Chapitre 1
"– Encore une enquête bouclée !" s'exalta le Commissaire.
Marlène finissait de taper le rapport sur sa nouvelle machine à écrire, en admirant le Commissaire qui rangeait les photographies du cadavre et des suspects de l'enquête.
"– Oui Commissaire, nous allons pouvoir rentrer chez nous, sereins !" répondit Marlène, tout sourire.
"– Cela mérite bien un bon dîner ! Enfilez votre manteau Marlène, je vous emmène !"
Marlène regarda Laurence, décontenancée. Elle qui voulait tant à une époque qu'il s'intéresse à elle autrement que comme sa secrétaire, aujourd'hui, se retrouve confrontée à un problème de taille : cela fait plusieurs semaines, qu'elle fréquente Timothée Glissant, le nouveau médecin légiste.
Ce garçon charmant avait eu le culot, un soir, après le service, de l'inviter à boire un verre. Marlène, qui s'était pris les réflexions d'un Laurence acide, avait accédé à sa requête. Cela avait été une magnifique soirée qui s'était conclu sur un langoureux baiser, à la porte de son immeuble.
Depuis ce jour, les tourtereaux filaient le parfait amour dans le plus grand secret.
"– Désolé Commissaire, je suis navrée, mais, je ne peux pas." dit-elle, hésitante.
"– Ah. Vous devez rendre visite à votre tata Lucette ou rejoindre cette fouine d'Avril peut-être ?" lança le Commissaire.
"– Non, je... je..."
BAM !
La porte du bureau de Laurence s'ouvrit brusquement et laissa apparaître un Tim resplendissant, en smoking, ajusté à sa silhouette élancée. Marlène en resta bouche-bé, les yeux écarquillés.
"– Allez viens bébé, j't'emmène à L'Opéra ce soir, il joue Carmen ! Depuis le temps que je voulais que tu le vois, hein chérie ?" s'écria t-il
Tim n'avait pas aperçu Laurence dans le coin de la pièce. Celui-ci, au fur et à mesure, montra à la place de son sourire, une tête livide et une moue triste, semblable à celle des mauvais jours.
Le Commissaire Laurence regarda Marlène, prit aussitôt son manteau et partit en trombe de son bureau. Celle-ci décida de laisser Timothée, pantois devant l'événement qui venait de se passer, seul dans le bureau et poursuivit Laurence à travers les quelques couloirs du Commissariat. Elle réussit à le rattraper au niveau de l'entrée.
"– Commissaire ! Attendez !" s'époumona la secrétaire.
Swan se retourna et observa Marlène. Il ne s'expliquait pas le pourquoi du comment. Comment n'a-t-il pas pu voir que sa secrétaire était tombé amoureuse d'un autre ? Lui qui aimait être le centre de son attention, se sentait soudain expulsé dans une nouvelle orbite où il ne tournait qu'autour de lui-même.
"– Avril est au courant ?" clama t-il.
Marlène, d'abord surprise par cette question, se décida enfin à lui répondre.
"– Si même Avril ne le sait pas..."
Laurence avait le regard dans le vide. Il ne pensait pas que Marlène pouvait cacher une information aussi capitale à ses deux comparses favoris. Leur relation n'était-elle pas au-dessus du stade de collègues ? N'était-il pas des… amis ?
Marlène regarda Swan avec insistance, celui-ci maintenait ses yeux en sa direction et se mit à dire tristement :
"– Bonne soirée Marlène. Carmen est un opéra sublime. Soyez à l'heure demain."
Elle lui sourit, en demi-teinte, mais il s'était précipité au volant de sa Facel Vega sans lui adresser le moindre regard.
Timothée, troublé, vint rejoindre Marlène à l'entrée du Commissariat. Il l'a trouva assise sur les marches, la tête entre ses mains, dans l'incompréhension la plus totale.
"– Ça va 'lène ?
– Il a dit que Carmen est un opéra sublime..."
Marlène se mit à pleurer lentement. De ces bras protecteurs, Tim la souleva et l'emmena à sa voiture.
Assise sur la banquette de la Renault 4 CV, elle s'essuya le visage avec le mouchoir en tissu qu'il lui avait passé. Elle savait que cette mésaventure allait tout changer dans les relations du trio. Ses deux amis auront du mal à pardonner la dissimulation de ce fait. Cela la rendit triste mais l'amour qu'elle commençait à éprouver pour Timothée était un évènement majeur dans sa vie. Il était si formidable, si attentionné à son égard. Il prenait le temps de l'écouter raconter ses histoires, même les plus farfelues. Cette pensée lui mit du baume au coeur et estompa ses larmes.
"– Nous pouvons passer à mon appartement ?" chuchota t-elle
"– Bien sûr mais pourquoi ?" lança t-il étonné
"– Il faut que je me change, je ne vais pas aller dans cette tenue à l'Opéra, il faut un ensemble plus chic et mon maquillage, il a coulé, il faut que je me remaquille!"
Timothée la regarda avec admiration. Il était fier d'être amoureux d'une femme sublime, charmante et intelligente telle que Marlène.
"– Tu es magnifique mon Amour." dit-il
Il lui donna un chaste baiser, mis en route le moteur et fila dans les rues de Tourcoing.
Affalé dans le sofa, un verre vide à la main, Laurence se décida à défaire sa veste, sa cravate et ses chaussures.
La journée avait pourtant bien commencé. Il avait résolu l'enquête de la fille de la Deûle. Une jeune fille, d'une vingtaine d'années qui avait été retrouvée sans vie le long de la rivière lilloise. Elle était ouvrière dans une des usines textiles voisines de l'endroit. Après qu'il avait interrogé ses camarades, la direction de l'usine, son entourage, sa famille et effectué des investigations longues et minutieuses, il avait déniché le meurtrier : le fiancé de la jeune fille. Celui-ci, venant de découvrir que la jeune fille lui avait préféré un autre, l'avait assassiné froidement et sans état d'âme.
Il avait consigné l'enquête dans son petit carnet noir qui traînait là, sur la table basse du salon, à côté d'une bouteille de whisky à moitié vide. A vrai dire, il devait être le dixième de la série. Laurence n'est pas un bavard mais l'écriture le libère, cela permet de canaliser ses "petites cellules grises"..
Il allait ranger le carnet dans la poche intérieure de sa veste quand quelque chose en tomba. C'était une photo de Marlène, Avril et lui en tenue de soirée au cabaret "L'Eden".
Marlène était sublime, elle portait sa robe blanche pailleté, des bijoux et un vernis qui allaient parfaitement ensemble. Swan était absorbé par l'expression de son visage : un joli sourire mettait en valeur son regard, elle semblait heureuse sur cette photo... comme Avril d'ailleurs.
Alice
Elle avait tout pour plaire : une robe bustier noire avec de la dentelle et un énorme ruban rose qui affinait sa taille et mettait ses courbes féminines en évidence ; une coiffure qui avait l'exploit d'organiser sa tignasse rousse et du maquillage qui appuyait son regard perçant. Ce jour-là, il était heureux de la voir en vrai femme. Selon lui, la vrai femme est distinguée, a de la classe, du charme, de l'élégance : tout le contraire d'Avril à l'habitude.
Cette soirée avait été mémorable. Ils avaient partagé plusieurs verres, ris aux blagues et aux histoires des uns et des autres. Avril était montée plusieurs fois sur scène au cours de la soirée, pour le plaisir d'un Laurence et d'une Marlène, admiratifs de voir ses talents cachés. Le magicien du cabaret avait voulu immortaliser le moment et avait pris ce cliché. La fin de soirée avait été superbe : ils s'étaient enivrés encore un peu plus dans son appartement, au son d'un Dave Brubreck prenant cinq temps. L'alcool aidant, ils s'étaient endormis tous les trois dans le divan, lovés les uns contre les autres.
Laurence se souvenait avoir été heureux cette soirée-là. Il apprécie être entouré des deux jeunes femmes. Elles ont tant de qualités et de patience comme aucune autre femme n'en n'a eu.
Avec un air rêveur, il rangea le cliché dans le carnet et le remit à son endroit habituel.
Soudain, on sonna à la porte.
Swan regarda sa montre, 23h36.
Il n'y a qu'une seule personne pour le déranger à cette heure...
