En compulsant mes vieilles archives, je suis tombée sur ce texte que je n'ai jamais publié sur FFNET, mais sur mon blog à l'époque où j'en tenais un. Ecrit il y a une dizaine d'années, je pense, j'ai envie de vous le faire partager. Je le qualifierai d'indéfinissable…
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Qui n'a pas rêvé un jour de rencontrer son idole ? En règle générale, tout se passe de manière idyllique. Pourtant, il est des circonstances comme des hommes : elles sont imprévisibles. Ce récit - purement fictif - s'inscrit dans la lignée du "Portrait de Dorian Gray". Entre cauchemar et réalité, à trop désirer quelque chose, il faut faire attention à ce que l'on obtient.
Amis écrivains et lecteurs, ne l'oubliez jamais.
Bienvenue dans la quatrième dimension…
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L'Océan Pacifique semble s'embraser sous les feux rougeoyants du soleil couchant de cette fin d'été. Sur la plage, quelques rares joggers trottinent encore, profitant du vent plus frais qui s'est levé avec la marée. Dans le ciel, les mouettes se livrent à d'ultimes arabesques avant de disparaître. Tout est calme, presque parfait. C'est l'heure où chacun prend conscience du cycle incessant des vagues déferlantes, de la légère brise du soir chargée d'iode, caressante comme une amante. Allongée sur une chaise longue sur la terrasse en teck, la jeune femme profite des dernières lueurs du jour en sirotant un cocktail sans alcool et laisse échapper un soupir de contentement. Ça a été une longue journée de travail.
Elle est à plus de dix mille kilomètres de son pays et pourtant, jamais elle ne s'est sentie autant à sa place en cet endroit. Curieuse sensation. Il lui a fallu venir dans le monde de l'éphémère, dans "l'usine à rêves" comme on appelle Los Angeles, pour s'apercevoir qu'elle est finalement dans son élément. A force de travail, elle est devenue une pièce du puzzle, insignifiante et importante à la fois.
Que de chemin parcouru depuis son arrivée! Elle n'en mesure pas tout à fait l'ampleur. Par défi, elle avait tout quitté, laissant derrière elle la grisaille parisienne, sa famille, ses amis et son travail pour tout recommencer et faire ce qu'elle avait le plus envie : écrire et vivre de sa plume. Le travail était tout ce qui comptait au départ. Beaucoup de frustrations, d'angoisse et au bout du compte un premier scénario qui a trouvé preneur… On lui a alors dit 'Il y a quelque chose. Vous avez de la chance…' Elle a répondu : 'la chance n'a rien à voir là dedans, c'est uniquement une question de volonté et de travail.' Avoir foi en soi, c'est le plus important. C'est comme ça qu'on peut se donner à fonds et progresser.
Bien sûr, elle n'en serait probablement pas là où elle en est si elle n'avait pas bénéficié d'un coup de pouce du destin. Tout ça n'a pas commencé sur un coup de tête. Elle avait des amis à Los Angeles et à San Francisco. Elle savait vers quoi elle allait, elle savait ce qu'elle devrait affronter et surmonter. Pour ça, son côté pragmatique l'a bien aidé. Elle avait envie de s'insérer, de faire partie du rêve. Et même si au départ, elle a été regardée comme une bête curieuse ou considérée avec scepticisme, elle a su s'accrocher. Pour s'en sortir, elle ne pouvait que compter sur son travail d'écriture. Ce pour quoi elle avait tout lâché. Un pari insensé et audacieux. Avec en tête une seule obsession et un adage : "Qui ne tente rien, n'a rien."
Et elle est là ce soir, à attendre l'homme avec lequel elle doit faire les dernières mises au point sur le script, parce que son statut lui donne un droit de regard sur ce qu'elle écrit. En temps normal, elle aurait protesté contre cette intervention, mais heureusement il connaît son affaire et est de bon conseil. En fait, c'est chez lui qu'elle se trouve à présent. La cuisinière l'a accueillie. Elle est habituée à la présence de la jeune femme maintenant. Cela fait un mois qu'elle travaille avec son patron deux fois par semaine. Elle s'est installée dans le salon et la cuisinière lui a préparé un cocktail avant de partir.
Le soleil disparaît à l'horizon. La jeune scénariste rentre dans le salon. Elle est toujours étonnée devant son agencement particulier. Dans un coin trône un piano à queue noir majestueux, un coûteux Steinway & Sons, la seule fierté de son propriétaire. Près de l'immense baie vitrée qui s'ouvre sur la terrasse et l'océan se trouve une lunette d'astronomie tournée vers un point précis dans le ciel… Orion... L'objet est imposant, solide, attirant mais il n'est pas question d'y toucher. Il est réglé précisément. Il y a très peu de meubles dans cette pièce qui respire le calme et le travail. Le style est délibérément anglais. Quelques lithographies et des tableaux sur les murs d'une blancheur immaculée, attestent que le propriétaire des lieux à des goûts classiques en matière d'art. Il y a peu d'objets dans cette maison d'une manière générale. L'homme a su rester simple malgré sa fortune considérable. Dans un coin, la bibliothèque attire irrémédiablement l'attention par son éclectisme et sa taille. On y trouve des ouvrages scientifiques, philosophiques, psychologiques, historiques, des romans dans tous les genres littéraires, beaucoup de pièces de théâtre classiques et modernes, des tonnes de scénarii annotés et des partitions à peine lisibles tellement l'écriture est petite et nerveuse. Près de la cheminée strictement ornementale, un grand canapé confortable vous tend les bras si l'envie vous prend de vous y allonger. La chaîne hi-fi et la télévision dernier cri se fondent discrètement dans le décor. Pas de tapis au sol, juste un parquet acajou jalousement entretenu qui craque agréablement lorsqu'on marche. L'ensemble est très "cosy", tout y est fait pour s'y sentir bien, un véritable havre de paix pour un voyageur infatigable.
La jeune femme consulte sa montre. Neuf heures et demi. Son compagnon ne devrait plus tarder. Il fait à présent nuit dehors et elle allume la veilleuse, puis s'installe dans le canapé. Elle allume l'ordinateur portable qui ne la quitte plus. Elle a encore des modifications à apporter au scénario et elle consulte ses fiches. Elle travaille à l'américaine, avec des tas de listes et des mémos. Elle s'est rendu compte de leurs importances pour ses correspondants, surtout à l'heure du courrier électronique. Elle s'absorbe dans la rédaction d'une nouvelle note en vue d'une prochaine réunion avec le producteur lorsqu'elle entend le parquet craquer derrière elle. Malgré elle, elle sourit : elle ne l'a pas entendu rentrer, il a toujours cette façon féline de se déplacer sans bruit. Elle se retourne et aperçoit sa silhouette dans l'ombre.
"Bonsoir Tony."
Il ne lui répond pas et elle ne s'en formalise pas. Il doit prendre connaissance de son courrier. Avec un haussement d'épaule, elle retourne vers son travail. Elle l'entend marcher dans son dos et chercher quelque chose.
"La journée a été bonne?"
"Mmm…"
"Je termine de rédiger mes notes et on peut commencer à travailler si vous voulez…"
"Ok."
Il quitte la pièce. Elle se replonge dans le passage qu'elle doit développer … Hannibal Lecter surgit derrière Clarice Starling et la ceinture. La jeune femme se débat d'abord, puis s'arrête lorsqu'elle sent le tranchant de la lame d'un couteau contre sa gorge… "Ne m'obligez pas à en faire usage, Agent Starling." "Vous n'oseriez pas!" "Qu'est-ce qui vous fait croire cela, Clarice?" "Le jeu… vous me voulez vivante pour continuer à jouer…" "Peut-être que je ferai quelque chose de vous finalement… vous commencez à comprendre…" "Lâchez-moi!" "Pas si vite… après tout, j'ai remporté cette manche… Il me semble que le vainqueur a droit à une récompense, non?" Clarice se tait. Hannibal Lecter s'amuse à la déstabiliser. "… Qu'est-ce que je vais bien pouvoir vous demander?… Une petite idée, Clarice?"…
Un fracas dans la pièce adjacente interrompt sa réflexion.
"Tony ? Ça va?
"Oui."
"Qu'est-ce qui s'est passé ?"
"Rien."
Monosyllabique… Elle n'insiste pas. Il ne semble pas de bonne humeur ce soir mais elle connaît son caractère : aussi changeant que le temps en mars... Elle garde donc son optimisme. Mieux vaut cependant qu'elle ne s'attarde pas. Elle l'entend revenir dans le salon et s'approcher d'elle.
"On va pouvoir s'y mettre. J'ai fini tout de…"
Une main s'abat brutalement sur sa bouche et tire sa tête en arrière. Elle a le réflexe de se débattre en protestant. Une forte odeur d'éther envahit ses sens et lui donne envie de vomir. Elle commence à paniquer, incapable de se débarrasser de son assaillant. Ses idées se brouillent bien qu'elle essaie de se focaliser sur le bras de l'homme dont elle ne distingue pas les traits dans la pénombre. Peine perdue. Elle n'a bientôt plus de forces et finalement, elle glisse dans l'inconscience sans même s'en rendre compte…
… A suivre…
