Le vent soufflait violemment ce jour là mais William ne s'en préoccupait pas. Il était plongé dans ses pensées, le regard perdu au loin, repensant aux derniers évènements qui venaient de changer sa vie pour toujours.
William était un petit garçon timide et réservé. Sa grande timidité l'avait empêché de se faire des amis. Les autres enfants de son âge le considéraient comme quelqu'un de bizarre. Combien de fois était il rentré chez lui, le regard triste ? Heureusement sa maman était toujours là pour le réconforter.
« Ne t'occupe pas d'eux mon chéri. Sais tu pourquoi ils te traitent de la sorte ? » William se tenait tout contre ses genoux tandis qu'elle essuyait d'une main les larmes qui tombaient à grosses gouttes sur ses joues. « Ils sont tout simplement jaloux parce que tu es un petit garçon très intelligent. Sèche tes larmes mon chéri. Je veux que tu te rappelles ceci : quoi que tu fasses ta maman sera toujours fière de toi et que je serai toujours là pour veiller sur toi quoiqu'il arrive »
William chassa machinalement une larme. Ces paroles avaient été les derniers mots que William avait échangé avec sa maman avant qu'elle ne décède. Sa mort avait provoqué en lui un repli total. Il ne parlait plus à personne. Son père excédait par son comportement l'avait menacé de l'envoyer à l'autre bout du pays en pension. Même sa sœur, avec qui il était pourtant proche n'avait pas réussi à le faire parler. Elle avait essayé de le prendre à part un soir mais rien n'y faisait.
« Will, il va falloir que tu me parles. Les gens du village commencent à se poser des questions sur toi. Ils pensent que tu as un comportement très étrange et j'en ai entendu plusieurs dire que ta place n'était pas ici mais dans un endroit pour personnes perturbées. Je t'en prie Will, je sais que tu n'es pas perturbé. Dis moi seulement un mot »
Pour toute réponse, William s'était contenté d'embrasser sa sœur sur la joue avant d'aller se coucher.
Les semaines s'écoulaient et William refusait toujours de voir qui que ce soit. Il passait ses journées dans les bois à explorer. Alors qu'il était assis sur un tronc d'arbre, il observa le vent se lever. De grosses gouttes de pluie se mirent à tomber et William qui n'avait qu'une simple chemise sur le dos, courra en direction d'un abri. Il ne voyait pas à plus de trois mètres devant lui et tous ses membres étaient glacés. Il trouva finalement un creux dans un arbre et s'y réfugia immédiatement.
Alors que ses yeux s'habituaient à l'obscurité, William comprit qu'il n'était pas seul. Une petite fille se trouvait là, grelottant de froid. Elle avait l'air apeurée. Ils continuèrent à se regarder en silence pendant de longues minutes. Finalement la pluie cessa de tomber pour laisser place aux rayons du soleil. William jeta un dernier regard à la petite fille avant de sortir de sa cachette. La petite fille en fit de même et elle cligna des yeux, les mains devant les yeux pour se protéger de l'intense lumière.
William qui avait entendu des pas derrière lui se retourna doucement. Elle se trouvait là, toujours grelottant de froid. Malgré le fait qu'elle était trempée, William ne put s'empêcher de penser à quel point elle était jolie. A huit ans, les filles ne s'étaient jamais intéressées à lui et en échange il ne s'intéressaient pas à elle, préférant la compagnie de sa mère et sa sœur. Mais cette fille là avait quelque chose de spécial dans le regard et William sentit une onde de bien être l'envahir, bien être qu'il n'avait pas ressenti depuis la mort de sa mère.
Il s'approcha d'elle et timidement il lui tendit sa main. La petite fille sembla hésiter quelques instants puis elle mit sa main dans la sienne. William lui sourit un instant avant de l'amener dans la clairière qui se trouvait baignée par le soleil.
Ils se tinrent debout main dans la main, le visage levé vers le soleil, laissant les rayons réchauffer leurs corps glacés.
Puis la petite fille se tourna vers lui et lui dit avec un grand sourire « Je m'appelle Julia »
William déglutit péniblement avant de répondre « Je m'appelle William »
Plusieurs jours étaient passés depuis cette fameuse rencontre et chaque jour après l'école, William partait retrouver Julia à leur endroit habituel. Sa sœur avait bien remarqué un changement chez son petit frère mais ne dit rien. Il ne lui parlait toujours pas mais les sourires qu'il portait sur son visage suffisait à son bonheur.
Il la retrouva agenouillé devant un minuscule trou un grand sourire aux lèvres. Lorsqu'elle le vit, elle lui fit signe d'approcher, un doigt devant ses lèvres pour lui faire signe de se taire. Il s'agenouilla à ses côtés. Julia avait trouvé toute une famille de lapins. Ils s'amusèrent à les regarder pendant de longues minutes puis Julia se dirigea vers l'endroit où ils s'étaient vus pour la première fois avant d'en sortir quelque chose.
« C'est pour toi » Etonné, William prit le paquet qu'elle lui tendait. Elle lui sourit mystérieusement et William s'empressa de défaire le papier. Il resta sans voix pendant quelques minutes. Il avait toujours rêvé d'en avoir une. Elle venait de lui offrir une boussole. Alors qu'ils apprenaient à faire connaissance, William lui avait confié qu'il rêvait d'avoir une boussole pour explorer les bois sans le moindre problème. Julia avait exaucé son souhait.
« Comment l'as tu eu ? »
Julia rigola doucement avant de répondre « je l'ai acheté avec mon argent de poche »
« Mais ça a du te coûter une fortune ! » Embarrassée, Julia se balança tout en regardant ses pieds.
« Ne t'inquiète pas. J'avais envie de te faire ce cadeau. Tu es tellement gentil avec moi. Personne n'a été aussi gentil avec moi alors je voulais te remercier c'est tout »
William secoua la tête de gauche à droite « Je ne peux pas l'accepter. C'est ton argent, tu pourrais en avoir besoin pour quelque chose de plus important »
Julia posa sa main sur la sienne pour venir la refermer contre la boussole. « Accepte ce cadeau » Elle le regardait de ses magnifiques yeux bleus et William sut qu'il était incapable de lui refuser quoi que ce soit. « Crois moi l'argent n'est pas un problème dans ma famille »
William ne savait toujours pas grand chose de celle qui était maintenant devenue son amie. Il faut dire qu'il ne lui avait rien non plus sur sa situation.
Hésitant, il lui posa la question qui le démangeait depuis des jours « Pourquoi viens tu jouer seule dans les bois ? »
Elle leva les yeux vers lui sans sourciller « Je pourrais te poser la même question »
William soupira et, pour la première fois depuis ce jour tragique, il se confia à quelqu'un. Ils étaient maintenant assis l'un à côté de l'autre et Julia avait passé son bras autour de ses épaules. Plus aucune parole n'était échangé. Seul le clapotis de l'eau résonnait autour d'eux. Puis Julia lui raconta son histoire à son tour. Elle lui avoua venir d'une famille très fortunée. Elle détestait ce monde dans lequel elle vivait et elle détestait encore plus les garçons de son âge qui tentaient de la charmer dans l'espoir qu'elle devienne un jour leur femme. Julia avait eu une conversation sérieuse avec son père qui lui avait annoncé qu'un jour elle se marierait avec un de ces garçons qu'elle détestait tant. Elle s'était enfuie en courant et s'était cachée en attendant que la pluie ne cesse.
William ressentit un pincement au cœur à l'idée qu'on puisse lui enlever sa Julia. Oui sa Julia. Elle était devenue sa joie de vivre et il se surprit un instant à l'idée qu'il pouvait en être tombé amoureux.
« Promet moi de les empêcher de me prendre William. Je ne veux pas être mariée à ces imbéciles. Ils ne savent même ce qu'est une boussole »
William posa la boussole tout contre son cœur avant de prendre la main de Julia dans la sienne « Je te le promet, nous resterons ensembles pour toujours »
Julia était partie en lui donnait un baiser sur la joue et William s'était sentie pousser des ailes. Ce soir là, il pria pour la première fois depuis longtemps, il remercia Dieu et sa mère de lui avoir envoyé Julia et il s'endormit un grand sourire aux lèvres.
Mais le bonheur fut de courte durée et William apprit que la vie était parfois cruelle et injuste.
Alors qu'ils jouaient tranquillement, ils furent interrompus par des voix qui criaient le nom de Julia. Julia avait reconnu la voix de son père et prit la main de William et l'entraina vers leur cachette. Ils restèrent collés l'un contre l'autre le cœur battant.
« Julia montre toi immédiatement ! C'est un ordre ! Je sais que tu es avec ce garçon malgré que je t'ai interdit de le revoir. Tu ne dois pas fréquenter les gens du peuple, combien de fois devrais je te le dire ! »
William tenait Julia contre lui, refusant de la lâcher. « Ne m'abandonne pas Will je t'en prie ». Pour toute réponse William resserra son étreinte « Personne ne nous séparera. Personne »
Mais ils n'étaient que des enfants..
Le père de Julia fut le premier à les découvrir. Il extirpa Julia de la cachette. La petite fille se débattait et hurlait de toutes ses forces.
Le père de Julia se retourna vers lui d'un air menaçant « Je ne te laisserai pas corrompre ma fille. Tu ne la reverras plus jamais. Nous partons demain. Adieu »
Les cris et les pleurs de Julia déchirèrent le cœur de William qui resta impuissant.
Lorsque Julia cria son nom, il se mit à courir, comme si sa vie en dépendait.
« Will, Will, ne m'abandonne pas, je t'en supplie, Will... »
Ce fut la dernière image de Julia qu'il garda à l'esprit. Pour la deuxième fois, William venait de perdre l'être qu'il aimait le plus au monde.
