Chapitre 1 La morte au bouquet de fleurs

« Comment ça encore ?! »

Le cri avait fusé, impossible à contenir. Light Yagami jeta rageusement les feuilles qu'il tenait à la main, ignorant leur course désordonnée jusqu'au sol. Ca y est, il avait encore frappé, ce malade était de retour. Le huitième meurtre en deux mois, une victime chaque semaine. Matsuda lui tendit une photo, un air horrifié sur le visage. Il s'agissait d'une jeune femme blonde couverte de sang, ses longues anglaises bien coiffées arrangées en une coiffure sophistiquée. Pieds nus, elle portait une longue et belle robe blanche soyeuse. Assise contre le mur d'une ruelle large mais très sombre, elle tenait un bouquet de fleurs dans les mains, paisible. Sur sa poitrine trônait un L majuscule tracé avec son propre fluide vital. Elle ressemblait à une jeune fille de peinture, d'une beauté certaine mais maladive, le teint pâle de sa peau tranchant avec les éclaboussures carmin. Ses vêtements, le mur, le sol, tout était propre. Une mise en scène.

Il y a une différence très nette avec les crimes perpétrés jusqu'à cette nuit… les seuls points communs sont le choix hétéroclite des cibles, la mort par arme blanche et le L ensanglanté sur le torse. Mais là, on dirait une toile exposée en pleine rue… il a pris le temps de l'apprêter, de la nettoyer, de lui faire prendre la pose. Il commence à se voir comme un artiste maintenant qu'il a confiance en lui et ses méthodes.

Le Kira qui sommeillait en lui regardait cette étrange composition d'un œil appréciateur. Il était doué, ce tueur en série surnommé L par Light. Cela faisait deux mois qu'il le traquait, il avait été chargé de l'enquête depuis le début- son brillant esprit n'avait pas fait mince impression. Officiellement, son équipe n'existait pas. Un fantôme, un tueur qui chassait d'autres tueurs. En plus d'être comme les affaires précédentes, c'est-à-dire divertissant, celui-ci promettait un réel intérêt. Enfin quelqu'un qui excitait au plus haut point sa curiosité. Il faut dire qu'il s'ennuyait, entouré sans arrêt de gens stupides, insipides autant dans leur conversation que leur vie. Son père, sa mère, sa petite sœur, leur banalité désarmante le fatiguait. Au lycée, il passait ses journées à jouer l'élève modèle, au beau garçon qui écoute les filles se pavaner devant lui, contenant ses soupirs de lassitude à grand-peine. Le Death Note avait changé ce quotidien usant, il était devenu le maître des humains sans même que ceux-ci le sachent. Ce frisson lorsqu'il provoquait la mort d'un autre… ces criminels négligés de la faible justice humaine, lui s'en occupait avec la rigueur implacable d'un dieu. Il était un dieu. Et ceci valait plus que tout au monde, le pouvoir au creux de sa paume quand sa plume glissait avec avidité sur le papier mortifère. Parfois, un rire malsain naissait au fond de sa gorge, tant la situation le grisait. Le pire assassin que la Terre aie jamais porté châtiait les criminels impunis, sans que lui-même ne soit un jour inquiété. Son invincibilité avait quelque chose de surnaturel, de divin. Le monde tournait selon sa propre loi, nouant et dénouant les nœuds de l'existence mortelle tel une Parque insatiable.

Il s'étira longuement, ses muscles ankylosés après ce long après-midi sans bouger de son bureau. Ce qu'il détestait la paperasse… heureusement que cette délicieusement horrible nouvelle était venue le tirer de son agacement grandissant. Il se leva lentement tandis que son second ramassait les documents épars sur la moquette grise, puis accrocha le portrait de la jeune inconnue sur un immense tableau blanc. La morte au bouquet de fleurs, voilà le titre qu'il donnait à cette composition remarquable pour un meurtrier faisant ses premiers pas dans le raffinement. Il l'écrivit distraitement sous la photographie, contemplant les notes et schémas couvrant l'ardoise veleda. C'était clair que les sept autres meurtres n'étaient qu'un entraînement, désormais il se donnait en spectacle. Pour quoi, pour qui ? Et cette lettre rouge, toujours identique, que signifiait-elle ? Comment choisissait-il ses victimes, sachant qu'aucun lien n'avait été mis en lumière ? Car le tueur était un homme, Light n'en doutait absolument pas. Un homme qui passe inaperçu, sinon qui s'arrange pour qu'on ne le voie jamais. Oui, plutôt un asocial. Quelqu'un que l'on remarquerait immédiatement, une personnalité atypique. Un être nocturne, volontairement isolé. Une petite tape légère sur son épaule, une toux gênée… Le brun clair leva brusquement les yeux des entrelacs d'informations pêle-mêle, plus âme qui vive dans le grand bureau. Plus une veste sur les chaises, seule une lampe allumée dans un coin compensait faiblement la clarté solaire maintenant disparue.

Il est 21h, risqua Matsuda. Tout le monde est rentré, vous devriez en faire autant.

Vous avez raison, soupira son supérieur nettement plus jeune que lui. Je me suis encore laissé absorber…

Il prit ses affaires et quitta le bâtiment d'un air neutre, comme toujours, se dirigeant vers sa voiture d'un pas rêveur. Il rentra chez lui sans trop y prêter attention, concentré qu'il était sur son affaire. Pourquoi ? L'hypothèse d'une motivation personnelle, d'un crime passionnel ou encouragé par une relation quelconque avec les victimes avait été écartée au bout du deuxième cadavre. Il ne tuait pas juste parce qu'il en avait envie, non, il y avait un but constructif à tout ceci, mais lequel ? La finalité, c'était ça la clef, il le savait, il le sentait. Sans s'en rendre compte, il était chez lui, posant sa sacoche sur le canapé après avoir soigneusement verrouillé la porte. Par principe. Il s'y assit et alluma l'ordinateur portable, posé sur la table basse, qu'il cala sur ses genoux avant de pianoter avec empressement sur le clavier. Il avait de quoi faire, mais un seul par soir, il s'était promis de se modérer un peu. Il attrapa son cahier noir, dissimulé dans la doublure du sac, et écrivit le nom désiré. Il se sentait d'humeur créative aujourd'hui, sûrement à cause de L. Il décida que celui du jour mourrait d'une crise cardiaque –il affectionnait particulièrement cela-, chutant ainsi sur le sol recouvert de pétales de roses. A chacun sa signature. Après tout, les choses pourraient se corser à souhait si Kira décidait de dialoguer avec ce mystérieux L. Light avait le pouvoir d'étouffer l'affaire, ce dont il ne se privait pas, il voulait garder l'attention centrée sur lui. Enfin, Kira. Il ne voulait à aucun prix que des importuns à l'intelligence douteuse se mêlent à son enquête. Il éteignit le portable et le remit à sa place, tandis qu'un sourire inquiétant étirait ses lèvres. Oh oui, elle lui semblait désormais bien loin la monotonie de sa vie… Sur ces considérations, il se leva et se concocta à dîner, ses gestes plus automatiques qu'autre chose. Il aimait manger dans le calme, sans le bruit de la télé ou une musique de fond quelle qu'elle fût, en tête à tête avec son esprit en ébullition constante. Il mit peu de temps à manger, débarrassant la table avant de se préparer à aller dormir. Étendu dans ses chauds draps noirs, les bras croisés sur son torse, il aurait été incapable de dire ce qui avait composé son repas du soir. En revanche, il revoyait dans les moindres détails la dernière victime en date de L. C'est sur cette belle image qu'il sombra dans le sommeil.

Il se réveilla le lendemain matin aux environs de 9h, le samedi il s'autorisait à dormir tard. Le soleil baignait la petite chambre avec douceur, Light s'étira avec délectation et se leva de bonne humeur. Il sortit un pantalon noir et une chemise blanche de son armoire, préleva des sous-vêtements dans un tiroir et se rendit à la salle de bain. Prenant sa douche avec plaisir, il repensa aux évènements de la veille. Il avait hâte que L se manifeste à nouveau. Coupant l'eau à regret, il s'essuya et s'habilla rapidement avant de prendre son petit-déjeuner dans la cuisine, la fenêtre entr'ouverte apportant un peu de fraîcheur. Il goutait la quiétude qui l'enveloppait, tranquillement, savourant son café les yeux clos.

Un peu plus tard, il marchait dans les rues qui se remplissaient peu à peu, déambulant au hasard. Comme à son habitude, il acheta le journal quotidien et jeta un œil aux gros titres. Un rire discret teinté de fierté lui échappa, Kira avait encore frappé cette nuit même. Un étudiant d'une vingtaine d'années avait été découvert ce matin dans son appartement, étendu sur le plancher entièrement dissimulé par des pétales pourpres diffusant une odeur douce-amère. Il était élégamment vêtu, comme s'il partait pour un rendez-vous. La photo rendait bien justice à l'intention que Kira y avait mise. Maintenant, il suffisait d'attendre la prochaine manifestation de ce tueur en série aux tendances poétiques.

Cela faisait maintenant quatre jours qu'il tournait en rond, quatre longs jours que ce journal traînait sur sa table de chevet. Il le narguait, ouvertement. Incapable, voilà le mot ! Il n'arrivait pas à savoir comment répondre à Kira. Une invitation à sortir, d'entrée de jeu ! Lui, l'homme le plus intelligent que la Terre aie jamais porté, avait été mis échec et mat dès le début de la partie. Et par qui ? Un adolescent qui jouait les flics pour le gouvernement ! Un môme à peine adulte qui se prenait pour un justicier, du bon côté aux yeux de tous, à qui il mentait éhontément à chaque fois qu'il assassinait quelqu'un d'autre ! Il n'allait pas le laisser saccager son terrain de jeu.

Il se dirigea vers le fond de son immense appartement et ouvrit l'imposant cadenas qui condamnait l'accès à une porte de bois blanc. Un grincement sinistre se répercuta jusque dans son crâne, le faisant frémir d'anticipation. Un tintement métallique retentit. Une jeune femme aux cheveux roux bouclés cascadant dans son dos était recroquevillée dans un coin, un anneau métallique cerclant sa cheville relié à une chaîne fichée dans le mur. Attrapant un sac posé dans le couloir près de la porte, il entra lentement et alluma la lumière. Douce, comme le résultat qu'il comptait bien obtenir. Un plateau trônait à sa gauche, comportant un verre et un grand bol vides. Bien, elle avait pris le temps de manger et de boire un peu. Il s'assit devant elle et la détailla avec attention, s'arrêtant sur chaque infime détail. Puis brusquement, il sortit de sa transe et la libéra de son entrave avant de la relever sans ménagement. Le sac sur l'épaule, il éteignit la rassurante lumière et entraîna la captive derrière lui. Elle ne résista pas une seule seconde, n'ouvrit guère la bouche pour protester, tel le pantin qu'elle était devenue après ces heures écoulées par dizaines dans cette petite salle obscure.

Les portes closes défilaient sous ses yeux mornes, pour enfin atteindre la salle de bain. La porte fut verrouillée derrière elle, mais quelle importance ? Un bruit d'eau s'éleva tandis qu'elle sentit ses vêtements tomber les uns après les autres, déchirés sans aucune cérémonie. Il la poussa dans la grande cabine aux parois de verre et retroussa ses manches avant de la laver méticuleusement. Le savon avait une agréable odeur de vanille qui lui rappela brièvement son enfance, mais elle n'arrivait plus à penser depuis longtemps- des années, des siècles ? Elle n'en savait rien. Ses abondantes mèches couleur de feu, son visage parsemé de tâches de rousseur, son corps digne d'une statue de maître, rien n'échappa à ses soins. Quand le jet cessa enfin, il eut la patience de la sécher avec délicatesse et de brosser sa crinière flamboyante, avant de faire coulisser un panneau de bois fin révélant un grand nombre d'habits à première vue somptueux. Il lui passa des dessous d'un blanc pur parfaitement assortis qui coûtaient certainement une petite fortune, puis une robe de la même couleur rehaussée de motifs finement cousus à l'aide de fils orangés. Cette luxueuse tenue sublimait sa pâleur et sa beauté, la fente sur le côté descendant jusqu'au sol révélant ses longues jambes. Il reprit sa sacoche et rejoignit le salon, où il l'installa à table. Il sortit de petits flacons et une trousse noire qu'il ouvrit, puis prit place en face d'elle. Se concentrant soudain, il se saisit d'une de ses mains et commença à nettoyer les peaux mortes, égaliser les ongles, ne s'arrêtant que lorsqu'il jugea cela suffisant. Il appliqua une première couche de vernis, transparente, pour protéger l'ongle de celle qu'il ajouterait une fois celle-ci sèche. Quand ce fut le cas, il traça habilement des lettres orange sombre sur le vernis durci, et attendit un peu avant de terminer par une dernière couche protectrice. Elle était presque parfaite. Fouillant dans la besace abandonnée non loin, il se munit de quelques tubes de maquillage et déplaça sa chaise pour être juste à côté d'elle. Il l'obligea à se tourner face à lui, et lui fit signe de fermer les paupières afin de les orner d'un trait impeccable d'eyeliner noir-argenté. Il magnifia ses cils de mascara sombre, et para ses lèvres d'une belle couleur rosée. Il n'en fallait pas davantage. Le sourire aux lèvres, il se leva. Il était temps de l'emmener sur le lieu de son prochain tableau.


Voilà, le premier chapitre de ma première fic! Je lirai avec plaisir vos commentaires, et j'essaierai d'écrire la suite bientôt. J'espère que ça vous a plu! N'hésitez pas sur les reviews :3