PASSIONS ET RÉVÉLATIONS
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Fin janvier 1820
*o*
Maddy l'avait aidée à se dévêtir et se préparer pour la nuit. Elle avait essayé de lire mais, bien que la fatigue d'une succession de nuits agitées pesait sur son corps, le sommeil s'éloignait dès que la bougie était soufflée. Se laissant aller aux capitulations, elle était sortie de son lit, s'était installée devant son écritoire, et avait couché sur le papier les émotions qui l'assaillaient sans qu'elle puisse les partager.
Il n'était pas attendu avant quatre jours. Une éternité.
Bien que constamment entourée, Elizabeth se sentait terriblement seule. C'est inouï, quand on y pense, que la présence d'un seul être suffise à remplir l'espace d'une aussi grande demeure.
Elle étouffait et suffoquait. Pas par manque d'espace. Cela non, elle ne risquait pas d'en manquer. Elle suffoquait de son absence et de solitude.
Elle se vêtit du premier vêtement chaud qu'elle trouva dans son dressing, descendit deux étages et sortit vers les jardins. Plongée dans ses pensées, elle réalisa trop tardivement qu'elle s'était éloignée et que la neige commençait à tomber, et courut au premier refuge qu'elle trouva.
En pénétrant dans l'écurie, le cheval occupant la stalle voisine de celle de Nelson s'agita, réclamant les flatteries et les caresses d'Elizabeth.
Sur le point de regagner la demeure quand la neige, en diminuant, lui en donna l'occasion, elle entendit le bruit de sabots d'une monture en approche et arrangea en toute hâte vêtements et coiffure, se préparant à se confondre en excuses devant le cavalier pour sa présence inappropriée dans une tenue qui ne l'était pas plus.
" Elizabeth… "
Elle resta immobile et silencieuse, observant incrédule l'homme qui venait d'apparaître.
Il fit entrer Nelson dans son box.
" Lizzy... " L'interpella-t-il de nouveau.
Les traits tirés, les cheveux trempés et désordonnés témoins du peu de sommeil qu'il avait dû avoir au cours des derniers jours, il se libéra du manteau trempé et alourdi par la beige.
" Je… je ne pouvais pas dormir. " Répondit-elle nerveusement, d'une voix à peine audible.
Il pouvait sentir les battements du coeur d'Elizabeth s'accélérer sous l'ardeur de son regard quand il l'approcha.
Il s'immobilisa et, d'une lenteur insupportable, prit finalement son visage entre ses mains et soupira.
" Seigneur ce que tu m'as manqué… "
Puis l'attirant à lui, il se pencha au-dessus d'elle, ses lèvres allant à la rencontre de celles de son épouse, et l'embrassa longuement et passionnément.
" J'ai détesté être séparé de toi, et je ne veux plus jamais que cela se reproduise... Mais là maintenant, je ne peux plus me contenir, je te veux… désespérément, je te veux... "
Elle le regarda étonnée.
" Maintenant? Lui demanda-t-elle en jetant un regard autour deux.
- Tout de suite! " S'exclama d'une voix rauque, l'entraînant vers la maison.
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" Merci, Fletcher, ce sera tout. "
Sur le point de sortir de la chambre, William s'aperçut qu'il avait laissé les partitions, qu'il s'était procurées à Londres et qu'il souhaitait offrir à sa soeur et à Mary, sur son écritoire et, en s'en saisissant, découvrit une lettre écrite de la main d'Elizabeth à son attention. Non scellée, la missive l'intrigua et attisa sa curiosité à en découvrir le contenu.
*o*
Cher Fitzwilliam,
Je ne suis pas sûre de ce que je devrais dire dans ces lignes, si ce n'est que je me débats entre espoir et agonie. A chaque lettre qui arrive, j'espère qu'elle vient de toi, et que tu annonces ton retour, ton absence me torture chaque jour un peu plus.
Je voudrais tant trouver la force de te parler, mais je ne sais comment le faire. Comment accueilleras-tu ce que j'ai tant besoin de partager avec toi? Garder le silence devient une lutte de chaque seconde…
Mes sentiments pour toi demeurent fervents et inaltérables. Je t'aime plus que ma vie.
Reviens-moi, j'ai besoin de toi à mes côtés.
Elizabeth.
*o*
Il glissa la lettre dans la poche de son gilet et remarqua que la lettre en cachait une autre. La signature de Mr Gentley le poussa à en étudier le contenu ainsi que celui de la réponse qui lui avait été formulée sans avoir été cachetée et envoyée.
*o*
Chère Elizabeth,
C'est avec inquiétude que je vous écris ces quelques lignes.
La nouvelle préoccupante de votre état de santé m'est parvenue jusqu'à Londres.
J'espère que ma lettre vous trouvera écartée de tout danger.
Mes affaires me conduisent en Nottinghamshire dans les prochaines semaines. Me permettrez-vous de venir vous rendre visite?
Je vous adresse tous mes vœux de guérison.
Prenez-soin de vous ma chère Elizabeth…
Affectueusement
Thomas Gentley
*o*
*o*o*
*o*
Cher Monsieur Gentley,
J'espère en retour que ma lettre vous trouvera, vous et vos enfants, en bonne santé.
C'est en meilleure forme que je ne l'ai été les jours précédents que j'ai reçu votre lettre.
La présence et l'affection de Monsieur Darcy me sont d'un grand réconfort. D'autres vies dépendent de moi, aussi, malgré ma soif d'espace et d'air pur, je me dois de suivre les consignes du médecin et d'agir avec la plus grande prudence.
C'est avec embarras que je reçois votre requête et que je vous écris qu'il m'est impossible d'y apporter une réponse favorable. Vous comprendrez, je l'espère, que mes sentiments envers mon époux m'amènent à mettre un terme définitif à nos échanges.
Elizabeth Darcy
*o*
Il déposa les deux lettres sur la table et sortit.
Du haut de l'escalier, il aperçut Lord Matlock escorter sa femme au salon. Il en entama la descente, s'attirant leur attention et, sans considération pour son oncle, accrocha le regard d'Elizabeth, tout en comblant rapidement les derniers mètres qui les séparaient, et prit possession de sa bouche en passant une main sur sa nuque et une autre dans son dos dans un geste possessif.
" William ? " Haleta-t-elle, confuse.
William se pinça les lèvres et sourit en haussant les épaules.
" Je crois que vous lui avez terriblement manqué, ma chère. " S'amusa Lord Matlock.
Etonnée par la soif qu'il avait d'elle, elle se demanda comment il avait pu contenir tout cela pendant la première année de leur mariage. Quatorze mois tumultueux durant lesquels le maître de Pemberley n'était pas parvenu à se libérer de l'éducation stricte et étouffante de Mr Darcy senior et Lady Darcy, et durant lesquels Elizabeth après plusieurs mois passés dans l'ombre pesante de la précédente Maîtresse de Pemberley, décédée plus de seize ans auparavant, avait vécu une présentation à la Cour de la reine Charlotte et vue sa première Saison entachée par les coups bas de Lady Catherine. Des mois où les convenances s'étaient immiscées jusque dans le lit des jeunes mariés, augmentant peu à peu le gouffre que leurs silences, leur orgueil et leur entêtement respectifs avaient déjà creusé.
Les retrouvailles avec Richard et sa belle-famille se firent dans une bonne humeur qui se prolongea durant le souper.
Mr et Mrs Gardiner avaient pris des nouvelles de Londres pendant qu'à l'instar de Lydia et Mrs Bennet, Georgiana et Kitty poursuivaient leurs conversations habituelles. Elizabeth avait observé! avec tendresse, les retrouvailles de sa sœur et Charles, qui ne lui laissait omettre aucun détail de l'évolution de leur fille, Camilla, durant son absence, pendant que son père échangeait et débattait William sur les différents livres qu'il avait découvert les jours précédents dans la bibliothèque.
Puis les couples Bingley et Darcy s'étaient retirés tôt et la soirée avait rapidement été écourtée.
À son arrivée dans sa chambre, William la trouva assise, dans un fauteuil près du feu, perdue dans ses pensées. Il l'approcha, la surprenant involontairement lorsqu'il vint se tenir devant elle pour lui prendre la main et l'inviter à se lever, son coeur manquant un battement lorsque son sourire ne rejoignit pas son regard.
" À présent, parle-moi. "
Sous son regard fixe, Elizabeth essaya d'éviter ses yeux.
" Regarde-moi, Lizzy. Qu'est-il arrivé pendant mon voyage?
- Il ne s'est rien passé. "
Darcy soupira sans chercher à dissimuler sa déception. Il ne la connaissait que trop bien pour la laisser le tromper ainsi.
" Une visite de notre ami Mr Gentley? " Lui demanda-t-il impassiblement.
Elizabeth, surprise, se raidit et recula.
" Mr Ge… Mr Ge… Mr Gentley?… Balbutia-t-elle d'incompréhension. Je ne peux croire que tu imagines que je puisse combler ton absence, nourrir ta jalousie et risquer de m'exposer aux rumeurs en recevant Mr Gentley pendant tes voyages d'affaires! S'exclama-t-elle, l'incompréhension faisant place à l'irritation.
- Dois-je te rappeler qu'il t'étreignait lorsque je vous ai surpris à Haddon Park. Je n'étais pas en voyage à ce moment-là. Répondit-il sur le même ton offensé.
- Comment… Comment peux-tu penser que j'éprouve plus que de simples sentiments d'amitié à l'égard de cet homme! Répliqua-t-elle de plus en plus irritée. Tu déraisonnes! "
Un lourd silence s'en suivit. William, appuyé contre le manteau, fixait d'un air furieux la cheminée.
" Peux-tu m'en blâmer? Demanda-t-il sèchement sans la regarder.
- C'est l'opinion que tu as de moi alors… Dit-elle avec rage ne parvenant pas à retenir les larmes qui coulaient sur ses joues.
- Tout le monde tombe sous son charme!
- J'aurais dû le dire bien plus tôt, mais… "
Sa voix, noyée de sanglots, était à peine audible, n'échappant pas à William et l'alarmant davantage.
" Quel que soit le secret que tu gardes, tu peux me le confier. Réagit-il avec tant de froideur qu'Elizabeth sursauta. L'aim… l'aimes-tu? "
- Comment le pourrais-je? S'insurgea-t-elle, brisée à l'idée qu'il puisse avoir de tels soupçons.
- Pourquoi ne le pourrais-tu pas? "
Elle inspira profondément.
" Je t'en supplie William, arrête…
- Dis-le moi, ou je vais devenir fou… Il est aimable et si " parfait "… "
Elizabeth éclata, dévastée, l'interrompant brutalement.
- Parce qu'il n'est pas toi ! Il n'est pas celui que j'ai épousé. "
Elle marqua une pause plongeant son regard dans le sien avant de reprendre.
" Pas plus qu'il n'est le père de l'enfant que je porte ! " Conclut-t-elle avec la même rage, guettant sa réaction.
D'abord abasourdi, William laissa inconsciemment écouler quelques secondes, pas plus capable de détacher son regard d'elle que d'émettre la moindre pensée. Lizzy semblait tout droit sortie d'un rêve. Le temps avait suspendu son court. Et Prenant brutalement conscience des mots qui lui avaient été adressés 'Comment accueilleras-tu ce que j'ai tant besoin de partager avec toi' et que les secondes filaient, il s'arracha à sa contemplation et se décida enfin à plonger son regard dans celui d'Elizabeth. Il la voyait, tourmentée, par l'inquiétude qu'elle cherchait à dissimuler derrière une attitude défensive et un regard dédaigneux. L'inquiétude que son propre silence avait fait naître suposa-t-il.
Sans un mot, il réduisit la distance et, sourd à ses protestations, l'embrassa avec urgence et détermination, résistant à ses tentatives de se débattre et de le repousser, et atténuant sa colère, à force de patience et persévérance, jusqu'à ce qu'elle disparaisse totalement et qu'Elizabeth dépose les armes et réponde à ses baisers. Haletant, il finit par la relâcher et s'écarta pour trouver son regard, caressa son visage et embrassa son front, respirant la douce odeur de camomille de ses cheveux.
" C'est une merveilleuse nouvelle, mon ange. La plus merveilleuse nouvelle ! Chuchota-t-il sans s'éloigner.
- Pardonne-moi. J'aurais dû te le dire plus tôt, mais… j'avais peur que tu… "
Il l'arrêta en posant un doigt sur ses lèvres et l'embrassa à nouveau, soulagé et heureux.
" Lizzy, je t'aime, je t'aime tant… Depuis combien de temps le sais-tu ?
- Depuis que la fièvre a disparue. Le Dr Lane me l'a annoncé à mon réveil.
- Qu'a-t-il dit ? Demanda-t-il, l'inquiétude l'envahissant soudainement.
- Il a été rassurant. La fièvre et la maladie n'ont pas eu de conséquences sur le bébé. Tout se déroule bien. C'est… c'est un miracle, William. "
Les yeux d'Elizabeth s'emplirent de larmes, et elle appuya la tête contre la poitrine de son mari.
" Shhh,… Oui… Oui ça l'est, mon amour. Lui murmura-t-il, mesurant à quel point elle disait vrai. Quand naîtra-t-il ?
- Fin août ou début septembre au plus tard. "
Il prit délicatement son visage entre ses mains et l'embrassa, cette fois, avec douceur. Plus hardie, elle agrippa sa chemise et lui rendit son baiser avec passion, jusqu'à en perdre le souffle.
" Lizzy… Je ne crois que ce soit une bonne idée. "
Sans s'arracher de son étreinte, Elizabeth se recula pour le regarder dans les yeux et fronça d'incompréhension.
" Ce n'est peut-être pas recommandé pour le bébé. Nous devrions peut-être arrêter... Enfin, je veux dire que...
- Monsieur Darcy, il n'en est pas question! " S'exclama-t-elle espièglement.
Riant de son effronterie, il déposa de nouveaux baisers sur ses lèvres avant de s'interrompre pour l'observer de nouveau, portant, pour la première fois, son regard et sa main sur son ventre. Un sourire, qu'Elizabeth ne lui avait vu que le matin de leurs fiançailles et le jour de leurs noces, vint illuminer son visage et son regard, la rassurant sur le bonheur qu'il éprouvait.
