Séquelle-préquelle de la fic de Scorpio-no-Caro « Envers et contre tout » que je vous recommande de lire avant cette histoire.
Séquelle parce qu'elle fait suite, mais préquelle parce qu'elle raconte une histoire qui se déroule avant.
Merci à elle de m'avoir autorisé à raconter cette histoire que j'avais très envie de faire et de m'en avoir fait la bêta.
Disclamer : les personnages et l'univers appartiennent à Masami Kurumada
Le cœur a ses raisons que la raison ignore
Chapitre 1
Le regard que le Sagittaire et le Lion échangèrent fit sourire Kanon et Saga et les rassura…
Le café fut servi et ils commencèrent à parler. De tout et de rien dans un premier temps, un peu timidement et gauchement, jusqu'à ce que Kanon pose enfin la question qui leur brûlait les lèvres à tous les deux :
- Comment ?
Aïolia sourit en regardant tendrement son aîné :
- Pour nous non plus, ça n'a pas été simple… répondit ce dernier tristement en repensant brièvement à ces moments difficiles dans leur vie.
Mais les jumeaux avaient besoin d'être rassurés, d'être certains qu'ils n'allaient pas affronter les autres seuls. Eux aussi quelque part. Ils étaient venus leur apporter leur soutien tout comme ils espéraient trouver des alliés. Alors ils replongèrent dans cette période tumultueuse, gardant sous silence bien sûr, les moments les plus intimes.
Mais ils n'oublieraient jamais, comme aujourd'hui leurs deux compagnons d'armes. Tout comme eux, frères et amants.
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Tout avait commencé par ce regard échangé à leur réveil à tous dans la salle de réception du palais…
Aïolia s'était perdu dans les yeux de son aîné qu'il revoyait pour la deuxième fois en peu de temps.
La première, devant le Mur des Lamentations, avait été trop intense pour qu'il fasse seulement attention à son apparence. Et puis, ils avaient alors une mission d'importance. C'était juste un salut avant de partir. Le plaisir de se regarder dans les yeux en ayant balayé toutes les suspicions qui pesaient autrefois sur eux. Et entre eux.
Mais là… c'était tout autre chose. Pour la première fois peut-être, il avait remarqué qu'il n'avait plus les traits de son souvenir. Enfin si. Mais plus tout à fait. Il avait quelque chose de changé… un rien qu'il n'arrivait pas à définir encore…
- 'lia ?
- Oui ?
- Ça ne va pas ? avait demandé son aîné inquiet.
- Non, 'ros… tout va très bien au contraire, avait-il souri alors.
Et puis les retrouvailles avec les autres l'avaient arraché à lui. Mais, il avait déjà compris que rien ne serait plus comme avant.
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Après la joie d'être revenu à la vie, était arrivé le temps des doutes. Aucun d'eux n'y avait échappé… Enfin presque… Aïoros, lui, avait été un des rares à ne jamais se demander ce qu'il faisait là. Aussi droit que dans le souvenir de son cadet. A ses questions, il avait simplement répondu d'un air serein :
- Nous sommes là pour assurer la paix de ce monde. Ne te pose pas trop de questions.
Mais justement il s'en posait plein le Lion ! Et il ne comprenait pas. Pourquoi les avait-on ramenés à la vie ? Pourquoi devaient-ils de nouveau s'entraîner ? Dans quel but ? Une nouvelle guerre ? Pour encore perdre la vie ? Il voyait bien ses compagnons aussi indécis que lui, Saga mal à l'aise dans son rôle de simple chevalier… bien que là encore, il sente une autre tension chez le Gémeau et son cadet. DM qui d'un air nonchalant gardait pour chacun une réplique acide dès qu'on tentait de l'approcher un peu trop. Tous, à leur façon, cherchaient une place, leur place, dans cette nouvelle vie. Et puis Aïoros. Son aîné qui était mort alors qu'il n'avait que quatorze ans et qu'on lui rendait âgé de vingt sept ! Il avait enfin compris cette légère différence, ce qui le gênait en le regardant au début… enfin gêner n'était pas vraiment le mot mais qui le mettait mal à l'aise sans qu'il comprenne pourquoi. Alors il passait de longues heures déambulant sur la plage à chercher le pourquoi du comment que, bien sûr, il ne trouvait pas.
Son aîné l'observait, non le surveillait plus exactement. Si Aïoros pouvait sentir son mal-être, il en ignorait la cause profonde. Ou plutôt tentait de l'ignorer. Car il craignait cette cause tout autant qu'il la désirait. Parce ce que si lui avait compris une seule et unique chose à sa résurrection, c'était bien son bonheur de retrouver enfin son cadet. C'était bien plus que cela en fait, et il n'était pas dupe de ce qu'il n'osait encore s'avouer. Le Sagittaire était un homme droit et loyal. Le prouvait, si besoin était encore à quiconque, sa dévotion envers sa déesse. Il s'était sacrifié à l'âge de quatorze ans pour la sauver et recommencerait demain s'il le devait.
Le premier qu'il avait été voir après son cadet avait été Saga. Celui qui, en tant que Grand Pope renégat, avait donné l'ordre de l'assassiner. Aïoros s'était avancé vers lui à travers la grande salle d'où s'élevaient encore les clameurs de joie des retrouvailles des uns et des autres, et l'avait serré contre son cœur. Etreinte que lui avait rendue le Gémeau après un temps d'hésitation. Le second avait été celui qui avait exécuté la sentence, Shura. De la même façon, il avait signifié son pardon au Capricorne. Oui, il était un homme droit et fier de l'être malgré tout ce qui avait pu se passer. Ressuscité par la bienveillance ou le caprice divin, il acceptait ce don de sa nouvelle vie avec gratitude. Et les sentiments qu'éveillaient en lui son frère… même si ceux-ci étaient bannis par la bienséance et la morale.
Il l'avait compris assez vite pour ne pas dire de suite. Il avait perdu une partie de sa vie qui jamais ne lui serait rendue et comptait bien savourer celle qu'on lui offrait maintenant. Mais il était aussi hors de question pour lui d'influencer la vie d'Aïolia qui s'était poursuivie sans lui pendant si longtemps. Il savait à quel point ce dernier avait souffert de le savoir traitre à leur Déesse, même si son jugement avait alors été influencé. Il ne lui en voulait pas, ne lui en avait même jamais voulu. Et ils s'étaient enfin retrouvés devant le Mur des Lamentations aux Enfers comme les deux frères qu'ils n'avaient cessés d'être, ou du moins qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'être.
Mourir était une bien étrange expérience quand on était un chevalier d'or. Si son corps avait cessé de fonctionner, son âme n'avait jamais quitté son armure, comme retenue ou prisonnière de cette dernière. Etait-ce la volonté de cette protection divine ou un cadeau d'Athéna pour son sacrifice ? Il n'en savait rien et n'avait pas cherché à comprendre pourquoi une fois mort, il pouvait encore influencer son armure et tout voir à travers elle ou même s'il en était prisonnier jusqu'à ce qu'elle choisisse son prochain porteur. A moins que ce soit elle qui ait décidé de lui permettre de continuer à protéger Athéna de cette façon ? Toujours est-il qu'il avait vu et souffert de voir son cadet le considérer comme un traitre pendant près de treize ans. Même si au fond, il avait compris pourquoi, il ne pouvait nier en avoir été profondément blessé. Tout comme assister, impuissant, à tous ces combats l'avait tout autant marqué à jamais. Et l'avait fait murir bien malgré lui. Bien sûr, il lui manquait encore nombre de chose pour rattraper un peu tout ce qu'il n'avait pu expérimenter lui-même, et Aïoros n'était pas si naïf pour ne pas se rendre compte qu'il ne les rattraperait jamais vraiment. Mais ses sentiments, eux, il ne pouvait les ignorer même si, au quotidien, il les enfouissait au fond de son cœur.
La situation aurait pu s'éterniser ainsi. Car le Sagittaire savait pertinemment que cette attirance était immorale et il était bien trop droit pour ne serait-ce que supposer que son cadet pouvait, lui aussi, en être victime. Il sentait son mal-être mais refusait d'y croire. Il n'aurait, d'ailleurs, sans doute jamais rien révélé à quiconque si ce dernier n'avait pas très mal réagi quand il avait commencé à sortir. Il fallait être honnête, Aïoros était un homme de vingt sept ans et avait des besoins. D'autant plus qu'il n'était quand même pas particulièrement expert en la matière, vu sa vie précédente trop précocement achevée. Shura avait été le premier à lui proposer une sortie en ville. Voyant là un moyen de rattraper un peu le temps perdu, Aïoros avait plongé allégrement et naïvement vers les chemins tortueux des choses de la vie. Et il s'était vite rendu compte que se perdre une nuit dans d'autres bras atténuait quelque peu sa souffrance solitaire face à ce qu'il considérait comme une immoralité. Pour quelques heures certes, mais qui lui permettait de sourire à son frère comme si de rien n'était au quotidien. De continuer à se comporter comme l'aîné bienveillant qu'il se devait d'être.
Aussi avait-il accepté avec plaisir cette toute nouvelle amitié avec l'espagnol, accompagné bien souvent d'Angelo et avait commencé à les suivre dans leurs nuits agitées. Car la seule autre personne à qui il aurait éventuellement pu confier ce qui lui arrivait était Saga, son ami d'autrefois. Mais ce dernier semblait bien trop en proie à ses propres démons. Il ne se sentait pas le droit de venir lui rajouter ses problèmes. Shura n'avait ni l'expérience, ni la dévotion du Gémeau d'autrefois. Qualités que le Sagittaire savait encore présentes chez son ami. Mais au moins se proposait-il à le guider dans cette nouvelle vie. Peut-être une façon pour lui d'effacer un peu ce qu'il lui avait fait autrefois ? Toujours était-il que cela lui convenait. Car c'était une chose qu'il ne pouvait pas demander à son cadet.
Mais Aïolia, lui, ne voyait pas du tout cela ainsi.
Sa première surprise passée de retrouver son aîné avec quelques années de plus, il s'y était finalement habitué. Même mieux, il aimait cette nouvelle apparence. Il y retrouvait l'assurance et la force tranquille dans laquelle il avait toujours puisé sa détermination et sa force. Jusqu'à sa soi-disant trahison. Comme les autres, il y avait cru. Enfin presque. Au fond de lui, il avait toujours eu un doute mais avait cédé à la facilité. Et il s'en voulait pour cela aussi. Il aurait dû le savoir ! Cela ajouté à ses interrogations sur leur résurrection à tous le minait totalement.
Aussi, voir Aïoros commencer à rattraper le temps perdu le mit hors de lui. Et bien qu'il lui reconnaisse le droit de pouvoir goûter à tout ce qu'il n'avait jamais pu découvrir, il ne le supportait pas. Sans raison apparente. Ou plutôt pour des milliers. Preuve de sa totale confusion s'il y avait seulement un peu réfléchi. Mais il était en colère et le Lion ne prit pas le temps de s'égarer encore dans de multiples tentatives de raisonnement. Il débarqua un matin chez son aîné, tout juste revenu d'une nuit en ville, et déclencha ce qui devait être leur toute première dispute de cette nouvelle vie. Et très certainement la plus cruciale de leur vie.
Aïoros était en train d'attendre que son café coule quand sa porte s'ouvrit à toute volée et que son cadet se planta, furieux, au milieu de son salon. Shura, affalé dans le canapé, ne prit même pas la peine de se redresser en reconnaissant le Lion et continua à somnoler ou récupérer avant de trouver le courage de monter les dernières marches jusqu'à son lit. L'esprit encore quelque peu embrumé par ses excès de la nuit, le Sagittaire subit dans un premier temps les cris de son frère sans en percevoir ne serait-ce que qu'un début de compréhension. Tout ce qu'il voyait était qu'il s'agitait bien trop, qu'il criait des choses incompréhensibles, du moins pour l'instant. Bien sûr, il aurait pu faire flamber un peu de son cosmos pour s'éclaircir les idées, mais il voulait d'abord un café et une douche. Après il s'occuperait d'Aïolia si celui-ci ne se calmait pas.
Il fallait avouer aussi qu'en cet instant précis, le Sagittaire ne voyait que le gamin qu'il avait élevé et non l'homme qu'il était devenu et qu'il avait vu grandir et évoluer à travers son armure quand celle-ci lui avait offert ce privilège. Shura lui-même ne semblait pas vraiment se rendre compte que le Lion vociférait contre lui aussi, lui reprochant d'entraîner son aîné sur les chemins de la débauche, entre autres choses plus ou moins justifiées et bien moins polies. Aïoros finit quand même par se rendre compte que les propos de son frère insultaient largement son invité et réagit. Peut-être trop tard vu que le mal était déjà fait et que Shura, dans un éclair de compréhension ou un sursaut de fierté, se dressait maintenant devant un Lion furieux, auréolé de son cosmos doré.
- Aïolia ! hurla-t-il en se plantant devant lui en faisant jaillir le sien, repoussant doucement mais fermement Shura qui obtempéra sans grande difficulté, trop fatigué pour discuter. Tu dépasses les bornes ! Ça suffit !
- S'il n'était pas là, tu ne passerais pas tes nuits en ville ! rétorqua son cadet sur le même ton, toujours aussi énervé, son aura gonflant autour de lui.
- Je t'interdis d'insulter de la sorte mes invités ! Et je ne vois pas en quoi mes loisirs te regardent ! Je ne viens pas m'immiscer dans ta vie privée moi ! Reste loin de la mienne et sors d'ici tant que tu ne seras pas calmé ! répliqua Aïoros tout aussi remonté que lui.
Le Lion se figea un instant, surpris d'être si vertement rabroué. Mais plus encore que ça, blessé que son aîné prenne la défense de Shura et non la sienne comme il l'avait toujours fait. En un instant son univers bascula et il passa de colère à l'incompréhension la plus totale. Mais plus encore que cela, un profond chagrin l'envahit devant la constatation qu'il avait belle et bien perdu son aîné.
Ce dernier, réalisant que ses propos avaient largement dépassés sa pensée, les regretta aussitôt en voyant la peine envahir son visage. Mais avant qu'il ait pu faire un geste, le Lion s'enfuyait de son temple. Et même s'il n'aurait pu le jurer, Aïoros était presque certain d'avoir vu des larmes dans ses yeux.
- Eh merde ! fit-il en se laissant tomber dans le canapé derrière lui, son visage entre ses mains. Qu'est-ce que j'ai fais ?
Cette incartade avait eu le temps de leur faire reprendre leurs esprits et d'en chasser les derniers effets de leur nuit. Le Capricorne, à ses côtés, était tout aussi désolé que lui de s'être laissé emporter par la colère.
- Aïoros… commença-t-il.
- C'est ma faute Shura, le coupa ce dernier en lui souriant tristement. Je savais qu'il finirait par réagir à tout ça… Pour lui, je suis toujours le grand frère irréprochable, j'aurais dû le prévoir.
- Je ne suis pas idiot tu sais, lui reprocha gentiment son ami. Je vois bien que tu essaies nuit après nuit, de noyer quelque chose qui te ronge. Si tu n'y prends pas garde, ça finira par te détruire et crois-moi je sais de quoi je parle.
Le Sagittaire n'avait pas besoin de plus d'explication, il connaissait la nature de la relation qui unissait son ami au gardien du quatrième temple. Egalement du comment, ils en étaient arrivés là, après bien des tourments de part et d'autre.
- C'est mon frère ! s'écria-t-il néanmoins. Pas un simple compagnon d'arme !
- Et alors ?
Aïoros en resta sans voix.
Non seulement, il ne se savait si transparent mais en plus ça ne choquait même pas Shura ? C'était pourtant immoral !
- Tu croyais qu'on avait rien remarqué ? demanda doucement son ami.
- Qu'on ? Tu veux dire… paniqua le Sagittaire.
- Juste Angelo et moi, le coupa immédiatement le Capricorne, le rassurant. En fait, c'est plutôt ton choix de partenaire d'une nuit qui nous a mis la puce à l'oreille. Je peux te demander un truc ?
- Au point où on en est… répondit Aïoros d'une voix lasse en se levant pour servir le café qui avait cessé de couler depuis un bon moment. Qu'est-ce que tu veux savoir ? reprit-il en en remplissant leurs tasses.
- Comment tu t'en es rendu compte ?
Le Sagittaire sourit rêveusement un moment avant de répondre :
- Comment on tombe amoureux de son frère, hein ? Bonne question… Je n'en sais trop rien en fait. Je l'ai vu grandir et devenir celui qu'il est aujourd'hui à travers mon armure. Vous voir tous évoluer ainsi, à travers elle, est une expérience assez étrange tu sais, c'est un peu comme regarder un film sur lequel tu ne peux intervenir sauf si ton armure le décide ou que tu le dois… On croit qu'on a la maîtrise mais en fait c'est elle qui mène la danse.
- Ça je l'ai connu également, jugea bon d'ajouter Shura. Moi aussi je suis mort. Plus tard que toi c'est vrai, pendant la bataille du Sanctuaire. A partir du moment où j'ai décidé de sauver Shiryu, j'ai assisté à chacun de ses combats. Et puis, il y a eu notre résurrection à tous devant le Mur des Lamentations.
- Oui, c'est vrai. J'ai tendance à l'oublier parfois… Pour Aïolia, c'était un peu spécial… Comme si Sagittarius ressentait mon besoin de le voir grandir, de s'épanouir, de devenir le fier chevalier qu'il est aujourd'hui. Ma peine de l'avoir laissé seul, je pense. J'ai assisté à tout. De ses doutes à sa certitude que j'avais trahi le Sanctuaire. Mais aussi à chacune de ses épreuves, de ses combats. J'ai tremblé pour lui. Je me suis réjoui en découvrant les tendres sentiments que Marine avait pour lui. Je ne sais pas vraiment à quel moment les miens envers lui ont changés. Tout ce que je peux de te dire c'est que quand on s'est tous retrouvé dans la grande salle du palais, je le savais déjà. Même si je n'en étais pas encore vraiment conscient. Ou que je ne voulais pas le reconnaître.
- Que vas-tu faire ?
- Pour l'instant dormir un peu ! répondit le Sagittaire en se levant. Dans l'état où je suis, rien de bon ne sortirait si j'allais le trouver maintenant. Et tu devrais faire de même Shura.
Le Capricorne acquiesça et se leva, s'étirant en baillant avant de se diriger vers la porte :
- Shura, le retint-il un instant.
- Oui ?
- Essayez de garder ça pour vous, je préférais qu'il ne l'apprenne pas. S'il a une chance d'être heureux avec Marine…
- Tu peux compter sur nous… mais tu sais, ce genre de secret, ça finit toujours par se découvrir. Tu devrais plutôt prendre les devants, finit-il en sortant.
Pendant que son aîné allait s'octroyer un peu de repos, Aïolia tentait tant bien que mal de ravaler la boule d'angoisse qui l'avait saisi. Et les larmes qui menaçaient de couler malgré ses efforts pour les contenir.
Il redescendit à son temple dans un état second, ne regardant même pas qui il croisait sur sa route, tant il était chamboulé au plus profond de lui. Il ne vit ni Marine, ni Shaka discutant sur les marches du sixième temple. Cette dernière demandant justement à la Vierge s'il savait où était son voisin. Mais quand elle tenta de lui emboîter le pas, ce dernier la retint d'un geste. Car ce qu'il perçut dans le cosmos bouleversé de son voisin était bien trop lourd de conséquences pour qu'elle puisse seulement le soulager.
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Les jours suivants le Lion se mura dans un silence obstiné, refusant toute communication avec son aîné qui tentait par tous les moyens de lui parler. Mais même ses tentatives télépathiques furent un échec. Aïolia restait sourd à tout contact. Si cela s'était limité à lui, Aïoros ne serait pas plus inquiété que ça, sachant combien il pouvait se montrer obstiné parfois. Pour ne pas dire tête de mule, comme il lui faisait remarquer dans son enfance. Mais quand il constata que Marine se heurtait au même mur de silence que lui, il commença à réellement s'inquiéter. Il savait qu'il l'avait blessé mais ignorait comment y remédier. Ce qu'il ne pouvait pas deviner, c'est que son cadet ne s'était isolé pour cette unique raison.
Aïolia avait été blessé certes, mais pas seulement. Il avait eu mal, et avait toujours horriblement mal. Une sourde douleur l'avait envahi alors qu'il prenait conscience de ce qu'il croyait être, le rejet de son aîné. Sa poitrine s'était si douloureusement serrée qu'il en avait perdu le souffle un instant, avant de s'enfuir pour cacher ses larmes. Il ne savait pas par quel miracle il était arrivé à les contenir jusqu'à ce qu'il regagne son antre, où il s'était enfermé. Trois jours durant, prévenant juste le Grand Pope qu'il était souffrant. Il avait rejeté toutes les tentatives d'approches que ce soit d'Aïoros, de ses pairs ou même de Marine. Pourtant, il avait laissé le cosmos de son voisin du dessus venir parfois vérifier qu'il était encore bien en vie. Shaka s'était fait discret mais avait veillé sur lui de loin. Il le savait et l'en remercierait plus tard. Trois longs jours pour tenter de comprendre ce qui s'était passé. Ce qui lui était arrivé. Ce qui avait changé pour qu'il réagisse aussi violement aux propos de son aîné.
Son cheminement de pensées fut bien plus chaotique que celui d'Aïoros. A la différence de son frère, Aïolia avait perdu beaucoup de ses certitudes au cours des années passées seul à affronter les soupçons incessants pesant contre lui. Tout ça parce qu'il avait le même sang que le chevalier ayant porté la main sur Athéna. Alors la souffrance, il connaissait. Elle avait accompagné longtemps l'enfant qu'il était et qui avait été contraint de se battre bec et ongle pour se faire accepter. Et il avait versé bien des larmes la nuit dans la solitude de la petite pièce qu'on lui permettrait d'occuper en tant qu'apprenti. Ce n'est qu'en obtenant l'armure du Lion que les autres avaient enfin cessé de porter sur lui des regards soupçonneux. Et encore.
Mais là, c'était différent. Il le sentait tout au fond de lui. Ce qu'il endurait n'avait rien à voir avec tout ce qu'il avait déjà pu ressentir. Il avait besoin de comprendre, de faire ce chemin seul. Il aurait pu choisir de fuir mais il se refusait à abandonner son frère tout juste retrouvé. Tout comme ses compagnons, même si beaucoup d'entre eux ne saisissaient pas encore ce qu'ils faisaient là. Non, Aïoros ne méritait pas cela. Et lui-même ne sentait pas capable de partir. Ici, il pouvait le sentir, savoir qu'il allait bien. Non, le perdre une nouvelle fois lui semblait bien au-dessus de ses forces.
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Shion commençait à se demander encore comment il allait bien pouvoir remotiver un peu toute sa petite troupe quand il reçut le message du Lion. Il ne lui fallut pas longtemps pour vérifier que ce dernier était en effet au plus mal. Presque par automatisme, son cosmos se posa sur le chevalier du Sagittaire pour constater qu'il n'allait guère mieux.
Aïoros et Aïolia maintenant ! Déjà qu'il n'arrivait même pas à remotiver son propre disciple. Que même Dohko semblait à mille lieux de tout ça. Qui seraient les prochains ?
Il soupira longuement, se demandant combien de temps encore ces hommes valeureux qui avaient tous donnés leur vie pour sauver la planète allaient devoir affronter les épreuves qu'on leur imposait.
Etait-il le seul à se poser des questions ? Les Dieux ne pouvaient-ils pas leur offrir un peu de paix ? Fallait-il vraiment qu'ils se montrent dignes du droit de vivre ? Plus que nul autre être, ils en avaient le droit et cela mettait en rage Shion de rien pouvoir faire pour leur apporter un peu de soulagement.
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Le parcours du Lion pour comprendre ce qui s'était produit commença donc dans la souffrance. Une lente descente aux enfers, si l'on peut dire ça après les avoir visités. Comme quand il n'était encore qu'un enfant venant de perdre son grand frère, il se recroquevilla sur lui-même pour pleurer et cacher sa peine avant de seulement songer à réfléchir.
Pour tenter de la minimiser ensuite, il commença par accuser Shura et Angelo, qui selon lui, avaient débauché son aîné. Si cela le soulagea sur le moment, ce fut malheureusement de trop courte durée. Car cela n'apaisa en rien la sourde douleur dans sa poitrine. Il réalisa qu'il faisait fausse route assez rapidement. En effet, si les deux hommes avaient été les premiers à proposer au Sagittaire de les accompagner en ville, depuis ce dernier y allait également bien souvent seul. Comme il l'avait lui-même constaté plus d'une fois en trouvant son temple vide au petit matin alors que les cosmos des deux autres chevaliers étaient eux, présents au Sanctuaire. Alors, seulement il comprit qu'il se méprenait. Que le Cancer et le Capricorne n'avaient rien à voir avec le besoin de son frère de trouver du réconfort ailleurs.
Car il n'était idiot non plus le Lion. Et il se doutait bien de comment finissait ses soirées en ville. Après tout son frère était comme les autres et avait besoin d'expérimenter des choses que lui-même avait découvert en son temps. On n'en demeurait pas moins un homme ordinaire même si on était chevalier d'Athéna. Alors pourquoi cela le mettait-il tant hors de lui ? Pourquoi fallait-il qu'il reproche à son aîné de rattraper un peu le temps qu'il n'avait pas eu ?
Et une fois encore son cœur se serra rien que d'imaginer Aïoros dans les bras d'une femme. Ou d'un homme. Après tout, ici, tout le monde goûtait au moins une fois à ces plaisirs. Ils n'étaient, au contraire de beaucoup d'endroits, nullement réprouvés. Lui-même s'y était bien essayé.
A ce stade de sa réflexion, il réalisa qu'il n'avait lui-même jamais vraiment aimé quelqu'un. Il y avait bien Marine avec qui il passait du temps, mais c'était plus du fait de la jeune femme que du sien. Et s'il avait une fois répondu à un de ses baisers, il avait toujours refusé de s'engager plus. Il avait bien eu quelques aventures mais qu'il n'avait jamais pris le temps de concrétiser. Le temps ou l'envie. Il dut s'avouer ce soir que c'était plutôt l'envie qui lui avait alors manqué. Comme avec Marine en somme. Tout simplement parce que son cœur n'était pas prêt à aimer. Il en était alors au soir du deuxième jour.
A partir de là, la suite devint presque un jeu d'enfant. Et l'inacceptable lui sauta aux yeux. Il se fourvoyait depuis le début et avait commis l'irréparable.
Sa dernière nuit fut consacrée à son propre jugement. Le fautif n'avait jamais été Aïoros. Il était le seul et unique responsable de la situation. Et il devait avant toute chose le lui faire comprendre. Ensuite peut-être, ensemble trouveraient-ils une solution… bien qu'il n'en vit sur le moment aucune.
Quand il sortit de sa retraite le lendemain matin, Aïolia n'était pas encore prêt à affronter les questions des autres sans avoir d'abord vu son frère. Encore moins celles de Marine qui ne manqua pas de venir le trouver dès qu'elle fut informée qu'il avait enfin ouvert sa porte. Par quel miracle ? Sûrement avait-elle chargé un apprenti de surveiller son temple.
Il se retrouva donc face à la jeune femme dès qu'il sortit de chez lui pour se rendre à l'entraînement :
- Bonjour Aïolia ! Comment…
- Marine, la coupa-t-il. Plus tard, s'il te plait.
- Mais…
Il passa devant elle sans plus lui accorder un regard et si Shaka un peu plus haut sur les marches ne lui avait pas fait un signe, elle se serait sans aucun doute lancer à sa poursuite. Elle monta jusqu'au chevalier de la Vierge :
- Qu'est-ce qui lui arrive ? lui demanda-t-elle à la fois perdue et chagrinée.
- Je pense que tu devrais le laisser en paix, répondit simplement ce dernier en emboîtant calmement le pas à son pair.
Même s'il était désolé pour la jeune femme, il valait mieux qu'elle accepte l'inévitable le plus vite possible. Le Lion n'avait vraiment pas besoin d'un problème de plus à gérer avant d'avoir régler le principal.
Mais Marine n'était pas femme à abandonner si facilement celui qu'elle avait choisi, même si au fond, ils ne s'étaient jamais rien promis. Aussi suivit-elle les deux hommes vers les arènes. Peut-être n'aurait-elle pas dû car un autre chevalier, descendant de son temple plus haut, rejoignit à son tour le chemin escarpé et se retrouva face au Lion.
Les deux hommes se figèrent un instant et la scène sembla devenir totalement surréaliste pour la jeune femme qui faillit bien heurter Shaka, également immobilisé juste derrière Aïolia. Ce dernier bougea légèrement pour se tourner vers l'arrivante, lui permettant d'apercevoir son visage et son regard. Et ce qu'elle vit sur ce visage qu'elle aimait lui broya le cœur. L'éclat des yeux verts transpiraient tout l'amour du jeune homme, son visage reflétait tout ce qu'elle avait toujours espéré y voir. Seulement ce n'était pas elle qu'il regardait mais Aïoros, son frère aîné.
Retenant un cri, elle s'enfuit.
A suivre…
