Ère des rires

Arc I : Enfance

Prologue

Gildarts, drapé dans sa cape, progressait parmi les ruines d'un village. Celui-ci avait été complètement détruit par une guilde illégale que le Mage de Fairy Tail avait démembré. Mais pas assez rapidement. Comme nombre de guildes illégales, les Mages constituant cette guilde-là s'en prenaient aux personnes ne possédant pas de magies.

Gildarts baissa les yeux, le visage crispé. Il s'en voulait de n'avoir pas pu sauver les habitants de ce village-là. Il avait vu nombre de cadavres, certains affreusement mutilés. Mais il essayait de s'apaiser en s'assurant que, maintenant qu'il avait mis cette guilde hors d'état de nuire, les villageois avaient été vengés. Aucun d'eux n'aurait droit à de sépulture. Leurs mânes n'auraient jamais la paix.

Le Mage avançait dans les ruines, serrant les poings à chaque fois qu'ils croisaient un corps. Une brise faisait voler ses cheveux roux doucement, portant l'odeur de la mort loin. Alors qu'il allait sortir du village, il se figea. Un tintement raisonnait avec faiblesse dans le champ de ruine. Un instinct fit assimiler ça à Gildarts à un gémissement. Il semblait qu'on agitait une clochette sous des ruines.

Intrigué, il fit volte-face et sentit la puissance de sa magie lui brûler le bout des doigts. Tendu comme un arc, il rebroussa chemin, guidée par le carillon agonisant. Devant un amas de gravats, de débris, il découvrit, filtrant entre la roche grise, une douce lueur. Il posa sa paume de main sur une pierre imposante et, avec sa magie de dislocation, il la brisa. Alors, stupéfait, le Mage resta paralysé de surprise.

Gisant sur une ruine, une minuscule forme luisante respirait faiblement, dans un carillonnement funeste. Le Mage, estomaqué, finit par s'agenouiller pour observer la petite silhouette faible. Il n'en croyait pas ses yeux. Une fée… Devant lui, une fée blessée était en train de mourir. Gildarts avait entendu nombre de rumeurs et d'histoires sur ces créatures mythiques. Il ne fallait pas les toucher sous peine d'être victime d'une malédiction, répétaient les vieux ivrognes des tavernes, croyant dur comme fer à leurs histoires. Gildarts avait toujours cru que les fées n'étaient que le fruit de l'invention des humains mais, désormais, tout en quoi il croyait avait été soufflés. La malédiction existait peut-être, en fin de compte, si les fées étaient.

Il se pencha sur elle, retenant sa respiration. Elle possédait une peau aussi noire que les ténèbres. Ce n'était pas une teinte d'épiderme brune naturelle. Non, sa peau était d'un noir profond, comme de l'obsidienne. Ses cheveux, eux, étaient noirs également mais ils possédaient des reflets aubergine. Juste vêtue d'une très courte robe noire, elle semblait avoir été extirpée d'une ombre. Elle était à peine plus grande que le majeur de Gildarts. En observant son visage torturé, le Mage découvrit un faciès d'enfant, elle n'avait pas l'air d'avoir une dizaine d'année. Peut-être sept ou huit ans. Il ignorait que des fées aussi récentes existaient. Elle devait être la dernière de son espèce, songea le Mage. Des larmes argentées coulaient des yeux clos de la créature. Elle possédait deux longues ailes translucides de libellule parcourues de motifs gravés. Elles partaient d'entre ses omoplates et étaient repliées sur son dos. Elles avaient été déchirées, sans doute par des éclats de roches. Une longue queue pointue, de la même couleur que sa peau, naissait au bas de son dos et s'était enroulée autour d'une de ses jambes.

Gildarts arracha un morceau de sa cape et en couvrit sa main, s'assurant de ne pas laisser de la peau apparaître, avant de glisser ses doigts sous le corps de la créature avant de la soulever avec délicatesse. Par mesure de précaution, il voulait éviter de la toucher directement. Il allait la ramener à Fairy Tail. Maître Makarov saurait quoi faire d'elle, Gildarts en était persuadé. Le tintement de la créature perdait en force et les larmes d'argent redoublaient. Le Mage se hâta donc de regagner sa guilde, pour essayer de sauver la créature, s'ils en avaient le pouvoir.

Quand Gildarts poussa la porte de Fairy Tail, il l'a découvrit comme à l'accoutumé. A l'envers, sans dessous-dessus. Certains se disputaient afin d'assurer leur supériorité les uns sur les autres. D'autres sirotaient paisiblement leur boisson en riant avec force. Des groupes racontaient des histoires à grand renforts de gesticulations. Luxus, âgé d'une dizaine d'années, était assez en retrait, proche de son grand-père avec lequel il riait. D'autres Mages vaquaient à leurs occupations, rôdaient devant le tableau des quêtes. Une bonne ambiance régnait dans la guilde, donc.

Le Mage roux tenait encore dans sa main la petite fée blessée. Ses larmes argentées avaient imbibé son morceau de cape qui avait pris la couleur des gouttes. Makarov, assit contre un mur, en face de la porte principale de la guilde, lui sourit en le voyant. Tous se tournèrent vers lui pour le saluer. Seul Iwan Drear, le fils de Makarov et père de Luxus, l'ignora, ce que Gildarts lui rendit bien. A la suite d'un différent, les deux Mages avaient fini par se détester cordialement.

Gildarts progressa vers Makarov qui le fixait avec curiosité. Le Mage roux sourit au Maitre de la Guilde et s'assit en face de lui. Il eut un léger rire alors que Makarov demandait :

- Qu'est-ce que tu tiens, Gildarts ?

- Si je vous le disais, fit le Mage, vous ne me croiriez pas…

- Alors montre, s'écria Luxus avec une impatience tout enfantine.

Les Mages de la guilde s'étaient massés autour d'eux, les quelques enfants-Mages au premier rang. Même Iwan daigna faire quelques pas vers eux. Gildarts posa son morceau de cape trempé d'argent sur une table entre Makarov et lui et retira avec précaution les morceaux de tissu sur la fée. Quand elle fut entièrement découverte, un silence de mort était tombé sur la guilde. Personne ne pipait mot. Luxus pencha la tête d'un côté. Chacun était abasourdit à la vision de la créature et restaient paralysés de stupeur. Eux non plus ne croyaient pas ou guère en la légende des fées. Makarov murmura, fasciné mais également sonné :

- Une fée… Une vraie fée… Je pensais qu'elles n'existaient plus… C'est étrange, une fée ici… J'aurais été moins surpris d'en trouver une sur Tenroujima.

Le Maitre de la Guilde resta interdit devant la créature gisante. Elle ne tintait presque plus. Gildarts lui conta son histoire contre la guilde illégale, sa traversée du village en ruine et, pour finir, sa découverte de la fée. Makarov, saisissant un stylet en bois et en métal, palpa le corps noir de la fée. Il préleva un peu de sang argenté. Il finit par marmonner en s'écartant avec Gildarts.

- Elle est trop petite… Il est impossible d'accéder à ses blessures et je ne sais même pas si elle pourrait y survivre… Elle est une enfant pour les humains et une nouveau-née à l'échelle d'une fée.

- Que savez-vous sur les fées, Maitre ?, demanda Gildarts.

Makarov allait répondre quand Iwan fit bruisser son manteau. Dans un tourbillon de tissu, il s'approcha et tendit la main vers la fée. Gildarts amorça un mouvement pour lui saisir le poignet mais trop tard. A l'instant où sa peau hâlée toucha celle de la créature, une explosion de matière noire éclaboussa tous les Mages. Iwan fut projeté au loin et allait s'encastrer dans un mur si quelqu'un ne l'avait pas rattrapé, de justesse. Luxus resta les yeux comme deux ronds de flans, étonné de voir la magie d'une si petite créature être capable d'envoyer valser son père si loin. Iwan serrait ses doigts qui le blessaient, s'embrasaient sous la peau.

Le corps de la fée se tordait dans tous les sens et enflait. Toutes les ombres alentours se mirent à graviter autour d'elle, à être attirée par sa personne. Quand son corps fut aussi grand que celui d'un enfant humain, quoique, peut-être encore un peu petit, elle cessa de grandir et retomba, inconsciente. Sa peau avait pris la blancheur de la neige, abandonnant sa noirceur d'obsidienne. Sa queue pointue avait disparu et ses ailes de fée s'étaient tatouées dans sa peau, sur son dos et ses épaules.

Iwan, assit au sol, fixait sa main qui avait touché la fée. Elle était maculée d'ombres étranges. Elles étaient épaisses et se déplaçaient paresseusement. Makarov se précipita sur son fils, alors que son petit-fils restait figé, réprimant un rire nerveux qui aurait été malvenu :

- Sombre idiot… Fais-moi voir ton bras…

Il lui saisit l'avant-bras et observa la marque noire. Iwan, ne parvenant pas à masquer un peu de panique dans la voix, demanda :

- Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qu'elle m'a fait ?!

- On dirait… Des ombres. Mais… J'ignore d'où elles viennent…

Makarov exposa la main de son fils au soleil. Presque immédiatement, comme de la neige, les ombres fondirent et disparurent. Iwan se détendit en voyant sa main reprendre son apparence initiale. Le Maitre gronda :

- Ce sont sans doute des résidus de sa magie.

Gildarts se dirigea vers Makarov qui s'était éloigné, pensif. Le Mage nouveau venu gronda :

- Que s'est-il passé Maitre Makarov ?

- C'est un évènement étrange… J'ai déjà lu ça dans des livres… Apparemment, les très jeunes fées peuvent s'imprégner de l'ADN des créatures qui les touchent dans leurs jeunes années. Si on s'en réfère aux rares livres sur les fées… Ce phénomène cesse après les vingt ans d'existence…

- Vous voulez dire qu'elle possède désormais de l'ADN humain et fée ?, s'étonna Gildarts.

- Exact… Ce qui explique sa métamorphose en humaine.

Iwan, toujours assit au sol, restait immobile, fixant son poignet. Il croyait voir encore les ombres sur sa peau. Le Mage avait l'ego tout égratigné et était furieux. Il demanda, la voix vibrante de colère :

- Pourquoi est-ce que sa magie a explosé, comme ça ?

- La surprise, peut-être… Je ne sais pas vraiment.

Makarov resta pensif avant de déclarer :

- Gildarts, tu peux la porter dans mes appartements ?

- Il n'y aucun risque à la porter ?, demanda Gildarts, réticent malgré tout.

- Je ne pense pas.

Le plus grand des Mages passa ses bras sous les genoux et le dos de la gamine qui gémit dans son demi-sommeil. Le Mage sentit les ailes de la fée pulser contre son avant-bras comme si elles voulaient sortir de sous sa peau. Les motifs délicats sur son dos étaient très fins et creusaient l'épiderme de la créature. Il suivit Makarov dans ses appartements. Le petit-fils du Maitre de la guilde, Luxus, essaya de les suivre et son grand-père lui intima doucement de rester ici. Il obéit, un peu déçu. Iwan gronda :

- Viens, Luxus-kun.

- Mais…, fit le garçon en fronçant les sourcils. Papy et moi devions aller en ville, aujourd'hui…

- Viens ici, tout de suite.

L'orgueil blessé d'Iwan Drear le rendait encore plus amer. Makarov pivota alors que Gildarts portait le corps inconscient de la petite dans les appartements du Maitre avant de repartir pour une nouvelle mission. Makarov déclara à l'égard de son fils :

- Luxus est libre de faire ce qu'il veut, jusqu'à présent… Mais effectivement, nous devions aller faire quelques courses.

Il adressa un regard doux mais désolé à son petit-fils. Ce-dernier observait tour à tour son père et son grand-père. Le premier semblait encore vibrant de colère. Bien qu'il ait toujours vu son fils comme un faible, cela n'empêchait pas Luxus d'admirer Iwan. Makarov s'adressa à son petit-fils :

- Je crains qu'au vue des circonstances, je vais devoir rester ici. Désolé Luxus, nous irons une autre fois.

- D'accord, souffla le garçon, un peu déçu malgré tout.

Il se tourna vers son père, à qui il adressa un sourire contrit mais, en même temps, encourageant. Au fond de lui, il était heureux de voir son père, lui si souvent en mission. Iwan tourna les talons et disparut dans un tourbillon de manteau, son fils sur ses talons. Makarov soupira et fit volte-face, se préparant à monter dans ses quartiers.

Quand la jeune fée se réveilla, elle se sentit étrange. Elle ressentait des différences dans son physique. Elle se sentait gigantesque, comme si elle avait été jetée dans un corps trop grand pour elle.

La fée ne sentait pas sa queue contre son dos et ses jambes, ni ses ailes. Elle fronça les sourcils et ouvrit les yeux. La clarté l'aveugla un temps et elle gémit.

La tête pleine de plombs, elle se redressa. Elle découvrit, stupéfaite, des bandages sur tout son corps. Elle se souvenait de l'attaque du village où elle était restée, sans rien connaitre du monde. Elle avait toujours vécu dans un repli dans un mur, elle était née dedans même.

A sa droite, elle découvrit un vieil homme terriblement petit pour un humain. Il avait des yeux noirs et des cheveux blancs, ainsi qu'une calvitie très avancée. Elle resta paralysée par la surprise. Elle faisait la taille de cet humain, aussi petit pouvait-il être ! Avait-elle grandit ? Ou lui rétrécit ? Comment était-ce possible ?!

La fée leva une main pour frotter ses yeux mais suspendit son mouvement en découvrant sa peau blanche comme la craie. Son épiderme de nacre noir avait disparu… ! Elle saisit ses cheveux pour les mettre devant ses yeux. Eux, avaient gardé leur couleur originelle. Mais ils étaient courts, il arrivait à peine à la ligne de sa mâchoire et le haut de sa nuque. Elle découvrit, effrayée malgré tout, qu'elle était bel et bien devenue humaine. Le vieil homme lui saisit l'épaule :

- Chut… Reste calme.

- Que… Qu'est-ce que j'ai ?!, pépia-t-elle.

Sa voix était rendue aigue par la panique. Elle carillonnait comme la clochette qui émanait de son corps de fée. Patiemment, le vieil homme se présenta. Il s'appelait Makarov, était le Maitre de la guilde nommée Fairy Tail. Voyant l'air insistant de la gamine, il finit par lui relater les évènements récents avec sa découverte. La fée resta sonnée. Makarov lui demanda avec gentillesse :

- Et toi ? Qui es-tu ?

- Je… M'appelle Scathach… Je suis une Fée des Ombres.

- Des ombres, répéta-t-il.

Makarov hocha la tête, satisfait. Elle restait encore hébétée par les révélations du Maitre de la Guilde. Celui-ci respecta son silence et s'assit auprès d'elle. Après plusieurs minutes, quand il sentit qu'elle était un peu plus apaisée, Makarov finit par dire :

- Scath…, demanda-t-il, raccourcissant son prénom étrange. Voudrais-tu rejoindre ma guilde ? Devenir Mage de Fairy Tail ? Je ne veux pas te renvoyer. Tu n'as aucune famille dehors, tu pourrais rester ici.

Scath se raidit. Vraiment ? Voulait-il vraiment lui offrir une nouvelle famille ? Surprise, elle tourna les yeux vers Makarov. Il lui souriait avec bienveillance. La fée sentit son cœur de créature s'affoler. Pourquoi lui proposer ça ? Il ne la connaissait pas… N'avait-il pas de mauvaises intentions, vraiment ? Faisait-il ça par bonté d'âme ? Scath resta un instant muette, émue par la gentillesse et la générosité du Mage. Elle n'osa pas dire oui immédiatement. Méritait-elle de devenir Mage ? Elle savait qu'elle possédait ses pouvoirs de Fée et ceux des Ombres mais… Elle ne les avait jamais utilisés, ignorait leur fonctionnement… Prendraient-ils le temps de lui apprendre, dans cette guilde ? Elle resta un temps perdue avant de souffler, hochant la tête avec conviction :

- Oui ! Je le veux !

- Bien… Promets-tu de défendre Fairy Tail, peu importe le prix, de considérer les autres Mages comme des personnes de ta famille et de ne jamais les mettre en danger ?

- O… Oui ! Je promets !

Makarov se retourna vers un tiroir qu'il ouvrit afin de fourrager dedans. Il marmonna des mots que Scath ne saisit pas et, quand il se retourna, il brandissait avec une indicible fierté un tampon appliquant le sceau de Fairy Tail. Scath sentit des petites pépites d'angoisses grouiller dans son ventre. Est-ce que ça allait la brûler ? Etait-ce douloureux ? Makarov s'avança et elle lui exposa son biceps droit. Elle n'osait pas lui tendre la main, de peur que l'application du sceau soit douloureuse. Makarov posa le tampon et appuya sur sa peau. Elle sentit une douce chaleur à l'intérieur de son avant-bras et, quand elle baissa les yeux vers celui-ci, après que Makarov ait reculé, elle découvrit le symbole de Fairy Tail, couleur prune. Scath sentait qu'il faisait désormais autant partie d'elle que ses ailes ou sa queue de fée. Elle sentit son cœur s'alléger. La vie allait aller mieux… La fée n'était plus seule.