The Shrimp Game ~
Il était près de treize heures lorsque l'alchimiste put enfin rejoindre la cafétéria du bureau. S'il y a bien une chose qu'il devait admettre, c'était que cet endroit servait la meilleure nourriture de Central. Bon, d'accord, peut-être pas LA meilleure, mais au moins, ils ne lui servaient pas systématiquement un verre de lait dès son passage au coin des boissons. Et ça, ce n'était pas négligeable. C'est vrai quoi, y'en a marre à la fin ! Il l'avait compris, qu'il était physiquement désavantagé… Bref.
Il arriva donc d'un pas rapide et léger, tout guilleret, jusqu'au présentoir des entrées, ses yeux brillants d'envie et un discret filet de bave s'échappant de ses lèvres frémissantes. Victoiiiiire ! Il en restait ! Des larmes de joie roulèrent sur ses joues tandis qu'il leva un poing en l'air, posture type de l'homme vainqueur d'une rude épreuve.
Effectivement, il avait passé une matinée horriblement longue et douloureuse. Il savait qu'il n'aurait pas du regarder le menu, ce matin… Depuis, il ne pouvait s'empêcher d'y penser… Cela l'avait hanté, c'était devenu obsessionnel, à tel point qu'il en effraya son coéquipier, une jeune recrue qui finit par s'enfuir à toutes jambes. (Ce n'était pas plus mal, remarquez, il était trop grand pour notre blondinet, ce qui ne faisait qu'accroître son énervement.) Mais le moment tant attendu était enfin arrivé ! Oui ! Il l'avait fait ! Il avait tenu bon !
Oh ! Quel homme heureux il était, en ce moment ! Devant lui ne restait qu'une seule et unique assiette d'un cocktail de crevettes ne demandant qu'à être savouré lentement… Très lentement… Elles avaient l'air si fondantes, si savoureuses… Mon Dieu ! Il n'en pouvait plus !
Il tendit une main tremblotante vers l'assiette, s'imaginant déjà en train de déguster ces succulents fruits de mer lorsqu'une vision d'horreur s'empara de lui. Une main gantée venait de s'emparer du fruit de son désir avec un petit rire moqueur. Suivant son assiette des yeux, Edward pivota lentement sur lui même et se retrouva nez à nez (ou plutôt nez à nombril) avec Roy Mustang, qui le regardait un sourire accroché aux lèvres.
« Hé bien, Fullmetal, tu l'as échappée belle ! Heureusement que j'étais là ! »
« Rends moi mes creveeeeeeeeeeettes ! »
Le blondinet, rouge comme une pivoine, sautait désespérément, agitant frénétiquement les bras dans le but de récupérer ses queues de crevettes, décidément trop hautes pour lui…
Roy se délectait de ce spectacle et tapotait moqueusement la tête de son subalterne en ajoutant :
« Te rends tu compte de ce que tu étais sur le point de faire ? »
Reprenant un peu contenance, Edward le regarda, perplexe, avant de répondre :
« Oui, j'allais manger MES crevettes ! C'est tout ! Rends les moiiiiiiiiiiiiiiiiii ! »
Son supérieur saisit délicatement une des dîtes crevettes, la savoura longuement avant de déclarer :
« Je viens de t'empêcher de commettre un acte de cannibalisme. Depuis quand manges tu tes concitoyennes ? Ralala… »
« Mes concitoyennes ? »
Edward était resté bête… C'était rare lorsque cela lui arrivait, et actuellement, c'était le cas. Il observait Roy s'en aller triomphalement dans la direction de son bureau, riant à gorge déployée. De nombreuses personnes l'avaient déjà appelé « la crevette », mais c'était il y avait bien longtemps… Jamais il n'aurait cru que ce surnom referait surface un jour… Mais trêves de rêveries ! Il venait de se faire kidnapper ses crevettes adorées ! Ce crime ne pouvait rester impuni !
La crevette blonde, ayant soudainement reconnecté ses neurones, se mit en tête de récupérer son bien, et ce coûte que coûte.
« ! MES ! »
Il se mit à courir après son supérieur, qui lui aussi avait accéléré le pas, tout en continuant à manger les mini-fullmetal devant lui. Les gens se retournaient sur leur passage, sans pour autant y prêter une grande attention. Leurs petits jeux étaient devenus monnaie courante, si bien que tout le monde trouvait cela normal. Un jour sans les hurlements d'Elric et le rire machiavélique de Mustang n'était pas un jour normal…
A bout de souffle et totalement exténués, ils arrivèrent au bureau de Mustang, qui malgré tout souriait de toutes ses dents. Effectivement, il ne restait aucune crevette dans l'assiette, seul un petit bout demeurait entre les dents blanches de Roy, ce qui n'échappa pas à notre petit alchimiste.
Un élan de colère l'amena à sauter sur son supérieur, qui, prit au dépourvu, ne su rien faire d'autre que casser l'assiette qu'il avait encore à la main sur la tête blonde qui venait de s'agripper goulûment à sa bouche.
Alors qu'Edward dégoulinait lamentablement le long de Mustang, une idée vint germer dans l'esprit de ce dernier. Et non, il n'était pas si choqué que ça par cet incident… Il en avait l'habitude, maintenant, plus rien ne l'étonnait, lui non plus. Et puis bon, ce n'était pas si désagréable que ça. Juste que le goût de crevette est assez étrange, pour un baiser… Enfin bref ! Revenons-en à l'idée machiavélique germant lentement mais sûrement dans l'esprit de notre alchimiste de feu, qui, accordons le lui bien, à bien mérité son surnom. (Et ce n'est bien sur pas de l'alchimie dont nous parlons ~)
Edward revint doucement à lui, enfin, aussi doucement qu'un seau d'eau glacée pouvait le permettre : il se redressa d'un coup, crachant l'eau qu'il avait dans la bouche devant lui, en l'occurrence sur le kidnappeur de crevettes, qui, pour une fois, n'avait pas prévu cette réaction de la part du blondinet. Assis en tailleur, les mains posées entre ses jambes, il jeta un regard noir à Roy, qui passa négligemment une main dans ses cheveux en levant les yeux au ciel.
« Bordel, Mustang ! T'aurais pu chauffer un peu l'eau avant de m'arroser ! »
« Et pourquoi faire ? Tu aurais aimé ça ! »
« Grmblbrllm… »
Après avoir grogné quelques instants, Edward se passa également la main dans les cheveux et sentit une petite bosse sur le sommet de son crâne. Il soupira et regarda Roy, étrangement calme, un léger sourire accroché aux lèvres.
« T'y es vraiment pas allé de main morte… Et en plus de ça… »
Fullmetal marqua une pause, respira un grand coup puis continua le plus calmement du monde :
« TU M'AS BOUFFE MES CREVEEEEEETTES ! »
Il se leva d'un bon, brandissant le poing vers Mustang, qui impassible, lui répondit juste :
« Tu m'as roulé une pelle .»
Vous avez déjà vu un poisson hors de l'eau ? Bah imaginez Edward à la place du poisson. C'était à peu près la même chose : ses yeux regardèrent dans tous les sens, à la recherche d'un quelconque témoin et sa bouche s'ouvrit et se ferma, cherchant quelque chose à articuler. La différence majeure avec le poisson, c'est que ce dernier frétille et se débat comme il peut. Edward non, il se contenta juste de se dégonfler littéralement, sous le regard amusé de Roy.
Contre toute attente, ce dernier s'approcha de sa victime, lui tapotant doucement l'épaule.
« La, la… Ce n'est pas si grave, tu sais ? Tiens, regarde ce que j'ai pour toi ! »
Le jeune alchimiste releva la tête, le regard vide, et Roy claqua dans ses doigts. Un grand morceau de tissu s'embrasa, révélant ainsi une énorme boite en verre pleine de
« ! »
Edward s'était soudain réveillé et avait sauté vers l'immense aquarium, son regard vide devenu avide, un nouveau filet de bave quittant sa bouche, son souffle formant de la buée sur la vitre. Il essaya de les compter, mais cela était tout bonnement impossible. Il parcourait la paroi de haut en bas, de long en large, à tel point qu'il en eut mal aux yeux.
A côté de lui, le tissu continuait de brûler allègrement, mais il n'en avait que faire. Cependant, l'alarme incendie n'était pas de cet avis, et en quelques secondes, ils furent à nouveau trempés comme des soupes.
Edward, imperturbable, se frottait contre le verre, ronronnant presque, alors que Mustang se prenait la tête dans les mains, visiblement contrarié par cet événement, là encore non anticipé. Raaah ! Lui et son sens du spectacle, alors…
L'alarme s'était arrêtée depuis un bon moment déjà, mais le blondinet était toujours collé à la paroi, comme hypnotisé. Roy le contemplait, fasciné par l'effet des crevettes sur son subordonné. (D'ailleurs, il nota que ce dernier ne tenta pas une seule fois de prendre possession de ces crevettes.) Ce garçon était réellement intéressant, peu importe sous quel angle on le regardait…
Décidant que la pause avait assez duré (hé oui, il fallait bien éponger toute cette eau qui était tombée…), le colonel se leva et se posta aux côtés d'Edward, puis, s'éclaircissant la gorge, déclara :
« Bon, Fullmetal, tu ne penses quand même pas que je vais te laisser ces crevettes gratuitement ? »
Le jeune garçon se retourna vers son supérieur, tentant vainement un regard type « yeux de cocker ». Voyant que cela ne serait d'aucune utilité, il respira un grand coup, bomba le torse, jeta un regard plein de dédain à Mustang et fit mine d'enlever une poussière invisible de son épaule. Il commença à se diriger vers la sortie, tout en répondant à Mustang :
« Il est hors de question que je rentre dans un de tes petits jeux, Mustang ! »
« Tu es sûr de toi ? Ces crevettes sont pourtant excellentes, tu sais ? »
« Oui, je suis sûr ! Je ne faiblirai pas ! » (Il commençait à ralentir le pas)
« Tu as tort, tu sais ? Elles sont exactement comme tu les aimes… Fondaaaantes… » (Il s'arrêta)
« Je ne… Je… JEEEEEE… Tiendrais… »
Il haletait, tentant de lutter contre ses pulsions. Cela faisait tellement longtemps qu'il n'en avait pas mangé… Au moins 4 jours… Comment pourrait-il continuer ainsi ? Mais il ne devait pas, non, il NE devait PAS succomber !
« Fullmetal… Tu sais, j'ai une mayonnaise di-vi-ne dans mon frigo… »
« Gyuuu… Ne… Pas…»
« Fullmetaahaaaaaaal ~ Ecoutes les t'appeler ! »
Mustang se mit alors à lancer des petits cris aigus, les mains sous le menton, ses doigts s'agitant dans le but de représenter les multiples pattes de la crevette, oscillants au gré des courants marins.
« Edward ! Edward ! Manges nous ! Eeeeedwaaaaaard! »
« Nyuuuu… Pitiéééééééééée ! Noooooon ! »
« Edwaaaaaahahaaaaaaard ! »
S'en était trop pour notre petite crevette adorée… Elle fit rapidement demi-tour et couru aussi vite que possible jusqu'à son colonel. Là, elle tomba à genoux et fondit en sanglots, lavant par la même occasion les chaussures de Mustang. (Elles n'avaient probablement pas été assez mouillées a son goût…). Edward redressa sa petite tête blonde vers le colonel, se sentant ainsi encore plus inférieur que d'habitude, mais peu importait, c'était pour la bonne cause !
Des sanglots plein la voix, il prit la parole :
« Je t'écoute… Que veux tu contre ces crevettes ? »
