Vendredi, 21 heures trente.
Bon, d'accord, pas trente exactement. Plutôt trente deux. Ou trente trois. Ou vingt-huit.
Enfin, dans ces eaux-là. Dehors, il fait nuit noire, et il pleut.
Pas une petite pluie fine genre averse d'été, non non non. Plutôt grosse ondée de veille d'Halloween. Ajoutez-y le bruit du vent dans les arbres dans la cour de l'immeuble, et on a une scène parfaite pour un film d'horreur. Le tueur en série va sortir des arbres d'un instant à l'autre, et tuer la jeune ecervelée qui croise sa route...
Presque. A peu de choses près, c'est ce qui arrive régulièrement par chez nous en ce moment. Des gens sont agressés, violentés, séquestrés, et trois d'entre eux-dont deux "elles"-y sont restés. Un bon gros mystère alimenté de psychose qui deffraie la chronique depuis le début de l'été. Les journaux débordent de travail, analysent les faits à la Criminal Minds, mais le dingue court toujours.
Vous savez comme on est, quand ce genre de choses arrivent. On se persuade que cela ne peut pas nous arriver. Que c'est peut-être même une légende urbaine...Et puis, un soir, on rentre plus tard de la fac où on est prof, et, en dépit du fait qu'on habite de l'autre côté du campus, à un pâté de maison de l'amphi Malraux où on enseigne la plupart du temps la culture anglo-américaine, le sale type nous trouve.
Anyway.
Vendredi soir, donc. Lana fait la vaisselle qui date d'hier, et nous attendons le livreur de pizzas. Je suis rentrée de l'hôpital au début de la semaine, et comme, à la maison, ma coloc est plutôt la championne du ménage et moi celle de la bouffe, on commande régulièrement, en ce moment. Et ce soir, pizza. Rien d'étonnant à ce que la sonnerie ne hurle-vraiment, pas un "ding-dong" fleuri et délicat, non, un gros "BZZZZTTTTTTT" qui fait sursauter. Lana attrappe un torchon et essuie son verre tout en allant répondre. Ma mobilité étant extrêmement limitée en ce moment, elle fait beaucoup de choses, et avec une abnégation hors normes. Elle ne m'en tient pas rigueur un seul instant, preuve évidente que cette meilleure amie-là est la meilleure de toutes les meilleures. Bruit de clefs, elle ouvre la porte, l'eau me monte à la bouche. Pepperonni-chèvre-champignons pour moi, et elle, une association diabolique de chorizo, piments, poivrons marinés, boeuf épicé et poulet curry. Dans mon for intérieur, je suis persuadée que sa pizza pourrait servir de bombe, ou d'arme de destruction massive. Et encore, je suis prête à parier qu'elle va rajouter huile épicée, poivre, tabasco et harissa.
Bruit de verre qui tombe. Roule. Se casse.
-Lana, ça va ?
Sentant la menace, Jack, beagle de son état, lève une oreille et ose un grognement coloré, et, n'entendant pas de réponse à ma question, se lève à contrecoeur pour inspecter la situation.
Immédiatement, la peur me prend aux tripes. Je ne dors plus beaucoup sans médicaments, et le moindre bruit suspect me fait paniquer. Et si mon agresseur était là ?
-Lana ?
Une petite voix me répond et m'incite à venir. Elle sait que je ne me déplace qu'à grand peine, alors je mesure l'urgence tout en annulant l'idée de danger. Elle avait plutôt la voix de quelqu'un qui vient de voir un fantôme, ou une vieille connaissance presque oubliée. Ou son ex.
Béquilles. Check. Ne pas appuyer sur mon poignet fracturé. Check. Prendre un élan pour me lever. Check. Voilà, je suis debout. Je concentre mes efforts sur l'appui essentiel sur mon côté droit, puisque ma seule jambe fonctionnelle et mon seul bras fonctionnel sont de ce côté-ci. Toute ma gauche a été frappée, brisée, depuis la cheville jusqu'à la clavicule, cassant mon poignet et trois côtes au passage. En tentant de fuir, il m'a jetée contre une cage d'escalier avec une violence folle, au moment où j'ai bien cru devenir la quatrième tuée du quartier. Et puis la lumière s'était allumée, il avait eu peur, et le couple de garçons du premier étage m'avaient trouvée là, gisant sur le sol, le visage couvert de sang, mais vivante. J'avais eu une chance de dingue. Depuis, notre porte sécurisée s'était dotée d'un blindage, et d'une seconde porte en sas. Si quelqu'un d'extérieur voulait rentrer, il avait à passer par le nouveau digicode qui changeait tous les mois, et qui n'était pas le même d'une porte à l'autre. Oui, cela nous compliquait l'existence, mais cela garantissait aussi notre sécurité, et évitait que l'espace entre les boites aux lettres et l'escalier ne se retrouve bariolé de bandes jaunes "scène de crime". Et puis, notre livreur de pizza était le même depuis toujours, c'était Nico, un collègue qui avait lâché l'enseignement pour monter sa pizzeria il y a un an, et qui préférait livrer. Vraiment, il n'y avait aucun risque. Il fallait que je m'accroche à tous les éléments du réel pour ne pas succomber à une attaque de panique, une crise de tétanie, ou juste me mettre à trembler comme une feuille morte.
Et pourtant, claudiquant cahin-caha vers la porte, je ne pouvais m'empêcher d'être inquiète. Jack grognait toujours, et il connaissait Nicolas. Alors quoi ?
La porte était grande ouverte, mais je ne voyais pas la personne sur le paillasson. Je ne voyais que Lana, blanche comme un linge, la main sur la bouche, dans un état de choc. Je me suis approchée, j'ai tiré la porte pour passer à côté d'elle, et boum, la claque.
Sur mon paillasson, un paillasson vert pomme et rose sur lequel était écrit "ceci n'est pas un tapis volant"-vraiment, une fierté-se trouvait...
-Graham ?
Lana et moi avions prononcé ce nom en choeur, complètement choquées. Je tenais à peine sur mes béquilles, et les mots peinaient à sortir de ma bouche.
-Depuis quand les personnages de serie télé sonnent à la porte...?
Lana a juste dessiné un lent mouvement négatif de la tête en haussant les épaules. Je le détaillais de la tête aux pieds, sidérée. Un sosie parfait de Jamie Dornan se trouvait devant ma porte, reflet parfait de l'affiche promo du couloir. Ne me demandez pas comment je l'ai eue, j'ai du violer au moins six lois fédérales lors de nos dernières vacances aux Etats-Unis pour récupérer une pièce unique de la promo de la première saison de Once Upon A Time, et j'ai tué trois agents du FBI et deux de la CIA pour y arriver (d'accord, en fait, j'ai posé une enchère a vingt-neuf dollars sur Ebay, mais c'est moins exotique comme explication). Par acquis de conscience, je me retournais, pour regarder l'affiche en question, et oui, oui oui, pas de doutes. Si ce n'était pas lui, c'était son jumeau. Lana, frilleuse de nature, commençait à prendre le froid en pleine tête à cause du courant d'air du couloir, et, dans un sursaut de survie (ou de refus de finir congelée), a tiré notre visiteur par la manche, et l'a fait rentrer, claquant la porte dérrière nous. Sans dire un mot, elle l'a entraîné dans le salon, elle l'a presque forcé à s'assoir, puis lui a dit-en anglais-de nous attendre un moment. A sa tête complètement ahurie, je comprenais qu'il n'avait pas l'intention de bouger, et qu'il ne devait pas en savoir plus que nous sur le pourquoi du comment. Avant de me crocher par le bras pour s'enfermer dans le couloir pour tenir une réunion du G3-Jack comptant pour un membre à part entière de l'histoire-elle s'est penchée vers lui, qui détaillait des yeux notre salon, a agité sa main pour s'assurer qu'il était bien alerte, s'armant de son meilleur accent anglais.
-You're Graham, right ?
-Yeah.
Ouah. Son accent irlandais n'était pas une légende. Ma jambe valide flageolait. Lana hochait la tête, incrédule.
-So, you're Jamie too, right ?
-Who ?
Se penchant vers la bibliothèque à côté de la télé, elle a attrappé le coffret DVD de The Fall, et lui a montré une photo de Jamie Dornan-enfin, techniquement, lui ?-au dos.
-Jamie Dornan. Actor ?
Il a hoché négativement la tête.
-Never heard of him. Although...
Elle a reposé la boîte et l'a coupé.
-Yeah, I know, he looks a lot like you. Okay, I'll be right back. Don't move.
-Where would I...Hum, okay.
Elle m'a prise par le bras, rendant ma mobilité beaucoup plus évidente d'un coup, et a fermé la porte entre le salon et l'entrée.
-C'est quoi ce bordel ?!
Je tombais sur la chaise à côté de la commode, incapable de tenir plus longtemps debout, alors qu'elle faisait les cent pas dans l'entrée.
-Lana...Dis-moi que tu as convoqué une équipe de caméra cachée pour fêter mon retour, Halloween, et ton anniversaire tout en même temps ?
Elle s'est mise a rire.
-J'aimerai. Je te jure que j'y suis pour rien. Par contre, rien ne me dit que toi...
Je levais ma main valide en signe de promesse.
-Pas coupable.
-Alors quoi ? C'est peut être juste un dingue, si ça se trouve, c'est...Enfin...Tu sais...
Je refutais l'argument.
-Non, il était moins grand et parfaitement rasé, du peu que j'ai vu et que je me souviens.
-Oui mais ça pousse, ces choses-là...
A nouveau, je désarmais son hypothèse.
-Non, mon signalement correspond à tous les autres.
-Alors c'est quoi ce bordel ?
Sa voix partait dans les aigus, au bord de l'hystérie, et si je n'étais en convalescence, et épuisée par mon processus de guerison et de remission, je l'aurai imitée sans soucis.
-Ecoute, le mieux à faire est de lui demander. Il a l'air salement secoué, mais il va peut être pouvoir nous en dire plus ? Et puis, écoute, Jack a cessé de grogner. C'est forcément signe qu'il ne nous veut pas de mal...
Elle a acquiessé en silence, tendant l'oreille pour savoir si le chien avait bien rendu les armes. Au lieu du grognement de Beagle caractériel attendu, seul un petit gémissement...De satisfaction. Et la voix impossible à confondre qui lui disait doucement "good boy, good boy".
Lana a chuchoté.
-Ouais, ben pour quelqu'un de perturbé, il s'est vite fait un pote...Si il a trouvé le point faible du chien, tiens, on pourra toujours crever, il ne viendra pas nous aider, ce traitre.
Point faible du beagle le plus fou de la terre : derrière les oreilles, sur son crâne, et pas en caressant, mais en gratouillant avec vigueur.
Je chuchotais moi aussi.
-Ecoute, on va aller lui demander ce qui se passe et qui a monté ce canular de dingue, et je suis sûre que tout va s'éclairer.
-Ouais, ou pas !
Je soupirais, et ouvrais lentement la porte. Le visiteur mystérieux-enfin, pas tant que ça-était bel et bien assis avec mon chien sur les genoux, et visiblement, l'hostilité première de Jack avait fondu comme neige au soleil.
-He's quite a cool dog.
Je passais devant eux pour m'assoir, alors que Lana avait visiblement besoin de rester debout.
-Yeah, he's cool.
-What's his name ?
J'hallucinais. Ma meilleure amie avait une conversation avec feu le sheriff de storyb...
-Oh merde !
C'était sorti bien malgrè moi, et avait fait sursauter Lana et son interlocuteur.
-Quoi ?
-Tu parles à un mort.
-Tu crois vraiment que c'est Graham ?
-Ca y ressemble vachement, mais il est mort.
Episode sept, saison un. Rarement la mort d'un personnage de fiction télé m'avait tant choquée-bon, d'accord, Angel. Keith Scott. Mark Sloane. Debra Parker. Alex Whitman. Mulder-même si il était pas vraiment mort, il a quand même été enterré. Ok, peut être que les morts de séries télé me perturbaient souvent, mais celle-ci avait été complètement innatendue et...Violente. Et j'adorais le personnage. Donc, gros trauma. Lana me regardait, perplexe, sans savoir quoi penser. C'est à ce moment-là qu'il s'est levé, pour se donner une contenance, et que je me suis rassise, pour me donner un support et éviter une descente au verger.
-I know that I'm supposed to be dead.
Lana et moi ponctuèrent sa phrase d'un "yeah !" en choeur, puis Lana s'est approchée de lui, menaçante.
-Hold on...How do you know what we were talking about ?
Il a haussé les épaules, un peu dépité.
-Dunno. Just did. Tone of your voices, I guess. Plus, I remember a french poem by that dude...Erm, Apollinaire ? It was about death...I think.
Lana le fixait du regard sans réussir à exprimer quelque chose qui ne soit pas teinté d'hostilité, et appeler son poête préféré "dude" n'allait pas aider.
-For a dead dude, you're...
Il a eu un mouvement de la main, comme si il défendait tant bien que mal son statut.
-But I'm not.
-Well, thanks, captain obvious.
Woa. Usage du sarcasme violent. Je me retenais d'esquisser un rire, alors qu'il s'était rassis, pas franchement rassuré par la tournure que prenait les évènements. Ca se voyait sur son visage.
Lana n'était pas une très grande fan de son personnage. Là où j'avais tout de suite adoré sa relation aux personnages-et j'avais été transformée en chutes du niagaa en le perdant si brutalement-elle ne supportais pas son côté (en Lana dans le texte) "toutou de Regina". Et même quand j'avais assayé de défendre son cas en lui expliquant que sans son coeur, il ne pouvait pas faire grand chose d'autre, elle persistait. J'avais du batailler pour l'affiche de l'entrée, négociée si elle avait le droit d'afficher Charmant-David-dans la salle de bain. Bénéfice net : depuis trois mois, et notre retour du Comic-Con de San Diego, je ne pouvais plus sortir de la douche sans avoir l'impression qu'il m'espionnait, façon stalker pervers. Graham dans le couloir, Charmant dans la salle de bain, Hook dans ma chambre, Rumplestiltskin dans la sienne, et dans le salon, une affiche encadrée dédicacée par les membres du casting qui étaient présents à San Diego. Qui aurait pu dire que Lana et moi étions deux grandes fans de la série, hum ?
-Listen, I know it is weird, but...And I know I was dead.
-Sure as hell you were, Emma stole your job.
Lana était lancée, et, récupérant mon traitre de chien, je la laissais jouer au ping-pong avec lui, de toutes façons trop sonnée pour articuler mes pensées en phrases intelligibles.
-Emma became sheriff ?
Montée dans les aigus à la fin de sa phrase. Sujet sensible.
-Well, she fought Regina for it, but yeah.
-Regina wanted to become sheriff ?
Nouvelle montée en aigus. La scène était surréaliste, ma meilleure amie qui racontait à Graham tout ce qu'il avait manqué depuis son meurtre.
-Yeah, no, but she wanted to force Sidney to take the...
-That bastard.
Non, pas un fan de Sidney. Je pouvais comprendre, ni moi ni Lana ne pouvions le supporter. Il avait sévèrement entamé le capital sympathie du personnage, alors qu'initialement, le génie était ce bonhomme bleu, drôle et farceur, réinventé par Disney. Mais la version de Sidney donnait froid dans le dos.
-But he did not win. Emma fought, Rumpl...Mr Gold helped her, and tada, she's the sheriff.
-Mr Gold...Rumpelstilstkin, right ?
Alors là c'en était trop pour moi, et il fallait que je rentre dans la conversation.
-Hold on, you remember ?
Il a fait 'oui' de la tête, et une vague immense de tristesse est passée dans ses (si jolis) yeux. J'ai eu envie de lui faire un câlin, pauvre bichon.
-Yeah. Emma's...
A nouveau, Lana le coupait, branchée sur secteur via 100 000 volts minimum, alors que je tentais de trouver un semblant de sens à la situation. Juste avant que Regina ne se débarasse de lui, il avait récupéré tous ses souvenirs grâce à Emma. Ce qui voulait dire que, revenu d'entre les morts pour une raison que j'ignorais totalement, il possédait les deux mémoires, celles de sa vie à Storybrooke, et celle de la forêt enchanté. Ce qui expliquait son état de confusion, bien sûr. Bon, ça, et puis de se retrouver à l'autre bout du monde sur un paillasson inconnu. Lana faisait de même, mais elle pensait à haute voix.
-My god, yes. You kissed Emma just right before...Regina...Did what she had to do.
-That's it. And then...And then...
Et puis il est mort. Il n'arrivait pas à formuler la phrase, visiblement secoué.
-And then I got sent here.
-Here ?
Lana avait croisé ses bras sur son abdomen, signe qu'elle était en proie à une reflection houleuse. Il a haussé les épaules.
-Yeah, here. On your doorstep.
-You know, it's not every day that some dead guy end up on your doorstep. Let alone a dead dude that does not even exist somewhere else than a TV show.
Il a bloqué un instant sur ce qu'elle était en train de dire, et a eu une expression de surprise mêlée de consternation.
-What ?
A bout de patience, Lana lui a presque jeté au visage les coffrets de deux première saisons. Presque. Elle s'est contenue à la dernière seconde et lui a tendu les deux boitiers avec un minimum de douceur.
-Once Upon A Time. Created in 2011, sold in many, many countries, quite a success for ABC, and a splendid fanbase spread across the world.
Jack m'a regardé avec une expression hilarante, façon de dire "c'est pas du tout ce que j'envisageais pour mon vendredi soir". Et bim, sonnerie à nouveau. Deux coups nets. Lana a pointé Graham-appellons un chat un chat, même mort-du doigt et lui a intimé l'ordre de ne pas bouger.
-I'll be right back...Mate.
Ouch, la référence à Hook. Il ne pouvait pas comprendre, parce que le seul endroit où ils avaient pu se croiser, tous les deux, était, à notre connaissance, le coeur d'Emma. Peut être avaient-ils partagé un verre au pub dans la forêt enchanté ? Cela m'étonnait. Le chasseur était du genre associal borderline dépressif, alors que Hook était plutôt du genre à payer un verre à toute la tablée et aller détrousser la gueuse. Donc, bon. Pourtant, il a haussé un sourcil. Aha.
Alors que Lana ouvrait la porte, je ne pouvais m'empêcher de lui souffler une connerie.
-Si c'est Snow White dis-lui qu'on n'a pas vu Charmant !
Je n'entendais qu'un vague rire, surmonté d'un "putain, t'es con". Après, au loin, je comprenais que Nico était débordé et qu'ils avaient eu du retard avec la pizza, et que celle-ci était cadeau de la maison. A vrai dire, depuis mon agression ultra-médiatisée, on m'offrait un certain nombre de choses, par pitié, sûrement. Dire que je refusais pour conserver un semblant de dignité serait un mensonge. Ma dignité, je l'avais perdue le soir où j'avais supplié un parfait inconnu d'épargner ma vie, noyée de larmes. Si la boulangère-qui ne connaissait pas mon nom malgrè trois ans de bons et loyaux services-décidait soudainement de m'offrir une tarte chocolat framboise et ma baguette, je n'allais pas l'arrêter. Non que je considérais le mériter-je n'avais fait que me faire violemment agresser, rien d'héroïque ou d'un semblant admirable-mais je savais profiter des côtés positifs de cette histoire, parce que j'estimais avoir pris de plein fouet le négatif. Trois heures d'opération, plus une supplémentaires pour poser des vis et des plaques sur ma clavicule, quinze jours d'hôpital bourrée de médicaments, et une certaine frénésie médiatique qui frôlait l'indécence...J'avais donné. Et bien donné.
Lana est revenue avec les deux pizzas qu'elle a mit au four à réchauffer, puis elle a tiré une chaise vers lui et s'est mise juste en face, dans une position volontairement dominante. Si elle avait eu un uniforme militaire et une lampe plein feux, elle aurait presque pu lui dire avec un accent allemand de l'est "nous affons les moyen de fous faire parler". Mais l'heure n'était pas à l'humour.
-Right...Mate.
Encore ? Même le chien pouffait dans son coin. Ou ronflait. C'est selon.
-Now you are going to tell us all the truth, or I'm calling the police.
Il y avait dans sa voix une sorte de tension que je ne lui connaissais pas. Et dans celle de Graham, une note de desespoir certaine.
-I swear, I don't know what is going on. I don't know why I'm here...Or...Or even alive. And where I am, and why you...I don't know. I swear.
Damn. C'était une histoire de dingue. Il pleuvait des personnages de série télé. Des personnages morts. Ou alors : j'étais dans le coma après mon agression, et tout cela était dans ma tête. Plausible. Plus que ça, en tout cas.
Il a relevé vers Lana un regard de chien battu, puis vers moi, et à nouveau Lana.
-I'm afraid it could be the result of a...A new curse ?
Lana et moi nous sommes toisées, glacées. De toutes les explications possibles et imaginables...Celle-ci était affreusement plausible. Un coup de Regina qui aurait envoyé les personnages ici...Ou peut être un coup de Gold ? Ou d'un autre fou furieux qui se serait sniffé une ligne de poudre de fée-cette série n'en manquait pas.
Sonnette. Encore. Lana a levé les bras au ciel, dépassée, et est allée ouvrir. Je n'ai pas voulu continuer l'humour, même si c'était tentant, alors que Graham commençait à se décomposer. Je me suis levée, et, sans béquilles, à cloche-pied, je suis allée chercher ma pizza-laissant l'horreur nucléaire de Lana dans le four chaud que j'éteignais, puis je me suis présentée devant lui, avec un sourire rassurant.
-Pizza ?
(to be continued)
