La chaleur des rayons du soleil qui frappaient sur mon visage me réveilla. Les paupières collées et la bouche pâteuse, je reprenais doucement mes esprits après ce qui m'avait semblé être des années de sommeil. La bibliothèque autour de moi était calme. Pas un bruit. J'étais seule. Je relevais ma tête, l'empreinte du bras - affreusement engourdi - sur lequel je m'étais endormie imprimée sur le front, les sourcils froncés. Avec pitié, je regardais le fond de café froid que j'avais laissé sur la table alors que je le buvais avec dégoût, en espérant qu'il puisse miraculeusement me réveiller. Étonnamment, ça ne marchait pas. J'avais désormais un goût amer dans la bouche, mais rien de plus.
Les examens approchaient à grand pas et je tentais de réviser mes cours à la bibliothèque de l'université. Tous les jours depuis deux semaines maintenant, je m'asseyais à la même place du matin jusqu'au soir, parfois jusqu'à ce que je m'écroule. Des piles de livres étaient entassées devant moi, des litres de café parcouraient mon sang, des fiches désorganisées jonchaient la table. Je devais me remettre au travail. Je rouvris mon encyclopédie exagérément épaisse d'anatomie humaine, et j'en surlignais mécaniquement des lignes sans vraiment les lire, je survolais les pages sans en mémoriser tous les mots latins beaucoup trop longs dont je maudissais les auteurs. Les yeux toujours humides, je commençais à réaliser que la cause semblait malheureusement sans espoir pour aujourd'hui.
Tout à coup, un cri perçant me fît sursauter. Puis d'autres, jusqu'à ce qu'une cacophonie se forme à l'entrée de la salle. Un jeune homme entra, suivi d'une horde d'étudiantes béates qui cherchaient désespérément à accaparer son attention. Ironiquement, il ne leur portait pas un regard, alors qu'il les surplombait d'au moins deux têtes. Comme un bovin attaqué par les mouches. Le tableau m'aurait fait rire s'il n'avait pas troublé ma tranquillité.
Il s'arrêta un instant, et son regard croisa le mien. Je ne sais pas si, dans ses yeux apathiques, il tentait d'implorer ma pitié ou s'il était surpris que je ne me jette pas à ses pieds à mon tour. Quelques secondes passèrent pendant lesquelles il me fixa, puis à mon étonnement, il s'approcha et posa son sac sur la table avant d'attraper calmement la chaise pour s'assoir en face de moi. Plus un bruit. Les visages se décomposèrent autour de nous, et rapidement, les étudiantes partirent en frappant des talons, les poings fermés, grommelant ce qui devait être des insultes. Je me sentais coupable de trouver la situation quelque peu satisfaisante. Je l'avais regardé sortir un livre de biologie marine (qui n'avait rien à envier à la taille de celui qui était ouvert devant moi) et commencé à écrire. Je ne savais pas si c'était sa carrure imposante qui me troublait ou l'effet de la surprise, mais je ne pouvais plus penser. Je restai là, immobile, alors que je regardais ses doigts appuyer avec force sur son stylo. De ma place, je sentais son odeur de musc et de cigarette froide qui avait remplacé celui des livres et de la poussière. Je me surprenais à la trouver agréable. J'étais sûrement peu discrète en examinant les formes de son visage. Sa mâchoire carrée, ses lèvres fines arquées en un air sévère, ses pommettes hautes et les fossettes qui se dessinaient quand il pinçait sa bouche, ses cheveux profondément noirs. Son allure farouche et masculine. Et ses yeux bleus.
Ces mêmes yeux bleus qui plongèrent soudainement dans les miens. Il avait dû ressentir ma gêne puisqu'il décida de parler.
« Désolé. C'était le seul moyen de les faire partir. Je vais changer de place, excuse-moi de t'avoir dérangée. »
Il ramassa ce qu'il avait éparpillé et s'installa à une table plus éloignée.
Je l'avais déjà croisé à plusieurs reprises durant ces trois années à la faculté, souvent entouré de son banc d'admiratrices. Il n'était naturellement pas difficile à remarquer cela dit, et il ne faisait pas non plus d'effort pour se cacher, pas avec son grand manteau noir et la chaine en or disproportionnée qui le décorait.
Abêtie et déconcentrée par la situation, ne pouvant plus rien retenir, je comprenais qu'il était l'heure pour moi d'arrêter ce massacre intellectuel et de rentrer. Le soleil commençait à se coucher.
XXX
Alors que les dernières gouttes d'eau chaude ruisselaient sur ma peau, mes yeux s'écarquillèrent et s'emplir d'une haine soudaine.
"Où sont les serviettes ?!"
Le campus entier avait dû m'entendre hurler. A vrai dire, c'était le dernier de mes soucis quand je repensais au nombre de fois où le bâtiment avait tremblé à cause des fêtes que nos voisins trouvaient le moyen de faire durer jusqu'à cinq heures du matin. En pleine semaine.
Un silence. Puis des pas affolés accoururent jusqu'à la salle de bain. La porte s'entrouvrit et un bras dépassa en agitant le tissu.
"Désolée, j'ai encore oublié de les ranger !
-Je t'ai déjà dit de les remettre dans la salle de bain, je me retrouve toujours sans rien en sortant !
-Eh, si tu me demandes sur ce ton, tu peux toujours rêver en attendant que je t'en apporte une la prochaine fois !
-Tu...C'est la guerre que tu veux !"
La serviette enroulée grossièrement autour de moi, je sorti comme une furie de la pièce, les pieds trempés qui pataugeaient sur le sol et le frappaient lourdement, alors que ma colocataire avait déjà pris ses jambes à son cou pour se réfugier dans la cuisine.
« Espèce de... Reviens là! »
Quand je passai le pas de la salle à manger, mon sang ne fit qu'un tour dans mon corps. L'horreur prit place dans mon regard alors que je dérapais sur le carrelage, trempée. Mon visage rouge de colère laissa place à un visage rouge de gêne. Chacune de mes veines se glacèrent tandis que mes yeux plongèrent dans ceux d'un jeune homme qui me fixait, debout, devant la machine à café. Presque nu. Dans la précipitation, je glissais tant bien que mal, titubant, tentant de ressortir au plus vite de la pièce et d'échapper à cette situation. Je m'accrochais maladroitement, effectuant le plus grand sprint de ma vie.
J'entendais vaguement un "Bonjour, [y/n] !" rieur alors que j'enfilais précipitamment mes vêtements dans la salle de bain.
« Tu aurais pu me prévenir que tu avais ramené ton copain ! » J'essayais de chuchoter, balbutiant, alors que ma colocataire osa se rapprocher de moi quand elle eu constaté que l'effroi avait vite remplacé mon envie de la tuer.
« Ce n'est pas mon copain !
-Peu importe, depuis quand est-ce qu'il est là ?!
-Oh, on est rentrés dans la nuit, vers deux heures. Ou trois.
-Dis-lui de mettre autre chose qu'un caleçon !
-On ne savait pas que tu te lèverais si tôt aujourd'hui ! Oh, et puis, merci pour la vue que tu nous as offerte, elle était plutôt agréable. Tu devrais refaire ça plus souvent.
-Tu… »
Mes yeux roulèrent trois fois dans leurs orbites pendant qu'elle souriait jusqu'aux oreilles.
Retournant devant le comptoir américain de notre cuisine trop petite, et après un silence gênant, Kakyoin décida d'engager la discussion.
« Désolé [y/n], Lucy ne m'a pas prévenu que tu étais là et que tu serais debout si tôt. On ne t'a pas entendu te lever. Je vais aller mettre quelque chose.
Non, non, pas la peine, je vais partir dans quelques minutes. » Je soupirais lourdement, mes yeux retombant encore désespérément sur son corps dévêtu . Sa voix et ses mimiques douces m'enlevaient toujours toute envie de lui en vouloir de toute façon. « Je vais m'y faire.
-Peut-être que... Je ferai plus attention.
-Oui, pour la prochaine fois je veux bien. Je vais apprendre à Lucy à laisser des mots sous les portes, surtout.
-Pourquoi est-ce que tu te lèves de si bonne heure en ce moment ?
-Mes examens arrivent, et je dois commencer à rédiger mon mémoire, je suis à la bourre.
-Ta studiosité m'étonnera toujours.
-Je ne sais plus si c'est de la persévérance ou de l'acharnement à ce stade, tu sais. »
Une clémentine dans la main et une pâtisserie à la bouche, je saluai le jeune homme souriant et sorti à reculons de l'appartement pour me diriger une nouvelle fois vers la bibliothèque universitaire. Malgré le fait qu'ils niaient sans cesse l'existence d'une relation amoureuse entre eux, aussi minime qu'elle soit, j'avais le droit à une rencontre du genre avec Kakyoin quelques fois par semaine dans notre appartement. Je les connaissais tous deux depuis nos années lycée. Mais par hasard, ou par peur de se séparer (ce qui était plus plausible mais plus dur à admettre je suppose), nous trois et quelques autres amis nous étions retrouvés dans la même université. Heureusement, elle était plutôt polyvalente, et tout le monde y avait trouvé son compte. J'aspirais à devenir médecin sans réellement pouvoir dessiner clairement mon futur. Lucy et Kakyoin étaient tous deux en licence de littérature. Leur promiscuité – et très certainement le fait qu'ils aient désormais plus de cours communs – leur avait permis de se retrouver plus souvent ensemble et de mieux se connaitre. Beaucoup mieux. J'attendais patiemment le jour où ils m'annonceraient que, peut-être, éventuellement, ils n'étaient pas seulement amis. Et où j'aborderais mon plus grand sourire de fierté, celui qui hurle « je vous l'avais dit ».
Le soleil n'avait pas encore réchauffé l'atmosphère bien qu'il pointait le bout de son nez à l'horizon, et je soufflais entre mes mains de l'air embué pour me réchauffer. Ce matin, d'autres auraient pu penser que le campus avait des airs de banlieue, avec ses rues bétonnées qui serpentaient entre les bâtiments en crépis et les quelques lampadaires fatigués qui éclairaient des routes encore vides. L'hiver donnait à l'endroit une bien mauvaise mine. A quelques centaines de mètres, l'université trônait quant à elle fièrement, avec ses parterres de fleurs et ses murs en pierre. Le bruit des portières qui claquent commençait à animer le périmètre. Sûrement celles des professeurs les plus matinaux.
Mais l'expression de mon visage changea radicalement quand j'entrai dans la bibliothèque. Mes yeux s'écarquillèrent quelques secondes face à l'inattendu qui jailli au milieu d'un début de journée beaucoup trop banal. Le silence régnait en maître dans la salle, les livres étaient disposés à leur place, les chaises étaient rangées sous les tables. L'ambiance était, comme tous les jours, animée d'un silence religieux. Mais devant moi, assise à ma table habituelle, se tenait une carrure imposante que je savais familière. Je m'approchais lentement et découvrit ma rencontre de la veille. Impassible, il lisait toujours le même livre, avec quelques pages en plus au compteur. Ses yeux bleu marine parcouraient les lignes dans des mouvements saccadés, le visage appuyé dans sa main qui devait égaler avec facilité la taille de mon visage. A cet instant figé dans le silence, seule sa respiration calme et continue rythmait les secondes.
Sa tête tourna, faisant virevolter quelques-unes de ses mèches noires sous sa casquette.
« C'est ta place, c'est ça ? sa voix rauque résonnant dans la salle déserte.
Une déglutition, une inspiration pénible et je me décidais à répondre.
- Oui. Enfin non. Il n'y a pas mon nom dessus. Mais c'est là que je m'assois.
- Je vais m'en aller.
- Non, non ! Tu peux rester, je ne veux pas te chasser. »
Si, en fait. Je déteste être entourée quand je travaille. J'aurais pu me taire, comme je l'avais fait le jour d'avant. Je me maudissais en m'asseyant, avec du mal à décrocher mon regard de son visage.
Les heures passèrent lentement. Le seul bruit ambiant était celui de nos mines sur le papier, nos soupirs et quelques raclements de gorge. A ce moment précis, la fatigue, le désespoir ou la lassitude, que sais-je, se mêlaient et donnaient à n'importe quel objet un intérêt insoupçonné. J'essayais d'enrouler mon crayon dans mes cheveux en me balançant inconsciemment sur ma chaise.
« Tu veux un café ? »
Un autre sursaut.
« Je vais faire une pause et prendre un café, répéta-t-il devant mon air perdu. Tu en veux un ?
- Heu, oui.
-Bien, qu'est-ce que je te prends ?
-Ah, heu...mais je vais venir !
-Tu m'accompagnes ?
-Oui ? »
Mes dents grincèrent. J'étais gênante.
Je le suivi dans les couloirs maintenant pleins de l'université, en apercevant petit à petit les regards féminins plutôt insistants qui se dirigeaient vers nous. Ils commençaient à me mettre mal à l'aise. Je me disais que c'est ce qu'il subissait certainement au quotidien. Il accéléra le pas au point où je peinais à le suivre.
Devant la machine, il me tendit un verre en plastique rempli d'un café bon marché qui, avec l'habitude, était devenu presque buvable, si on ne prêtais pas attention au goût. Un silence, puis le son de sa voix grave émergeât enfin, comme une délivrance.
« Comment tu t'appelles ?
- [y/n]. Et toi ? »
Je senti qu'il s'arrêta net un instant, comme déstabilisé par la question.
« Jotaro. »
La façon dont il me répondit sonnait comme une évidence. Dans tous les cas, il n'était définitivement pas du genre à faire de longues phrases. 18h bientôt. Déjà. Je devais partir. Après avoir terminé mon café aussi péniblement que la discussion que nous essayions de maintenir, je parti reprendre mon sac. Et alors que je passais le pas de la porte principale, une main vint s'appuyer sur mon épaule.
« Je serai là demain. »
Il se retourna sans rien ajouter de plus, laissant seulement dans l'air l'odeur de son parfum. Toujours le même : musc et cigarette, avec une pointe de café en plus. Et sans savoir si ses mots tenaient de la promesse ou de l'avertissement, je m'en allais vers la salle de sport pour vider ma tête d'une journée beaucoup trop longue.
N.B. : Cette fanfiction est la première que je publie sur le site (non sans appréhension haha), j'espère à ceux et celles qui la liront qu'ils y ont pris du plaisir malgré mes quelques lacunes! Je suis preneuse de toute remarque concernant l'écriture ou l'histoire, sur laquelle je travaille actuellement. Les relations entre les personnages changeront quelque peu de celles qu'on retrouve dans l'histoire originale.
Je ne possède pas les droits originals sur les personnages de la série Jojo's Bizarre Adventure, illustration : artiste inconnu.
