrer reconnaissant. Ça ne va pas durer.
- Mauvaise langue, rigole Shinra. Moi, j'ai envie d'y croire. Je trouve qu'ils vont plutôt bien ensemble.
- Dans le rôle de l'idiot et de la bécasse, oui, ils sont parfaits. »
Shinra ne répond pas et finit de me soigner. Une fois qu'il m'a recousu, il se redresse.
« Tu devras revenir dans deux semaines. On verra à ce moment-là pour retirer les fils.
- D'accord... On fait comme d'habitude pour le versement ? »
Shinra acquiesce. Je me rhabille alors avant de lancer d'une voix sarcastique.
« Tu diras bonjour à Celty de ma part.
- Je n'y manquerai pas. Ah et une dernière chose, Izaya. Si tu veux faire quelque chose, ne traine pas trop. »
Je fronce légèrement les sourcils. Qu'entend-il par là au juste ? Que je devrais briser leur couple ? Non pas que cette perspective me dérange, loin de là, mais ça m'étonne de sa part de déclarer de tels propos.
« Pourquoi est-ce que je ferais quoique ce soit ? Ce n'est pas mon genre de causer du tort à Shizu-chan, tu le sais bien ! »
J'affiche un sourire innocent qui ne trompe personne mais qui m'amuse tout de même. Shinra n'ajoute rien et me laisse partir, sans expliciter sa pensée. Qu'importe, je n'ai pas besoin de connaitre son avis. Tout ce qui m'intéresse, c'est que Shizu-chan et Vorona sont bel et bien ensemble et depuis plus longtemps que ce que je pensais. C'est un vrai problème. Il va falloir que je revois ma stratégie. Je dois agir. De toute évidence, Vorona est aveugle mais lui ouvrir les yeux devrait être chose aisée. Je n'ai qu'à provoquer Shizu-chan encore et encore pour lui montrer toute l'ampleur de sa bestialité. J'espère bien qu'elle me remerciera après ça. Après tout, c'est un grand service que je m'apprête à lui rendre.
Je ricane avec méchanceté, tout en rentrant chez moi d'un pas tranquille. Sur la route, je décide soudainement d'arrêter de penser à eux. Je refuse de leur donner cette importance, ils n'en valent pas la peine. Je me perds alors dans la contemplation de mes humains, qui ont vite fait de me détourner d'eux. Tous les humains ne m'intéressent pas, bien-sûr, mais je sais qu'une personne captivante peut venir de n'importe où, alors je reste à l'affut. Dernièrement, d'ailleurs, j'ai eu une belle surprise avec le petit Mikado. Même moi, j'ai eu du mal à croire que le leader des Dollars se cachait derrière un campagnard craintif fraichement arrivé en ville. Cependant, il m'intéresse énormément. Il prend de plus en plus confiance en lui, il s'affirme et commence même à s'éloigner de ses deux amis. En quelque sorte, je pourrais dire qu'il est sur une mauvaise pente. Il ne va pas dans la bonne direction, il est en train de se perdre. Mais je suis tellement excité de voir jusqu'où il va aller que je me garde bien de le lui dire. Il dépasse mes attentes. Il essaye même de me manipuler, de m'utiliser comme un vulgaire pion et j'adore ça ! Il a du cran et j'ai vraiment hâte de voir jusqu'où son évolution va le mener.
J'aime quand mes humains me surprennent, tant qu'ils restent sous mon contrôle. Cependant, ça n'arrive pas souvent. Les gens sont si prévisibles. Le plus drôle, c'est qu'ils se pensent tous (ou presque) indispensables, uniques, mais, en même temps, ils se fondent tous dans la masse avec une facilité déconcertante...
Perdu dans mes pensées, le chemin du retour me parait bien plus court. Sans attendre, je m'engouffre dans mon appartement et jette un coup d'oeil à l'horloge. Il est déjà presque vingt-trois heures, mais je n'ai pas envie de dormir, ni de travailler d'ailleurs. Alors, je me prépare un thé et m'installe devant la télévision. Je suis loin d'y être accro, mais j'apprécie sa présence lors de certains soirs difficiles. Et je sens que l'euphorie qui m'habite d'habitude est en train de fondre... Je zappe alors un moment et finis par tomber sur une série à l'eau de rose. Assez vite, je rigole devant les incohérences flagrantes et les histoires d'amour à dormir debout. Amusé, je me mets même à imaginer Shizu-chan et Vorona dans le rôle du couple le plus bête de l'histoire. C'est assez réaliste.
Mais ma joie ne dure pas. Un étrange malaise s'empare de moi, de façon sournoise et délibérément lente. Je soupire alors légèrement. Je sens qu'il en faudrait peu pour que mon humeur bascule totalement. Cette sensation ne m'est pas inconnue, loin de là. L'impression de marcher sur une corde raide m'envahit de plus en plus. De quel côté vais-je tomber ? C'est mauvais, c'est le signe que je ne dormirai pas beaucoup cette nuit. Pas que ça me dérange du point de vue de la fatigue, je ne la sens même pas, mais je déteste être seul avec mes pensées dans ces moments-là. Mon cerveau a été longtemps en roue libre et je sens que je suis en train d'atterrir. C'est comme si j'étais sur des montages russes. Quand la pente est raide, la chute nous prend davantage aux tripes. Et c'est exactement ce qui m'arrive maintenant. Je suis encore euphorique mais je sais que la chute approche, je peux déjà la sentir dans mon ventre. Et plus je me suis envolé haut, plus dure sera la retombée. Or, ces derniers temps, j'ai eu l'impression de toucher les étoiles, alors je crains la suite. Mais mes changements d'humeur ont toujours un déclencheur. Et cette fois-ci, c'est clairement de la faute de Shizu-chan. Il me provoque avec son pseudo bonheur !
Un élan de haine parcourt alors mon coeur. Trois mois déjà... Je me demande s'il est avec elle en ce moment-même. Est-ce qu'ils couchent déjà ensemble ? Cette pensée me ronge. J'imagine Shizu-chan au-dessus d'elle, hésitant et maladroit. Il veut faire de son mieux, mais il est terrorisé à l'idée de la blesser. Il se montre alors presque trop doux, mais elle aime ça car elle n'a jamais connu la douceur avant lui. Ses mains la font frissonner. Elle se rend compte alors qu'elle n'a pas peur, même si c'est leur premier fois à tous les deux. Elle voit dans son regard qu'il l'aime réellement, qu'il se soucie d'elle. Elle se montre à son tour attentionnée, ce qui le perturbe. Il n'a pas l'habitude de ça. Il n'a jamais rien réussi dans sa vie, il ne sait que faire du mal aux autres. Cette tendresse, il n'a jamais eu la chance d'y goûter, mais il sent sa colère fondre sous ses doigts. Il n'a jamais été aussi détendu. Elle lui fait un bien fou. Il lui sourit alors et lui dit ces simples mots, ces mots qu'il n'a jamais prononcé à haute voix : « je t'aime. »
Je rouvre brutalement les yeux. Non là, mon imagination va beaucoup trop loin. Ça ne se passerait jamais comme ça ! Shizu-chan ne peut pas se montrer aussi humain. Cette vision ne colle pas du tout avec sa bestialité. Qu'est-ce qu'il me prend franchement de penser à ça ?! Je soupire et décide de me concentrer sur la série à la télévision. C'est tout ce qu'il me faut : une stupidité pour me vider le cerveau.
Mais ça ne m'aide pas beaucoup. Je me sens de plus en plus mal, comme si j'étais sur un bateau qui tanguait avec force. Je vais tomber, j'ai déjà l'impression d'être aspiré dans un tunnel sombre... Mon cerveau tourne à cent à l'heure. Je ne veux pas, je refuse que ça se passe. Je dois me contrôler, contrôler mon esprit... Cependant, c'est de plus en plus dur. J'ai la nausée... Oh non, cette crise risque bien d'être plus forte que la dernière...
Ça n'a pas loupé. Comme je l'avais pressenti, j'ai fait une sacrée chute. Mon humeur s'est détériorée en l'espace de quelques jours seulement. Je suis alors resté chez moi, j'ai laissé passer la crise. Je n'ai pas envie de m'épancher là-dessus, c'est bien trop humiliant. Je ne me reconnais plus quand je rentre dans ces phases sombres. Je peux juste dire que ça a duré plus de trois mois. Ça peut paraitre énorme mais, finalement, ça ne l'est pas tant que ça comparé aux autres fois. Quand ça m'arrive, je ne peux rien y faire, je suis au fond du gouffre et je ne peux qu'attendre désespérément que ça passe. Je repense alors à chacune de mes actions avec une boule dans la gorge. Je me sens plus bas que terre et je pourrais bien voulu disparaitre si je n'avais pas aussi peur de la mort. Je déteste ça. Ce n'est que de la faiblesse. C'est pour ça que, dans ces moments-là, je limite mes sorties. Je ne tiens pas à ce qu'on me voit dans cet état déplorable. Heureusement, ces phases ne durent jamais bien longtemps, comparé à mes moments euphoriques. Cela faisait d'ailleurs bien des années que ça ne m'était pas arrivé...
Je sais que ce n'est pas normal. Enfin, disons que je m'en rends compte quand je ne suis pas très bien. J'ai eu le malheur d'en parler une fois à Shinra et il m'a cassé les pieds pendant des semaines avec des mots comme : « troubles de l'humeur », « phase maniaque », « dépression », « bipolarité ». Je ne lui en ai plus jamais parlé après ça et j'ai fait semblant de rien. Il a fini par lâcher prise. Depuis, le sujet n'est plus jamais abordé. Shinra me lance quelques piques parfois mais n'insiste pas et les mots tabous ne sont pas prononcé. Honnêtement, je ne me sens pas malade. Quand je vais bien, toutes ces hypothèses me paraissent ridicules et m'énervent. Mais c'est vrai que, quand je suis au plus mal, je doute... Cependant, ça ne dure jamais bien longtemps. Oui, je me suis renseigné sur cette maladie et oui, j'ai certaines caractéristiques et alors ? Qu'est-ce que ça prouve ? Tout le monde peut trouver des symptômes d'une maladie mentale dans son comportement, ce n'est pas pour ça qu'on est réellement malade... Je suis juste différent des autres. Et, dans le fond, ce n'est pas plus mal. Moi, je ne pourrai jamais me fondre dans la masse.
Enfin, qu'importe. Je ne veux pas parler de ça. De toute façon, c'est passé. Aujourd'hui, je me sens mieux. Mon humeur est remontée et j'ai commencé à me reprendre en main. Bien-sûr, je me suis d'abord occupé de mon travail pour les Yakuza mais maintenant que je suis à jour dans mes affaires, je vais pouvoir m'attaquer à Shizu-chan. Ça fait presque quatre mois donc que je ne l'ai plus vu. Ce qui fait que, sauf belle surprise, il sort avec Vorona depuis sept mois. Je suis plus qu'enragé d'avoir perdu tout ce temps à cause de... d'une légère défaillance de ma part. Mais je ne peux pas m'apitoyer sur mon sort. Ce n'est pas mon genre et puis, j'ai très envie de continuer à avancer et de faire comme si cette petite parenthèse de quelques mois n'avait jamais existé. Alors, j'espère qu'ils en ont bien profité parce que maintenant, c'est terminé. Je suis de retour et je compte bien le leur faire savoir. La lune de miel est finie, il est temps de se séparer.
Je marche donc, sautillant presque, dans les rues d'Ikebukuro. Allez mon cher monstre, où te caches-tu ? Je traverse sur le passage pour piéton, m'amusant à ne toucher que les lignes blanches lorsque j'aperçois devant moi l'un de mes humains préférés. Je souris alors longuement et m'avance vers lui.
« Bonjour Mikado. Qu'est-ce que tu fais dehors ? L'école est déjà finie ?
- Oui. Bonjour à vous aussi, Izaya.
- Ne fais pas tant de formalités, je t'ai déjà dit de me tutoyer. »
Il sourit faiblement, toujours un peu mal à l'aise. Mon sourire s'agrandit alors. J'adore voir l'effet que je lui fais toujours après tout ce temps.
« Ça fait un moment que je ne t'avais plus vu, reprend-il d'une voix plus assurée. Est-ce qu'il y a des choses intéressantes qui se passent ailleurs ?
- Rien qui ne te concerne.
- Tu me le dirais sinon, n'est-ce pas ?
- Bien-sûr ! Je suis ton allié ! Sers-toi de moi autant que tu le souhaites ! »
J'affiche un léger rictus alors qu'il me fixe, soupçonneux. Ah dommage qu'il soit autant sur ses gardes parce que, pour une fois, je suis totalement honnête. J'ai envie qu'il développe toutes ses capacités. Allez, essaye de me soumettre, qu'on voit qui est le plus fort de nous deux.
« Je n'aime pas ta façon de présenter les choses. Je ne me sers de personne. Je préfère parler d'amitié. »
J'éclate alors de rire face à cette déclaration sans aucun sens.
« Ah ah Mikado, tu sais que tu es amusant ?
- Ne te moque pas de moi !
- Je ne me moque pas, ce n'est que la vérité... Tu te sers bien d'Aoba non ? Et ton seul ami s'est enfui on ne sait où... Ce n'est pas un bilan très positif.
- ... C'est faux. Je... je ne me sers pas de lui. C'est lui qui le veut bien.
- Oui, bien-sûr... »
Le sarcasme dans ma voix doit être bien trop visible puisqu'il me vaut un regard noir de Mikado, ce qui m'amuse énormément.
« Enfin, méfie-toi quand même de lui. Il n'est pas un gentil petit mouton.
- Je sais. Mais toi aussi, tu devrais faire attention, Izaya. Je crois qu'il sort avec tes soeurs. »
Je pouffe de rire. Alors là, c'est la meilleure. Si Mikado croit vraiment ça, c'est qu'il est loin de les connaitre. Et, de toute façon, la vie amoureuse de mes soeurs ne m'intéresse absolument pas.
« Ah et une dernière chose, Izaya. J'ai vu Shizuo sur Sunshine 60. Alors, évite de trainer dans le coin.
- Je n'y manquerais pas. »
Je lui lance mon plus beau sourire, presque angélique, puis je le salue et m'en vais de mon côté. Evidemment, je prends la direction de Sunshine 60. Ça me rend, d'ailleurs, légèrement nostalgique. Avant, c'était toujours à cet endroit qu'on se battait. Presque tous les jours, on se retrouvait là. Avant, pendant, après les cours. Un rien était propice au combat. Mais à vrai dire, je ne choisissais pas ce lieu par hasard, au-delà de la première fois. Lorsque Simon nous a arrêté et nous a forcé à manger ensemble, j'ai su que j'allais emmener très longtemps Shizu-chan dans cette rue. Simon était l'un des rares à croire qu'on pouvait se réconcilier (il a changé d'avis depuis) et ça m'amusait. J'adorais voir le visage exaspéré de Shizu-chan alors que je mangeais mes otoro avec une lenteur délibérée. Il me regardait toujours avec dégoût.
J'aurais pu essayer d'arranger les choses entre nous à ce moment-là. Mais pourquoi l'aurais-je fait ? La situation ne m'a jamais dérangé, du moins jusqu'à présent. Je me fichais pas mal de sa haine au moins, j'étais le centre de son attention. Je suis sûr qu'il ne se passait pas une seule journée sans qu'il ne pense à moi. Aujourd'hui, est-ce toujours le cas ? J'ai du mal à m'en persuader, mais je suis là pour ça après tout, pour lui remettre les idées en place.
Je tourne enfin dans la rue et je l'aperçois assez vite. Il est accompagné de son patron, Tom, et de Vorona, bien entendu. Tant mieux ! Elle se doit d'être la spectatrice de la bestialité de son « cher et tendre ». Les mains dans les poches, j'avance vers eux en affichant un large sourire.
« Shizu-chan ! Ça fait longtemps ! Je t'ai manqué ? »
Ma voix monte dans les aiguës d'une façon plutôt désagréable. Je la fais sonnée comme enjouée. Je me prête au jeu de l'adolescent heureux de retrouver ses amis mais, Shizu-chan ne semble pas partager mon enthousiasme. Ses yeux se plissent, ses veines sont sur le point d'éclater.
« Enfoiré ! Combien de fois je dois te dire de rester en dehors d'Ikebukuro ?!
- Ah, ah, autant de fois que tu me verras, je le crains.
- Sale puce de merde ! »
Avant que Tom et Vorona n'aient eu le temps de faire quoi que ce soit, Shizu-chan s'approche d'un distributeur automatique et le soulève sans peine. Mon sourire s'agrandit encore. C'est ça, énerve-toi, écrase-moi. Montre à quel point ta colère est forte. Laisse-toi aller, sois le monstre que tu es censé être !
« Shizuo... »
La voix est calme, posée et ferme en même temps. Vorona s'approche de lui et lui pose une main sur son bras. Je fronce les sourcils, alors qu'il tourne son regard vers elle...
Les battements de mon coeur s'accélèrent. Quelque chose ne va pas... Non... Pourquoi est-ce que tu hésites ? Ne dépose pas ce distributeur ! Ne lui lance pas de regard désolé ! Non et non ! Tu n'as pas le droit de faire ça ! On est en plein combat, ne te laisse pas distraire !
« Je suis désolé. Je sais que je dois me contrôler mais c'est dur avec ce connard ! »
Il me regarde alors avec une haine féroce. Si un simple regard pouvait tuer, nul doute que je serais déjà mort mais je n'y accorde aucune importance. Je suis juste sidéré qu'il l'ait écouté. Un sourire mauvais se dessine alors sur mon visage.
« Je vois que tu deviens de plus en plus un chien, Shizu-chan ! Tu écoutes bien ta maitresse. Allez, je te mets un neuf sur dix en dressage !
- Sale...
- Laisse tomber, intervient Vorona. Il n'en vaut pas la peine. Il essaye juste d'attirer l'attention. C'est pitoyable... »
Alors là, je vois rouge. Pour qui se prend-elle celle-là ? Ne te laisse pas faire, Shizu-chan. Ce n'est pas à elle de décider de l'issue de nos rencontres !
Un silence pesant s'installe pendant quelques secondes avant que Tom ne tousse, gêné, et rappelle que leur boulot n'est pas terminé. Ils se détournent alors de moi pour partir. Je sens tout de même l'hésitation de Shizu-chan, mais c'est elle qu'il suit... Pourquoi ? Comment la situation a-t-elle pu dégénérer à ce point ? Je veux bien que je me suis absenté pendant un moment mais ce n'est pas normal malgré tout ! Je n'aurais jamais cru que la situation dérape à ce point. Comment, en l'espace de seulement quelques mois, a-t-il pu se laisser influencer comme ça ? Et qu'est-ce qu'il peut bien lui trouver pour la faire passer avant moi ? Elle veut le changer alors que moi, je l'accepte comme il est. Je reconnais sa monstruosité, je tolère ses accès de colère, je n'essayerai jamais de lui mettre une muselière. Alors pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle lui offre de plus que moi ? Comment peut-il laisser tomber nos combats pour elle ?
Je sens que ça devient sérieux entre eux et ça m'effraie. Et si leur histoire durait ? Et s'il finissait par m'oublier totalement ? Non, il n'a pas le droit ! Et il n'a pas le droit d'être heureux et de me laisser derrière...
Une colère sourde monte en moi. Je me sens... trahi. Shizu-chan a brisé notre seul règle tacite : ne jamais mêler quelqu'un d'autre à notre rivalité. Ça peut paraitre anodin mais c'était important. Jamais il n'a essayé de faire du mal à mes soeurs et, de même, je ne m'en suis pas pris à son frère pour l'atteindre ou pour le manipuler. Notre haine, c'est juste entre lui et moi. Mais Vorona a tout brisé. Elle s'est mise entre nous et il l'a laissée faire. Je ne comprends pas ses choix. Ne se rend-il pas compte qu'elle veut le changer ? Il est bêtement tombé dans le piège parce qu'il a désespérément besoin d'amour. Mais qu'il ouvre les yeux ! Elle ne l'accepte pas comme il est. Elle veut lui mettre une laisse et effacer sa violence mais cette colère, elle fait partie de lui. Sans elle... il n'est plus Shizuo Heiwajima. Il serait juste... un « humain » sans intérêt. Alors pourquoi la laisse-t-il faire ? Pourquoi accepte-t-il son entrave au lieu de courir en liberté derrière moi ? Moi, j'accepte tout de lui. Je le vois comme il est réellement. J'aliment même cette fureur qui le caractérise tant parce qu'il n'a pas le droit de changer. Pourquoi préfère-t-il un mensonge à la vérité pure et dure ? Et soudain, je comprends... il l'aime plus elle qu'il ne me hait moi...
Cette pensée me fait tourner la tête. Non... Je dois m'accrocher. Je ne dois pas laisser Shizu-chan m'atteindre. Il n'en est pas question. Mais je sais pas comment réagir. Je ressens une émotions étrange, pesante. Ce n'est pas comme dans mes mauvaises phases mais ça y ressemble un peu. Je déteste ça. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Ce n'est pas ça, moi. Je ne vais pas me sentir mal à cause d'une brute sans nom. Non, je vaux bien mieux que ça. Un étrange pincement au coeur se fait malgré tout ressentir et je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je devrais plutôt être content que Shizu-chan me laisse tranquille. S'il n'essaye plus de me combattre, je pourrais sûrement revenir à Ikebukuro plus souvent. Et sans craindre ces objets qu'il me balance sans cesse, je pourrais faire mes affaires beaucoup plus facilement. Alors, son attitude ne devrait pas me déranger... Ça ne devrait pas mais je déteste le fait de ne pas contrôler la situation. C'est moi qui décide quand le jeu s'arrête, Shizu-chan, et je ne t'ai pas encore autorisé à quitter la partie !
Agacé, je reviens alors sur mes pas. C'est mauvais, vraiment mauvais. Comment vais-je m'y prendre pour les séparer ? Je sens que mon emprise sur Shizu-chan me glisse lentement entre les doigts. Je suis en train de perdre le contrôle. Je ne vois plus à quoi je peux me rattraper. Je...
« Hé Izaya ! Ne m'ignore pas comme ça, c'est méchant. »
Une voix faussement fâchée s'élève dans mon dos. Je cligne des yeux, étonné et me retourne. Perdu dans mes pensées, je n'avais même pas vu mon seul ami.
« Désolé Shinra, mais je n'ai pas de temps à te consacrer. »
Je le raille et ça me met tout de suite de meilleure humeur.
« Ah ah, très drôle, réplique-t-il sans l'ombre d'un sourire.
- Qu'est-ce que tu fais là ? C'est rare de te voir dehors en pleine journée.
- Je suis allé faire des courses pour ma Celty d'amour. Et toi ?
- Rien de particulier, la routine.
- Tu as encore essayé d'énerver Shizuo ?
- Pour qui tu me prends ? »
J'élève un peu la voix, faisant semblant d'être vexé par ses accusations, mais en vérité, j'ai surtout envie d'éviter le sujet.
« Ça fait longtemps que je ne t'ai plus vu, continue-t-il sans faire attention à moi. Plusieurs mois sans nouvelle de ta part, c'est rare. Tu as eu une nouvelle crise ?
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- ... Toujours à te cacher la vérité, hein ?
- Shinra... »
Ma voix est basse, presque menaçante. Il comprend alors, sans peine, qu'il s'aventure sur un terrain plus que glissant et décide de revenir sur le sujet précédent.
« Tu ne peux jamais t'en empêcher, mais je pense qu'il ne veut plus te suivre dans tes délires.
- De quels délires tu parles ? Et puis, c'est Vorona qui cherche à le changer. C'est vraiment ça l'amour ?
- Décidément, tu ne comprends jamais rien. »
Sa voix reste calme, ne trahissant aucune émotion. Je fronce les sourcils, réellement vexé cette fois-ci. Il n'y a rien que je ne puisse comprendre.
« Je sais que ton cerveau tourne à cent à l'heure et que ça t'amuse plus qu'autre chose ces combats contre Shizuo, même si tu n'aimes pas qu'il contrarie tes plans. Mais tout le monde n'est pas comme toi, Izaya.
- Ça, je le sais bien.
- Non, tu ne mesures pas à quel point. Tu fais toujours ça. Tu entraines les gens dans ta folie. Ça se révèle positif ou négatif, selon les gens, mais ça ne dure jamais. On ne peut pas te suivre indéfiniment. Même Shizuo a une limite de saturation. Vorona n'essaye pas de le changer, mais plutôt de l'aider à sortir de ta mauvaise influence.
- ... Tu rigoles ou quoi ? Moi, j'influence Shizu-chan ? On sait tous les deux qu'il était déjà violent avant de me rencontrer.
- Oui et tu sais aussi qu'il se déteste pour ça. Vorona l'aide à avoir une meilleur image de lui alors que toi, tu ne cesses de l'enfoncer. »
Il parle d'une voix posée, il énonce simplement les faits sans poser de jugement, mais ça ne m'empêche pas de me sentir mal à l'aise dans la conversation.
« ... Tu te trompes, Shinra. Je n'entraine personne dans ma folie. Je suis un simple observateur.
- Ah oui ? Tu crois vraiment en ce que tu dis ? »
Je tique. Je veux bien reconnaitre que je suis un manipulateur, un enfoiré et plein d'autres termes peu recommandables, mais je ne pense pas avoir l'influence que Shinra me prête et encore moins sur Shizu-chan...
« Bon et bien, je dois te laisser, s'exclame-t-il tout d'un coup. Je ne peux pas faire attendre Celty. À la prochaine ! »
Et, après un vague signe de la main, il s'en va. Je plisse les yeux, de mauvaise humeur. J'aurais préféré ne pas le rencontrer ! Je pense que ça m'agace encore plus qu'il reste impassible, sans prendre position. Ça aurait été sans doute mieux s'il s'était énervé contre moi pour mes actions mais c'est trop attendre de lui.
Je décide de rentrer chez moi, d'un pas lent. Qu'entendait Shinra au juste par « Tu entraines tout le monde dans ta folie » ? Et puis, même si c'est vrai, ce qui n'est pas le cas, ce n'est pas possible que Shizu-chan n'arrive plus à me suivre. Il ne peut pas être fatigué de nos combats. Pourquoi le serait-il après tout ? Il aime ça autant que moi. Bon, aimer n'est pas le bon mot. Disons plutôt qu'il ne peut pas s'en passer. Après tout, c'est toujours lui qui s'en prend à moi alors que je ne fais rien... n'est-ce pas ?
Je soupire. La vérité, c'est que Shizu-chan ne vient jamais me chercher à Shinjuku alors qu'il sait où j'habite. C'est toujours moi qui viens vers lui. Je le savais mais ça m'a surtout frappé dernièrement. Je suis resté quatre mois loin d'Ikebukuro et je n'ai pas entendu parler de lui une seule fois. Je me demande si Shizu-chan pourrait vivre paisiblement sans chercher à me revoir si je venais à disparaitre sans prévenir. Probablement... Il n'a pas besoin de moi dans sa vie... Il l'a bien montré aujourd'hui. Il a commencé à se détacher de moi, à s'éloigner de son obsession. Et moi ? Moi, j'en suis toujours au même point. Obsédé plus que jamais par lui. Nos courses poursuites m'ont vraiment manqué pendant ces quatre mois. Je me sens rejeté... Mais qu'est-ce qu'il m'arrive ? Pourquoi est-ce que je lui laisse avoir autant d'emprise sur moi ? Depuis quand suis-je aussi faible ? Je le hais, il fait toujours ressortir le pire en moi !
Je rentre à la maison et retire mes chaussures, tout en lançant sur un ton joyeux que je dois forcer :
« Je suis de retour ! »
Mais il n'y a que le silence qui me répond. Personne n'est là. Je fronce les sourcils et me dirige vers le bureau où je vois un simple post-il « urgence Seiji ». Si Nami pense vraiment que je vais la payer pour ses heures non-prestées, elle se met le doigt dans l'oeil ! Agacé, je vais dans la cuisine, ouvre le frigo, peu inspiré, pour le refermer aussitôt. Rien ne me fait envie et je ne tiens pas à ressortir aujourd'hui. Tant pis, je peux bien sauter un repas. Je m'assieds alors sur ma grande chaise, pensif. Il fait calme, trop calme. J'allume alors le chat mais je n'y vois aucun message. Il n'y a personne... Personne sur le chat, personne dans l'appartement, personne dans ma vie. Je grimace légèrement à cette pensée. C'est vrai et alors ? Je n'ai pas besoin des autres pour vivre. Je suis au-dessus d'eux. Je vaux mieux qu'eux...
Mais les paroles de Shinra reviennent encore et encore emprisonner mon esprit et je ne peux m'empêcher de douter. Est-ce que je pousse vraiment les gens à bout jusqu'à ce qu'ils n'arrivent plus à me suivre, à me supporter ? C'est vrai que c'est arrivé avec Kida... et avec Aoba, mais c'est tout, non ? Bon peut-être aussi avec mes soeurs... Cependant, Shizuo et Shinra ne se sont jamais lassés. Enfin, jusqu'à maintenant. Je ne peux pas croire que Shizu-chan est vraiment en train de s'éloigner de moi et de partir...
Je me sens abandonné, mais je sais que ce n'est pas normal. Est-ce à cause de mes « phases » ? Non, je ne me sens ni euphorique, ni au fond du gouffre. Je suis plutôt dans une période intermédiaire, je devrais donc me montrer indifférent face à tout ça... Mais Shizu-chan ne m'a jamais laissé indifférent. Cependant, je ne devrais pas me mettre dans un état pareil juste pour ça. Pourquoi je le fais alors ? La vérité est juste là, à portée de main. Dans le fond, je la connais mais je ne peux pas... Je le hais et c'est tout ce qui importe. Et je ne compte pas renoncer. Ce n'est pas parce qu'il ne m'a pas attaqué aujourd'hui que tout est perdu pour autant. Je vais le récupérer. Shinra peut dire ce qu'il veut, pour moi, il ne peut pas être avec elle. Elle lui apporte sans doute du bonheur mais je refuse qu'il soit heureux et qu'il me laisse derrière lui, sans aucune considération. Il va juste falloir que je trouve un plan...
Tout en réfléchissant à ça, je parcours les informations sur le net. Je ne peux pas non plus me permettre de focaliser toute mon énergie sur ce monstre. J'ai mon propre travail et si je ne le fais pas, je risque d'avoir des problèmes avec Shiki. Bien que je n'ai pas peur de lui, je ne tiens pas non plus à me le mettre à dos. Et c'est partagé entre ces deux « obligations » que je finis la journée.
Quelques jours plus tard...
La sonnerie de mon téléphone me sort de mon sommeil. Pour une fois que j'étais parti pour une nuit complète, il faut qu'on m'appelle à six heures du matin. Je soupire mais m'arme aussitôt de mon plus beau sourire lorsque je décroche.
« Bonjour. Orihara Izaya à l'appareil.
- C'est Shiki. Je ne te réveille pas ?
- Non. Que me vaut le plaisir de votre appel ?
- J'ai besoin d'un maximum d'informations sur les gangs qui officient à Kyoto.
- ... Kyoto ? Pourquoi ?
- Contente-toi de me les donner. Sois le plus complet possible et crois-moi, tu seras bien payé. Je les veux pour la semaine prochaine au plus tard. Compris ?
- Oui, pas de souci.
- Parfait. Passe une bonne journée.
- Vous aussi. »
Il raccroche alors, me laissant songeur. Pourquoi donc le groupe est-il intéressé par Kyoto ? Hm, enfin une chose que j'ignore ! Cela me met de bonne humeur. Je me lève donc et m'apprête rapidement avant de commencer mes recherches. Deux objectifs aujourd'hui : découvrir les motivations de Shiki et récolter les informations demandées. Je sens que la journée va être longue et ça me motive d'avance.
Plusieurs heures plus tard, j'entends la porte d'entrée s'ouvrir et je ne peux m'empêcher d'afficher alors un large sourire.
« Ah Nami ! Tu es en retard, ce sera retenu sur ton salaire ! »
Je l'entends râler, ce qui me fait rire.
« Ne commence pas à te plaindre, Izaya, ce n'est pas le jour.
- Pourquoi ? Tu as tes règles ? Ah non, ce serait trop banal pour une femme comme toi. C'est Seiji, n'est-ce pas ? Il t'a encore repoussé ?
- Moi, au moins, j'assume mes émotions.
- Difficile de les nier en même temps.
- Cesse ce ton sarcastique. Ce n'est pas moi qui ai fait une dépression nerveuse parce que l'homme que j'aime sort avec une autre femme.
- De quoi tu parles ? »
Ma voix se fait plus basse et mon sourire se fane, mais qu'est-ce qu'elle raconte ?
« Tu le sais bien. Je t'avoue qu'au début, je trouvais ton comportement étrange, enfin plus étrange que d'habitude je veux dire. Mais j'ai appris récemment que Shizuo sortait avec Vorona et tout s'est éclairé.
- ... N'insinue pas que j'aime un monstre, c'est offensant ! Et tu te trompes complètement. Mon passage à vide n'a strictement rien avoir avec lui.
- Si tu le dis. »
Elle me répond d'une voix indifférente et s'installe sur sa chaise pour commencer – enfin – son travail.
Alors, c'est cette sensation-là que je laisse paraitre ? C'est ridicule ! Je hais Shizu-chan. Je le hais plus que tout. Je voudrais le briser, le voir plus bas que terre ! Nami se plante entièrement. Son amour plus que tordu pour son frère altère sa vision des choses. Mais au moins, ses affabulations ont le mérite de faire germer une idée en moi. Mon sourire grandit au fur et à mesure qu'un plan se dessine dans ma tête. Je sais comment les séparer, tout en rendant Shizu-chan responsable. Oh, je sens que je vais m'amuser comme jamais !
« Je ne veux même pas savoir pourquoi tu souris comme ça. »
Nami soupire, me faisant encore plus ricaner. Je décide de ne pas lui répondre. De toute façon, je ne comptais pas la mettre dans la confidence. Satisfait de mes futurs projets concernant le monstre d'Ikebukuro, je décide de laisser un message en tout innocence sur le site des Dollars, avant de me remettre au travail.
Le soir venu, j'expédie vite fait Nami et je prépare ma sortie. J'ai reçu l'information que je souhaitais : Shizu-chan a été aperçu seul au Russia Sushi. Parfait c'est ma chance. Une fois tout réglé, je passe ma veste à fine fourrure et sors de l'appartement. Naturellement, je me dirige vers Ikebukuro. Pour une fois, il me facilite la tâche. Brave bête. Mon sourire ne pourrait pas être plus grand alors que je passe, après une longue marche, la porte du restaurant. Directement, je le vois attablé au bar. Je m'avance alors gracieusement vers lui et je m'installe à ses côtés. Il semble ivre parce qu'il met un peu de temps à s'apercevoir de ma présence. D'ailleurs, sa réaction est très amusante. Il tourne d'abord paresseusement sa tête vers moi puis, se figue complètement. Lui-même a l'air surpris de ne pas m'avoir senti venir.
« Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu fous là ?! »
Ses traits se durcissent et ses doigts se serrent sur son verre, qui éclate en mille morceaux, mais il n'y prête pas la moindre attention. Il a plutôt l'air de se demander ce qu'il doit faire. Il me ferait presque pitié.
« Moi ? Je suis venu manger, quelle question !
- Ne me cherche pas, grogne-t-il.
- Pourquoi ? T'as l'air fâché. Il y a déjà de l'eau dans le gaz avec ta petite femme ?
- La ferme !
- Shizu-o, Izaya, ne vous battez pas.
- Ne t'en fais pas, Simon. On discute, c'est tout. »
Je souris de façon angélique. Il n'a pas l'air convaincu de ma réponse, mais il se contente de ramasser les débris du verre. J'en profite alors pour commander deux autres verres d'alcool. Simon nous les apporte sans attendre puis, nous laisse seuls. Je me tourne alors vers Shizu-chan, qui boit son verre cul sec, l'air maussade. Décidément, je tombe vraiment au bon moment.
« Tu pourrais au moins me remercier, Shizu-chan.
- Je t'ai déjà dit de la fermer !
- Et bien... Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu ressembles à un chien abandonné qui n'ose même plus mordre !
- Ne parle pas de ce que tu ne sais pas !
- Pourtant, c'est ce qu'on dirait. Elle est partie avec tes couilles pour que tu sois aussi mou ? »
Je m'étonne moi-même de ma vulgarité mais je suis déçu. Il n'a pas le droit d'être une loque comme ça ! Je veux revoir le monstre qui me faisait trembler d'excitation autrefois !
« Oh puce, là tu l'as bien cherché ! Allons dehors, que je te casse la gueule ! J'veux pas casser le bar.
- D'accord. »
Je sens un étrange bonheur s'emparer de moi alors qu'on se dirige tous les deux vers l'extérieur. Je ne suis pas inquiet, je sais que je peux lui échapper sans peine et puis, j'ai aussi un plan à réaliser. Une fois dans une petite ruelle sombre, je me tourne vers lui et sourit avec force.
« Tu es pitoyable, Shizu-chan. Te mettre dans un état pareil juste pour une femme, c'est ridicule.
- Ferme-là, sale asticot, et laisse-moi te frapper !
- Je ne vois pas pourquoi je me laisserais faire. Mais je peux t'aider d'une autre façon. »
Il fronce les sourcils, visiblement perdu. Ah, je m'amuse de plus en plus. Je m'approche alors de lui d'une démarche féline.
« Elle t'emprisonne, elle ne te comprend pas. Tu es une bête sauvage. Il te faut quelqu'un qui t'accepte comme tu es, qui puisse supporter ta force.
- ... Tu te fous de ma gueule ou quoi ?!
- Allez Shizu-chan... Que dirais-tu de te laisser aller, d'explorer ton côté sombre ? Ce n'est pas avec elle que tu te sentiras à l'aise. Que dirais-tu de braver l'interdit ? De partir en terre inconnue ? »
Il affiche une tête médusée. Je dois me retenir pour ne pas éclater de rire. Je ne l'ai jamais vu comme ça. Ah qu'est-ce que j'aimerais pouvoir le prendre en photo !
Je m'approche encore. Je n'ai jamais été aussi proche de lui. Je peux sentir son souffle alcoolisé sur mon visage. Je frissonne légèrement et lève lentement le bras. Pas de geste brusque, comme si j'étais réellement face à une bête sauvage. Il ne me quitte pas des yeux, méfiant, mais il ne fait rien pour m'arrêter. Je sens alors les battements de mon coeur s'accélérer. Mes doigts touchent enfin son torse et je me sens défaillir. C'est la première fois qu'il y a un contact physique entre nous... Il est chaud. Pourquoi est-ce que son corps me parait aussi accueillant ? Ses mains attrapent alors mes bras avec douceur et m'amènent tout contre lui. Mon coeur n'a jamais battu aussi fort alors qu'il penche la tête vers moi. Je me surprends à vouloir qu'il m'embrasse alors que tout ceci n'est qu'un jeu pour briser son couple, ça ne devrait pas me plaire.
« ... Tu ne m'a jamais donné une seule occasion de te faire confiance, Izaya. »
Sa voix est étrangement calme et profonde. Elle me fait légèrement vibrer.
« Je suis sûr que c'est encore un de tes sales coups ! Qu'est-ce que tu cherches au juste, hein ?! »
Le ton monte, cassant toute l'ambiance du moment. Je sens ses mains se resserrer sur moi alors que j'essaye de m'éloigner.
« T'es vraiment qu'une merde ! Profiter de ma faiblesse, c'est petit, même pour toi ! Et tu t'attendais à quoi, hein ?! À ce que je trompe Vorona avec une puce dégoutante comme toi ?!
- Non, je voulais juste t'humilier. »
Je ricane méchamment, avant de siffler de douleur. Merde, je ne devrais pas le chercher alors qu'il me retient. Encore un peu et il me brisait les deux bras.
« Pourquoi ? Qu'est-ce que je t'ai fait de si horrible pour que tu t'acharnes à ce point contre moi ?!
- Tu existes, Shizu-chan. C'est suffisant.
- Enfoiré ! »
Il me repousse violemment et je me cogne la tête contre le mur de briques.
« Je ne céderai pas à tes petits caprices, vermine. J'essaye de m'améliorer. Je compte pas abandonner à cause de toi !
- Bon chien. C'est maitresse Vorona qui va être contente !
- La ferme ! Arrête de parler d'elle ! Elle est cent fois mieux que toi !
- Alors pourquoi est-ce que tu te saoules tout seul ? C'est pas vraiment la définition que j'ai de l'amour.
- Ça ne te regarde pas !
- Shizu...
- Je t'ai dit de la fermer ! Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi ! Tu me dégoutes !»
Il me lance alors un regard de pure haine avant de s'éloigner. J'aurais peut-être dû faire quelque chose. Je ne sais pas, le suivre, lui lancer une pique mais mon corps reste gelé. Je ne sais pas ce qui me saisit en premier : ma douleur à la tête – je sens le sang couler sur ma nuque – ou celle, plus étrange, de mon coeur. J'ai l'impression de manquer d'air. C'est horrible, mais qu'est-ce qu'il se passe ? Je n'en reviens pas de m'être fait jeté comme ça. C'est impossible... C'est à moi de mettre un point final à notre relation. Il ne peut pas... s'être éloigné de moi de la sorte. Et pourtant... je l'ai vu de mes propres yeux ce soir. Il a changé. Du moins, il essaye de changer. Il a toujours son sale caractère mais il commence à savoir se contrôler. Et malgré son ivresse, au moment où il s'est éloigné sans avoir essayé de me tuer, je l'ai senti... heureux. Alors c'est vrai, Vorona lui fait du bien... C'est ce qu'il lui faut, c'est ce qu'il veut.
À cette pensée, je sens mon coeur se serrer davantage. Je voulais le piéger. Puisque la haine ne semblait plus marcher, j'ai voulu faire tout l'inverse. L'attirer vers moi pour mieux le briser. Face à ça, j'étais sûr qu'il n'aurait que deux réactions possibles : soit il se laissait charmer – il n'est pas une bête pour rien – et il trahissait Vorona, soit il pétait un câble face à mes avances dégoutantes et m'attaquait violemment, prouvant là son côté immonde. J'étais prêt aux deux possibilités. Ça ne me dérangeait pas de subir des dégâts si ça me permettait d'atteindre mon but. J'ai vraiment cru y arriver mais, comme d'habitude, je n'ai pas su deviner ses actions à l'avance. Il m'a rejeté, repoussé pour de bon. Je le vois évoluer, s'éloigner et me laisser seul à l'arrière. Merde. Pourquoi arrive-t-il à avancer alors que moi, je suis incapable de changer ?
Soupirant, je me décide enfin à bouger et je me hâte de rentrer chez moi. Je ne veux croiser personne. Je me suis rarement senti aussi mal, en dehors de mes phases étranges. Non, je refuse que Shizuo ait ce genre d'emprise sur moi. Je ne dois pas me sentir mal. Ce n'était qu'un jeu ! Ce n'est pas comme si j'avais réellement essayé de le séduire... n'est-ce pas ?
Mes pensées s'entremêlent dans mon esprit. Je n'arrive plus à y voir clair. Je suis comme dans un état second, je ne me souviens même plus du retour jusqu'à mon appartement. Une fois à l'intérieur, sans vraiment réfléchir, je me dirige vers la pièce du fond et me fait couler un bain. Je me déshabille lentement avant de jeter un coup d'oeil au miroir. Est-ce pour ça que Shizuo ne veut pas de moi ? Parce que je suis un homme ? Ce genre de détail ne m'a jamais effleuré avant. Personnellement, je me fiche pas mal du sexe. Homme ou femme, j'aime tous les humains, mais ce n'est peut-être pas le cas de Shizuo. Oui, c'est sans doute pour ça qu'il l'aime elle et pas moi.
Sur ces pensées, je coupe l'eau et entre dans la baignoire. Je soupire de bien-être lorsque mon corps entre en contact avec l'eau brulante. Je ferme alors les yeux et respire fortement, essayant de me détendre. J'aimerais penser à autre chose qu'à lui, mais je n'y arrive pas. Je sens encore ses mains sur moi. Je vois alors son visage se pencher davantage sur moi. Je touche mes lèvres du bout des doigts et l'imagine m'embrasser. Son baiser serait doux et sucré. Je déteste ça d'habitude mais, pour une fois, ça me plairait. Parce que c'est lui, parce que je l'ai...
Je me fige alors. Non, je ne peux pas avoir ce genre de pensée ! Je ressens ça juste parce que je suis en plein délire érotique. Il suffit que je pense à quelqu'un d'autre et j'aurai les mêmes sensations. Bon, pas Shinra, évidemment, mais pourquoi pas Mikado ? Hm oui, très bonne idée.
Je referme les yeux et tente de m'imaginer la scène. Il débarquerait à l'improviste, s'approcherait de moi et déclarerait, sans aucune ambigüité, qu'il me veut. Je serais surpris et, en même temps, ce serait prévisible. Je lui sourirais, amusé, et le laisserais s'approcher encore plus. Sans hésiter et sans me demander mon avis, il m'embrasserait à pleine bouche. J'aimerais son côté dominateur. Je me débattrais faiblement, juste histoire de faire genre. Je voudrais qu'il me soumette, qu'il me brutalise, qu'il soit féroce.
Je rouvre les yeux, frustré. Ça ne marche pas du tout. Je ne vois pas Mikado faire ça. Je suis juste en train de transposer mes fantasmes avec Shizu-chan sur lui. C'est pitoyable. Mes mains parcourent alors lentement mon corps. Je suis excité malgré tout. J'aimerais tant que Shizuo débarque ici, fracasse la porte pour me tuer. Furieux, il se stopperait net en me voyant nu dans le bain. Pris alors par ses instincts primaires, il me rejoindrait et me ferait brutalement l'amour. Je soupire. Une fois encore, l'illusion se brise avec une facilité déconcertante. C'est trop insensé pour que j'y crois une seule seconde. C'est elle qu'il aime, d'un amour fort et sincère, je m'en suis rendu compte ce soir. Quand il parlait d'elle, il avait les yeux qui brillaient. Quand je parlais d'elle, il était prêt à mordre. Il ferait tout pour la protéger. Et, comme un chien, je suis persuadé qu'il lui sera fidèle jusqu'à la mort.
Et moi dans tout ça ? La vérité, c'est que Shizu-chan me manque... Nos courses poursuites sont un vrai bonheur pour moi. J'adore entendre sa voix énervée, voir son corps se tendre sous la colère, je ne me lasserai jamais de ce spectacle, sauf le jour où je déciderai qu'il a assez vécu. Mais savoir qu'il ne vit qu'à quelques kilomètres avec elle, c'est un sentiment difficile à supporter. Ça devient de plus en plus dur de me voiler la face. Ça marchait très bien entre nous jusqu'à l'arrivée de Vorona, mais elle a tout foutu en l'air en s'incrustant entre nous. Elle a tout cassé, elle m'a volé mon Shizu-chan. Je soupire, je n'arrive plus à me mentir à moi-même. La vérité s'impose durement à moi, elle s'incruste dans mon cerveau de façon vicieuse. Je n'ai pas d'autre choix que d'y faire face. Mon coeur bat fortement, tout s'effondre en moi. Je déteste cette sensation, je déteste mes sentiments. Tout est de la faute de ce maudit Shizuo ! Je n'arrive pas à l'oublier, je n'arrive pas à me passer de lui. Et je finis par comprendre... Je ne le hais pas. Je hais ce qu'il me fait ressentir : jalousie, solitude, envie, manque, ... Cette désagréable sensation d'être rejeté, il n'y a que lui qui me la fait ressentir. Ça fait mal, j'ai envie de m'arracher le coeur pour que tout ça cesse ! Il n'a pas le droit de me faire ça...
Je n'en peux plus... Je ne peux pas croire que j'ai des sentiments pour lui. C'est impossible, je ne peux pas aimer Shizu-chan. Je n'ai jamais été amoureux, j'ai sans cesse refusé de laisser quelqu'un m'atteindre. Et pourtant, j'ai toujours mis Shizu-chan à part dans mon coeur. C'est la seule personne que je traite de monstre, la seule personne qui me résiste, la seule personne qui m'obsède tant. La réponse était pourtant évidente, pourquoi je ne l'ai pas compris avant ? Parce que tu es un lâche. Oui, c'est vrai, je suis lâche. C'est beaucoup plus simple de se cacher derrière une haine mutuelle que d'assumer un amour à sens unique. C'est blessant, mais surtout humiliant sachant qu'il me hait de toutes ses tripes... Qu'est-ce que je peux faire à présent ? J'ai réalisé mes sentiments trop tard, je ne peux plus revenir en arrière. C'est allé trop loin entre nous pour pouvoir faire demi-tour.
Je ferme les yeux, c'est douloureux. Pourquoi est-ce que ça me tombe dessus ? C'est injuste, je ne peux pas vivre comme ça. Je ne peux pas laisser Shizu-chan avoir cet ascendant sur moi. Mais qu'est-ce que je peux faire ? Je suis complètement coincé. Je le déteste parce que je l'aime mais franchement, j'aurais préféré ne jamais m'en rendre compte. Je n'en peux plus, ça ne peut pas durer. Je sens mes intestins se tordent, j'ai envie de vomir. Aimer un monstre, c'est bien la preuve qu'on en est un soi-même, non ? Et ça, je ne peux pas le supporter. Je ne peux pas vivre comme ça. Ce serait tellement plus simple de prendre mon rasoir et de teindre cette eau en rouge. La vérité est bien trop dure... Il n'est plus obsédé par moi. Il me hait toujours mais je n'ai plus aucune emprise sur lui. Il s'est détaché de moi, il a tiré un trait sur notre relation, sans aucune hésitation. Mon coeur me fait mal. J'ai l'impression que je perds les pédales, c'est une horreur, il faut absolument que je me ressaisisse. Je ne me reconnais plus mais ce n'est pas de ma faute. La présence de Shizu-chan est néfaste pour moi alors je vais prendre du recul, j'en ai bien besoin pour pouvoir y voir plus clair. Il faut que je m'éloigne de lui un moment... Ne pas le voir pendant quelques temps me remettra les idées en place, j'en suis persuadé... Et puis, toute cette histoire d'amour, c'est juste un autre délire de ma part. Il suffit que je prenne mes distances et tout rentrera dans l'ordre. Les battements de mon coeur reprennent alors un rythme plus normal. Je me détends, tout ira bien. Je vais y arriver, ce n'est qu'une mauvaise phase. J'en ai connu bien d'autres, j'arriverai à trouver la solution... Je ferme alors les yeux et tente, presque désespérément, de profiter simplement de l'instant présent...
Voilà pour ce premier chapitre. Merci de m'avoir lue et n'hésitez pas à laisser un petit commentaire. Cette histoire est en deux parties. La suite (et fin) arrivera la semaine prochaine.
