Titre : Double jeu

Auteur : Mokoshna

Manga : Hikaru no Go

Crédits : Le manga Hikaru no Go appartient à qui revient de droit, c'est-à-dire principalement ses auteurs, Yumi Hotta et Takeshi Obata.

Avertissements : Spoilers de la fin du manga, Yaoi, principalement du Akira/Hikaru.

Blabla de l'auteur : Bon, j'ai passé cinq jours à réécrire cette fic et à la finir en carburant au café, j'ai les yeux qui sortent de la tête et une furieuse envie de tuer quelque chose, de préférence un truc petit, mignon et sans défense. Comportement psychotique de ma part, je le sais, je sais aussi que tant d'efforts ne me vaudront pas grand-chose mais je le fais quand même, ça prouve à quel point je peux être obsédée par quelque chose (et aussi que j'ai du temps à perdre en abondance). C'est pourquoi j'apprécierais vraiment des reviews. Je n'en réclame pas spécialement mais ça fait toujours plaisir... et je remercie ceux qui m'en ont déjà fait ou qui vont le faire. Merci ! Je sais que le dernier chapitre a tardé à venir mais en contrepartie, je me suis donnée un mal de chien pour tout refaire correctement. J'espère que ça suffira à me faire pardonner !

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La schizophrénie est un syndrome physiopathologique plurifactoriel complexe, débutant souvent à l'adolescence (parfois même avant) ou chez le jeune adulte et évoluant vers une « dissociation » progressive de la personnalité. ...

Les symptômes positifs " produisent" des idées délirantes, des hallucinations, des troubles du cours de la pensée, des comportements incompréhensibles. Les délires se traduisent par des idées fausses, notamment de persécution (espionnage, vol de la pensée, idées imposées…), qui sont une interprétation ou une reconstruction de la réalité. Les hallucinations prennent souvent la forme de voix commentant les comportements du sujet, l'insultant ou lui donnant des ordres. Les troubles de la pensée peuvent provoquer une grande confusion dans le discours et l'action. Compte tenu de l'intensité de ces manifestations et parfois de leur fréquence, des signes de dépression et d'anxiété les accompagnent souvent. ...

La maladie se déclare souvent lentement. Au début, elle se manifeste par une difficulté à se relaxer, à se concentrer ou à trouver le sommeil. Progressivement, les patients fuient leurs amis, négligent leur apparence physique ; leur discours se dégrade, des perceptions inhabituelles surviennent, finalement, il ne leur devient plus possible, par exemple, de poursuivre des études. Une fois déclaré, le syndrome est installé pour la vie et devient chronique, avec récurrence d'épisodes aigus nécessitant une prise en charge d'urgence (hospitalisation)....

La schizophrénie n'est donc pas un trouble généralisé, un trouble motivationnel ou un déficit lié à la tâche, puisqu'on a montré que les patients sont capables de réaliser de bonnes performances sur une grande variété de tâches cognitives complexes....

Echelle d'appréciation des symptômes positifs
Cette échelle permet de suivre l'évolution des symptômes productifs au cours du temps ou lors des différents traitements. Elle comporte 34 items répartis en 4 composants :

Hallucination
– Hallucinations auditives
– Commentaires des actes de la pensée
– Hallucinations de conversations
– Hallucinations somatiques ou tactiles
– Hallucinations olfactives
– Hallucinations visuelles
– Évaluation globale de l'importance des hallucinations
• Idées délirantes
– Idées délirantes de persécution
– Idées délirantes de jalousie
– Idées délirantes de culpabilité ou de péché
– Idées délirantes de grandeur
– Idées délirantes religieuses
– Idées délirantes somatiques
– Idées de référence, idées délirantes de référence
– Idées délirantes d'influence
– Idées délirantes de lecture de la pensée
– Divulgation de la pensée
– Idées délirantes de pensée imposée
– Idées délirantes de vol de la pensée
– Évaluation globale de la sévérité des idées délirantes
• Comportement bizarre
– Habillement et présentation
– Conduite sociale et sexuelle
– Comportement agressif ou agité
– Comportement répétitif ou stéréotypé
– Évaluation globale de la sévérité du comportement bizarre
• Troubles de la pensée formelle non déficitaire
– Relâchement des associations
– Tangentialité
– Incohérence
– Pensée illogique
– Discours (pensée) circonlocutoire (digressive)
– Logorrhée
– Distractabilité du discours
– Associations par assonances
– Évaluation globale du trouble de la pensée formelle

Extrait du dossier en ligne « La schizophrénie »

Ce dossier a été réalisé en collaboration avec :
— Françoise Casadebaig,
— Nicolas Dantchev,
— Bruno Giros,
— Marc Jeannerot,
— Jean-Luc Martinot
Texte rédigé par Corinne Dupuy

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Chapitre 1

Akira posa sa pierre d'un geste vif, libérant un « patchi » sonore qui résonna dans la salle pendant plusieurs secondes. Son adversaire fit une grimace. Ce dernier coup, en plus d'être particulièrement impressionnant sur la forme, lui avait coupé ses dernières libertés. Il contempla d'un air désolé sa surface de territoire, assez ridicule en comparaison de celle de son vis-à-vis.

— J'ai perdu, fit-il sur un ton amer.

— Merci pour cette partie, fut la seule réponse laconique que lui accorda Akira avant de partir.

C'était fait. Cette victoire assurait au jeune homme le titre de professionnel 5ème dan. Pourtant, Akira ne semblait pas particulièrement heureux, ni malheureux. Son ascension dans le monde du go était tout simplement une chose inévitable. Il fit un signe de la tête à Ashiwara qui achevait lui-même sa partie sans se hâter.

— Déjà fini ? lui fit le surveillant, M. Toshiki, avec un sourire bienveillant.

— Oui. Victoire par abandon.

M. Toshiki eut un petit rire nerveux. Il le trouvait étrange, ce gamin de seize ans qui se faisait sa place, lentement mais inexorablement, parmi l'élite professionnelle du go. Il recueillit toutefois le résultat de sa victoire rien en laisser paraître.

— Je suis sûr que Tôya Meijin - pardon - M. Tôya, sera ravi d'apprendre votre entrée chez les 5ème dan. Vous faites honneur à votre père.

— Ce ne sera pas une surprise pour lui, dit Akira. Il y a bien longtemps qu'il ne me demande plus où j'en suis.

— Ah... ah oui ?

— Je dois y aller, j'ai un cours qui m'attend. Bonne journée, M. Toshiki, fit le jeune garçon en s'inclinant.

— Euh... bonne journée, Maître Tôya.

Akira s'éloigna sans un regard en arrière, et personne n'eut l'idée de lui adresser la parole en chemin, pas même M. Amano qui était occupé à interroger quelques Insei en vue d'un article censé promouvoir leur formation. Arrivé dans la rue, il leva les yeux vers le ciel. La journée était presque finie et déjà le ciel se couvrait de rouge et or. Il était dix-huit heures ; la rue était encombrée de passants, qui rentraient chez eux ou en profitaient pour faire leurs courses. Akira évita de peu deux enfants en tenues d'écolier sage qui couraient sur le trottoir sans regarder devant eux.

— Alors ? fit une voix qu'il reconnut sans peine.

Hikaru Shindô. Le garçon qui l'obnubilait depuis quatre ans et qu'il avait fini par appeler amoureusement « Hikaru » dans sa tête, chose qu'il n'osait pas faire de vive voix. Depuis combien de temps l'attendait-il ? Akira sentit son coeur battre un peu plus vite, un peu plus fort. Il tâcha de garder un visage neutre et se dirigea sans hâte vers Hikaru qui était adossé à un poteau électrique, l'air aussi jovial que d'habitude. Son ami et rival portait un de ses habituels T-shirts multicolores avec un « 5 » à l'avant, ainsi qu'une paire de jeans délavés et une veste noire en cuir assez stylée qui lui donnait l'air d'un motard. Où l'avait-il donc dénichée, Akira se l'était longtemps demandé. Hikaru lui avait parlé d'un vieil ami barbu ou quelque chose dans le genre. On pouvait lui faire confiance pour ce qui était de se dégoter des amis étranges !

— Victoire par abandon, répondit tranquillement Akira. Je suis professionnel 5-dan.

Son ami lui sourit de toutes ses dents. Un rayon de soleil vint un instant frapper ses cheveux, éblouissant Akira qui dut fermer les yeux. La frange blonde de Hikaru brillait comme autant de fils d'or qui prenaient source à la lisière de ses mèches noires arrières. Akira lui adressa un sourire où se mêlaient la timidité et le ravissement.

— Il faut fêter ça ! s'écria Hikaru en lui sautant au cou, ce qui attira les regards surpris et un peu choqués des passants. Ramen pour tout le monde !

Akira soupira. Son ami pouvait se montrer ridiculement expansif quand on lui en laissait l'occasion. C'était mignon, mais aussi un peu agaçant à la longue. Il se démêla à regret de la poigne enthousiaste de Hikaru et se mit à le gronder.

— Shindô, nous ne sommes que deux à « fêter ça », ce qui est loin d'être un « tout le monde ». Et puis tu veux encore manger un ramen ? Tu n'en as pas marre ?

— Il n'y a rien de meilleur qu'un bon ramen !

— J'aurais peut-être, je dis bien peut-être, été tenté de penser cela les deux ou trois premières fois, mais au bout de la cinquantième j'ai eu le loisir de m'en lasser... et si on se faisait plutôt un sushi ?

— Rhaa, t'es comme Waya ! Rabat-joie !

Hikaru se mit alors à bouder, au grand amusement d'Akira. Ce dernier tenta une autre approche et lui fit un sourire qu'il espérait charmeur. C'était le même sourire qu'il utilisait lorsqu'il voulait obtenir une faveur de Mlle Ichikawa. Hikaru résista bien quelques secondes... en vain. À l'instant où Akira posa la main sur son bras pour l'entraîner avec lui, Hikaru perdit la tête et râla.

— C'est bon, tu as gagné !

Et sans plus se soucier de son ami, il se dirigea vers un restaurant de sushi qui se trouvait près de la Nihon-Ki-In, à l'enseigne verte et rose. L'endroit ressemblait assez à une échoppe de gare bon marché avec ses panneaux criards et sa façade multicolore. Akira le suivit d'un air curieux.

— Tu es sûr que tu veux aller là ?

— Pas de lézard, fit le garçon aux cheveux bicolores. Le « Kakurenbo » est pas mal, on l'a testé pleins de fois avec Isumi et les autres.

— Ah. Dans ce cas...

— Tu devrais venir aussi, un de ces quatre ! C'est beaucoup plus sympa à plusieurs !

— J'y réfléchirai.

— Tu dis toujours ça !

Akira garda le silence jusqu'à ce qu'ils soient installés devant la plate-forme roulante du bar, sur laquelle circulaient divers plats de sushi. Hikaru attrapa d'emblée une assiette de sushi au thon tandis que son ami prenait des maki au concombre pour débuter.

— Bah, en fait j'aime bien manger avec toi, Tôya. Quand je suis avec Waya, il me pique toujours mes sushi préférés !

Et sans attendre de réponse, il se mit à engloutir tous ce qui lui passait sous le nez. Akira n'avait pas encore touché à sa nourriture. Les mots de son ami l'atteignaient au coeur, comme à chaque fois... Waya par-ci, Isumi par-là, il y avait même de temps à autre des bouts d'Akari dans leur conversation. Sans cesse, Hikaru parlait de ses amis et des activités qu'ils avaient eues ensemble, de ce qu'ils projetaient de faire, tout un monde qui lui était fermé du fait de son incapacité à se socialiser correctement avec des personnes « normales » de son âge. Akira enviait un peu Hikaru pour la facilité avec laquelle il arrivait à communiquer avec les autres ; lui qui n'avait comme connaissances que des adultes liés au monde du go, entendre parler de ces réunions était comme découvrir tout un microcosme différent, une faune étrange que l'on appelait communément « adolescents ». C'était à la fois fascinant et frustrant.

— Je crois savoir que ce Waya ne m'apprécie guère, dit-il sèchement.

— C'est parce qu'il ne te connaît pas, c'est tout.

— J'en doute.

Il mordit rageusement dans un maki. Hikaru fit la grimace.

— C'est bête. Vous êtes tous les deux mes amis, j'aime pas le voir te faire la tête.

Akira fronça les sourcils. La remarque de son rival l'avait irrité. Savait-il seulement ce qu'il pouvait éprouver lors de ces rencontres ? Il faisait des efforts pour essayer de s'entendre avec les amis de Hikaru, aussi déplaisants soient-ils. Toutes ses tentatives avaient été soldées par des échecs ou des semi-échecs. Certes, il avait fait quelques progrès avec cet Isumi qui se montrait pour sa part assez coopératif et il était en termes courtois avec les autres. Toutefois, le clan Morishita lui était encore fortement hostile, à commencer par Waya qui ne manquait pas une occasion de lui faire connaître son mépris. Grand bien lui fasse ; Akira ne l'estimait pas plus que cela.

— Au fait, Waya m'a invité l'autre jour à une expo de goban à Shinjuku, tu veux venir ?

Akira hocha la tête sans enthousiasme. Pour être honnête, il n'appréciait pas les amis de Hikaru pour une raison, et une seule : son ami leur consacrait une grosse partie de son attention et de son temps. Ce temps gaspillé, il aurait pu le passer à s'entraîner ou à jouer contre lui...

Qui voulait-il tromper en prenant ainsi des détours ? En fait, Akira était horriblement jaloux. Il était le premier à le reconnaître : il aurait voulu que Hikaru ne voie que lui et ne joue qu'avec lui. C'était égoïste, c'était absurde, c'en était même effrayant. Il éloigna bien vite ces pensées et se concentra sur son ami.

— Tu ne m'as toujours pas raconté comment s'est passée ta dernière partie, fit Hikaru, la bouche pleine.

Akira lui sourit et se mit à détailler les moindres coups échangés. Il y passa l'heure suivante ; Hikaru discutait avec lui et la pile d'assiette montait à une vitesse effarante. Ils s'accordèrent sur la médiocrité du jeu du précédent adversaire d'Akira et cherchèrent des alternatives à ses coups. Akira s'aperçut qu'ils avaient déjà placé le pauvre homme dans la catégorie « Joueur moyen, menace inexistante ». Ce n'était guère aimable de leur part, mais il fallait avouer que leur niveau était à ce jour tellement élevé que seul un être réellement exceptionnel pouvait espérer attirer leur attention. Leur univers s'étendait bien au-delà du commun des joueurs qui formaient l'élite professionnelle.

— N'empêche, dit Hikaru, s'ils sont tous comme ça, je te rejoindrai sans problème !

Akira ricana.

— Dans tes rêves, Shindô.

Ils échangèrent un regard plein de défi, qu'un sourire de Hikaru suffit à sceller.

— Tu verras bien, Tôya !

Akira secoua la tête et préféra changer de sujet. Quand ils se mettaient à parler de leur rivalité, cela pouvait durer des heures et il ne voulait pas finir par incommoder les clients du restaurant avec leurs cris.

— Parlons d'autre chose, tu veux bien?

— C'est toi qui vois, souffla son ami. Après tout, j'y peux rien si tu pisses dans ton froc rien que d'y penser.

Akira se força à garder son calme.

— Bon. J'espère tu n'as pas oublié que tu m'aides à déménager ce week-end. J'aurai besoin de tous les bras disponibles.

Hikaru se gratta la tête.

— Oui, oui... enfin, je veux dire, je n'ai pas oublié. Mais je comprends pas, fit-il après avoir avalé tout rond un sushi à l'anguille, tu es pourtant super bien chez toi, avec ta mère qui te fait à manger et lave ton linge et tout ça, je vois pas pourquoi tu irais ailleurs. C'est pas comme avec les parents de Waya ou les miens, les tiens comprennent et t'encouragent ! Enfin, avec un père ancien Meijin aussi, le contraire serait étonnant...

— Ce n'est pas qu'une question d'accord parental et de tâches domestiques, soupira Akira. J'ai aussi mes raisons.

— Mouais. Mais bon, c'est vrai que c'est ton choix. Moi j'en serais pas capable, bordélique comme je suis !

La discussion s'acheva là. Hikaru avala ses dernières bouchées tandis qu'Akira, rassasié depuis longtemps, l'observait en silence. Ses pensées revenaient sans cesse vers sa relation avec Hikaru, vers ce lien étrange et indescriptible qui les unissait. Il n'osait y apposer un titre par crainte de se tromper, pourtant il n'était pas dupe de ses propres sentiments...

Je me demande, se dit-il en soupirant, si tu continuerais à te goinfrer aussi tranquillement si tu savais la véritable raison de mon déménagement...

Belle raison, en effet ! Akira avait découvert son attirance physique et sentimentale envers Hikaru et l'avait avoué à ses parents. La tension qui en avait découlé l'avait à ce point affecté qu'il voulait à présent quitter le domicile familial pour ne plus avoir à subir de pression de leur part, imaginaire ou réelle.

Cela avait commencé très simplement. Akira était un garçon intelligent bien que peu sociable. Hikaru était son antithèse : énergique, passionné, il était peu doué en classe mais très ouvert aux autres, un peu trop parfois. C'était le genre de garçon qu'Akira évitait. Ils étaient trop différents ; n'eût été leur passion commune pour le go et les circonstances particulières de leur rencontre, ils n'auraient jamais pu s'entendre ni même se parler. Dans ces conditions, comment ne pas se rendre compte de l'obsession excessive qu'il lui témoignait ? C'était bien simple, il n'y avait que deux choses qui enflammaient vraiment Akira, et ces choses étaient le go et Hikaru. S'il pouvait facilement comprendre pour le premier (on n'était pas le fils unique du Meijin sans avoir quelques affinités envers le jeu, même s'il avait entendu dire que les enfants de Maître Morishita 9-dan étaient particulièrement réfractaires au go - comment était-ce même possible ?), le second point l'avait longtemps laissé perplexe et même inquiet. Akira n'avait pas de temps à perdre avec un tel joueur, qui se permettait de manquer ses premières parties en tant que pro ! Il s'était donc efforcé de le rayer de son esprit pour ne plus avoir d'interférence. Peu de temps après, Hikaru s'était remis et l'avait poursuivi avec toute son ardeur coutumière. Il avait si bien fait qu'il avait même réussi à gagner sa place au sein de l'équipe de jeunes pros qui devait représenter le Japon à la coupe Hokuto.

Akira n'en était pas sorti indemne. Ce tournoi qui avait sur bien des points marqué toute leur génération de joueurs, avait été pour lui une révélation. Hikaru avait affronté Yeong-Ha Ko de toutes ses forces ; même en tant que spectateur, Akira avait senti l'intensité de ces échanges de coups, comme si tout un pan de l'univers de son rival se révélait à lui. Cette partie l'avait fait vibrer du plus profond de son âme. Hikaru avait perdu, mais ce n'était pas une simple défaite, loin de là. Il avait défendu de tout son coeur Shûsaku Honinbo contre les insultes de Yeong-Ha Ko, pour une raison connue de lui seul, un autre mystère qu'Akira ne pouvait comprendre. Toute sa vie, il se souviendrait de ce qui était advenu par la suite.

— Pourquoi joues-tu au go ? avait demandé Yeong-Ha Ko à travers son jeune camarade, Su-Yong Hong.

La question semblait avoir profondément touché Hikaru, assez pour qu'il prenne le temps d'y réfléchir. Akira avait retenu son souffle. Il avait vu Hikaru se mordre la lèvre, verser des larmes de dépit qui ressemblaient à une rage de vivre peu commune. Les mots qu'il avaient prononcés à demi-voix avaient un goût de sacré.

— Je joue pour faire le lien entre le passé et le futur.

Ces larmes et ces mots avaient scellés le sort du coeur d'Akira. Il s'était dit : « Ce joueur est mon rival. Ce garçon est celui qui domine mon coeur et ma vie. Tant qu'il sera là, je n'aurai besoin de personne d'autre. De toute ma vie, je n'aimerai personne comme lui. »

Propos pompeux et irréalistes, chimères sans avenir mais qui pour Akira représentaient tout ce qu'il avait jamais désiré. L'essence du go. Un rival qui lui permettait de se surpasser. Il en aurait pleuré, mais Shindô avait eu assez de larmes pour toute l'assemblée. Son coeur avait vibré au rythme des sanglots de son rival. Un plaisir coupable l'avait envahi ; il avait contemplé, hagard et émerveillé, ce garçon qui avait changé sa vie de manière si radicale. Les gens étaient partis peu à peu ; il était resté avec Shindô et n'avait pu le quitter des yeux.

— Allons-y, Shindô, avait-il dit doucement, pesant ses mots pour atteindre son ami. Ici, ce n'est pas la fin. Il n'y a pas de fin. Nous vivons pour faire le lien entre le passé et le futur. Moi, nous, eux, tout le monde.

En avait-il trop dit ? Pourtant, Hikaru s'était levé et l'avait suivi. Akira avait serré les dents et retenu les élancements de son coeur. Plus tard, à l'hôtel, il avait passé la soirée à pleurer et à faire le point sur ses sentiments.

Quelle chose étrange que l'amour ! Akira savait que ce qu'il éprouvait pour Hikaru avait peu de chances de se réaliser. Pourtant, presque sur un coup de tête, il avait décidé de révéler ses sentiments à ses parents.

Ils l'avaient assez bien pris, tout bien considéré. Sa mère avait été atterrée sur le coup, mais sa nature soumise avait presque immédiatement repris le dessus ; à peine avait-elle montré sa désapprobation par les regards gênés qu'elle lui avait lancé à la dérobée. Pourtant, voyant sans doute que son fils ne semblait pas vouloir agir en conséquence, elle s'était faite plus insistante et avait commencé à se mêler de ses affaires. Elle avait notamment passé une bonne semaine à chercher des partis féminins acceptables pour lui, jusqu'à constituer un dossier de taille respectable. Akira avait refusé toutes ses propositions en bloc et avait décidé de déménager pour ne plus avoir à subir ses airs désapprobateurs.

Quant à son père... Aussi étrange que cela puisse paraître, Koyo Tôya n'avait rien dit. Akira avait attendu sa réponse, terrifié à l'idée que son père puisse le détester et le déshériter... mais Koyo s'était contenté de hocher la tête en buvant son thé. Il s'était ensuite retiré pour la nuit et n'en avait plus reparlé. Sans doute l'avait-il déjà deviné, car il connaissait son fils mieux que quiconque. Il n'avait pas non plus objecté quand Akira lui avait parlé de son déménagement et s'était seulement inquiété au sujet de son nouveau voisinage. Celui-ci lui ayant apporté satisfaction, il avait souri et s'était remis à étudier ses kifu. Ils ne discutaient plus que de go à ce jour, ce qui ne changeait guère de d'habitude.

— Alors ? Quelle couleur ?

Akira sursauta et fixa Hikaru avec des yeux ronds. Son ami lui adressa une moue ennuyée.

— Le papier peint ! Je te demandais de quelle couleur il était !

Il fit un sourire d'excuse. Perdu dans ses souvenirs, il en avait complètement oublié la présence de Hikaru.

— Ah ? Euh... bleu. A moins que ce ne soit rouge ? Je ne me souviens plus...

— Vraiment, Tôya ! T'es dans la lune ? C'est ton dan en plus qui te monte à la tête ? se moqua son ami.

— Ne sois pas ridicule, protesta Akira, j'étais juste un peu distrait, mais ça n'a pas duré.

— Hé, si tu es comme ça à une partie...

— Je ne le serai pas !

Hikaru lui fit un sourire taquin qui le fit rosir légèrement. Son ami ne parut pas le remarquer et il se leva pour payer. Akira frémit en entendant la somme qu'il devait au restaurant. Il avait englouti de quoi nourrir toute une famille !

— Bon, on va au club de ton père ? Je me sens d'attaque à te faire ravaler ton nouveau dan !

— Ça, c'est ce qu'on va voir, Shindô ! s'écria Akira en se dirigeant vers la sortie, un sourire aux lèvres.

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La voix de Hikaru résonna sitôt la porte d'entrée passée.

— Je suis rentré !

Une silhouette de femme se dégagea du seuil de la cuisine. Hikaru se dirigea vers sa mère en bâillant d'aise.

— Hikaru ? fit-elle en fronçant les sourcils. Tu rentres bien tard. Tu as mangé ?

— Oui, des sushi avec Tôya. Et je me suis aussi pris un ramen en chemin après ça. On a fêté le passage de Tôya en 5ème dan.

Mitsuko Shindô s'essuya les mains sur son tablier avant de sourire doucement à son fils d'un air satisfait. Comme Hikaru avait grandi et mûri en quelques mois ! L'enfant immature qu'elle avait connu avait fait du chemin en quatre ans, si bien qu'elle ne le reconnaissait presque plus et avait du mal à suivre. Hikaru travaillait à présent dignement et gagnait sa vie. Même si elle n'était pas sûre de le comprendre complètement, son garçon était devenu quelqu'un dont elle pouvait être fière. Elle se sentait un peu triste de le voir déjà s'éloigner d'elle, mais bon c'était le lot de toute mère...

— C'est une bonne nouvelle, dit-elle en hochant la tête, tu le féliciteras bien de ma part, surtout. C'est un gentil garçon, il le mérite.

Ce disant, elle repensa à l'unique visite qu'il leur avait faite, quelques mois auparavant. Hikaru et lui s'étaient donnés rendez-vous pour une de leurs sempiternelles parties au club du père de Tôya, parties dont lui parlait quelquefois son fils d'un air distrait (elle ne comprenait pas tout mais se forçait à l'écouter jusqu'au bout). Ce jour-là, Hikaru avait continué à dormir avec insouciance malgré ses efforts pour le réveiller. Elle avait donc appelé le club en s'excusant profusément, et trente minutes plus tard, un Tôya un peu énervé était venu rabrouer Hikaru pour son manque de considération. Mitsuko avait pu remarquer à quel point le garçon était bien élevé : même en colère, il avait pensé à acheter un gâteau en chemin pour le lui offrir et il s'était montré d'une politesse sans bornes. Elle se dit que la mère du garçon devait avoir bien de la chance.

Mais moi aussi, j'en ai, se reprit-elle vivement, Hikaru n'est peut-être pas le meilleur des fils, mais ce n'est pas le pire non plus. J'ai de la chance de l'avoir. Oui, beaucoup de chance.

Elle repensa aux circonstances de la venue de Hikaru dans cette famille... pensée qu'elle bannit aussi rapidement qu'elle l'avait évoquée. Hikaru était son fils à présent, il n'y avait pas à en discuter.

— Je vais me faire un peu de thé, est-ce que tu en voudrais ?

— Pfou, non merci, dit Hikaru en bâillant une nouvelle fois, je suis vanné ! Je pense que je vais me brosser les dents, et au dodo !

— Bien. Bonne nuit, alors.

— Bonne nuit, maman.

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La lumière s'alluma tout d'un coup à l'étage, perçant avec douleur les ténèbres alentour. L'homme releva la tête et aperçut le garçon à la fenêtre ; il enlevait sa veste pour la jeter nonchalamment sur une chaise. Hikaru s'étira longuement pour détendre ses muscles engourdis par une journée restée assis à jouer, puis il se jeta sans ménagement sur son lit et y somnola deux bonnes minutes, hors de vue de son observateur. L'homme sourit. Il avait suivi le garçon depuis le restaurant de sushi pour être certain qu'il rentre sain et sauf. Il valait mieux ne pas prendre de risques, n'est-ce pas ? Avec tous les détraqués qui s'amusaient à enlever des petits garçons pour les séquestrer, son travail à lui était on-ne-peut-plus normal, en fait il rendait service à Hikaru...

Le garçon se releva pour se déshabiller. L'homme avait déjà sorti un petit appareil photo numérique dont il se servit avec fébrilité. Clic, clic. Une photo de Hikaru qui enlevait son T-shirt. Clic, clic. Une de lui qui cherchait son pyjama, torse nu. Clic, clic, clic. Il l'avait trouvé et l'enfilait sans se presser. Il bailla. Clic, clic. Une dernière de lui avant qu'il ne se couche, les yeux engourdis par la fatigue, et la lumière s'éteignit.

Sept nouvelles photos à sa collection. Ce n'était pas si mal pour trois minutes. L'homme rangea son appareil pour sortir une cigarette qu'il alluma sous un réverbère mal réglé. Le grésillement qu'il jetait en clignotant le gêna ; il tapa machinalement sur le poteau, sans résultat. Un peu de rouille tomba sur sa chaussure et il la contempla avec fascination.

Un aboiement de chien dans le lointain le fit sursauter. Ouaf, ouaf. Il voulait égorger cette sale bête qui troublait la douceur moite de la nuit. Ouaf, ouaf. Il écrasa sa cigarette à peine entamée du talon de sa chaussure. Ouaf, ouaf. Le bruit semblait avoir réveillé Hikaru (ou était-il préoccupé par autre chose ?) puisque la lumière de sa chambre se ralluma. L'homme vit la tête un peu ébouriffée du garçon passer à travers la fenêtre pour contempler d'un air ensommeillé la ville.

Il s'esquiva en vitesse en lui tournant le dos.

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Hikaru était d'une humeur massacrante. La veille, il était allé se coucher comme d'habitude, épuisé par une journée bien remplie. Il s'était levé très vite. Des hurlements de chien avaient brusquement percé l'air, il avait ressenti comme un frisson à la base de son cou. Quelle que fût la chose qui l'avait empêché de dormir, elle n'était pas loin, pas loin du tout même. Paranoïa de sa part ? Il n'arrêtait pas de penser à Sai, même maintenant. Il s'était précipité à sa fenêtre pour voir une silhouette s'éloigner dans la rue, une silhouette qu'il lui avait semblé reconnaître, il n'était pas vraiment sûr... Pas Sai en tout cas. La coupe des vêtements que portait cet homme était bien trop moderne. Il était déjà près de minuit ; qui aurait pu se balader dans la rue à cette heure ? Un voisin qui rentrait tard du boulot, peut-être ? Pourtant, quelque chose lui disait que ce n'était pas le cas. L'impression que lui donnait cet homme était bien trop familière, comme s'il l'avait déjà croisé quotidiennement ou presque...

La voix tonitruante de Waya l'assaillit sans prévenir.

— Bonjour ! s'exclama son ami en lui donnant une tape énergique dans le dos. Bien dormi, Shindô ?

Hikaru s'affala en jurant sur le trottoir, sous les regards surpris des passants et de ses amis. Waya était accompagné de Isumi, Fukui et Nase, une partie de l'ancienne bande d'Insei en somme. Ils le virent se relever péniblement en traitant Waya de tous les noms. Nase rougit un peu et Isumi se dépêcha de boucher les oreilles de Fukui.

— Shindô ! cria-t-il paniqué. Qu'est-ce que c'est que ce langage ?

— Désolé, se reprit Hikaru en se frottant la tête, c'est juste que j'ai passé une super mauvaise nuit.

— C'est pas une raison !

— Ça c'est bien vrai ! intervint Waya. Tu m'as flanqué une de ces trouilles, dis donc !

Isumi se tourna cette fois vers le deuxième garçon, le regard mauvais.

— Et toi, Waya ! Ce n'est pas une manière de dire bonjour ! Quelque part, c'est de ta faute aussi !

— Ouais ! Isumi a raison ! C'est de ta faute !

— Comment ? N'importe quoi ! C'est toi qui t'es écroulé tout seul et qui t'es mis à hurler comme une fillette !

— Je doute qu'une fillette aurait utilisé les mêmes mots, sortit un Fukui tout content.

— Oh, ça va...

Il restèrent une bonne minute à se chamailler entre eux sans but ni raison. Ça arrangeait bien Hikaru qui trouvait là un bon moyen de passer ses nerfs. Il ne voulait pas se l'avouer, mais une peur insidieuse s'était emparée de ses entrailles, comme s'il allait se passer quelque chose d'irrévocable... Depuis quand avait-il ce genre d'instinct ? Il n'avait rien senti à la disparition de Sai, ce n'était pas maintenant qu'il allait développer des dons de médium. Il n'était même pas capable de deviner le contenu du repas du soir !

— Qu'est-ce qui se passe, ici ?

La voix grave qui avait prononcé ces paroles n'était pas étrangère aux jeunes joueurs. Hikaru et Waya se figèrent instantanément alors qu'ils s'attrapaient par divers pans de leurs vêtements. Isumi avait les mains solidement ancrées sur le col de ses amis.

— M. Ogata ! s'écria-t-il en devenant cramoisi. C'est... ce n'est pas...

— Bel exemple, trois jeunes pros qui se battent dans la rue comme de vulgaires ivrognes en mal de sake ? Vous donnez une belle image du go.

Les trois coupables baissèrent la tête d'un air penaud, oubliant immédiatement le détail de leur dispute. En tournant la tête, Hikaru eut la surprise de remarquer qu'Isumi semblait particulièrement affecté ; il serrait les poings et se mordait la lèvre comme s'il allait éclater en sanglots. Waya n'était pas dans un meilleur état, sauf qu'il se montrait plus insistant dans sa manière d'observer les deux autres hommes... Hikaru le vit lancer des regards furibonds en direction d'Ogata et couver Isumi des yeux. Étrange. Trop occupé qu'il était à essayer de comprendre les réactions de ses amis, il entendit à peine le discours d'Ogata.

— Bon, passons, finit-il par dire, je suppose que ce n'est pas trop grave.

Le sourire rayonnant qu'il fit aux jeunes gens tranchait avec sa colère de tantôt. Il était plutôt beau gosse, admit distraitement Hikaru. Nase prit un air gêné et remit prestement les plis de sa jupe-portefeuille en place, sous le regard amusé de Fukui. Isumi rougit un peu plus et Waya se renfrogna un peu plus. Hikaru se désintéressa du comportement de ses amis et fixa un pigeon qui s'était posé sur le toit d'un immeuble.

— Au fait, Shindô, dit Ogata en faisant sursauter son jeune interlocuteur, j'ai croisé Akira en venant, il vous cherchait.

— Tôya ? Qu'est-ce qu'il voulait ? On n'était pas censé se voir aujourd'hui.

Ogata lui adressa un sourire condescendant.

— Aucune idée, pourquoi ne pas le lui demander directement ?

— Où est-il ?

— Chez lui, il me semble. Je veux dire, dans son nouvel appartement. Il devait y passer pour déposer quelque chose.

— Ah, d'accord. Bon, je vais aller là-bas, dans ce cas. Merci pour l'info !

Il prit congé en hâte, les yeux dans le vague et les mouvements distraits. Ses amis le regardèrent s'éloigner en direction de la prochaine station de métro.

— Ça ira, vous croyez ? fit Nase avec une moue d'inquiétude. Il avait l'air bizarre...

— Bah, je trouve pas, moi, dit Fukui en riant. Hikaru a toujours été bizarre.

Ogata les toisa avec un drôle d'air.

— Vous le connaissez bien, Shindô, n'est-ce pas ?

— Pas tant que ça, intervint Isumi. Il y a plusieurs aspects de sa personnalité qui sont totalement incompréhensibles, même pour quelqu'un qui le fréquente tous les jours.

— Vraiment ?

Isumi se mit tout d'un coup à rougir. Emporté par sa fascination pour Shindô, il avait parlé à Ogata sans s'en rendre compte et s'en mordait à présent les doigts. Il devait passer pour bien effronté aux yeux du professionnel 9-dan !

— Enfin, reprit Ogata avec un soupir, je suppose que Shindô fait cet effet à tous ceux qu'il rencontre...

Les mains d'Isumi se mirent à trembler.

— Oui...

Ogata secoua la tête et décida de changer de sujet.

— Vous vous dirigiez vers la Nihon Ki-In, les jeunes ?

— Non, pas nous, dit Fukui en agitant la main. Avec Nase, on doit se rendre au cours de notre maître, dans son club. C'est juste à côté.

— Oh. Donc il ne reste que vous deux.

Il se tourna vers Isumi et Waya, tous sourires. Isumi bafouilla un autre « Oui » intimidé. Waya grogna et détourna les yeux.

— Nous pourrions faire un bout de chemin ensemble, continua le professionnel en faisant mine de ne pas remarquer le comportement étrange des deux jeunes hommes. Je serai ravi de discuter un peu avec vous. On m'a dit que vous aviez fait une jolie performance au tournoi dernier, Isumi.

Ils partirent d'un bon pas. Isumi paraissait aux anges. Quant à Waya, il ne desserra pas les dents de tout le trajet.

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Akira s'essuya le front d'un revers de manche et s'aperçut qu'il l'avait trempée. Il émit une grimace de dégoût. Il avait passé tout l'après-midi à faire le ménage dans l'appartement pour préparer l'arrivée des meubles et de ses affaires. Ce n'avait pas été pas une partie de plaisir. La poussière s'était accumulée en grosses couches depuis la dernière fois qu'il était venu ; il n'avait pas eu le temps de passer donner un coup de balai pendant une bonne semaine et résultat, le sol était devenu une zone sinistrée. Il fallait dire qu'il avait oublié de fermer une fenêtre et avec le vent fort qui avait soufflé en début de semaine...

Une sonnerie stridente retentit de la chambre. Son portable ! Il avait l'habitude de mettre le son à plein régime et du coup, il lui arrivait souvent d'être pris de court quand « Hitomi no chikara » (1) de Mizuki Arisa assourdissait brusquement son espace auditif. Il se précipita vers sa veste.

— Akira ? fit la voix un peu étranglée d'Ashiwara.

— Ashiwara ? Qu'est-ce qu'il y a ? Je vous avais dit que je serais en train de nettoyer mon appartement.

— Tu es seul ?

— Évidemment que je suis seul ! Pourquoi ?

— Merde !

Akira fut un peu surpris. Ashiwara ne poussait de juron que lorsque la situation était particulièrement grave, comme la fois où il avait appris le malaise de Tôya Meijin... Sa voix paraissait tendue, à la limite de l'affolement. Ce n'était pas bon signe.

— Ashiwara ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Tu te souviens quand tu as vu Ogata hier ? Et que tu lui as dit que tu voulais voir Shindô ?

— Oui, et alors ? Ce n'était pas si pressé...

Pas si pressé, vraiment... Akira ne savait pas s'il devait repousser ce moment ou le hâter pour s'en débarrasser. Il avait brusquement eu envie de révéler ses sentiments à Hikaru, et au diable les conséquences ! Se servir d'Ogata comme messager n'était qu'un moyen comme un autre de retarder l'échéance. Il avait attendu seul l'arrivée de son ami, le coeur battant. Allait-il le rejeter ou accepter sa différence ? Pour commencer, était-il seulement homosexuel ? En fin de compte, Akira avait eu toutes ces angoisses en vain puisque Hikaru n'était pas venu.

— En fait, continua la voix étouffée d'Ashiwara au téléphone, Ogata l'a vu et lui a transmis ton message. Il a dit que Shindô était parti te voir à ton appartement.

— Hein ? Mais je ne l'ai pas vu depuis avant-hier !

— Tu n'es pas le seul ! Sa mère a appelé paniquée, pour nous dire que Shindô n'était pas rentré chez lui hier soir ! On l'a cherché partout, mais il est introuvable !

Akira sentit son coeur s'arrêter un instant. Il se força à garder son calme et à respirer à grands coups. Il voulut avaler sa salive, mais cela lui fut particulièrement pénible à cause de sa gorge qui était devenue aussi sèche qu'une rivière tarie.

— Ce n'est qu'une nuit, finit-il par articuler. Il doit avoir une bonne raison...

— Sa mère nous a dit que ce n'était pas la première fois. L'année de son passage chez les pros, il avait fugué plusieurs jours sans crier gare. C'était juste avant qu'il ne commence à s'absenter sans raison de ses matches officiels...

— Quoi ? Je n'en savais rien !

— Nous non plus, nous non plus ! Mais ce n'est pas tout. Sa mère a retrouvé toutes les affaires qu'il portait, je dis bien toutes ses affaires, y compris ses vêtements, dans un carton devant chez eux. Et quelqu'un avait pris soin de les passer au broyeur avant.

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Hikaru se réveilla avec un mal de crâne à perforer une plaque d'acier. Il gémit en se prenant la tête entre les mains... du moins, c'était ce qu'il aurait fait s'il avait eu les mains libres. Celles-ci étaient solidement attachées par des menottes aux montants d'un lit en fer un peu rouillé. Le matelas qui le surmontait et sur lequel il était installé était un peu moisi et émettait une légère odeur de pourri qui lui chatouilla les narines. L'adolescent sentit des frissons parcourir son corps et il s'aperçut avec horreur qu'il était complètement nu. Seul un drap d'un blanc immaculé préservait sa pudeur, drap qui tranchait d'ailleurs par sa propreté. Il regarda autour de lui et malgré le manque de lumière, il vit qu'il se trouvait au centre d'une pièce assez grande et très sale. Une seule porte de bois noir constituait l'ouverture, une ampoule nue et à la lueur faiblarde éclairait approximativement l'ensemble. Elle s'échappait du plafond par un fil électrique fin et long qui descendait très bas, la faisant pendouiller misérablement vers la tête du seul occupant de la pièce.

Les murs étaient recouverts de miroirs de toutes les formes qui reflétaient sans la moindre pitié l'image du garçon. Hikaru frissonna. Cet endroit lui donnait comme une impression de déjà-vu qui l'écoeura au plus haut point. Il fallait qu'il sorte d'ici ! Il se démena du mieux qu'il put, mais il n'osait pas trop bouger par peur de faire tomber le drap. Les menottes ne voulaient pas lâcher. Il tira sur les montants du lit, sans succès ; il réussit seulement à gratter un peu de rouille qui se détacha et tomba sur le sol en se rajoutant à la crasse ambiante. Hikaru retint un cri de rage.

La porte s'ouvrit en grinçant. Le vent qui s'engouffra par l'ouverture fit trembler l'ampoule qui se mit à vaciller de droite à gauche ; Hikaru craignait qu'elle ne vienne s'écraser sur sa tête. La lumière se refléta de manière inquiétante dans les miroirs et inculqua une vie propre aux reflets, les tordant, déformant, révélant les ombres et masquant les éclats... Hikaru poussa un petit cri en apercevant la silhouette derrière la porte. L'homme se rapprocha en souriant étrangement. Le garçon n'en croyait pas ses yeux. Il émit un son étouffé proche du gargouillis.

— Sai ?

À suivre...

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(1) C'est le 2ème générique de fin de l'anime. Les paroles sont comment dire... particulièrement éloquentes ( hum... « Construisons notre futur ensemble » par exemple, hum...).