Tino atterrit au sol avec légèreté tandis que la poussière magique autour de lui s'évaporait. Il prit une profonde inspiration et expira avec plaisir, appréciant l'air pur terrestre. Ça lui faisait toujours autant de bien de revenir en mission sur Terre. Le bonheur qu'il ressentait contrastait pas mal avec la misère des Terriens mais là était le cœur même de son travail. Il était là, comme beaucoup d'autres, pour aider les Terriens à mieux vivre. Il en avait vu des humains dans sa longue vie, et dieu qu'ils étaient tristes. Puis, il agit, fit quelques tours de magie, aida, consola, pleura même ! et à la fin, tout ce qui lui reste est le sourire sur le visage de ses clients qui retrouvent la joie.

Sur son épaule était un sac marron qui contenait de nombreuses, nombreuses choses. Ce sac magique pouvait contenir une quantité infinie d'objets qui pourraient lui être utiles à un moment dans ses missions. Il cachait aussi là-dedans ses propres biens comme du parfum, un parapluie, même quelques vêtements. Il farfouilla dans la sac pour trouver un bout de papier qui apparaissait toujours dans la même poche intérieure. C'était avec ces bouts de papier que son chef, le Ciel, lui transmettait les informations nécessaires pour démarrer sa mission. Ils utilisaient parfois les téléphones ou un signe mystique qui effrayait Tino la plupart du temps, comme graver le message dans un tronc d'arbre intact. De temps en temps, il leur arrivait même d'avoir la bonté de lui donner une fonction pour aller avec, pour lui permettre de rester aussi proche que possible de son client.

Mais sur ce bout de papier se trouvait le plus important : l'identité du client. Il le trouva enfin et, le sortant du sac, eut un « ah » de contentement. Il déplia la feuille délicatement, priant à soi-même de tomber sur quelqu'un qu'il avait déjà servi dans le passé. Après tout, il ne pouvait jamais rester longtemps une fois son devoir terminé, il n'a jamais pu apprécier le bonheur de ses nouveaux amis, leur nouvelle fortune ou leur rire retrouvé.

Sur le papier déplié était écrit un nom : « Emil Køhler ».

Il soupira. Évidemment, c'était quelqu'un de nouveau. C'était bien mais tellement peu pratique. Les avantages étaient qu'il allait apprendre à connaitre une nouvelle famille avec de toutes nouvelles personnalités, de nouveaux problèmes, de nouveaux passés et histoires, mais le désavantage majeur était : trouver le type. Cela pouvait lui prendre un jour entier. Il dut une fois chasser son client à travers tout la ville, puisqu'il était occupé et courait de-ci de-là, ne passant que deux minutes maximum dans chaque lieu qu'il fréquentait.

Tino observa les alentours joyeusement et inspira la fragrance des arbres. L'odeur d'un bout de nature à l'intérieur d'une zone polluée était relaxante. La nature sentait toujours bon. Les arbres de cet endroit n'étaient pas très variés, simplement des bouleaux à côté de grands et somptueux saules pleureurs, abimés par les enfants qui semblaient jouer ici souvent, même si, à l'heure actuelle, personne ne se trouvait dans ce parc puisque le ciel ennuagé menaçait le sol avec sa pluie impitoyable. Une rivière longeait le parc. C'était impossible de percevoir quoi que ce soit derrière les arbres qui constituaient l'autre rive, mais Tino ne s'attendait à rien d'autre que des prairies derrière le mur naturel. Les arbres étaient assez imposants pour supporter le poids d'un homme, et certaines de leurs branches étaient reliées à celles des arbres de la rive opposée. Quelques bâtons de bois étaient adroitement placés pour maintenir la structure solide, mais si un oiseau décidait de s'y poser, elle s'effondrerait certainement.

Tino suivit le cours de la rivière. Il passa près d'un terrain de jeu pour enfant, principalement composés de balanciers. L'un avait été sculpté pour ressembler à un bateau indien, un autre un hibou, et enfin un dauphin.

Il chemina jusqu'à la fin de la zone d'herbe et se trouva alors sur une plage de gravier dont l'entrée était protégée par des barrières en bois qui interdisaient le passage aux conducteurs étourdis. La vue était ensorcelante : un petit barrage accessible grâce à un vieux pont de bois certainement dangereux, l'eau ayant certainement pourri la matière, et une ambiance détendue.

La pente ardue qui menait à la plage avait un chemin moins périlleux tracé par les allers et retours des gens. Juste à côté, aux racines apparentes d'un saule, gisaient les restes d'un feu qui semblait récent. Tino descendit la pente et inspira de l'air humide. C'était une petite plage, pas vraiment confortable, mais elle devait bien être source d'amusement pour les enfants pendant les chaudes journées estivales, justifiant alors les branches connectant les deux rives : elles devaient servir de plongeoirs.

Des libellules allaient de fleur en fleur et Tino dut se reculer pour éviter que l'une d'elle ne s'approche trop de lui.

Il ne savait pas s'il avait atterri dans une ville, mais il pouvait bien entendre le grognement de moteurs, mais cette atmosphère bruyante s'effaça alors aussi vite qu'elle apparut, laissant Tino dans un silence total.

Et il devint rapidement étouffant. Ce qui brisa cette tranquillité fut un appel sourd. Il venait de derrière lui, alors il s'empressa de gravir la pente pour apercevoir, près du terrain de jeu, un homme s'attaquant à un corps bien moins bâti que lui. Cela ne semblait pas si violent en premier lieu, mais Tino, après une observation rapide, comprit que la situation relevait de vie ou de mort. Il aurait intervenu peu importe la gravité, mais peut-être pas avec la même punition en tête pour l'assaillant. Sa première action fut de crier « arrêtez ! », mot qui résonna entre les arbres, mais l'homme ne semblait pas très enclin à obéir. Tino, de plus, n'était pas très intimidant de l'extérieur, mais était bel et bien une bête féroce lorsque poussé à bout.

Courant en direction de l'assaillant, Tino claqua des doigts, sa façon d'utiliser de la magie, et l'homme fut brusquement poussé loin de la petite silhouette, pour être claqué et collé contre le sol. Incapable de lever ne serait-ce qu'un doigt de pied sans même comprendre pourquoi, il tentait vainement de lutter contre la magie puissante qui l'empêchait de se mouvoir.

Le sort se brisa rapidement, avant que Tino ne puisse l'attraper. L'homme, cependant, prit ses jambes à son cou et disparut au loin. Tino n'avait pas le temps de le rattraper et de le punir comme il aurait voulu, mais la silhouette frappée gisait misérablement au sol et avait besoin d'aide.

La silhouette se trouvait être un jeune garçon, encore en pleine puberté. Il avait des cheveux blonds extrêmement fins, assez pour rendre son crâne visible. C'était là un désavantage de la blondeur, surtout lorsqu'elle était aussi accentuée que chez ce garçon. Il ne parvenait pas à se tenir debout, avec sa frêle stature, alors Tino, remarquant une table de bois entourée de bancs de pierre, le mena jusqu'à ceux-ci. Il fit s'assoir le garçon sur le banc de pierre, caressant son dos pour le calmer. La bataille lui avait pris son souffle mais, autrement, il semblait bien s'en sortir. Tino pensait juste qu'il était légitimement choqué.

« Tu vas bien ? demanda-t-il en nettoyant les cheveux du garçon. Quelque chose de cassé ?

-Je… Je crois pas... » fut la maigre réponse qu'il reçut. C'était plus un murmure qu'autre chose.

« Pourquoi il te frappait ? Tino s'enquérit, inquiet. Tu t'appelles comment ?

-Emil… Steilsson ? »

Le choc était une sacrée drogue. Il était tellement surpris qu'il lui fallut du temps pour se souvenir de son nom exact. Bon, au moins, Tino avait trouvé son client, même s'il n'était pas dans la plus grande des formes.

« Allez, allez… Je vais te ramener chez toi, d'accord ? T'habites où ?

-Euh… Oua… non ! Non ! On peut pas aller chez moi !

-Pourquoi on pourrait pas ?

-Parce que… on… on peut pas. »

Tino fronça les sourcils. Il prit Emil par le bras et jugea de sa capacité à marcher. Son corps tremblait de fragilité, ses os semblaient même prêts à se briser. Sa peau était pâle, similaire au glaçage d'un gâteau…

Et Tino eut faim. Il dut se gifler mentalement pour arrêter de penser à la nourriture, mais il ne pouvait jamais vraiment refuser quelque chose qu'on lui donnât. Surtout si c'était quelque chose de sucré. Une autre gifle.

Le garçon avait forcément autour de vingt ans. Il portait des vêtements démodés, dont des bottes blanches accompagnées d'un pantalon marron. Sa chemise tout aussi marron couvrait un teeshirt blanc sans col, mais il rattrapait cela avec un mouchoir blanc, rappelant celui des aristocrates, attaché autour du cou. Son style était, en revanche, loin de celui d'un aristocrate. Si ce type n'avait pas été frappé à l'école, alors Tino était un ange inexpérimenté, et petite aide : il était un ange excellent.

« Calme-toi, tout va bien maintenant. »

Cela prit du temps pour la respiration d'Emil de vraiment se ralentir, son rythme frénétique sembla inarrêtable. Tino l'engraissa de mots doux, accompagnés de sa voix melliflue. Il parvint, avec la douceur de ses paroles, à empêcher les larmes de couler. L'ambiance tendue s'évanouit sous sa voix qu'il rendait plus grave à chaque mot qu'il prononçait.

« Alors… Pourquoi ce type te frappait ? » Tino demanda à nouveau. Le visage du garçon s'alluma, les évènements se dessinant sur son visage, sur ses lèvres rosâtres et ses joues blanches, couvertes par ses boucles de neige. Ses cheveux n'étaient pas vraiment ondulés, mais une mèche retombait directement dans sa bouche. Il devrait sérieusement se les couper, il avait l'air de ne pas se les être coiffés depuis longtemps. Son visage, blanc comme neige, ne portait aucune trace de boutons et Tino eut l'indécence de penser qu'il aurait aimé avoir ce visage lorsqu'il était jeune. Il rougit à l'idée et la repoussa.

« Parce que… je… euh, non… Merci. T'es qui… ? »

Ses paroles étaient lentes et son esprit certainement embrumé. Les effets secondaires du choc l'affectaient toujours, mais il reprit ses esprits après un moment et gagna en sang-froid.

« T'es qui ? fit-il avec un ton doux, se forçant à prendre de profondes d'inspirations.

-Mon nom ? C'est Tino Väinämöinen.

-Je vois… Merci, Tino…

-Tu veux que je te ramène chez toi ? Non, attends. Je vais te ramener peu importe ce que tu en dises. Dis-moi où t'habites, on y va. Je te promets que tu ne te feras pas attaqué. On verra ce qu'on fera avec tes parents, d'accord ?

-D… D'accord, je suppose... »

Tino l'aida à se relever du banc en le prenant par le bras. Emil ne semblait pas gêné, mais ils durent marcher lentement. Il n'aurait pas été capable de suivre le rythme de Tino de toute façon, et vu le temps qu'Emil prenait pour se rappeler du chemin menant à chez lui, Tino pensa qu'ils arriveraient la semaine suivante.

Ils passèrent par un pont, suivant une rivière, ensuite rencontrèrent un terrain de football auquel on accédait par un chemin de pierre et finalement, ils atterrirent devant une petite maison. Un albinos, si on se référait à la couleur de sa peau et de ses cheveux, jardinait dans la cour. Tino toqua à la porte. La maisonnette semblait paisible, mais encore non-informée de la récente agression. Le dos d'Emil se redressa contre le bras de Tino.

« T'es sûr que tu habites ici ? s'inquiéta Tino, zyeutant curieusement le garçon. Tu n'as pas l'air vraim... »

La porte craqua, puis s'ouvrit. Un homme blond, plus grand que Tino mais pas tellement, apparut alors. Des cheveux plutôt longs, pour un homme en tout cas, étaient retenus en arrière par une barrette cruciforme argentée. Ses yeux étaient similaires à ceux d'Emil, d'un bleu étrangement profond, et sa peau pâle et ses cheveux étaient bien un signe de lien de sang entre les deux. Il avait une aura… mystérieuse qui flottait autour de lui, et Tino le suspecta instantanément. De tout et de rien simultanément.

« Emil ? sa voix résonna étrangement. Qui t'a fait ça ? Il est où ? Mathias, prends la bat de baseball ! »

Il leva la voix, mais celle-ci était toujours aussi douce, comme du miel. Elle était grave et lente, et Tino dut bien reconnaitre que cela lui donnait un côté sensuel.

Le regard de Tino se tourna rapidement vers Emil. L'homme le prit par les épaules et l'aida à entrer, ne s'embêtant guère de ce que faisait Tino. L'ange entra donc, refermant la porte derrière lui et comptait bien suivre Emil et son parent, mais fut stoppé par un homme aux allures de culturiste qui se trimbalait une batte de baseball. Il jura que sa voix lui détruisit les tympans.

« LUKAS ! J'AI LA BATTE, TU VOULAIS JOU... »

Lorsqu'il s'arrêta de hurler, remarquant le plus petit homme effrayé par les mouvements aléatoires de la batte sur ses épaules, il eut un sourire authentique pour accueillir cet invité inconnu.

« Salut ! Je suis Mathias Vous voulez quelque chose ? Comment vous vous appelez, mon chéri ? »

Chéri ? Ce type était trop affectif, c'était terrifiant.

« Emil a été attaqué, dit directement Tino pour éloigner le type. Je l'ai aidé à s'en sortir. Je sais pas ce qu'il lui est arrivé, et je m'appelle Tino.

-Attaqué… ? répéta lentement Mathias. Oh non... »

Il courut jusqu'au salon où celui nommé Lukas bombardait Emil de questions. Tino suivit silencieusement. Il ne fit aucunement attention à son entourage, trop concentré sur la scène qui se déroulait devant lui. Lukas et Emil étaient assis sur un canapé, le regard d'Emil se perdait sur rien en particulier, et il était plus pâle que lorsqu'il était avec Tino, assez étrangement.

Lukas, en revanche, dont le visage était sévère au naturel, avait une expression stricte qui lui donner un air enragé, mais les questions et l'attention qu'il posait et donnait reflétait ses sentiments véritables : il était réellement inquiet, mais face à lui, Emil restait indifférent.

« Ça s'est… déjà produit ? tenta Tino.

-C'est la troisième fois déjà, répondit Lukas en arrêtant son interrogatoire et haussant les épaules, jetant son regard au plafond. On ne sait jamais pourquoi il est harcelé. Chaque fois, la police n'a rien pu faire. Il ne répond jamais à nos questions, rien du tout.

-J'en peux plus ! s'écria Mathias en retenant des larmes. Emil, tu dois nous dire pourquoi ! On a juste besoin de savoir ça pour que ça s'arrête enfin ! »

Le téléphone de Tino vibra. Cela lui semblait impoli d'ouvrir son texto là, mais bon, il venait certainement du Ciel ! Alors il l'ouvrit et le lit mentalement : « babysitteur ». Oh, cela devait être sa fonction. Il soupira. Ils arrivaient à être en retard, là-haut, c'est vraiment déplorable.

Tino rangea son téléphone dans sa sacoche et vit Emil se lever sans un mot, allant à l'étage. Son rythme lent faisait craquer les escaliers à chaque pas qu'il faisait. Mathias, lui, séchait ses larmes sur l'épaule de Lukas qui se contentait de tapoter son dos.

Une fois Mathias parti, Lukas se redressa et observa Tino avec un regard perçant.

« Vous avez dit que vous étiez Tino, c'est ça ? demanda-t-il.

-Exact.

-Je m'appelle Lukas, enchanté. Et donc vous devez être le nouveau babysitteur de Peter. Je suis content que vous soyez venu, et merci beaucoup d'avoir aidé Emil. On est un peu débordés pour s'occuper de Peter en ce moment, avec l'absence de son père… C'est une bénédiction que vous ayez accepté toutes nos conditions. »

Tino était légèrement effrayé. Là-haut, ils avaient tendance à le jeter dans des situations dont il ne savait rien. Quelles conditions avait-il acceptées exactement ?

« Son père n'est pas là ? Il est où ?

-En voyage d'affaires, et avec les problèmes d'Emil et nos emplois, on ne peut pas gérer Peter.

-Oh, je vois.

-Il est à l'école, là. Vous devez aller le chercher à quatre heure cette après-midi. Je vais vous donner l'adresse de l'école, pas de problème. Aussi, parce qu'on a besoin de vous la plupart du temps, vous pouvez dormir dans la chambre d'amis, elle est vide. Ça vous convient ? Enfin, vous avez déjà accepté sur le contrat…

-Oui, ça me va, mais, euh… Emil… ? Quelqu'un devrait aller lui parler, non ?

-Il ne nous répondra pas. Il ne nous a jamais répondu sur ce sujet. Il ferme la porte à double tour pour qu'on ne puisse pas entrer.

-Vous pensez que… je pourrais essayer ? demanda Tino gentiment.

-Faites comme vous voulez », fit Lukas entre ses dents. Ce n'était pas la colère qui parlait. Il semblait chagriné par la situation d'Emil, et il semblait ne pas vouloir abandonner. Malheureusement, les faits lui étaient défavorable. Il était désespéré.

Tino monta les escaliers. Faits de bois, marcher dessus créait une cacophonie de craquements. Ils se terminaient sur un long couloir blanc. La moquette au sol était grisâtre et étonnamment propre. Un tel sol devait être chiant à ne serait-ce qu'aspirer, Tino pouvait aisément imaginer de grandes sessions de nettoyage se déroulant ici, tous passant leur journée dans ce couloir fermé pour le laver.

De faibles sanglotements provenaient de la première porte à gauche du couloir. C'est un son sourd, presqu'inaudible. Tino ne toqua pas, il opta plutôt pour une méthode moins agressive, usant de sa voix calme et angélique.

« Emil… Tu voudrais… me parler ? »

Le silence qu'il reçut comme réponse était plus parlant qu'un « non » hurlé. Il se demandait s'il devait déverrouiller la porte lui-même ou donner à ce garçon l'intimité qu'il méritait.

Bon. L'intimité, c'était pas toujours pour le mieux. Tino claqua des doigts, le clic de la porte fit sursauter Emil, supposa-t-il en entendant les draps du lit se soulever. La porte s'ouvrit donc magiquement. La chambre était de taille moyenne, les murs blancs et bleus, avec une unique fenêtre donnant sur le jardin. Il n'y avait qu'un lit simple. Sur l'un des murs étaient des posters de groupes musicaux, d'émissions télé et une mappemonde. Face au lit se trouvait un bureau, sur lequel reposaient de nombreuses feuilles. Des livres en tous genres, des pièces, des manettes d'une console de jeux vidéo et même des encas parsemaient le sol de la chambre. À leurs côtés, les traditionnels vêtements sales. La chambre trainait une odeur de mort, c'était indicible. C'était comme si la fenêtre n'avait pas été ouverte depuis des mois.

« Emil… Ce n'est pas une… chambre bien propre », déclara Tino.

La voix d'Emil n'atteignit pas les oreilles de Tino, puisqu'apparemment, toutes les larmes qui ne s'étaient pas montrées bloquaient désormais sa gorge.

« … Qu'est-ce que t'as dit ? s'enquit Tino avec un sourire.

-J'ai dit que j'avais remarqué », cracha Emil en s'asseyant brusquement sur son lit. Son visage était toujours blanc comme lait, même si la zone autour de sa bouche et son nez s'était rougie. Sous ses yeux flottaient des fantômes de larmes.

« Emil… tu veux bien me dire ce qui s'est passé ? dit calmement Tino, s'asseyant au côté du garçon. Je t'ai un peu sauvé, tu me dois bien ça.

-Je suppose », répondit Emil. Tino était fier et ravi qu'Emil le prît ainsi. Il était presque soulag…

« Mais je veux pas, continua-t-il.

-Tu… tu devrais ! ajouta Tino. Si tu veux de l'aide, tu te dois de raconter ce qui s'est passé.

-Le truc, c'est que je veux pas d'aide.

-Mais t'en as besoin. » Tino soupira. Il arrêta la dispute enfantine là. Il parlait à un adulte pas un enfant. Il reprit :

« C'était quelqu'un que tu connaissais ?

-Hein ?

-L'agresseur.

-Non.

-Même pas dans ton école ?

-Écoute, je veux pas te parler. Va-t-en, s'il te plait.

-Je voudrais t'aider, à vrai dire. Tu es sûr que tu ne veux pas que je…

-DÉGAGE ! »

Tino se tut et soupira, attrapant l'oreiller qu'on lui lança. Il abandonna pour cette fois-ci, mais seulement pour cette fois. Il ne pouvait pas forcer le gosse à s'ouvrir de cela, Tino se devait d'obtenir sa confiance au préalable. Alors il se redressa et quitta la pièce, refermant la porte derrière lui. Jetant un œil à sa montre, il remarqua qu'il était autour de midi. Il se dirigea à l'étage inférieur et y rencontra Lukas, un carnet et stylo en mains, copiant quelque chose. Lukas releva la tête et vit Tino, l'observa quelques secondes avant d'arracher une feuille de son carnet et lui tendre, tout cela avec une gestuelle lente et pleine de mollesse.

« C'est l'adresse de l'école de Peter et une photo de lui. L'école n'est pas très loin, c'est juste pour être certain notre ancien babysitteur avait tendance à… l'oublier. »

À cette phrase, et avant même que Tino ne puisse réfléchir à répondre, une voix tonna du jardin, elle était rauque mais pas vraiment grave.

« Hé ! C'est arrivé deux fois seulement !

-Gilbert, Lukas répondit froidement en s'approchant du jardin, je ne sais même pas pourquoi tu jardines dans notre jardin. T'es là depuis hier. Elizabeta t'a jeté ? Largué ?

-Luke ! Mathias s'écria en s'approchant. T'amuse pas avec ses sentiments ! Il est triste... »

Les derniers mots n'étaient que murmurés, comme pour ne pas être entendus par l'albinos.

Lukas roula des yeux, indifférent, et se tourna vers Tino. Il lui expliqua clairement qu'il ne s'intéressait pas du tout aux amours de Gilbert et que son bienêtre était bien loin de ses préoccupations. Son bienêtre était, en revanche, la préoccupation principale de Mathias, et c'est pour cela qu'il pouvait atterrir dans leur maison pour de longs séjours parfois. Il dort sur le canapé, par contre, Lukas ajouta avec un sourire narquois, puisqu'il s'assurait que Gilbert n'aurait jamais la bellissime chambre libre, pour ne pas qu'il s'habitue au confort. En réalité, ils ne lui ont jamais dit qu'ils avaient une chambre d'amis, il s'installa sur le canapé de son propre chef, ne demandant rien à personne.

« Alors, ça serait un plaisir qu'il soit triste ailleurs qu'ici » fit Lukas en élevant la voix pour être entendu du jardin. Il ne semblait pas haïr Gilbert en soit, juste le fait qu'il squatte. Tino pouvait l'entendre, ils étaient déjà quatre ici, de ce qu'il savait.

« Désolé, Lukas, Gilbert marmonna avec faiblesse. Je suis sûr que je suis moins génialissime qu'avant. Elizabeta me voudrait pas à la maison... »

L'homme semblait prêt à s'effondrer, c'était sans compter sur Mathias qui vint à ses côtés pour soutenir tout son poids. Mathias n'eut qu'un regard envers Lukas qu'il ponctua d'un « beau travail » muet.

« Lukas, on est pas là pour lui saper le moral. Comporte-toi avec lui comme tu le ferais avec Emil ! »

Lukas haussa les épaules et s'en alla. Tino comprit qu'il ne comptait pas s'excuser de sitôt, ça ne lui ressemblait pas.

La vision de ce Gilbert affalé brisa un peu le cœur de Tino. Malheureusement, Gilbert n'était pas son client, il n'avait pas le droit de…

Son téléphone vibra. Il le sortit de sa poche et lut le nouveau message qu'il avait reçut. « Gilbert », lisait-il.

In – croy – able. Le type était également son client. Deux pour le prix d'un… Il ne voulait pas que cette mission se termine comme une qu'il acheva il y a quelques siècles, pendant laquelle il eut à charge six clients !

Mathias et Gilbert rejoignirent le salon, Tino les suivit gentiment et s'assit devant eux, acceptant le rafraichissement que Mathias proposait. C'était de la bière. Tino aimait la bière, tant qu'il n'exagérait pas et finissait ivre mort. Il avait du boulot, il ne pouvait pas boire des tonnes maintenant.

« Gilbert, voici Tino, le nouveau babysitteur de Peter. Tino, c'est Gilbert. Il reste ici quelques jours. »

L'albinos – il se devait d'être un albinos avec ces yeux rouges perçants et sa peau blanchâtre, – leva la tête et s'essaya à un sourire, mais échoua lamentablement et ne pouvait empêcher le froncement de sourcils sur son front.

« Enchanté, Gilbert. Je… je peux savoir ce qui s'est passé ? Vous avez des problèmes ? »

Il avait déjà sa petite idée quant à la situation de cet homme. Grosso modo, quelque chose du genre « J'ai merdé avec ma femme et depuis elle ne veut plus me revoir. Elle me déteste peut-être. » C'était le genre traditionnel de mission. Tant que tout cela n'était que des amours brisées, ça pouvait être réparé. Assez paradoxalement.

« Ouais… dit-il, passant une main noircie par la terre dans le royaume blanc de ses cheveux. C'est juste… Bah, Elizabeta, ma femme, m'a viré de chez moi à cause de… quelque chose… que j'ai fait... »

Ses yeux rouges étaient hypnotisants. Tino ne rencontra que peu d'albinos dans sa longue vie, ils étaient si rares.

« Et… qu'est-ce que vous avez fait ? » Tino demanda sincèrement, sans une once de sarcasme ou d'hypocrisie, ni sur son visage, ni dans sa voix. Il était préoccupé par son client. Les amours étaient facilement réparées mais frappaient toujours les humains fort émotionnellement.

« Je me suis battu avec son ex-mari, qu'est toujours un ami à elle. Alors elle m'a viré. Et tutoie-moi, s'il te plait. »

Oh, bon. Rien d'extraordinaire. Pauvre fille, quand même. Gilbert avait juste l'air d'être un idiot écervelé alors qu'elle devait vivre avec le fait d'avoir marié un idiot capable de combattre ses amis. Tino porta alors un peu d'admiration pour elle, mais malgré tout, il aiderait Gilbert.

« T'avais une raison de te battre avec lui ?

-Sur le moment, ouais… ! Gilbert marmonna, visiblement incertain quant à l'image qu'il voulait donner de lui : entre pitoyable ou convainquant. Il voulait juste m'emmerder et je suis sûr qu'il la veut, elle. Et vu comme les choses sont parties, il a bien réussi…

-C'est pas la première, ajouta distraitement Mathias. Votre relation en ce moment, elle se dégrade. Vous passez tous les deux une mauvaise passe.

-Ça ne peut pas être constamment ta faute, Gilbert, répondit aimablement Tino.

-Bien sûr que c'est pas toujours moi, agréa-t-il. Bon, la plupart du temps, c'est peut-être moi, mais elle a aussi ses défauts !

-Comme tout le monde. Je suis sûr que tout rentrera dans l'ordre, fit joyeusement Tino. Tu devrais juste t'excuser, tu penses pas ?

-J'ai essayé, mais elle me laisse même pas l'appeler.

-Alors si vous vous entendez pas très bien, passez du temps loin de l'autre temporairement. Ça aide toujours d'avoir la tête fraiche, pas vrai ?

-T'as… t'as raison… dit Gilbert, son visage s'éclairant subitement. Je vais finir le jardin que je t'ai promis Mat. Après, je fais celui d'Alfred. »

Il se redressa et partit hâtivement pour le jardin. Tino observa curieusement où il allait. Il rit silencieusement et demanda sur le ton de la plaisanterie à Mathias : « C'est votre… jardinier ?

-Nan, juste un ami qui apprécie étrangement le jardinage. C'est un de mes meilleurs amis ! Avec Lukas, Berwald, Alfred… Bref, des types cools.

-Je vois. Alors Lukas est un ami ? Est-ce que c'est un parent d'Emil ?

-Oui, son grand frère. Et Berwald est le père de Peter. On vit tous ensemble, parce qu'on est comme une famille.

-Vous appréciez la compagnie à ce point ? Je suppose que c'est jamais ennuyeux par ici.

-Non, pas vraiment. Y a toujours quelque chose à faire. Mais toi, Tino ?

-M… Moi ?

-Ouais, toi. T'as d'la famille ici ou quoi ?

-Ah, non.. C'est que… Je voyage beaucoup et j'ai décidé de rester ici plus longtemps que prévu », mentit-il précautionneusement. Il n'avait pas à dire le vérité, cela pourrait compromettre toute l'organisation de sa mission.

« Content de t'avoir ici, alors. C'est moi qui prépare le diner aujourd'hui, ce sera prêt dans quelques minutes. Tu vas vivre ici, tu vas t'habituer à la bouffe bizarre qu'on fait ici parfois. Mon dieu, j'espère que mes pâtes ont pas brulé, j'ai un peu tout lâché en plein milieu ! »

Tino le remercia avec un sourire. Mathias partit rapidement, agilement. Tout seul dans ce salon, il aurait aimé investiguer ici, mais il n'y avait pas encore de raison présentement.

Cette famille semblait marcher sur la tête, complètement contreproductive. Plutôt… problématique. Et Gilbert, Gilbert, Gilbert… Comment devait-il l'aider avec sa femme ? Où était son bonheur ? Avec ou sans cette Elizabeta ? Dur de deviner, il avait des recherches à entreprendre.

Il réfléchit un long moment, pensa-t-il, mais fut réveillé en sursaut par l'appel de Mathias pour le repas : « Les gars ! C'est prêt ! Gilbert, j'ai même fait les pâtes avec la recette que le ptit Feli t'a donnée ! »

Tino entendit Gilbert lâcher tous ses outils au sol, seulement pour des pâtes, évidemment. Son visage crasseux, ses mains sales et son odeur n'étaient, par contre, guère appétissants. Mathias l'obligea à se rendre à la salle de bain avant de passer à table, pour au moins retirer la terre.

Tino rejoignit la table et prit place silencieusement, regardant la nourriture avec attention. Elle avait l'air délicieuse. C'était des pâtes, elles se devaient d'être bonnes. La sauce qui les recouvrait semblait juteuse et gouteuse, ce qui fit saliver Tino à un point qu'il ne savait même pas possible. Il se dégouta lui-même.

Mathias s'assit en bout de table, le plus loin de Tino. Se trouvaient des chaises libres à côté de Tino, devant lui et un à sa gauche, le bout de table opposé.

« Où est Lukas ? s'enquit calmement Tino, n'osant pas toucher la nourriture avant qu'on l'y autorise.

-Certainement en train d'essayer de ramener Emil ici. Ils sont proches l'un de l'autre, mais ont tellement de mal à… tu vois… s'exprimer. Quand Lukas le taquine sans mauvaise pensée, Emil crie au harcèlement. Ils ont l'air bizarre ensemble. »

Tino ne quitta pas Mathias du regard pour quelques secondes supplémentaires, inconsciemment en train de scruter les traits de l'homme. Il s'excusa promptement et baissa les yeux vers son plat. Gilbert revint à la cuisine et se servit. Mathias s'excusa de ne pas avoir offert de servir Tino et s'exécuta à remplir son assiette de pâtes juste après ses excuses.

Tino mangea lentement, discutaillant avec les deux autres hommes jusqu'à l'apparition d'Emil et Lukas. Un frisson le traversa dès qu'ils entrèrent c'était effrayant de voir Emil s'assoir sans piper mot, attendant que Lukas le servît. Lukas le fit, comme il le fut silencieusement ordonné, se servit lui-même et s'assit enfin. L'ambiance tendue était quasi tangible.

Tino les observa tous avec attention. Gilbert était perdu dans son assiette, mangeant comme s'il n'y avait pas de lendemain. Emil jouait avec ses spaghettis, n'en mettant pas un dans sa bouche. Mathias avait les yeux fixés sur Emil, inquiet, tandis que la main droite de Lukas s'agitait sous la table. Regardant de plus près, Tino comprit que Lukas jouait avec la main de Mathias même, la serrant, jouant entre les doigts ou la caresser.

Il fit exprès de tousser violemment, recevant de la part de Lukas un regard étrange, mais cela ne le fit pas lâcher la main de Mathias. Ils étaient loin d'être discrets et se demanda si quelque chose de plus qu'une profonde amitié les liait. Il tenta de prouver ses doutes avec une discussion :

« Alors, depuis combien de temps vous vous connaissez tous les deux ? demanda-t-il en fixant Lukas du regard.

-Trente-quatre ans, répondit joyeusement Mathias. On s'est rencontré en école maternelle et depuis, on s'est jamais quittés. On fera de sa vie une amitié pour toute la vie, hein Luke ? »

Lukas ne fit qu'opiner du bonnet, son esprit bien ailleurs.

« Et toi, Emil ? Tu as quel âge ? Tino demanda à nouveau, tout sourire.

-Vingt-trois... » soupira-t-il avec réticence lorsque Lukas le foudroya du regard, quelque peu agacé. Tino ne manqua pas un mouvement de cette scène. Apparemment, Lukas avait beaucoup de contrôle sur son frère. Où pouvaient bien être les parents de ces garçons ?

Tino se tut quelques minutes, mais brisa le silence retrouvé derechef :

« Je peux vous demander quelque chose de privé ?

-Tutoie-moi. Mais oui, vas-y, accepta Lukas, ses yeux concentrés sur le vide en face de lui.

-Où sont vos parents ?

-Morts, évidemment, déclara Lukas avec simplicité. À quoi tu t'attendais ? »

Il tourna la tête vers Tino pour donner plus de gravité à sa déclaration.

« Je demandais juste. Toutes mes condoléances. »

Lukas haussa légèrement les épaules, s'en fichant complètement. Ses yeux se concentrèrent finalement sur les gens qui mangeaient autour de lui. Mathias reçut un roulement d'yeux, Emil un soupir désespéré mais muet, Gilbert, lui, rien. Si c'est là toute la famille de mon client, songea Tino, on est pas sortis de l'auberge. Je dois les forcer à s'ouvrir aux autres. Surtout les deux frangins. Gilbert et Mathias aideraient.


Plus tard dans la journée, Lukas et Mathias quittèrent la demeure, se rendant au travail. Emil était assis seul dans le salon, s'intéressant à un dessin animé futile. Tino parlait à Gilbert de bière, mais s'excusa pour s'occuper de son autre client. Gilbert avait l'air d'aller bien pour le moment, il pouvait avoir quelque temps en solitaire, même si Tino aurait besoin de réfléchir à quelque chose pour le réconcilier avec sa femme. Emil, c'était… une autre histoire.

Dès qu'il se dirigea vers le garçon, Emil se leva et monta les escaliers, direction sa chambre, certainement. Tino suivit de loin, pas très enclin à faire peur au jeune homme.

Lorsqu'il se fut assuré qu'Emil était dans sa chambre, il s'approcha de la porte et l'ouvrit.

« Emil, salut. Je peux entrer ?

-Tu… tu viens d'entrer. »

Emil était assis sur son lit à côté d'un sac dans lequel il rangeait quelques affaires.

« Je prends pas ça pour un non, alors. Comment ça va depuis ce matin ? Tino s'enquit en s'asseyant à ses côtés et en plaçant une main sur ses épaules qui fut violemment rejetée.

-Bien, je suppose…

-Tu supposes ? Et t'es prêt à me raconter ce qui s'est passé ce matin ?

-Pourquoi je ferais ça ?

-Je veux juste t'aider.

-T'es le babysitteur de Peter, pas mon ange gardien.

-En fait, tu serais surpris.

-Bien sûr, ajouta sarcastiquement Emil, je dois partir de toute façon.

-Ah ? Où ça ?

-Je vais voir des amis. Salut. »

Emil se redressa et partit, refermant la porte derrière lui avec violence. Il avait embarqué avec lui sa tablette, son téléphone, ses écouteurs, le tout enfermé dans son sac. Son ordinateur portable restait en revanche sur son lit, et Tino n'eut pas d'autre choix que l'ouvrir. Il devait se renseigner sur Emil, c'était une question de bonheur ou de malheur, et c'est exactement son rôle.

Fort heureusement, la maison était quasiment vide, il ne serait pas interrompu. Tino prit l'ordinateur sur ses genoux et l'ouvrit avec douceur. L'écran s'alluma et sur l'écran de verrouillage était une case qui requérait un mot de passe. Tino tenta plusieurs combinaisons aléatoirement, jusqu'à-ce qu'il se fatigue. Il claqua des doigts et le bureau s'ouvrit instantanément. Le fond d'écran montrait un garçon de l'âge d'Emil avec des cheveux mi-longs et des yeux noirâtres. Il était devant un tableau blanc, dans une salle de classe. À côté de sa tête, sur le tableau, était une phrase écrite dans une langue que Tino ne connaissait pas, c'était une langue asiatique Le garçon, lui-même, devait être asiatique. Son habillement était très fashion et semblait bien ancré dans son époque, avec tout le matériel multimédia qu'il pouvait transporter sur lui.

Tino ouvrit le dossier principal réservé aux images et trouva, à l'intérieur, des centaines de photos de ce même garçon ou de villes illuminées de nuit. Il s'y trouvait à l'intérieur environ cinq-mille photographies, Tino décida alors de regarder seulement les plus récentes. Le garçon du fond d'écran attisait sa curiosité, songea Tino. Il ferma le dossier des images et opta pour Skype. Le logiciel se lança et sur l'écran apparut la conversation la plus récente qu'Emil avait eue. Le compte de son interlocuteur avait un pseudonyme et l'image de profil était une rue de cité grouillante de vie, Tino n'avait aucune idée de qui cela pouvait bien être.

« Moi : alors, Leon, t'es sûr que je peux venir demain ?

Leon : bien sûr, le vieux sera pas là, promis. T'es, genre, stressé pour une simple visite ? On le fait constamment Emi, pas besoin d'avoir peur.

Moi : si mon frère découvre ça, il me tue. C'est comme s'il était mon père !

Leon : le vieux est pas mon daron et pourtant il se comporte comme un quand même. Je vois pas le pb. En plus vous vous ressemblez beaucoup.

Moi : tu rigoles ?

Leon : nan, mêmes yeux, mêmes cheveux, même timidité ridicule… tu vois ce que je veux dire ?

Moi : t'es con. On se voit demain, mais mtn ferme-la. »

Rien d'autre, ensuite. Tino traversa les autres messages, composés principalement de blagues et d'histoires futiles.

« Leon : alors ? t'as fait quoi ajd ? C'est devenu de + en + dur de se parler en ce moment, t'es sûr que ça va sans moi ?

Moi : je vois pas ce que tu veux dire.

Leon : le fait que tu te sois caché derrière moi quand j'ai parlé à des amis, mêmes devant mes frères et sœurs, idiot !

Moi : pff, arrête avec ça. Je suis pas si timide. T'inventes des trucs, là, me prends pas la tête.

Leon : je paris que tu rougis là, maintenant.

Moi : c'est parce que je te déteste. »

Tino sourit en lisant ces discussions. Elles étaient toutes similaires les unes aux autres, rien d'extraordinaire ne se produisait dans la vie de ces deux garçons, mais c'était un soulagement de savoir qu'Emil avait bien des amis. Il n'était pas esseulé !

Il n'avait besoin de rien de plus. Il éteignit alors l'ordinateur et le replaça sur le lit, où il se trouvait précédemment. Il se dressait alors au milieu de la chambre et se décida à faire quelque chose de ce désordre. Cette chambre n'était pas sale en soi, juste un capharnaüm de feuilles, livres, jeux vidéo, vêtements, etc.

Il n'avait pas plus de temps à perdre. Il claqua des doigts une fois, reprenant les vêtements du sol, les lavant magiquement et les rangeant dans différentes armoires. Tout dans la pièce, au bout d'un moment, brillait et de magie, et de propreté. Tino souffla, épuisé par son petit tour de magie et claqua des doigts une nouvelle fois, disparaissant de la pièce.

Juste après sa téléportation, Gilbert ouvrit la porte, pensant y trouver Emil. Il ne murmura qu'un « oh » de surprise voyant la chambre si propre et, sans trop se soucier du reste, s'en retourna tout heureux à son travail de jardinage.


Tino réapparut entre deux poubelles. Au moins, il était sûr de ne pas être remarqué, mais ce n'était pas le meilleur endroit auquel se téléporter il y avait mieux, vraiment. Chez lui, par exemple, mais bon. Il sortit de la ruelle et tenta de comprend où exactement il se situait. Il avait voulu se téléporter près d'Emil, mais cela ne lui disait pas où il se trouvait. De l'autre côté de la rue se trouvait un parc dans lequel Emil pouvait bien flâner. Tino faillit sortir de sa précieuse cachette mais s'en empêcha alors que la voix d'Emil résonna proche de lui, venant du bâtiment le jouxtant. Un porte craqua et s'ouvrit, deux garçons, l'un d'eux Emil, sortit de la demeure.

« Ah, Emil. C'est genre, super cool que tu sois venu, fit la voix inconnue.

-On en a parlé hier, mais oui, c'est cool, je suppose… On va où aujourd'hui ?

-Tu parles comme si tu sortais souvent. Pourquoi pas le parc, tout simplement ?

-Ferme-la, on est pas là pour m'insulter. Tu devrais être content que je t'offre ma présence.

-Je rigole, t'inquiète. T'as le droit de rester chez toi avec ton frère chéri et son meilleur ami dont tu es amoureux après tout. Personne pour te juger là-dessus.

-Amoureux ? de Mathias ? Pff, c'est bien le cadet de mes soucis.

-Je sais que tu l'as aimé. Qui c'est maintenant ?

-C'est pas aujourd'hui que tu vas l'apprendre.

-Rabat-joie, fit-il en regardant Emil avec un sourire véritable. On va au parc, viens.

-Tu veux dire le lieu où les gosses de l'école crient et courent partout ?

-Les enfants te posent un problème ?

-J'aime pas quand les enfants m'empêchent de m'amuser.

-Alors tu admets enfin qu'on va s'amuser ! Et, d'après ton frère, tu étais un enfant adorable.

-Ta gueule avec ça ! T'avais l'air aussi ridicule que moi !

-J'ai pas dit ridicule. Et en ce qui me concerne étant enfant, y a pas plus mignon. Tu le sais, hein ?

-Ouais, ouais... »

Tino allait les suivre pour écouter leurs conversations, mais un homme vint à lui et lui demanda l'heure. Il était quatre heures passées.

Tino était chanceux que cet homme n'avait pas de montre, mais son visage pâlit soudainement malgré tout. Peter. Il avait oublié Peter.

Il ne pouvait pas se permettre d'être viré dès le premier jour, il devait aider ses clients d'une certaine façon et requérait cette proximité qu'il avait obtenue grâce à son boulot.

Il demanda à l'homme sans montre la direction de l'école et commença à courir comme un dératé. Trois secondes après son départ, il avait déjà oublié les indications de l'homme, l'obligeant à observer chaque panneau de directions pour se diriger à l'école.

Au bout d'un moment, il atteignit le bâtiment scolaire. Des drapeaux allemands flottaient sur le portail d'entrée. Il sortit de sa poche une photo du garçonnet que Lukas lui avait donnée. Cheveux blonds avec un sourire rayonnant et une marinière. Il releva les yeux de la photographie et tomba pile-poil sur le garçon qu'il recherchait… et il pleurait et sanglotait sans bruit assis au sol, tenant son genou blessé dans un espoir vain de dissiper la douleur.

Une femme s'en approcha et avant de demander son nom, le garçon murmura « Peter », suivit d'un sanglot gargantuesque.

Tino se hâta de rejoindre Peter et déclara à la femme qu'il s'occuperait de lui. Elle n'était pas très grande, mais quand même plus grande que lui. Tino pouvait voir sous ses vêtements le fin relief de ses muscles. Mieux fallait-il ne pas la contrarier, et malheureusement Tino tombait dans la catégorie des « hommes dangereux tentant de faire du mal à un enfant ».

« Qui êtes-vous ? exigea-t-elle, presque en aboyant.

-Son nouveau babysitteur. Je m'appelle Tino, fit-il en gardant son sang-froid pour calmer sa peur intérieure. Salut Peter… Je te ramène chez toi, d'accord ? On va soigner tes blessures.

-Attendez ! Vous savez au moins qui sont ses parents ? interpela-t-elle avec une inquiétude grandissante de voir un enfant être emmené par un inconnu.

-Son père est en voyage d'affaires. Il habite chez ses oncles avec un type appelé Gilbert qui traine aussi dans le coin. C'est pas loin d'ici, la maison a une jolie façade. Les oncles sont Mathias, Lukas et Emil. Ça vous suffit, Madame ?

-Oui… désolée. Je suis Elizabeta.

-Elizabeta ? La femme de… Gilbert ? »

Elle acquiesça nonchalamment, mais se reprit rapidement, entendant un nouveau sanglot de Peter.

« Vous devriez le ramener. »

Son intonation était devenue plus tendre, mais c'était clair qu'elle n'avait aucune envie de voir Tino, comme si le fait que Gilbert était l'une de ses accointances le rendait indigne de son temps. Qu'elle pouvait avoir tort.

Les blessures de Peter saignaient de plus en plus profusément et Tino avait pour instinct de paniquer, mais après une profonde inspiration, il claqua discrètement des doigts, couvrant la blessure principale avec son autre main au même moment. Il fit apparaitre un pansement pour couvrir le genou pour que la disparition de la blessure ne paraisse pas trop suspecte. Sa main retirée, le sang avait disparu et avait emporté la douleur avec lui.

« Tu vas mieux maintenant, petit ? s'enquit Tino d'un sourire chaleureux. Tu es Peter, c'est ça ?

-Oui... », offrit-il en guise de réponse. Il balaya de son visage les larmes avec son bras et tenta de reprendre ses esprits et son calme. Lorsqu'il y parvint finalement, il se tourna vers Tino pour lui demander son nom.

« Moi, c'est Tino. On t'a déjà parlé de mois ? Lukas t'a dit que je serais ton nouveau babysitteur ?

-Oui ! s'exclama-t-il avec enthousiasme. Tino ! Merci pour ma blessure, c'est fou parce que ç'a même pas piqué ! Ça me fait plus mal de tout !

-Tout va bien alors, non ? Tu peux marcher ? »

Peter opina du bonnet et eut un sourire solaire. Il semblait surexcité de rencontrer Tino et l'ange gardien avait tout aussi hâte de lui poser toutes les questions du monde, mais ne le fit pas, peut-être pas timidité ou pudeur.

« Qu'est-ce que tu veux faire, maintenant ? Rentrer directement ou aller au parc ? demanda Tino, s'agenouillant près de Peter.

-Le parc ! s'écria-t-il. Je veux aller au parc !

-Alors on y va. »

Ils marchèrent en silence, sans un mot, suivant les panneaux colorés de vert pour atteindre le parc. Tino finit par ne plus pouvoir supporter le silence et posa quelques questions à Peter sur sa vie, ses amis, les jeux vidéo, les choses qu'un enfant aime et dont il aimerait parler.

Après ces discutailleries futiles, Peter se tut et fixa l'horizon au loin. Un soupir s'échappa de ses lèvres et il dit doucement :

« T'es trop génial. Je suis sûr que Papa t'aimerait bien !

-Oh, merci. Tu sais quand il rentrera ?

-Dans… quelques mois, de ce qu'il m'a dit. C'est cool, hein ? Je veux être comme mon père quand je serai grand.

-Tu veux dire obéir à ton boss continuellement et devoir participer à des réunions ennuyeuses ?

-Ah, j'y avais jamais pensé comme ça… Je trouverai quelque chose d'autre. »

En terminant sa phrase, il aperçut le parc au loin et demanda s'ils pouvaient se dépêcher de l'atteindre. Tino ne répondit qu'avec un rire bref et tenta bien de rattraper la marche de Peter qui, à vrai dire, s'était mis à courir. Puisqu'il n'y avait pas de route autour d'eux, Tino le permit sans broncher. Peter l'attendit à l'entrée une fois qu'il eut atteint l'arrivée.

« Je peux y aller ? s'enquit-il gaiment.

-Bien sûr. Je serais par là si tu me cherches, ne t'inquiète pas, je te regarde. »

Tino lui sourit alors que Peter s'exécutait à rejoindre des amis à lui, apparemment. Le gosse était mignon et gentil pour l'instant, c'était plaisant et relaxant de ne pas avoir affaire à un porc inéduqué. Il était simplement… gentil. Peter sauta d'un banc pour atterrir dans le sable d'une aire de jeu. Tino eut un hoquet de surprise alors que l'enfant tombait tête la première sur le sol, mais il ne s'en préoccupa guère, se frotta les mains et s'en retourna à courir.

Simultanément, en tant qu'ange attentionné, les sens de Tino lui indiquèrent qu'Emil était dans les parages. Parfait, il pouvait voir comment se déroulait cette escapade entre lui et son ami. Il observa les alentours rapidement et remarqua les deux adolescents assis entre deux arbres, cachés par les feuilles. Tino s'en approcha sans faire de bruit, scrutant leurs mouvements avec une vive attention. Son regard dérapa jusqu'à Peter, pour s'assurer qu'il n'était pas agonisant à cause d'une stupide erreur ou qu'il n'avait pas blessé un de ses camarades, puis après s'être assuré du bienêtre du petit, il concentra toute son attention sur les deux tourtereaux. Ils semblaient… amoureux ?

Tino ne pouvait pas le dire avec certitude. Il claqua des doigts pour écouter la conversation des deux adolescents discrètement et magiquement. Il entendait leurs voix parfaitement, comme s'il se trouvait juste à côté d'eux.

« Tu sais ce que j'en pense, Leon. Mon frère me tuerait, tu le sais !

-Conneries ! Il t'aime trop pour te blesser.

-C'est… étrangement vrai, j'avoue. Mais il ferait de ma vie un enfer ! Il… il comprendrait pas, et il l'accepterait pas non plus.

-Tu sais pas tant que t'essaies pas.

-Mais j'ai peur de sa colère ! lâcha Emil avec émotion. Ça vaut pas le coup, je peux pas demander. Je préfère que ça reste secret.

-C'est quelque chose qu'un enfant dirait de son père.

-Arg… tu sais toujours comment être chiant.

-Et si je viens brusquement, juste pour rentre tout limpide comme de l'eau de roche ? Je viens, je t'embrasse, peut-être plus s'ils sont trop choqués pour agir et je prends mes clics, mes clacs, et je me barre. »

Emil prit son livre et frappa Leon, celui-ci riant. Il était rouge d'embarras à côté d'un jemenfoutiste total. Emil se leva et partit, donnant fin à leur rencontre prématurément.

Avant de pouvoir être découvert et possiblement tué par Emil, Tino s'en alla rapidement retrouver Peter, lui annonçant qu'il était temps de rentrer. Le garçonnet accepta avec réticence, prenant congé de ses amis et la main de Tino dans la sienne.

Tino garda un œil discret sur Emil qui disparaissait au loin et annonça à partir qu'il avait une course à faire avant de rentrer, juste pour croiser son chemin. Peter devait croire que c'était du hasard, pas Tino qui, sciemment, faisait tout pour l'embêter.

« Oh, Emil ! s'exclama Tino pour qu'il relève la tête de son téléphone. Content de te voir ici. Qu'est-ce que tu fais ?

-Euh… J'ai juste… été voir des… amis, fit-il en s'en retournant rapidement à son téléphone, prêt à déguerpir.

-Son petit ami, souligna et insista Peter avec un sourire mesquin.

-Je croyais t'avoir dit d'arrêter de raconter tes conneries sur moi, morveux, tu m'entends ? cria presque Emil.

-Naaan!Tu devrais demander à Tino pour tes problèmes d'amour, regarde, il a soigné mon genou avec des pansements génialissimes !

-Ouais, tu passes trop de temps avec Gilbert à mon avis. »

Et en prononçant ces derniers mots, il se pressa de partir, visiblement énervé. Tino feignit un sourire ignorant.

« C'est quoi cette histoire de petit ami ? demanda innocemment Tino à Peter qui sursauta, prêt à expliquer tous les évènements.

« Bah, tu vois, Emil et Leon se connaissent depuis la primaire, et maintenant sortent ensemble.

-Je vois, mais c'est quoi le problème ?

-Emil a peur que Lukas l'empêche de voir son amoureux.

-Pourquoi Lukas ferait une chose pareille ?

-Il est surprotecteur comme grand frère et Emil pense qu'il est homophobe.

-Wow, petit… T'en sais vraiment beaucoup sur la situation. Je peux savoir comment ?

-J'ai lu le journal d'Emil.

-Tu ne te ferais pas disputer par ton père, pour ça ? demanda Tino, déçu.

-Si, mais… J'ai une mission pour ma famille. Je veux les aider, et c'est ma mission, ouais ! Si j'aide Emil, Lukas sera plus détendu et peut-être que toute ces tensions disparaitront… complètement, oui !

-Mon dieu, Peter. C'est une grande mission pour quelqu'un d'aussi petit que toi. Tu sais quoi, je pense que je veux même t'aider. Tu acceptes ?

-Bien sûr ! T'es un adulte, ils t'écouteront, toi ! »

Tino eut un rire, mais au fond de lui-même, il savait que le gosse avait raison. Il voyait le monde avec des yeux innocents et avait l'air de vouloir sa famille heureuse. Tino et lui rentrèrent à la maison, Peter lui montrant le chemin, évidemment.

Une fois la destination atteinte, Peter ouvrit la porte et se dirigea instantanément vers Gilbert. Lukas et Mathias n'étaient toujours pas rentré, Emil non plus. Gilbert, en revanche, était bien là. Et regardait la télé… éteinte.

« Gil ? Qu'est-ce que tu fais ? Y a rien à la télé ! s'exclama Peter.

-Hein ? Ah, ouais, je sais. Content de te voir, gamin. Je réfléchissais juste, fit-il en décoiffant Peter qui en rit.

-Tu veux jouer avec moi ?

-Je… non, désolé. J'ai des trucs à faire. »

Peter fit la moue. Il courut à Tino pour se plaindre. Il parlait avec un tel rythme effréné que Tino dut lui dire de s'assoir et de se calmer avant de continuer.

« Qu'est-ce que tu essaies de me dire ? demanda simplement l'ange.

-Gilbert… Il… Il est encore triste. À cause d'Elizabeta ! »

Ils étaient assis dans la cuisine, assez loin de Gilbert pour ne pas être écoutés ou entendus.

« Tu peux m'en dire plus sur elle ?

-Oui ! Tu vois, elle était au lycée avec Roderich, son ex-mari, et Gilbert. Ils étaient dans la même classe, tous les trois. Roderich était le copain d'Elizabeta et ils se sont mariés, genre, quelques années après l'université pour eux deux ! Gilbert était toujours leur ami, évidemment, parce qu'il connait Elizabeta depuis qu'ils sont tout petits ! Ensuite, il a fait rencontrer aux mariés la famille d'un autre de ses meilleurs amis, les Vargas, parce qu'ils étaient apparemment super gentils ! Et donc les mariés sont devenus les babysitteurs du plus jeune des Vargas, et ça rendait Gilbert trop jaloux de les voir se comporter comme une famille avec lui. Quand le garçon était assez grand pour s'occuper de lui-même, Roderich et Elizabeta ont compris qu'il était la seule chose qui les reliait encore. Ils ne s'aimaient plus, enfin, du moins, Éliza ne l'aimait plus. Alors ils ont divorcé. Gil a saisi l'opportunité pour la draguer ! Et après quelques temps, ils se sont mariés. C'est elle qui porte la culotte à la maison, et il fait souvent des bêtises, donc elle le dispute souvent aussi. Elle est gentille, sinon, je l'aime bien ! Je crois qu'elle m'aime bien aussi, t'as vu comme elle était avec moi à l'école ? J'ai passé une nuit chez eux une fois, et c'était super bien, même s'ils se battaient beaucoup. Je suppose que cette fois-là ils se sont trop battus. »

Tino eut un énorme soupir. Le pauvre garçon, à peine douze ans et déjà une partie intégrante de toutes ces idioties d'adultes.

« Tu… t'en sais vraiment beaucoup, fut tout ce que Tino put marmonner.

-J'entends beaucoup les discussions.

-Je suis sûr que ce n'est pas l'entière vérité », plaisanta Tino.

Peter se tut quelques instants. Il semblait soudainement envahi de tristesse et Tino se sentit mal de l'avoir causée.

« C'est juste… Je veux aider Papa. Il aime pas vivre ici, c'est évident ! C'est pour ça qu'il choisit toujours les plus longs voyages, comme ça, il peut s'en aller ! J'essaie de rendre tout le monde amis comme ça c'est plus facile ici et Papa reviendra ! Si Emil arrête d'être tout angoissé comme dit Mathias, alors Lukas se détendra ! Si Éliza et Gil se réconcilient, plus de combats et plus de squat ! et alors là, Papa reviendra. J'en suis sûr. Avec mon frère, même !

-T'as un frère ?

-Oui. Il est avec Papa à son voyage.

-Tu es vraiment courageux, Peter. Je suis sûr que tu as déjà énormément aidé ici. C'est peut-être même grâce à toi qu'ils vivent encore sous le même toit.

-Je dirais plutôt "à cause de moi". C'est à cause de moi qu'ils sont encore ensemble…

-C'est pas du tout ça, le rassura Tino, se souvenant des doigts de Lukas s'entremêlant à ceux de Mathias sous la table à manger.

-Comment tu sais ? T'es un magicien ou quoi ? Parce que ça aiderait beaucoup !

-Je suis pas un magicien. Tu veux savoir ? Bon, d'accord… Je suis un ange. On m'a envoyé pour aider ta famille. »

Peter eut un moment d'hésitation avant de répondre, mais un coup d'œil au sourire authentiquement doux de Tino le fit exploser de gaité.

« C'est trop cool ! Merci, ensemble on va tout réparer !

-C'est une promesse, Peter. Mais en échange, tu dois garder ce secret. S'ils savent qu'on prépare quelque chose, ça sera bien pire qu'avant ! »

Peter acquiesça et allait pour dire quelque chose, mais Gilbert entra dans la cuisine pour boire quelque chose. Peter en profita pour sauter dans ses bras et lui faire un câlin.

« Giiiii ! Tu vas reparler à Éliza ?

-Ah, t'aimes pas quand je reste ici, le génialissime moi ?

-Si, j'aime bien, mais le jardin est tellement propre qu'on pourrait manger sur l'herbe. Tu devrais t'excuser envers elle. »

Gilbert le posa au sol et soupira, prenant avec hésitation son téléphone et composant aussi lentement que possible son numéro. Il observa Peter quelques secondes avant qu'une voix ne tonne dans le récepteur.

Peter rayonna et vint à Tino avec un sourire narquois.

« Je crois que je serai un ange gardien plus tard. J'ai bien travaillé, nan ?

-Tu es réellement merveilleux, répondit Tino. Tu ferais un magnifique ange gardien, petit. »

Peter bâilla alors et s'en alla à sa chambre, peut-être pour une sieste ou pour jouer, Tino n'en sut rien. L'ange marcha jusqu'au salon où Gilbert était assis sur le fauteuil noir, écoutant avec une attention dantesque chaque mot qui sortait du récepteur.

Son visage pale se colorait de rouge, il était au bord des larmes. Une fois qu'il eut raccroché, il regarda Tino.

« Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? s'enquit l'ange. L'amour a-t-il trouvé son chemin ?

-Mieux que ça, répondit franchement Gilbert. Ne m'attendez pas pour manger ce soir, je serai occupé à prier aux pieds de quelqu'un ! »

Tino rit et le félicita. Sa mission n'était pas trop difficile pour l'instant. Tout allait comme sur des roulettes.

Il se dirigea ensuite vers la chambre de Peter pour jouer à quelques jeux avec lui. Emil, Lukas et Mathias, finirent par revenir et ils dinèrent tous ensemble, dans un silence religieux, avant d'enfin aller se coucher.

Tino, dans son pyjama et à moitié endormi, avait une difficulté à respirer. Quelque chose de lourd sur son torse… non, dans son torse.

Il ne prédisait jamais le futur, il n'aimait pas cela, mais quelque chose d'étrange allait se produire son sang en bouillait déjà, et la nuit fut dure. Demain est un autre jour, avec sa propre ribambelle de problèmes. Un jour où les masques tombent et les égos suivent.

Malgré tout, Tino eut un soupir de plaisir alors qu'il embrassait enfin Morphée pour un sommeil privé de rêves.


Notes de l'auteur :

Chapitre corrigé le 27 décembre 2017 pour les années (dix-huit est devenu trente-quatre, dix-sept est devenu vingt-trois) pour harmoniser la chronologie.

Et me revoilà avec l'histoire promise sur mon profil. C'est la troisième histoire (j'ai déjà commencé l'écriture de la première) d'une série appelée « Tino, ange gardien », qui narre l'histoire d'un ange gardien infaillible dans sa quête d'aider les humains. Cependant, alors qu'il s'attaque à une famille particulièrement difficile, il rencontre des difficultés qu'aucun ange n'aurait à affronter, et il a le devoir de rester fidèle à ses vœux angéliques.

Évidemment, ça reprend le principe de Joséphine, ange gardien, émission télévisée de la chaine française TF1. Joséphine, jouée par Mimie Mathy, est un ange d'exception qui règle tous les problèmes possibles, jusqu'à-ce qu'elle tombe amoureuse...

Tous les éléments angéliques que je cite viennent directement de la série, même les problèmes d'amour à venir.

« Aptère » vient d'un mot grec signifiant « non-ailé », en parlant surtout des insectes.

Cette histoire, Aptère, se déroule en 2010, en Allemagne (tous parlent allemand, donc). Il n'est pas nécessaire de lire les histoires précédentes (à l'heure actuelle, à savoir le 14 aout 2017, encore non-publiées) pour comprendre l'intrigue de celle-ci, mais certains détails font référence aux histoires passées, et elles sont importantes pour le dénouement final.

Tous les personnages ont un âge bien prcis, mais est-il nécessaire de faire une liste de ceux-ci avec leurs âge ? Vous me direz.

Comme peut-être vous le savez déjà, j'ai tendance à... ne pas me relire, ce qui est très mauvais, je le sais. J'ai bien essayé de me relire ce coup-ci, mais je déteste tellement relire mon propre travail... Si vous remarquez quelques fautes, faites-moi savoir, évidemment, je les corrigerai. Et comme un jour on me l'avait conseillé, si certains sont intéressés pour devenir correcteurs (des bêtalecteurs je suppose ?), je suis prêt à accepter.

Et d'ici à ce que je publie un autre chapitre, à l'année prochaine (ahah, navré de publier si peu, à vrai dire) !