La mort vous salue bien

I - Premier contact

La vie réserve parfois des surprises. Qui peut prétendre connaître toutes les formes d'intelligence non humaines dans l'univers ? Tous les jours, de nouvelles formes pensantes sont découvertes. Des contacts sont liés. Pour le meilleur et parfois pour le pire.


Prologue

Extrait du rapport d'études biologiques extraterrestres du professeur Tryghon. Enregistré sous le numéro 978-2-01-169578-9. Université d'Heavy Melder.

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Nimbuloïdes : Forme de vie gazeuse vivant sur la planète Nimbusia. Intelligence type F. Amical. Confer étude n°23-T-7.

Govorons : Forme de vie semi-liquide vivant sur la planète Decclee. Intelligence type D. Amical. Confer étude n°78-K-0.

Insectoïdes : Forme de vie solide, basée sur une société de type hyménoptère. Forme d'intelligence inconnue, mais race très agressive. Aucune apparition récente. Aucune étude complète.

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La colonie

L'homme reposa un instant son fusil et s'assit sur un petit rocher rouge. Le vent ne soufflait plus et le temps redevenait un peu plus clément.

Il n'était pas bien grand, portait un uniforme gris anthracite, typique des régiments d'infanterie coloniale terrestre. Sur ses épaulettes, deux petits points rouges sang.

- Etes-vous fatigué, caporal ? demanda une voix derrière lui.
- Un peu mon vieux. Mais qu'est ce qu'on est venu faire ici ? répondit-il à l'autre homme.

Le deuxième soldat s'approcha et s'assit à son tour. Il portait une grande carte à la main et notait sans arrêts diverses informations dessus. Les traces de stylos rouge et noir recouvraient une grande partie d'une zone blanche, sobrement nommée "terra incognita".

- On doit finir cette carte, caporal. Pensez plutôt à la bonne bière fraîche qui nous attend au retour à la colonie.
- Le plus vite sera le mieux. Je n'aime pas cette planète. Son atmosphère est malsaine.

Le soldat griffonna encore quelques signes sur sa carte et se releva. Il aperçut au loin, au milieu de rochers rouges une petite grotte. Le caporal remarqua son attitude :

- On visite cette grotte et on rentre, soldat. Déjà cinq heures, j'en ai plein les bottes.
- A vos ordres !

Les deux hommes marchèrent en direction du lieu non mentionné dans leur vieille carte.

A chaque colonisation d'une nouvelle planète, la même histoire recommençait. La Terre fondait un avant-poste et envoyait quelques bataillons d'infanterie coloniale pour inspecter les lieux.

Souvent, l'inspection se bornait à dresser des cartes, des inventaires et établir des contacts avec une race intelligente. Mais sur ce lieu désertique répondant au doux de nom de Oni-6-B, aucune trace d'occupation n'avait été décelée. L'infanterie d'élite jouait donc aux explorateurs et aux cartographes.

Parfois, ils devaient faire usage de leurs armes, mais le cas ne s'était plus produit depuis la découverte d'un refuge mazone trois ans plus tôt, sur une lointaine planète.

Ils pénétrèrent dans la grotte sombre et humide, avec leurs armes à l'épaule. Le soldat alluma sa torche électrique et fouina un peu dans les recoins. Cet endroit était désert, tout comme le reste de la planète. Ils s'apprêtaient à s'en aller lorsqu'un petit bruit attira leur attention.

- C'est quoi çà, caporal ? demanda l'apprenti cartographe.
- Je vais aller voir. Finissez de prendre vos notes, ordonna le supérieur.

L'homme s'avança un peu plus dans les ténèbres. Seul le bruit de ses pas, amorti par l'humidité des parois parvenait aux oreilles du soldat resté en arrière.

Soudain, un cri, déchirant. Puis un bruit, un tir de blaster laser.

- Caporal ! cria le soldat en laissant tomber sa carte et ses stylos.

Le soldat courut et s'arrêta pétrifié au bout d'une minute.

Le caporal gisait sur le sol, en piteux état. Mais ces blessures ne venaient pas d'armes classiques. Non, c'était autre chose.
Il voulait dire un mot, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Le conscrit s'assit et porta son oreille gauche devant ses lèvres.

- … insectoïde… finit-il par dire.

Sa respiration s'arrêta, laissant le survivant seul maître de l'expédition. Sa radio marchait parfaitement, mais elle était restée en arrière.

Il entendit un nouveau bruit, des pas. De plus en plus rapides. Une forme sortait de l'ombre. Il se mit à courir, à obéir à un instinct de survie bien enfoui après des années d'entraînement dans les camps de marines spatiaux.


L'officier se présenta devant la porte et frappa trois coups secs. Son uniforme impeccablement repassé contrastait avec les bureaux miteux du quartier général. Enfin, si on peut appeler trois éléments préfabriqués collés ensemble "quartier général".

- Entrez ! fit une voix claire, féminine.
- Lieutenant Asbel, à vos ordres mon capitaine ! fit il après s'être mis au garde-à-vous.
- Repos lieutenant. Avez-vous ce que je vous ai demandé ?
- Affirmatif, mon capitaine.

Le jeune officier posa sa serviette et l'ouvrit pour en sortir une bande magnétique.

Le capitaine n'aimait pas trop ces jeunes blancs-becs, tout droit sortis de l'école d'infanterie. Ils se croyaient dans un film d'action à la mode et déchantaient très vite au premier accrochage.

Le lecteur se mit en marche, et crachota des sons bizarres. Au bout de quelques secondes, une voix, paniquée, parla à toute vitesse dans les haut-parleurs :

- Ici deuxième classe Ivanov, le caporal est mort ! c'est horrible, il y a quelque chose là dedans et arghhh….

La voix se tût mais on entendait assez distinctement des sons qui n'étaient pas humains.

- C'est tout, mon capitaine, dit le lieutenant en arrêtant le vieux magnétophone.
- Quelles sont les autres éléments dont nous disposons ? demanda la femme.
- Le soldat Ivanov était en patrouille avec le caporal Jimenez au secteur 56. Leur mission était de cartographier la région.

L'officier se tourna sur son fauteuil et regarda la lumière rouge à travers la petite fenêtre. Cela n'augurait rien de bon. Dans le meilleur des cas, il pouvait s'agir d'une vie primitive prédatrice très agressive.

Dans le meilleur des cas…

Elle en avait vu d'autres, ce capitaine, durant ses nombreuses campagnes. Les guerres contres les mazones, contres les humanoïdes, les raids des pirates, elle avait quasiment vécu toutes les situations possibles. Elle avait appris de ces épreuves une règle d'or : la prudence.

- Envoyez une patrouille avec un blindé enquêter là-bas. Doublez les gardes de jour et de nuit. Préparez vous à être attaqué sous peu, ordonna-t-elle, sans se retourner.
- Que redoutez-vous mon capitaine ? demanda l'officier subalterne.
- Lieutenant, dit-elle en faisant pivoter lentement son fauteuil, ici, il faut tirer d'abord et réfléchir ensuite.
- A vos ordres, mon capitaine.

Le lieutenant rectifia la position et fit un demi-tour de jeune aspirant.

Peu après, elle se leva et sortit ses armes de service. Un pistolet laser standard modèle 2978, une épée laser, plus quelques fusils un peu customisés. Elle prit soin de les nettoyer et d'approvisionner un certain nombre de chargeurs en prévision.

Bah, tant qu'à mourir, autant s'amuser à dégommer de l'alien ! Se dit-elle.


L'ennui du pirate

Le capitaine Harlock se tenait à la barre de l'Arcadia, son vaisseau ultime. Son esprit était vide, il ne pensait plus à rien. A six heures du matin, il assurait déjà son quart avec Kei Yuki. Le jeune officier radar suivait ses écrans avec fébrilité, comme si une importante bataille allait avoir lieu.

- C 'est vide ici capitaine, annonça-t-elle d'une voix neutre.
- Hum… Cap à l'azimut 45 déclinaison -77, rétorqua Harlock en faisant pivoter la barre.

L'Arcadia pivota rapidement et suivit son nouveau cap. Depuis qu'il avait vaincu les mazones, les humanoïdes, Harlock s'ennuyait. La piraterie était son activité fétiche, mais elle ne procurait pas cette montée d'adrénaline propre aux grandes batailles spatiales.

Dans ces moments un peu spéciaux, Harlock aimait se rappeler la première sortie de l'Arcadia, lorsqu'il affronta (presque) seul toute une flotte mazone dans l'étoile de la combination.

Le capitaine n'avait pas tenu très longtemps après sa victoire récente sur Terre. Il était d'abord parti seul avec Mimee, mais il était revenu chercher les anciens membres de son équipage sur sa planète natale. Tous avaient voulu rembarquer, sans exceptions.

- Combien de temps cela fait-il Kei ? finit-il par demander sans tourner la tête.
- Pardon capitaine ?
- Depuis combien de temps n'a-t-on plus croisé de vaisseau, répéta-t-il lentement.
- 4 semaines, capitaine.

Les routes commerciales d'épices et de pierres ne généraient pratiquement plus de trafic ces derniers temps. Impossible d'arraisonner le moindre cargo sans bâtiment en vue !

- Harlock, commença une voix métallique, je reçois un SOS d'un cargo en perdition, à 34 parsecs d'ici.
- Tochiro ? En es-tu sur ?
- Oui, affirma la voix métallique.

Cette troisième personne parlait distinctement mais ils n'étaient que deux présents à la passerelle. Le professeur Tochiro Oyama, l'éternel ami du capitaine Pirate, avait fusionné son esprit avec l'ordinateur central de l'Arcadia, juste avant de mourir.

Depuis, il passait le plus clair de son temps à créer de nouveaux plans, d'améliorer sans cesse son "vaisseau parfait". Son amitié avec Harlock était restée intacte mais le contact physique manquait aux deux amis. Ensemble, ils avaient affronté les pires difficultés, relevé les plus grands défis.

- Kei, suis la route indiquée par Tochiro.
- Bien capitaine, mais je ne reçois rien de ce secteur, répondit l'officier détecteur.
- Ils doivent utiliser une fréquence spéciale. On y va, on ne peut pas laisser un vaisseau en perdition !

L'Arcadia passa en peu de temps en hyperespace et se retrouva dans le secteur du SOS. Le vide sidéral entourait le petit vaisseau pirate.

- Écho radar faible en direction du secteur 25-T-76 annonça Kei Yuki.
- Approchons nous un petit peu.

Le cargo spatial apparut quelques minutes plus tard sur le moniteur de contrôle. Il était assez grand, probablement un vraquier Nubien de type T. Sa coque semblait intacte, mais aucune lumière n'émanait de la grande masse métallique. La passerelle était sombre, les feux de navigations étaient cassés. Seuls les réacteurs émettaient une lueur verdâtre.

- Kei, réveille l'équipage.
- Heu… bien capitaine !

Le branle-bas résonna dans tout l'Arcadia, tirant les pirates d'un sommeil devenu routinier et assez long de nature. Pour l'équipage, un réveil aussi matinal ne signifiait qu'une seule chose : de l'action !

En quelques instants, l'équipage s'activa et l'Arcadia regagnait son niveau d'activité habituel.

L'ordinateur du bord identifia le cargo et afficha les informations essentielles sur le grand écran de contrôle :

Fukushima-maru
Cargo vraquier
Provenance : Oni-6-B. Constellation du verseau.
Destination : Zetous. Constellation de la machine pneumatique.
Cargaison : Épice. Alcool. Blé.

Harlock resta perplexe lisant ces informations. Oni-6-B n'était pas une planète colonisée, à sa connaissance. Un cargo plein de marchandises précieuses venant d'une planète classée déserte signifiait qu'il avait sûrement à faire à des contrebandiers, ou autre chose.

- Kei, viens avec moi. On va sur le Fukushima-maru, ordonna Harlock en prenant son cosmodragon et son gravity sabre.

Sur ses ordres, deux autres pirates s'armèrent et suivirent Harlock et Kei. Ils pénétrèrent peu après dans une coursive du cargo grâce au système d'abordage de l'Arcadia.

La coursive était noire, déserte, et aucune trace quelconque n'était visible, aussi bien au sol que sur les murs. Un pirate ralluma la lumière mais le couloir était toujours désert et froid.

- Allons à la passerelle, suggéra Kei en dégainant son arme.
- Kei, rengaine ton cosmogun. Ce n'est pas encore dangereux ici, répliqua Harlock d'un ton neutre.

Les cargos vraquiers mesuraient plusieurs centaines de mètres de long, mais ils n'embarquaient qu'une douzaine de membres d'équipage. L'automatisation aidant, les marins se faisaient rares. Seuls quelques antiques lois sur la navigation imposaient encore une présence organique sur les transports.

Les quatre pirates arrivèrent sans trop de mal à la passerelle du Fukushima-maru. Déserte et noire, évidemment. Ils avaient cherché des humains dans les coursives et les postes, mais ils n'avaient trouvé personne.

Harlock ralluma l'éclairage intérieur et rétablit les principaux circuits d'énergie. Sous la lumière naissante, le capitaine pirate comprit la détresse des occupants du cargo.

Sauf que dans l'état où ils étaient, personne ne pourrait plus rien pour eux.

- Capitaine, regardez, dit Kei Yuki en s'agenouillant devant un corps. C'est un soldat de l'infanterie coloniale. C'est curieux dans un cargo, non ?
- Ils ne sont pas armés, ajouta un pirate en examinant un autre malheureux.
- Ils cherchaient à fuir quelque chose, expliqua Harlock. Les marines coloniaux ne bougent jamais sans leurs armes.

Un bruit dans un placard, situé un peu en retrait et en hauteur, attira l'attention des pirates. Les deux marins armèrent leurs fusils et les pointèrent vers la source du bruit.


Inhumain

Les portes s'ouvrirent brusquement et une forme grise se roula par terre devant les pirates.

- Non, pitié ! répétait-il en criant avec des gestes désordonnés.
- Du calme… répondit Harlock en s'agenouillant près du malheureux
- Ils sont partis ? Ils ne sont plus là ? Il faut prévenir tout le monde ! Il faut…

Harlock gifla l'homme paniqué, ce qui lui remit les idées en place pour quelque temps. Son uniforme gris anthracite tendait plus vers le rouge sang à cause de ses blessures. Sur ses épaules, un petit rectangle argenté indiquait sobrement le rang de lieutenant d'infanterie.

- Du calme, voyons ! Répéta Harlock. Kei, la trousse de secours. Que se passe-t-il sur ce vaisseau ? Pourquoi fuyez-vous ?

Le lieutenant regardait avec un air effrayé les pirates. Son cerveau embourbé et malmené mit du temps à analyser les informations visuelles qui lui parvenait. Des pirates ! Il ne manquait plus que cela. Il chercha son arme, mais elle gisait, en morceaux, sur la planète d'où il était parti un peu plus tôt.

Kei s'approcha et sortit des bandages et le nécessaire de soin pour s'occuper des blessures du pauvre soldat.

- Je ne suis pas votre ennemi, expliqua Harlock. Qui êtes vous ?
- Je suis… le lieutenant Asbel, du 354ème bataillon d'infanterie coloniale.

Bien, une réponse intelligente à une question simple laissait croire au capitaine pirate que cet officier commençait à se calmer.

- D'où venez-vous ? enchaîna Harlock avec un ton neutre.
- De… Oni-6-B. Il faut… tout bombarder là bas ! Je dois prévenir le général ! Ils sont là bas… répondit le lieutenant avec un nouvel accès de panique.
- Kei, répliqua Harlock en faisant un geste simple.

La jeune femme sortit une seringue et piqua sans ménagement l'officier, qui se calma aussitôt. Le docteur de l'Arcadia connaissait des mélanges très efficaces.

- Que fuyez-vous ? demanda à nouveau Harlock. Que fuyez-vous ?
- Je ne sais pas comment çà s'appelle. Ils étaient si nombreux, si forts, ce…

Le lieutenant s'arrêta net dans ses propos. Harlock remarqua un léger changement dans la couleur des yeux de l'officier. Marrons un instant auparavant, ils étaient maintenant rouge sombre.

L'homme enleva à toute vitesse sa veste de combat et son tricot. Une marque, noire, grandissait au niveau de son abdomen.

- Fuyez… dit-il avec un calme inquiétant. Fuyez avant qu'il ne soit trop tard.
- Venez avec nous, nous allons vous soigner suggéra Kei.

L'homme tourna lentement la tête et fixa avec un air attendri la jeune opératrice radar.

- Vous ne comprenez pas. Ils sont en moi. C'est trop tard. Fuyez…

L'instinct d'Harlock reprit le dessus. Ils étaient en danger. Il fallait partir, maintenant. Il attrapa Kei sans ménagement et elle laissa tomber son matériel médical. Il courut vers la coursive, protégé par les deux pirates qui mirent en joue l'étrange officier.

Ce dernier se leva, comme possédé. Ses yeux étaient désormais rouge vifs, sa peau s'était éclaircie, au point de devenir beige pâle. Des spasmes agitaient son corps.

Il cria d'une voix inhumaine :

- Fuyez devant la ruche ! Craignez-nous !

Il se mit à courir vers les pirates armés à une vitesse phénoménale. Cette créature qui fût humaine sautait, tel un chat, et évitait avec soin tous les obstacles matériels. Elle se rapprochait des pirates qui ouvrirent le feu.

Ils visèrent juste, mais des simples tirs de blaster ne suffisaient visiblement pas à arrêter la chose. Elle s'avança encore et encore puis explosa au plus près des pirates, près du sas de la passerelle.

Harlock se retourna et vit l'explosion. Divers "morceaux" furent projetés dans la coursive. L'un deux, appartenant visiblement à la créature, tomba mollement sur le sol et commença à ronger le sol métallique de la coursive.

- De l'acide ? murmura-t-il.

Kei se retourna aussi et contempla ce qui fut autrefois deux pirates, membres à part entière de l'Arcadia. Ces deux marins ressemblaient maintenant aux autres personnes mortes gisantes en passerelle du Fukushima-maru.

Harlock reprit Kei par la main et l'entraîna à l'abri. Une fois à bord de l'Arcadia, il s'isola quelques instants à l'abri des regards indiscrets, pour décider d'une conduite à tenir.

Mais de quelle abomination s'agit-il encore ?

Le système d'abordage s'était replié sans dommages. Personne, ni rien, n'avait suivi les deux survivants lors du retour.

Harlock se dirigea vers la passerelle de l'Arcadia, l'esprit occupé par ce qu'il venait de rencontrer. Soudain, un cri strident, une voix métallique, Tochiro !

- Nous sommes attaqués ! Harlock l'Arcadia est attaquée !
- Comment ? j'arrive !


Première bataille

Harlock courait vers la passerelle de l'Arcadia lorsqu'un choc secoua tout le vaisseau. Il se remit debout et arriva peu de temps après à la barre. Il pesta à haute voix :

- Tochiro, enclenche le bouclier !
- Bouclier enclenché, Harlock. Mais il est inefficace, expliqua Tochiro.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. Analyse en cours.

Un deuxième projectile atteignit l'Arcadia, provoquant quelques dégâts résumés par un sobre message rouge sur l'écran de contrôle.

- Kei, localise l'ennemi ? A toutes les tourelles, préparez vous à faire feu.
- Bien capitaine…

Kei pianota à toute vitesse des instructions sur sa console. Elle était encore secouée par sa visite sur le Fukushila-maru. Le radar n'afficha aucune information, aucun écho. L'opératrice changea plusieurs fois de canal, balaya des dizaines de fréquences en mode automatique.

Rien.

- Capitaine, je n'ai aucun écho dans toutes les fréquences connues, annonça Kei.
- Comment ? Où est l'ennemi ?

Une forme passa devant les vitres de la timonerie du vaisseau pirate. Elle n'était pas bien éclairée, mais Harlock cru reconnaître une sorte de ver géant, rose pâle. Il alluma des projecteurs de forte puissance et vit de ses propres yeux le "vaisseau".

40 mètres de long, à peine. La chose avait la forme d'une chenille géante, rose, avec des énormes yeux à l'une des extrémités. Plusieurs renflements et boursouflures gonflaient régulièrement, comme si cela respirait. Sur ce qui pouvait paraître être la partie supérieure, des formes évoquant vaguement des canons pointaient l'Arcadia.

Des spasmes agitèrent les canons et plusieurs projectiles s'écrasèrent sur le vaisseau d'Harlock, traversant le bouclier protecteur en toute impunité. Lors de l'impact, les obus explosèrent, libérant un liquide rouge fumant, attaquant les superstructures.

Harlock estima qu'il ne devait pas supporter plus longtemps ces attaques.

- Feu sur le "vaisseau" ennemi, ordonna-t-il.

Les tourelles triples de l'Arcadia se mirent en joue et firent feu en même temps. Le vaisseau adverse fut frappé de plein fouet et fut détruit en une seule salve. Au moment précis de sa destruction, Harlock (ainsi que chaque membre de l'équipage) jura d'avoir entendu crier la chose.

Dans les quartiers du capitaine, Mimee, jusqu'à indifférente à la bataille, jouait de la harpe. Elle se leva soudainement, porta ses mains au visage et cria en même temps. Elle ressentait au plus profond de son âme la souffrance de cet être. Oui, c'était vivant. Elle le sentait. Et la chose avait souffert énormément juste avant de mourir.

- Rapport des dégâts affiché, Harlock, annonça Tochiro de sa voix métallique au bout de quelques minutes.
- Qu'est ce que c'était ? demanda Harlock en pointant les restes du vaisseau adverse.
- C'était… vivant… annonça une voix de femme.

Mimee avait le don de se déplacer sans se faire remarquer, même par son capitaine pirate. Harlock se retourna et contempla sa mystérieuse compagne. Sa beauté était typique d'une survivante de la planète Jura mais elle était terrifiée, elle tremblait.

- Mimee… que se passe-t-il ? Kei, va chercher le docteur.
- A vos ordres, fit Kei en se levant.
- Ce sont… des… insectoïdes… fit-elle en tombant à genoux, épuisée.
- Insectoïdes ? répéta Harlock, surpris.

Le docteur arriva en passerelle, accompagnée de Kei. Il décida de s'occuper des deux femmes. Elles avaient eu leur compte d'émotions pour aujourd'hui.

Le premier lieutenant, resté silencieux avec sa maquette de bateau, interpella le pirate :

- Et le cargo, capitaine ? Qu'est-ce qu'on en fait ?

Yattaran, le premier lieutenant de l'Arcadia, semblait ne s'intéresser qu'aux maquettes en plastiques à première vue. Mais il savait relever les défis et faire preuve de courage quand il fallait.

Son principal atout était cependant de rappeler au capitaine Harlock certains points délicats, nécessitant ce qui est nommé "décision de commandement" chez les militaires.

- Envoyez-le par le fond, ordonna Harlock d'un ton parfaitement naturel. J'ai mon compte de créatures difformes pour la journée.
- D'accord capitaine.


Études biologiques

Harlock s'enferma dans la salle de l'ordinateur après le combat. Le message était clair, le capitaine voulait parler seul à seul avec son ami. Aujourd'hui, trop d'évènements bizarres avaient eu lieu.

La salle de l'ordinateur central se situait au cœur de l'Arcadia, le plus à l'abri. Un seul accès débouchait sur un pupitre, accolé à une forme circulaire de plusieurs dizaines de mètres de haut.

Tochiro avait toujours eu une passion pour les ordinateurs, c'était son péché mignon. Plusieurs fois, il avait tenté de créer l'ordinateur parfait pour son vaisseau parfait. Il échoua souvent, mais un jour, grâce à une aide un peu spéciale, il avait achevé son œuvre.

- Tochiro, tu me dois quelques explications commença Harlock.
- L'analyse n'est pas terminée, répliqua Tochiro.
- Fais vite, dit Harlock en s'asseyant sur le fauteuil.

Il reprit une bouteille à moitié pleine et servit deux verres. Il en posa un devant un panneau de contrôle et porta le deuxième à ses lèvres.

- Santé, dit-il juste avant de boire.
- Santé.

L'écran de contrôle afficha un petit message vert. Analyse préliminaire achevé.

- Voilà ce que je peux te dire sur cette chose, dit Tochiro. C'est un vaisseau de reconnaissance insectoïde.
- Insectoïde ? Qu'est-ce que c'est ?
- Une forme de vie, intelligente, vicieuse, ne vivant que pour détruire.
- Rien que de très banal dans cet univers, rétorqua Harlock en pensant aux mazones et autres humanoïdes.
- Sauf que ces insectoïdes ne conquièrent pas des mondes. Ils les détruisent. Ils ne parlent pas avec d'autres races, ils tuent tout ce qu'ils voient.

Harlock était ravi de cette explication théâtrale de son ami Tochiro, mais il n'avait cure de ces créatures agressives. Il était pirate, et cette chose n'était plus menaçante, ni pour lui, ni pour ce qu'il avait choisi de protéger. Il s'était contenté de se défendre. Autant l'ignorer.

- Pourquoi le bouclier n'a pas fonctionné ?
- Parce qu'il ne peut repousser que des attaques de canons laser. Les projectiles reçus étaient organiques et … vivants.

Harlock cessa de boire et reposa son verre. Il dévisagea la console de commande, comme s'il cherchait à intimider son ami électronique.

- Tu peux répéter çà doucement ? dit-il, incrédule.
- Les "projectiles" du "canon" de l'ennemi étaient vivants. Ils se sont sacrifiés pour nous endommager.
- C'est assez… inhabituel, concéda Harlock.

J'ai terminé la collecte d'informations et l'analyse secondaire.

Le verre du pirate était vide et il acheva la bouteille en écoutant les explications de son ami électronique. Bien entendu, le verre de Tochiro était toujours plein. Les informations techniques, biologiques défilaient sur les écrans devant le pirate. Tochiro parlait régulièrement, comme s'il lisait un livre :

- … les insectoïdes possèdent une organisation sociale proche des fourmis. La race se divise en guerriers, ouvriers, reproducteurs, etc…
- C'est bien beau, mais à quoi cela nous avance ? coupa Harlock.
- Cette race est une menace pour tout ce qui croise sa route. Imagine une horde d'insectes géants, de mauvaise humeur et agressifs comme des guêpes enragées.

Harlock imaginait très bien la scène. Se lancer dans la chasse aux hyménoptères ne figurait pas parmi ses projets de week-ends, mais prévenir discrètement l'armée régulière ne pouvait nuire à personne.

- Envoie une sonde téléguidée sur Oni-6-B, à tout hasard. Au pire, on avertira par message anonyme l'armée pour qu'elle s'en occupe. Ensuite, on ira vers Mizar. Il parait que le trafic de cargo y est intense en ce moment.
- D'accord, acquiesça Tochiro, mais quelque chose me dit que tout ne va pas marcher comme on l'espère…

Quelque part, perdue au milieu d'étoiles sans noms, une horde insectoïde se déplaçait en silence. Elle était partie d'oni-6-B et se dirigeait vers Bételgeuse.