Ils m'ont emprisonnée. Bafouée. Détruite. On m'a retiré tout ce que j'avais. J'ai tout perdu. J'ai seize ans, et j'ai connu le plus grand bonheur qu'on puisse vivre et à présent, voilà mon plus grand malheur. Ma vie n'a pas toujours été rose, mais jamais je n'avais atteint le fond. Ce fond.

Je n'ai plus rien à faire qu'attendre. Je suis seule. Terriblement seule. Je n'ai pas droit aux visites. Mais de toute façon, qui voudrait venir voir une meurtrière, une traitresse ? Aucun de mes anciens amis. Ils pensent certainement que je mérite ma situation. Ils n'ont peut-être pas tord. Si les choses s'étaient passées autrement, je l'aurais certainement tuée, oui. Mais peu importe. Car aujourd'hui c'est moi qui paie le prix de nos erreurs. Et la seule chose que je regrette est d'avoir laissé les choses en arriver là où elles en sont.

Ma mère est venue me voir, le premier jour, exceptionnellement. Elle pleurait. Je ne lui ai rien dis, je me suis efforcée de contenir mon émotion et je me suis contenté de l'écouter m'apprendre les dernières nouvelles : autrement dis, que je n'avais plus de mère, ni de père d'ailleurs. Mais pour ce que ça changeait. Je me fichais pas mal de savoir que tout le monde me détestait. La seule chose qui m'importait était de savoir, de ne plus baigner dans cette incertitude insoutenable. La même question me revenait sans cesse, la même obsession qui me hantait jusque dans mes rêves. Etait-elle en vie ? J'avais clairement vu la blessure et ce n'était pas beau à voir. Et personne ne me donnait de nouvelles. Bon, pour être honnête, je ne m'en fichais pas vraiment de me savoir honnie de tous. Pas du tout en fait. J'aurais donné n'importe quoi pour que quelqu'un vienne me voir, me parler. Même l'insupportable Berry quitte à supporter ses pulls infâmes. Enfin. Au moins ici je n'ai rien à cacher à personne. Plus besoin de dissimuler des failles que personne ne peut voir. Alors je me laisse aller. Les premiers jours, je n'ai pas arrêté de sangloter lamentablement. De colère, de désespoir pour elle, pour moi, de dégoût. C'était pathétique, mais comme je l'ai dis, personne n'assiste à mes crises.

Pour l'heure, je suis roulée en boule sur ce qui me sert de lit, ma position habituelle. Quand je suis engourdie je m'allonge, quand je me sens trop mal, je reprends ma position fœtale. Une routine douloureuse. Encore dix jours avant le procès. Je connais bien mon texte, je sais ce que je dois dire le moment venu. L'impatience me ronge. Je préfère encore affronter les regards que rester ici. Je ne suis pas faite pour l'enfermement, l'immobilité.

La douleur dans mon épaule recommence à poindre et attire mon attention. Ca ne guérit pas trop mal, mais ça ne m'aide pas à supporter l'attente. La chair déchiquetée a été recousue ici même, en prison, et la plaie nettoyée, mais je sais que j'en garderai la marque toute ma vie, cicatrice témoignant d'une histoire qui à jamais restera dans l'ombre.

Chaque nuit, le même cauchemar. La même scène à revivre. Cette scène. Je revoie sans cesse son corps s'effondrer, la couleur du sang, ce rouge trop éclatant pour paraitre réel. Mais il l'était, oh combien il l'était... L'argent, le sang, le chaos, les sirènes qui se rapproche au loin et la douleur fulgurante. Mais elle n'est rien à côté de celle qu'elle a du ressentir.

Je prie, je prie autant que je peux. Je prie pour elle, pour que sa vie soit sauve, parce qu'elle mérite de vivre. Je ne prie jamais pour moi. Dans la pire des situations, je ne sortirai jamais d'ici. Dans le meilleur des cas, j'en ai encore pour quinze ans, et pas question de tenter quoi que ce soit. On peut dire que j'ai choisit mon destin.

J'attends donc, dans la semi-pénombre, et j'écoute les battements de mon cœur. La seule chose qui me réconforte encore, c'est de me remémorer tout ce que nous avons vécu ensemble, et surtout ces derniers mois. La couleur de ses cheveux lorsqu'ils captaient un rayon de soleil, l'éclat de ses yeux, son sourire... Au début, ces souvenirs me rendaient dingue, ils me rappelaient tout ce que j'ai perdu, et j'ai longtemps cogné contre la porte, contre les murs de mes poings nus, hurlant ma rage, évacuant mon désespoir, m'épuisant dans une violence libératrice. Mes poings en portent encore les marques. A présent que je n'ai plus que mes pensées pour me tenir compagnie, je me rassure et tiens le coup grâce à eux.

Il n'y a qu'une seule raison pour laquelle je moisi ici. Une seule raison pour laquelle je supporte cette situation. Une seule raison qui m'a conduite à me laisser prendre, sans même me débattre, ou protester. C'est cette même raison qui a fait que j'ai répondu sans rechigner à toutes les questions qu'on a pu me poser, et je peux vous garantir qu'on m'en a posé. C'est cette même raison qui fait que je me sens assez forte pour continuer de vivre. Une raison simple, presque puérile quand on la compare à tout ce que je subis. Mais pour moi, c'est devenu toute ma vie, mon passé, mon avenir, et surtout mon présent. Une raison qui suffit à me pousser en avant, à assumer chacun des regards de mépris qu'on pourrait me lancer.

Pour Brittany.

Mais il vaut mieux pour moi que je n'y pense pas. Au lieu de ça, je me replonge à nouveau dans les mois précédents, remontant le cours du temps. Mes paupières se referment sur les larmes qui menacent de déborder.